Jusqu’au 11 octobre 2015, le musée Fabre présente « L’Âge d’or de la Peinture à Naples : de Ribera à Giordano ». Avec 84 œuvres majeures de la peinture napolitaine, dont 12 chefs-d’œuvre de Ribera, le parcours montre l’évolution de la peinture napolitaine du caravagisme vers le baroque. Cette exposition apparaît comme une suite logique de « Corps et ombres : Caravage et le caravagisme européen », qui avait marqué l’été 2012 à Montpellier.
Si l’exposition bénéficie d’importants prêts internationaux (Paris, Naples, Rome, Francfort, Stockholm, San Francisco), elle mobilise également tableaux remarquables en provenance des grands musées de région (Nantes, Besançon, Lyon, Toulouse, Strasbourg, Amiens…).
Tous les grands maîtres de la peinture napolitaine sont représentés avec des œuvres maîtresses, parfois inédites (Caravage, Caracciolo, Vitale, Ribera, Stanzione, Di Lione, Cavallino, Giordano, Beinaschi, Solimena…). Sujets religieux, mythologiques, batailles,natures mortes et paysages, tous les genres de la peinture témoignent de la inventivité des peintres napolitains.
Le parcours s’organise en six sections. Après une rapide présentation de la ville (Le portrait d’une cité), l’exposition souligne avec pertinence les étapes qui conduisent de l’héritage caravagesque jusqu’à l’expansion du baroque (Dans le sillage de Caravage, Entre naturalisme et classicisme, La tentation de la couleur, L’envolée baroque).
Avec Mythes et réalités, l’exposition montre brièvement les liens entre l’art et l’histoire dramatique de Naples (éruption du Vésuve en 1631, révolte de Masaniello en 1647, peste de 1656) et l’importance de la dévotion populaire pour de nombreux saints protecteurs, dont Saint Janvier.
Deux acquisitions récentes du musée Fabre (Le martyre de sainte Agathe d’Andrea Vaccaro et La mort de saint Joseph de Bernardo Cavallino) sont présentées dans l’exposition.
La rigueur scientifique du propos sait rester toujours accessible et didactique. Néophytes, amateurs éclairés et spécialistes trouveront matière à satisfaire leurs curiosités dans cette exposition dont il faut souligner la cohérence de l’accrochage, la qualité de l’éclairage et la sobriété de la scénographie au service du sujet des œuvres exposées.
Textes de salles et cartels enrichis offrent les informations nécessaires à une bonne compréhension du discours. Ils sont complétés par quelques dispositifs numériques qui s’intègrent naturellement dans le parcours. Sans qu’elle soit révolutionnaire, on a apprécié l’application sur table tactile multi-touch, réalisée à partir du plan gravé de Naples d’Alessandro Baratta et qui permet une découverte interactive de la ville.
En fin de parcours, les salles voûtées du premier étage, une projection présente une sélection d’œuvres in situ dans les édifices de Naples. Cette initiative a le mérite de faire le lien entre les tableaux de l’exposition et ces œuvres qui appartiennent à des décors célèbres de Naples. Cependant, pour ce type d’exposition, il serait intéressant que soit expérimenté un dispositif qui permette une mise en rapport de ces œuvres avec celles qui sont exposées pendant le parcours de visite.
Le service des publics propose de nombreux outils pour enrichir la visite et une importante programmation complémentaire. Tous les détails sont disponibles sure le site du musée Fabre.
Le catalogue de l’exposition, publié par Liénart Editions, réunit les contributions de nombreux spécialistes, sous la direction de Michel Hilaire et Nicola Spinosa. Dans la logique scientifique de cette l’exposition d’Histoire de l’Art, cet ouvrage est un élément essentiel du projet.
« L’Âge d’or de la Peinture à Naples : de Ribera à Giordano » est le fruit d’une collaboration de l’Institut National d’Histoire de l’Art et de l’Institut National du Patrimoine à Paris
Le commissariat est assuré par Michel Hilaire, conservateur général du Patrimoine, directeur du musée Fabre, Nicola Spinosa, ancien surintendant des Biens culturels de Naples et ancien directeur du musée de Capodimonte et Olivier Zeder, conservateur en chef du Patrimoine, chargé des collections de peintures et de sculptures anciennes au musée Fabre.
Cette exposition est la dernière collaboration d’Olivier Zeder qui quitte le musée pour rejoindre l’Institut National du Patrimoine (INP). Son action a été essentielle dans toutes les étapes que le musée a connues depuis les années 1990. Son érudition et son sens aigu de l’accrochage ont été déterminants dans la présentation actuelle des collections de peintures et de sculptures anciennes. On lui doit la publication de nombreux articles et ouvrages dont « De la Renaissance à la Régence : peintures françaises du musée Fabre ». Il a assuré le commissariat de plusieurs projets majeurs et en particulier de «De la Nature, Paysages de Poussin à Courbet dans les collections du musée Fabre » (1996) de « Reflets d’un siècle d’or. Catalogue des tableaux flamands et hollandais du musée Fabre» (1998) des expositions « Jean Raoux » et «Jean-Antoine Houdon, la sculpture sensible », en 2010 et « Le goût de Diderot » en 2013.
