À l’invitation d’Isabelle Carta, Hélène Bellenger propose « Bianco Ordinario », un projet passionnant qui fissure l’image du marbre de Carrare et qui ébranle nos représentations des célèbres carrières italiennes.
Visible jusqu’au 14 juin 2024, cette incontournable exposition s’inscrit dans la programmation Printemps de l’Art Contemporain 2024.
« Bianco Ordinario » – un projet de recherche
Les œuvres qu’expose Hélène Bellenger au 33 font partie du projet de recherche général dont le titre fait référence à une typologie de marbre de Carrare. Dans ce travail, l’artiste examine l’importance de la couleur blanche dans notre culture où elle exprime la pureté, l’innocence, la tranquillité et où elle suggère parfois d’infinies possibilités. Mais surtout, Hélène Bellenger y interroge notre obsession pour un « blanc » absolu et parfait…
« Bianco Ordinario » raconte un lieu qui souffre de surexploitation à cause de nos habitudes et de « l’histoire du blanchiment et de la blanchité de nos sociétés occidentales contemporaines »…
Si le marbre de Carrare est réputé pour être apprécié des sculpteurs et des architectes depuis l’antiquité, aujourd’hui seul un quart du Carrare est extrait sous la forme de blocs. Environ 75 % des matériaux sont pulvérisés pour alimenter le prospère marché du carbonate de calcium. Après de multiples transformations, cette poudre de marbre est utilisée pour fabriquer et blanchir de nombreuses marchandises dont nous sommes voraces : dentifrices, produits de maquillage ou de nettoyage, papier, céramiques, adhésifs…
Cette exploitation industrielle défigure le paysage et menace l’équilibre économique et écologique de la région. Elle s’accompagne de morts sur les chantiers, de pollution de l’air et de l’eau (Marmettola). Aux pratiques mafieuses et à l’accaparement des ressources par une élite locale s’ajoutent l’intervention croissante d’acteurs internationaux comme la famille Ben Laden ou des multinationales suisses ou françaises…
Avec beaucoup de subtilité, « Bianco Ordinario » présente une perspective décapante sur le marbre de Carrare…
Depuis 2020, Hélène Bellenger récupère et collectionne des emballages de produits qui évoquent l’utilisation de la poudre de marbre, carbonate de calcium, dans leur composition. Évitant de tomber dans la dénonciation de marques, elle imprime des photographies de sources diverses au verso de ces cartons d’emballage mis à plat. S’y entremêlent des images de statues, d’ateliers, de blocs et d’éclats de marbre, de plantes endémiques et protégées en danger, de monticules de poudre de marbre, de cartes géologiques et d’archives qui témoignent de l’histoire de l’exploitation des carrières…
Les dimensions, la forme et les découpes des boites offrent des cadrages inattendus et surprenants. Les images tronquées pour s’adapter au support cartonné obligent le regard avec habileté et éloquence.
Pour les œuvres de « Bianco Ordinario », Hélène Bellenger utilise ses propres photographies et de nombreuses images collectées lors d’entretiens avec la population et d’associations locales et militantes, auprès d’ateliers toujours actifs à Carrare (Studio Nicoli et Studi D’Arte Cave Michelangelo) ou issus de fonds d’archives, notamment ceux d’Ilario Bessi ou de Michelino qui ont documenté l’extraction du marbre de Carrare dans les années 1930 à 1950…
« Bianco Ordinario » – l’exposition au 33
L’espace du 33 rassemble une trentaine d’œuvres appartenant au corpus de « Bianco Ordinario ». Chaque mur de l’ancienne boutique de la rue Saint-Jacques propose un accrochage singulier et une perspective différente sur le marbre et les carrières de Carrare.
À gauche de l’entrée, sept boîtes entomologiques noires sont rigoureusement alignées. Chacune contient un carton d’emballage déplié qui y est épinglé avec soin. Mêlant photographies originales et images d’archives, les impressions sont dédiées à la statuaire, une manière de rendre hommage à l’histoire du marbre de Carrare associé à la sculpture et à l’histoire de l’art. On y reconnaît des vues des ateliers Nicoli et SGF, la probable nuque de la Vénus italique de Canova, mais aussi un bloc de marbre statuaire et, semble-t-il, des plantes en souffrance couvertes de poudre de marbre. L’impression d’une antique Vénus enlevant la sandale utilise une encre sépia, sans doute une évocation d’un processus de dégradation…
L’artiste explique ainsi le choix de cette présentation : « Surcyclage de cartons et d’images, ces boîtes permettent de rendre ultra précieuse ces cartons de notre quotidien, normalement destinés à une vie courte et éphémère ».
Sur le mur face à la rue, une vingtaine de cartons d’emballage sont directement accrochés sur un fond noir par des épingles d’entomologiste habilement placées dans leurs découpes.
