Jusqu’au 6 juin 2024, Double V présente « Ghost Town », une exposition avec Alice Guittard, Matisse Mesnil et Taisiia Cherkasova autour de fantômes qui errent dans la ville et qui hantent peut-être son espace marseillais.
Dans un accrochage toujours très élégant et irréprochable, on retrouve avec intérêt le travail d’Alice Guittard. Un ensemble de pièces choisies avec soin illustrent l’itinéraire de cette artiste représentée par la galerie depuis 2017.
Quatre pièces très récentes montrent sa maitrise toujours plus affirmée de la marqueterie de marbre, technique qu’elle rencontre lors d’un voyage en Turquie, il y a six ans.
Alice Guittard – La jeune fille et le feu, 2023. 90 x 60 x 2 cm et Les mains et la pluie, 2023. 40 x 60 x 2 cm. Marqueterie de marbres
La jeune fille et le feu (2023) et Les mains et la pluie (2023) étaient accrochées dans « Biographie de mes fantômes », une magnifique exposition d’Alice Guittard au Kiosque, Centre d’art à Mayenne en tout début d’année. Les fantômes qui gisaient dans la Chapelle des Calvairiennes sont-ils ceux que Nicolas Veidig-Favarel a convoqués dans sa galerie marseillaise pour une rencontre avec des spectres plus urbains ?
Montrée par la galerie lors de dernière édition d’Art Paris début avril, La main et le volcan (2024) est très proche de L’oiseau et le volcan qui était exposé à Mayenne.
L’ensemble est complété par The Star III, 2024 une superbe marqueterie qui montre toute l’habileté avec laquelle Alice Guittard explore la richesse des textures et des nuances que lui offre le marbre…
Une émulsion photosensible sur pierre de 2018 (Lou) rappelle la découverte de son travail à la rentrée 2017, à la Fiche de la Belle de Mai, dans « Inventeurs d’aventures » et pour le Show Room d’Art-O-Rama, sous le commissariat de Gaël Charbau.
« Ghost Town » accorde une large place à Matisse Mesnil, artiste invité par le galeriste. En effet, il occupe la vitrine de la rue Saint-Jacques avec un sombre ensemble géométrique. Au pavage cubique du sol sur lequel est posée une pomme de pin d’ornement en métal répondent des plaques d’acier noir qui tapissent le mur. Le trompe-l’œil d’Interno n° 1, (2024) s’oppose à une nature morte de sa série Mazzolin (2024), dessinée à l’arc électrique.
Matisse Mesnil – Interno n° 1, 2024. 50 x 35 cm et Série Mazzolin, 2024. 50 x 35 cm. Soudure à l’arc.
Au centre de la galerie un pavage hexagonal qui n’est sans rappeler les tomettes marseillaises accueille d’étranges pièces sculptées évoquent un surréalisme à la De Chirico pour une énigmatique partie d’échecs (Playtime, 2024).
Sur les cimaises, on retrouve des formats moyens de la série Mazzolin (2024) que l’on peut voir jusqu’au 12 mai à la Collection Lambert dans « Revenir du présent, Regards croisés sur la scène actuelle ».
Au revers de la vitrine, un grand format vertical (Le due agavi, 2023) reste toutefois de dimension plus modeste que l’imposant quadriptyque (Le Marais, 2023) exposé à Avignon.
Deux petites œuvres très géométriques de 2023 (Fuori, le case n° 1 et Virale) paraissent être de la même veine qu’Interno n° 1.
Matisse Mesnil – Fuori, le case n° 1, 2023. 35 x 50 cm et Virale, 2023. 30 x 20 cm. Soudure à l’arc
La présence de Matisse Mesnil est sans doute une excellente opportunité pour l’artiste, pour la galerie et pour les collectionneurs. En effet, son travail est particulièrement mis en valeur à la collection Lambert avec plusieurs de ses œuvres et une importante installation qui occupe la cour de l’Hôtel de Monfaucon (Lasciate ogne speranza, voi ch’entrate, 2022). Par ailleurs, Yvon Lambert, séduit par son travail, s’est porté acquéreur d’une de ses pièces (Grappe de raisin, 2023) qui a rejoint les cimaises du Mucem où elle est accrochée dans « Passions partagées », entre deux Buren de sa collection…
« Ghost Town » convoque également quelques fantômes de l’artiste ukrainienne Taisiia Cherkasova qui vit aujourd’hui à Paris. Elle présente d’étranges et inquiétantes œuvres où se mêlent dans des cadrages insolites des paysages urbains flous peints à l’aérographe sur des panneaux de bois où s’incrustent des objets en céramique plus rarement en tissus ou en cuir…
Taisiia Cherkasova – Hugs,2023. 142 x 114 x 6 cm ; Bullwinkle Part II, 2023. 80 x 112 cm et Basta, 2024. 60 x 49 cm.
Un passage par la Double V Gallery s’impose naturellement dont il faut saluer le dynamisme et la qualité des ses accrochages. En quelques années, Double V a pris une place notable dans le paysage de l’art contemporain, d’abord à Marseille, puis à Paris avec l’ouverture en 2021 d’un espace partagé avec la Galerie Claire Gastaud au 37 rue Chapon dans le marais.
L’équipe animée par Nicolas Veidig-Favarel montre également une forte présence dans les foires nationales (Art Paris, Drawing now, Art-o-rama…) et internationales (Artissima Turin, Arco Madrid, Untitled Miami, ART021 Shanghai, Art Brussels, Future Fair NY, NADA NY…).