À lire dessous quelques extraits du dossier de presse qui présentent les différentes étapes du parcours.
On se permettra toutefois d’exprimer le regret que les expositions estivales du musée Fabre qui occupent la salle Fournier et les quatre salles voûtées revoient en réserve les œuvres qui y sont normalement présentées.
En savoir plus :
Sur le site du musée Fabre
Sur la page Facebook du musée Fabre
Le parcours muséographique (extraits du dossier de presse)
Le portrait d’une cité
Cette première section propose une découverte physique de la ville de Naples à travers ses rues, ses monuments insignes et son site exceptionnel. Le visiteur peut ainsi prendre la mesure de l’importance de ce grand port méditerranéen, alors une des plus grandes villes d’Europe avec Paris et Londres, administrée par un vice-roi espagnol.
Capitale administrative de l’Italie méridionale, Naples était, au XVIIème siècle, le centre d’un flux migratoire exceptionnel provenant des autres territoires du vice-royaume espagnol. La ville comptait 267 973 habitants en 1606, 300 000 en 1630 pour finalement atteindre 500 000 avant la peste de 1656. Le fléau décima la population à tel point que la ville ne comptait plus que 186 000 habitants en 1688.
La volonté politique d’une extension de la ville vers l’ouest née à l’époque angevine a atteint son apogée avec le vice-roi/urbaniste Pedro de Tolède au XVIème siècle. Ce dernier est à l’origine des quartiers espagnols, de la via Toledo et fait construire un nouveau palais près du Castel Nuovo. Au XVIIème siècle, cette tendance se renforce avec le nouveau palais royal construit par Domenico Fontana.
Dans le sillage de Caravage
Cette deuxième partie montre comment, dans le sillage de Caravage puis de l’espagnol Ribera, les artistes, souvent formés dans l’environnement d’un maniérisme tardif, se laissèrent peu à peu séduire par les procédés révolutionnaires du naturalisme sans ignorer pour autant l’apport du classicisme issu de l’École des Carrache.
Caravage séjourne à Naples en 1606-1607 et en 1609- 1610. Célèbre avant même son arrivée, il répond à plusieurs commandes dans des modalités très novatrices qui impressionnent durablement les Napolitains : il accentue le dramatisme de l’atmosphère déjà prenante et subjective de ses œuvres romaines. Autour du chef-d’œuvre et véritable testament artistique de Caravage présenté dans cette section, Saint Jean- Baptiste, sont regroupées des oeuvres majeures de Battistello Caracciolo et Carlo Sellitto, parmi les premiers artistes napolitains à adopter le clair-obscur sculptural et le naturalisme tragique du maître. Mais cette esthétique sombre et tempérée par le classicisme des peintres romains et bolonais – notamment de Guido Reni de passage à Naples en 1612 – leur suggère des rythmes et des expressions apaisés et nobles.
Le flamand Louis Finson, installé à Naples de 1605 à 1613, devient l’ami de Caravage dont il achète et copie les œuvres (notamment la Marie-Madeleine) et pratique lui-même un caravagisme un peu caricatural mais plein de sève. Il divulguera en France et dans les Pays-Bas le style du maître.
L’arrivée en 1616 à Naples de l’espagnol Jusepe de Ribera, après un séjour de presque dix ans à Rome, marque une nouvelle rupture. Son caravagisme très personnel conçu auprès du milieu cosmopolite romain, se caractérise par une pâte dense et souple, un naturalisme accru du rendu des matières et des corps, des figures populaires très individualisées peintes d’après le modèle vivant, comme dans le Saint André.
Les peintres napolitains subissent rapidement son ascendant. Ainsi, Filippo Vitale, influencé à ses débuts par son maître Sellitto et par Caracciolo, s’oriente au contact de Ribera vers une expression plus directe et forte, comme en témoigne sa Délivrance de saint Pierre, chef-d’œuvre du musée de Nantes provenant de la collection Cacault.
Entre naturalisme et classicisme
Cette troisième section souligne l’ascendant exercé par Ribera sur toute une génération de peintres acquis au naturalisme parfois dans sa forme la plus radicale ou dans une version plus savante et informée des dernières innovations romaines. Seul vrai rival de Ribera, Stanzione s’impose rapidement comme une personnalité de premier plan sachant mêler dans une synthèse réussie les tendances naturalistes et l’idéal classique bolonais.