Des impressions noir et blanc, sépia et parfois en couleurs reproduisent majoritairement des archives des carrières de Carrare. S’y entremêlent des vues d’extraction et de transport des blocs, des images de fronts de taille abandonnés ou en exploitation. On reconnaît également des plantes qui tentent de résister, des amas de poudre blanche, des cartes de géologie…
Une photographie ancienne documente le passage de Mussolini à Carrare pour y choisir le marbre de l’obélisque à sa gloire, érigé à l’entrée du Foro Italico, dans le nord de Rome.
À gauche, sur le mur où l’enduit laisse apparaître des formes ocre-rouge, l’accrochage commence par un grand carton vertical où est imprimée une vue partielle des statues du Studi D’Arte Cave Michelangelo qui appartient à Franco Barattini, une figure parmi la trentaine d’entrepreneurs de Carrare.
Les deux œuvres qui suivent et qui terminent l’exposition sont plus énigmatiques. Hélène Bellenger explique qu’elles montrent les « coulisses » de son activité. En effet, ce sont des planches de travail. Sur une feuille de papier, l’artiste fixe un carton à plat avec de l’adhésif, puis elle lance l’impression jet d’encre. Après avoir décollé l’œuvre imprimée, le processus est répété plusieurs fois sur le même support…
En référence au martyr des menuisiers, une pièce de bois ou de métal qui sert de protection et peut être usée ou abimée, Michel Poivert qualifie ces œuvres de « surfaces martyres »…
La première (Sans titre [Rovine 01], 2023) montre dans la stratification des encres les négatifs des cartons imprimés, des déchirures d’adhésifs et quelques débris d’images…
Pour la seconde (Sans titre [Bianchitudine], 2023), le carton est resté en place sur la feuille martyre.
L’exposition au 33 est accompagnée par une feuille de salle qui reproduit un texte de Michel Poivert rédigé dans la perspective d’une publication à la rentrée 2024 par Sasu Éditions de l’Observeur. On peut également lire cette analyse du travail d’Hélène Bellenger sur le site documentdartiste.org
Le projet « Bianco Ordinario » a été développé dans le cadre de la Bourse Eurazeo pour la jeune création photographique en partenariat avec l’ENSP Arles. Il a également bénéficié de l’Aide à la Création de la Drac Paca.
« Bianco Ordinario » a fait l’objet d’expositions à la Galerie Marguerite Milin (Paris) et à la Tobian Art Gallery (Florence) en 2023. Le projet a également été présenté l’an dernier dans le cadre de la Biennale de l’Image Tangible au Centre d’Art L’Ahah, Paris. En juin prochain, une partie du projet sera montré dans « Images de la méditéranée » au Mucem.
« Bianco Ordinario » s’inscrit dans une continuité de recherches où « par la collection et le détournement, l’artiste mène des investigations au sein de la culture visuelle de notre temps et déconstruit l’espace intermédiaire du “ re ” de représentation ».
Parmi les projets de cette nature, on peut citer The Dazzled Project (2023), une installation collective réalisée avec Valentin Russo & Margot Millet, Maura (2022/2023) qui s’inspire des paysages calcinés du massif des Maures après l’incendie d’août 2021, Bird Watchers (2022), composé de trente-six impressions jet d’encre sur bâche à partir d’une collection des représentations du massif du Mont-Blanc. On se souvient également de #happinessisachoice (2021), une installation construite à partir d’images extraites aléatoirement du flux de photographies répondant au hashtag #hapinnessisachoice et Sans titre (gamme) (2021), imaginé à partir d’une collection de publicités pour anxiolytiques et antidépresseurs issues de revues spécialisées, interdites à la diffusion depuis 2002.
Ces deux derniers projets avaient été montrés dans une « Plaisir Solide » au 3bisf à Aix-en-Provence, une proposition conçue par Hélène Bellenger et Charlotte Perrin sur une invitation de Diane Pigeau.
On se rappelle également de Sans titre(herbier photographique), la fascinante collection de lames de verre réalisées à partir de décollement de gélatine Polaroïd et inspirée des herbiers d’algues du 19e siècle de l’Institut Marseillais d’Océanologie, exposée dans « Rouvrir le Monde — La Restitution » au château de Servières, en début d’année.
En savoir plus :
Sur le site du Fonds Carta
Suivre l’actualité du 33 sur Instagram
Sur le site d’Hélène Bellenger
Le dossier d’Hélène Bellenger sur le site documentsdartistes.org
Hélène Bellenger sur le site de la Galerie Marguerite Milin
Hélène Bellenger– Repères biographiques
Hélène Bellenger est une photographe plasticienne installée entre Marseille et Bruxelles.
« Par la collection et le détournement, l’artiste mène des investigations au sein de la culture visuelle de notre temps et déconstruit l’espace intermédiaire du “ re ” de représentation » (Galerie Marguerite Milin).