À lire, ci-dessous, une présentation des artistes extraite du communiqué de presse de la galerie.
En savoir plus :
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Alice Guittard
Née en 1986 à Nice (France), Alice Guittard vit et travaille à Paris et à Lisbonne.
« Alice Guittard commence à s’immerger dans la marqueterie en 2018, alors qu’elle voyageait en Turquie pour un projet d’exposition. À son arrivée à l’aéroport, la douane d’Istanbul lui demanda de détruire les produits chimiques qu’elle utilisait pour ses photos. Dans ces conditions, comment continuer à produire des images, comment fixer un monde de détails et de souvenirs pour cette artiste qui mélange sans cesse sa vie et son œuvre ? C’est en visitant les palais ottomans composés de nombreuses marqueteries qu’elle commence à se former avec un marbrier afin de continuer de travailler l’image et la pierre. Depuis, Alice Guittard n’a de cesse d’explorer la richesse infinie des textures veineuses que lui offrent le marbre. » Gaël Charbau.
La question de la représentation des choses à travers l’histoire, celle de l’âme des objets et celle de nos propres souvenirs sont ainsi au cœur de la démarche d’Alice Guittard aujourd’hui.
Après avoir obtenu son diplôme à la villa Arson – école des Beaux Arts de Nice – en 2013, l’artiste est remarquée à la Bourse Révélations Emerige en 2017, et a exposé depuis dans plusieurs institutions internationales (Musée des Arts Décoratifs de La Havane, Institut Culturel International de Venise…).
Son travail figure, entre autres, dans la collection Laurent Dumas à Paris, de la famille Niarchos en Grèce, et dans celle de la Fondation Thalie à Bruxelles.
Matisse Mesnil
Né en 1989 à Castiglion Fiorentino (Italie), Matisse Mesnil vit et travaille à Paris.
« Le travail de Matisse travail prend la forme d’une recherche : d’abord attaché à une remise en cause du paradigme albertien de la peinture, qui décrit cette dernière comme une fenêtre sur le monde, Matisse Mesnil a entrepris de déborder l’œuvre pour se concentrer sur le cadre. Il a donc engagé une phase d’expérimentation technique et méthodologique propre à son nouveau matériau de prédilection, le métal. Entre artisanat et industrie, celui-ci suppose un ajustement du geste, de la temporalité, des outils. Cette phase d’expérimentation a induit une lente dérivation, comme un retour vers la voie royale de la pratique artistique : la figuration. Le travail sur le cadre et les marges, qui évidait l’œuvre et ne laissait qu’une image vaporeuse, amovible, a produit, au fil de la pratique, le retour de la représentation. Matisse Mesnil, avec des techniques industrielles comme la soudure ou l’affûtage à la meuleuse, rejoue les moyens de la figuration, dans ses genres les plus usités, comme le paysage ou la nature morte. Au monde bruyant de l’industrie est ainsi adossée l’éthique et l’esthétique de la contemplation silencieuse qui traverse l’histoire du paysage. Une violence sourde sous-tend ses dernières pièces, qui pourtant appellent à une forme de religiosité que l’on doit aussi lire dans l’exigence scénographique et architecturale qui gouverne son travail : les œuvres de Matisse Mesnil, depuis leur format jusqu’à leur mode de monstration, sont faites pour être abordées dans l’espace et à la mesure de leurs spectateurs. » Guillaume Blanc-Marianne.
Le travail de Matisse Mesnil figure, entre autres, dans la Collection Yvon Lambert à Avignon, actuellement présentée au Mucem dans le cadre de l’exposition ‘‘Passions partagées’’.
Taisiia Cherkasova
Née en 1991 à Dnipro (Ukraine), Taisiia Cherkasova vit et travaille à Paris.
« À travers ses productions mêlant peinture, céramique et textile, l’artiste cherche à traduire des sentiments et des souvenirs propres à son histoire et à ses origines. Peinte avec la distance que permet l’aérographe, son œuvre est floue car son intention réside dans la capture brumeuse d’un moment, déjà à moitié effacé. Elle permet de décoder une partie du travail de Taisiia Cherkasova, par son message mais aussi par son existence physique qui est le résultat de deux gestes simultanés : l’un radical, à travers la découpe et le travail du contour, et l’autre pudique et évocateur de l’application de matière. L’artiste n’est jamais uniquement dans la toile mais dans l’objet. Son action de décadrage contribue à la fois à accentuer la fatalité des souvenirs qu’on ne pourra jamais entièrement restituer et à leur redonner une épaisseur et une matérialité. Elle parvient également grâce à cette déconstruction à hybrider les styles et à rendre ainsi chaque pièce unique et profondément expérimentale. La tendresse de Cherkasova est bien présente mais elle opère en terre aride. Le traitement gratuit, non filtré, non analytique qu’elle fait de la violence choque et envahit les esprits de celles et ceux qui découvrent son oeuvre, aux dépends des multiples autres facettes de son travail. Ce choc qu’elle provoque est précisément là où réside l’enjeu de son œuvre : elle ne cherche pas à opérer un contrôle ou un jugement moral sur la réalité et nous pousse ainsi à décentrer nos regards. Chienne, elle démontre que le lâcher-prise et la sauvagerie ne sont pas à craindre, au contraire. Ils sont une nouvelle forme, furieuse, de salvation. Une manière d’être ‘still a life’. » Justine Daquin