Dans les années 1620, Ribera devient l’artiste majeur de l’école napolitaine. À partir de son Saint Jérôme écoutant la trompette du Jugement dernier de 1626, il s’oriente vers une acuité sculpturale et chromatique novatrice. Sa Pietà de 1633 est d’une souplesse dynamique dans sa composition qui est propice à une expressivité accrue. Par ailleurs, il aborde des sujets intellectuels destinés à des amateurs humanistes comme ses séries de philosophes de l’Antiquité (Platon).
Plusieurs artistes gravitent autour de son atelier, profitant de l’enthousiasme des amateurs dans les années 1630-50 pour le naturalisme. Le Maître de l’Annonce aux bergers décrit un monde rude dont les modèles provenant des campagnes, sont peints dans une facture épaisse et terreuse, d’une feinte rusticité.
Francesco Fracanzano, originaire des Pouilles, suit cette esthétique mais avec une matière plus fluide.
Formé dans ce milieu au naturalisme radical, Aniello Falcone passe par Rome à la fin des années 1620 où il se nourrit à la fois des bamboccianti, du classicisme de Poussin et de Testa et des œuvres produites par Velazquez. Son naturalisme raffiné est sensible au rendu atmosphérique et aux nuances d’expression. Il peint des batailles dont le dramatisme sans emphase séduit les amateurs et les peintres comme Salvator Rosa. Celui-ci qui, par ailleurs, inspiré par la côte napolitaine, réalise des paysages inquiétants à la longue postérité.
Quelques Napolitains s’adonnent à la nature morte et collaborent avec des peintres d’histoire, tel Luca Forte avec Falcone. Ribera lui-même place au premier plan de ses compositions quelques objets symboliques. Giovanni Battista Recco dont le coloris lui semble devoir beaucoup, crée la nature morte de poissons et de crustacés qui va devenir une spécificité de Naples.
Massimo Stanzione arrive à Naples en 1629, après avoir séjourné à Rome au contact du caravagisme international et du classicisme romain et bolonais. Sa Suzanne au bain, résumant ces différents courants et le naturalisme napolitain, doit autant à Ribera qu’à Vouet et à Reni. Il ouvre d’autres perspectives esthétiques que Ribera et reçoit des commandes prestigieuses dont celles du vice-roi.
Artemisia Gentileschi qui s’installe à Naples la même année que lui, pratique un caravagisme apaisé et classicisant assez comparable et travaille avec Cavallino (sainte Agathe guérie par saint Pierre).
La tentation de la couleur
À partir du milieu des années 1630, les peintres napolitains les plus novateurs s’éloignent du caravagisme et de son ténébrisme en éclaircissant leur palette et en peignant avec une facture plus enlevée dont l’origine se situe dans la peinture vénitienne du XVIème siècle, celle de Véronèse et de Titien, et dans la peinture flamande du XVIIème siècle, celle de Rubens et de Van Dyck. Cette partie entend ainsi expliciter comment l’attrait pour la couleur, chaude et sensuelle, caractérise toute la production de ce moment unique de l’art napolitain qui annonce déjà une certaine sensibilité baroque.
Ribera, avec sa large culture visuelle, acquise dans sa jeunesse à Parme et à Rome, initie puis accompagne ce tournant « coloriste », dès 1635, avec plusieurs tableaux dont L’Immaculée Conception de Salamanque et Apollon et Marsyas. Ce dernier atteste de son intérêt nouveau pour le paysage, de plus en plus lyrique et lumineux dans les années 1640 tel ceux du Pied-bot et du Baptême du Christ. Jusqu’à sa mort en 1652, Ribera oscille entre des œuvres néo-vénitiennes, comme pour le Miracle de saint Donat d’Arezzo, et d’autres très sombres et intériorisées notamment le Chef de saint Jean Baptiste.
Plusieurs peintres suivent Ribera dans cette «tentation de la couleur», comme Antonio De Bellis et Francesco Guarino. Ce dernier est aussi sensible au naturalisme poétique de Velazquez, comme on peut l’admirer dans la Naissance de la Vierge.
Andrea Vaccaro reprend les compositions caravagesques en les tempérant par des rythmes apaisés et un coloris froid et raffiné. Bernardo Cavallino adoucit le modelé donnant mystère et morbidesse à ses figures. Après 1640, une touche brillante et souple, un raffinement presque maniériste du coloris et des postures, un traitement sensuel et finement psychologique des sujets caractérisent son art singulier.