Expositions personnelles :
2025 Piastraccio, Fondazione Oresti, durant le Gibellina Photorood, Gibellina. Sicile, Italie
2023 Bianco Ordinario, Galerie Marguerite Milin, Paris
2022 Gloss Comfort, En duo avec Charlotte Perrin, Suttie Art Space, Aberdeen, Ecosse
Bird-Watchers, Commissariat Emma Legrand, Archipel de l’Art Contemporain, Saint Gervais Mont Blanc
2021 Plaisir Solide, Exposition en duo avec Charlotte Perrin, commissariat Diane Pigeau, 3 bis f, Aix-en-Provence
La Coulure, Musée Nicephore Niepce, en partenariat avec Les Ateliers Vortex, Chalon-sur-Saône
2020 Science Porn, Péristyle de la mairie de Tours, en partenariat avec l’INSERM et l’ENSP, Tours
2019 Fotogenica, Fonderia 20.9, Verone, Italie
2018 Les Corps Dociles, Quai des Arts, Cugnaux
2017 Ghazal al banat, Soma gallery, en partenariat avec l’Institut Français d’Égype, Caire, Egypte
Expositions collectives (Selection) :
2024 Images de la méditéranée, Mucem, Marseille
2023 Biennale de l’Image Tangible, Centre d’Art L’Ahah, Paris
Image Satellite, 109, Nice
Format Photography Festival, Derby, Royaume Uni
Dazzled Project, Hangar Photo Center – Bruxelles, Belgique
2022 Refuges Alpins, Archipel de l’Art Contemporain – Saint Gervais Mont Blanc
Nuit Blanche, Mairie du 18e arrondissement, Paris
Prix polyptyque, Centre Photographique, Marseille
Artocène 22, Refuge du Montenvers, Chamonix
Les couleurs du temps, Fondation pour la Photographie de Tanger, Tanger (Maroc) 100% 100 % Expo, Commissariat Inės Geoffroy, Grand Halle de la Villette, Paris
Eurazeo pour un photographe, Hôtel de l’industrie, Saint Germains des Pré, Paris
2021 Dans les collections, Cinémathèque de Toulouse, Toulouse
Monts Analogues, Commissariat Boris Bergmann et Marie Griffay, Frac Champagne-Ardenne, Reims
Prix Dior de la Photographie Pour Jeunes Talents, Shenzhen Museum of Contemporary Art Chine
Art Paris Art Fair, Galerie Younique (Paris – Lima), Le Grand Palais, Paris
Capture d’écran, Commissariat Mathias Bloch, Galerie Younique, Paris
2020 L’Envers des Pentes, Centre d’Art Contemporain Les Capucins, Embrun
Melting, performance pour les 10 ans du Festival Circulation(s), CentQuatre, Paris
2019 L’Envers des Pentes, Centre d’Art Contemporain Villa du Parc, Annemasse
OSMOSCOSMOS, Commissariat Joerg Bader, Centre Photographique de Genève, Suisse
La Recherche de l’Art #8, Ecole Nationale Supérieure de la Photographie, Arles Festival Circulation(s), Commissariat François Cheval et Audrey Hoareau, 104, Paris
Circulation(s) Hors les Murs, Residencia Scena 9, Bucarest, Roumanie
Festival Circulation(s) Hors les Murs, Hôtel Fontfreyde, Centre Photographique de Clermont-Ferrand
2018 Prix Dior de la Photographie Pour Jeunes Talents, Grande Halle de la Fondation Luma, Arles
2017 Variation, Salon Artjaw & Media Art Fair, Paris
62e salon de Montrouge, Commissariat Ami Barak et Marie Gautier, Le Beffroi de Montrouge. Paris
L’oeil plié, Commissariat Valérie Cazin et Émilie Traverse, Galerie Binôme, Paris
2016 L’objet photographique, Commissariat Bruno Dubrueil, Galerie Immix, Paris
Faire Surface, Commissariat Alexandre Quoi et Aurélie Pétrel, Galerie Agnès B. Paris Planche(s) Contact, Festival de création Photographique, Deauville
Échapées Belles, Commissariat Paul Pouvreau, Palais de l’archevêché, Arles
Bourses et Prix :
2022 Nominée pour le Prix Polyptyque Centre Photographique de Marseille
2021 Lauréate de l’Aide à la Création – Drac PACA
Lauréate du Prix Eurazeo pour la Jeune Photographie- en partenariat avec l’ENSP Arles
2020 Lauréate du Prix Impression Photographique – Les Ateliers Vortex & Musée Nicéphore Niépce
Finaliste 9ème édition de Talents Contemporains- Fondation François Schneider
Finaliste Show room privé Art-o-Rama 2020
2019 Lauréate de la bourse de recherche et création Nopoto
2018 Lauréate du Prix Dior de la Photographie pour Jeunes Talents, pour l’ENSP
2016 Lauréate de la bourse de l’Observatoire des Images Numériques (Obs’In)