Nouveaux territoires de l’image au FRAC à Montpellier

Un bref billet pour signaler l’exposition en cours au FRAC LR qui regroupe sous le titre « Nouveaux territoires de l’image » une sélection d’œuvres de six artistes : Abdelkader Benchamma, Belkacem Boudjellouli, Thibault Brunet, Bertrand Dezoteux, Masanao Hirayama, Aurélie Pétrel

On lira ci-dessous la note d’intention d’Emmanuel Latreille, directeur du Frac Languedoc-Roussillon.
Sans avoir lu ce texte au préalable, nous n’avons pas clairement compris que le propos de cette exposition était de ne pas « montrer seulement des œuvres réalisées avec des techniques (ou des technologies) actuelles[, mais de ] rendre perceptible l’écart entre des moyens anciens – et ce qu’ils permettent de figurer – et des procédés actuels – et les espaces nouveaux qu’ils explorent »…

Bertrand Dezoteux, L’Histoire de France en 3D, 2012, animation 3D, 14 min., Production Frac Aquitaine & Fondation Frieze. © Bertrand Dezoteux
Bertrand Dezoteux, L’Histoire de France en 3D, 2012, animation 3D, 14 min., Production Frac Aquitaine & Fondation Frieze. © Bertrand Dezoteux

Si les vidéos de Bertrand Dezoteux  (L’Histoire de France en 3D et Txerri) nous ont peu convaincues, on a retrouvé avec plaisir les dessins de Abdelkader Benchamma, dont un mural réalisé in situ (Insidestorm), ainsi que les deux imposants polyptyques réalisés au fusain par Belkacem Boudjellouli (Triptyque représentant 4 cow-boys et Diptyque représentant un pin).

Les quatre photographies de Thibault Brunet de sa série Landscape, réalisées à partir de captures d’écran de jeux vidéo, sont particulièrement inquiétantes. Elles nous interpellent plus sur la violence et la peur des mondes réels ou virtuels dans lesquels nous évoluons, que sur la confrontation entre les outils traditionnels et les technologiques dans la production des images, aujourd’hui.

Thibault Brunet, Untitled #08, de la série « Landscape », 2011, tirage jet d’encre sur papier Baryté Canson, contrecollé sur Dibond, 100 x 150 cm. Collection Frac Languedoc-Roussillon. © droits réservés
Thibault Brunet, Untitled #08, de la série « Landscape », 2011, tirage jet d’encre sur papier Baryté Canson, contrecollé sur Dibond, 100 x 150 cm. Collection Frac Languedoc-Roussillon. © droits réservés

On regrette un accrochage qui offre peu de recul pour apprécier ces grands tirages dans leur ensemble.

 « Nouveaux territoires de l’image », vue de l’exposition au Frac Languedoc-Roussillon, 18.03 – 18.04.2015. Œuvres de la Collection. Photo Pierre Schwartz
« Nouveaux territoires de l’image », vue de l’exposition au Frac Languedoc-Roussillon, 18.03 – 18.04.2015. Œuvres de la Collection. Photo Pierre Schwartz

La très belle surprise de cette exposition est la découverte du travail Aurélie Pétrel.  Meute que l’on découvre en pénétrant dans la salle d’exposition du FRAC présente une ambiance étrange, plutôt angoissante qui fait liaison avec les images de Thibault Brunet.

Aurélie Pétrel, Meute, 2011, photographie sur medium anthracité leger, 140 x 210 cm. Collection Frac Languedoc-Roussillon. © Adagp, Paris 2015
Aurélie Pétrel, Meute, 2011, photographie sur medium anthracité leger, 140 x 210 cm. Collection Frac Languedoc-Roussillon. © Adagp, Paris 2015

Sa série Variations, impressions sur verre et plexiglas, attirent le regard en proposant une ambiance qui paraît douce et lumineuse… mais cette quiétude est vite troublée par un espace qui se dérobe et qui semble nous échapper.

À la lecture du texte d’Emmanuel Latreille, les œuvres de l’artiste japonais Masanao Hirayama apparaissent comme des éléments clés dans le parcours de l’expo… ce qui nous a complètement échappé.

 « Nouveaux territoires de l’image », vue de l’exposition au Frac Languedoc-Roussillon, 18.03 – 18.04.2015. Œuvres de la Collection. Photo Pierre Schwartz
Masanao Hirayama – « Nouveaux territoires de l’image », vue de l’exposition au Frac Languedoc-Roussillon, 18.03 – 18.04.2015. Œuvres de la Collection. Photo Pierre Schwartz

On conseille donc de lire les propos du directeur du Frac Languedoc-Roussillon avant une visite éventuelle de l’exposition…

En savoir plus :
Sur le site du FRAC
Sur la page Facebook du FRAC
Sur les sites des artistes ou de leur galerie : Abdelkader Benchamma, Belkacem Boudjellouli, Thibault Brunet, Bertrand Dezoteux, Masanao Hirayama, Aurélie Pétrel

Nouveaux territoires de l’image (extrait du dossier de presse)

On pourrait dire de toute image qu’elle réunit (à la façon d’un signe composé d’un signifié et d’un signifiant) deux dimensions : un contenu qu’elle représente (une représentation, un certain « figuré ») et une modalité d’inscription, une mise en oeuvre matérielle. Ainsi, une image est une représentation qui se donne à travers un médium particulier : un cheval dessiné au fusain n’est pas une fusée réalisée avec un logiciel numérique sur ordinateur… Il est probable que les « nouvelles technologies de l’image » permettent de représenter d’autres choses que celles que pouvaient figurer le charbon de bois ou les peintures à l’eau et à l’huile. Car, quand bien même ce ne seraient pas véritablement d’autres réalités, elles les représenteront, quoiqu’on en veuille, autrement

L’exposition Nouveaux territoires de l’image ne vise pas à montrer seulement des oeuvres réalisées avec des techniques (ou des technologies) actuelles. Elle souhaite surtout rendre perceptible l’écart entre des moyens anciens – et ce qu’ils permettent de figurer – et des procédés actuels – et les espaces nouveaux qu’ils explorent.

Honneur au charbon de bois ! Il est certain qu’il compte parmi les plus anciens et prestigieux matériaux naturels que les hommes aient utilisés pour mettre les choses et les êtres en image. Se défera-t-on du charbon, beaucoup plus salissant qu’un ordinateur ? Rien n’est moins sûr. On voit comment cette technique a pu faire l’objet, au fil des siècles, d’un raffinement très poussé : lorsque Belkacem Boudjellouli représente un groupe de cowboys, ce n’est pas un simple dessin mais l’équivalent d’une peinture aux dimensions imposantes, les nuances des gris rivalisant avec la richesse des premières photographies. Au final, le tableau de groupe offre de ces « étrangers » des possibilités d’interprétation très ouvertes, en une confrontation quasi physique avec le spectateur. Mais je vois dans la persistance de ces moyens une autre raison que le métier : dessinant un grand pin franc, l’artiste ne suggère-t-il pas un lien très profond entre son sujet et le matériau qu’il emploie ? S’il n’y a pas de raison de diviser le signe en deux, il n’y a pas de raison de le faire avec les images. Elles sont, elles aussi, d’une texture qui souvent, a « à voir » avec la matière du monde. La poussière de bois est ce dont l’Homme aura toujours besoin pour représenter les êtres vivants au milieu desquels il cherche son chemin, en étant composé tout comme eux et devant fatalement, comme dit La Bible, y « retourner ».

Le dessin à l’encre est presque aussi ancien que celui au charbon. Alors que ce dernier favorise la suggestion des corps réels dans la lumière qui les modèle (et les dissout…), l’encre favorise leur délimitation : elle fait de chaque chose un signe, l’élément d’un langage qui peut se développer grâce aux rapports des éléments qui le composent. Avec des lignes, Abdelkader Benchamma peut écrire – davantage que décrire – des paysages imaginaires, qui sont faits de strates répétitives et empilées, comme une lente et progressive mélodie qui fait vibrer la surface du papier. Le médium ouvre alors vers des contrées presque irréelles, et les rêveries du monde intérieur. L’art de représenter, se rapprochant d’un langage de signes, peut se risquer à raconter avec ses images, c’est-à-dire à se transporter, comme la voix des conteurs, dans l’espace. Un mur suffit alors pour imaginer une tempête – je crois que c’est celle des Mots – qui emporte avec elle des êtres et des choses qui ont été déracinés et renvoyés à l’arbitraire d’un art déroutant.

L’artiste japonais Masanao Hirayama est l’un de ces déroutants dessinateurs qui « écrivent » des images très sommaires, et semblent chercher, dans une confrontation permanente avec les technologies contemporaines, à réinventer quelque alphabet neuf, fait pour le monde d’aujourd’hui. Regardant le monde à travers l’écran de son ordinateur, l’artiste y saisit en quelques traits les choses qu’il voit, surfant sur Internet ou farfouillant dans toutes sortes de bases d’images. Puis ses dessins schématiques sont composés, articulés par deux ou trois, comme en un balbutiement inédit qui se construit par séquences. Légèreté et souplesse sont les

qualités les plus sûres de cet art faussement facile : disons « simple », comme l’entendait Gil J. Wolman dans son imparable « Plus c’est simple, plus c’est beau ! »

On retrouve cette confrontation avec les outils technologiques dans les inquiétantes photographies de Thibault Brunet. Les images de cet artiste sont issues de jeux d’ordinateur qu’il a parcourus et dont il a « capturé » (prises de guerre ?) certains moments, vides de tout acteur, guerrier ou soldat d’une Apocalypse moderne. De quelle réalité nous parlent ces tableaux de guerre, sensuels et morbides ? Où nous entraînent-ils ? Quelle violence et quelle peur perpétuent-ils dans notre propre obsession de voir et de savoir ce qui se cache dans les images ? Assurément, nous sommes, avec ces oeuvres, dans un monde qui nous est à la fois familier et totalement étranger. C’est bien la technologie qui produit ce sentiment d’inquiétude. Nous la tenons pour la cause de toutes les dérives, mais nous sommes vis-à-vis d’elle comme avec notre meilleur ennemi : elle fait de nous ce que nous voulons… Elle répond autant à nos pulsions de vie qu’à nos pulsions de mort, à notre désir de l’autre qu’à notre peur de lui… Aussi, dans le labyrinthe des images, c’est à chacun de choisir le couloir qu’il veut emprunter.

La complexité des images se retrouve encore dans les pièces photographiques d’Aurélie Pétrel. L’espace y paraît hanté par d’étranges présences silencieuses, comme dans Meute/Pack (2011), où le panneau de résine sur lequel l’image est collée repose au sol à la manière des chiens que l’on aperçoit, tapis dans l’ombre. C’est comme si le sol réel (du présent) était prolongé dans l’image, depuis un espace ancien (et religieux, dans un « retour du refoulé » de l’histoire de l’art et des mythes…), espace du fond duquel le spectateur a le sentiment d’être rappelé… D’une autre manière, les Variations (2011) sont des impressions sur verre et plexiglas dans lesquelles l’image offre d’autres possibilités de figuration de l’espace. Les teintes douces et lumineuses ouvrent des recoins vers lesquels on voudrait se diriger mais dont on ne parvient pas à comprendre les degrés de réalité. Autrement dit, l’espace est un « feuilletage », cela est connu : les artistes sont, depuis toujours, les maîtres de ses leurs fictions.

Mais les moyens techniques actuels offrent d’autres possibilités encore. Avec Bertrand Dezoteux, guest star de cette exposition, nous revenons aux ordinateurs. Les logiciels de création d’images en trois dimensions peuvent être mis en oeuvre pour tourner des fictions, dans des espaces parfaitement abstraits qui simulent la réalité comme dans l’assouplissement d’un rêve futuriste et ancien. Le monde que nous semblons connaître s’y déploie selon des lois qui ne sont pas celles que nous connaissons… De cette façon, l’artiste peut dépeindre notre modernité comme une Fable, à la façon dont le faisait les artistes du passé, un Bruegel ou un Bosch. L’Histoire de France en 3D n’est pas à regarder seulement comme une prouesse technique : c’est surtout un commentaire imaginatif de l’époque que nous traversons et de ses interrogations fondamentales : qu’en est-il de la valeur, des besoins, de la pauvreté matérielle et spirituelle, des liens distendus des humains avec leurs territoires, des symboles et des… ? Quant au merveilleux cochon du film Txerri (2011), il renoue avec l’indignité de ceux de Rabelais et de Dada, comme avec toutes les fêtes païennes qui conservent une distance respectable à l’égard du Progrès…

Emmanuel Latreille
Directeur du Frac Languedoc-Roussillon

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