Le roi d’Espagne Philippe IV reconnaît de fait la qualité et la variété de l’école napolitaine du 2ème quart du siècle en faisant participer vers 1640 deux de ses membres – Falcone et Di Lione – à la décoration du palais madrilène du Buen Retiro. Ces deux peintres adaptent le classicisme romain à leur tradition naturaliste, comme le vedustiste Viviano Codazzi qui peint des vues d’architectures peintes en perspective avec rigueur et brio.
Mythes et réalités
Cette section permet de mieux cerner les moments clés de l’histoire tourmentée de Naples au XVIIème siècle et d’appréhender la dévotion populaire de ses habitants pour les nombreux saints protégeant la ville.
La dévotion pour saint Janvier et l’éruption du Vésuve en 1631
Comme l’écrivait Alexandre Dumas dans son Corricolo, « Saint Janvier n’aurait pas existé sans Naples et Naples ne pourrait pas exister sans saint Janvier ». En effet, malgré les dominations étrangères, Naples conserve son identité ancrée à la dévotion pour ce saint patron qui la protège depuis son martyre au début du IVème siècle. Saint Janvier est étroitement lié à un événement marquant de l’histoire de la ville : la violente éruption du Vésuve, dans la nuit du 15 et 16 décembre 1631 qui causa près de 3 000 morts. Selon la légende, la lave avait presque atteint les faubourgs de la ville quand saint Janvier intervint par miracle pour la stopper. Immortalisé par de nombreux peintres (Dominiquin, Battistello Caracciolo, Micco Spadaro, Scipione Compagna), cet épisode modifia la perception de la ville. Le Vésuve en éruption, jusqu’ici absent, devint désormais le pivot des nouveaux portraits de la ville.
La révolte de Masaniello en 1647
Le mauvais gouvernement des vice-rois espagnols appauvrit les Napolitains. Épuisé par la pression fiscale, le peuple se révolta le 7 juillet 1647, portant à sa tête, Tommaso Aniello dit Masaniello, pêcheur d’Amalfi. Il contraignit le vice-roi à abolir l’impôt sur les denrées et l’obligea à le nommer gouverneur. Maître absolu de la ville pendant quelques jours, aveuglé par le pouvoir, Masaniello montra rapidement des signes de faiblesse. Il fut assassiné par les émissaires du vice-roi le 16 juillet 1647.
La peste de 1656
Au XVIIème siècle, un autre épisode malheureux secoua Naples qui dut son salut une nouvelle fois à saint Janvier. En 1656, la ville fut ravagée par une épidémie de peste qui décima près des deux tiers de la population en quelques mois, avant que saint Janvier n’intercède auprès de la Vierge pour ramener l’accalmie. Pour faire face à ce terrible fléau, les Napolitains s’adjoignent la protection de vingt et un nouveaux saints, notamment saint Sébastien, symbole d’espérance, mais aussi sainte Rosalie, saint François-Xavier, etc. La ville commanda alors à Mattia Preti des fresques commémoratives pour orner les portes monumentales de la ville afin de remercier tous ces saints qui avaient oeuvré auprès de la Vierge pour éradiquer la peste.
L’envolée baroque
L’école napolitaine, longuement fascinée par le naturalisme et le classicisme, ne s’engage que fort tard dans le courant baroque. Cette dernière partie du parcours retrace comment, à partir des années 1650-1660 et notamment avec Mattia Preti et Luca Giordano, la production artistique napolitaine atteint son apogée grâce à son virage dans le sens du baroque, caractérisé par un dynamisme des formes exubérant, par une vitalité de la couleur et des contrastes lumineux marqués.
Mattia Preti, originaire de la Calabre, s’installe à Naples entre 1653 et le début des années 1660. Ses nombreuses peintures monumentales sont marquées par un sens du mouvement et un dramatisme efficaces, un coloris intense et raffiné, une ambiance lumineuse étrange et vacillante faite d’ombres profondes et d’éclats blafards. Son inspiration naturaliste caravagesque le relie à la tradition napolitaine.
Après une reprise des sujets et de la facture de Ribera, le napolitain Luca Giordano, probablement aiguillonné par l’œuvre de Preti, met au point dès 1654-55 un style baroque très influencé par Rubens, Pierre de Cortone et les Vénitiens. Sa peinture claire, dynamique et très séduisante s’adapte bien aux grandes commandes décoratives ou religieuses qui lui sont faites à Naples, Florence, Venise et, pour le roi Charles IV, en Espagne.
La nature morte connaît également un âge d’or dans cette période à Naples, grâce notamment à Paolo Porpora, Andrea Belvedere et les Ruoppolo qui insufflent une inspiration baroque à leurs amoncellements exubérants de fruits, de fleurs et de poissons.
À partir des années 1680, Francesco Solimena assure la synthèse entre toutes les tendances qui parcouraient l’école napolitaine : naturalisme, classicisme et baroque. Dans la dernière décennie du Seicento, ses peintures vont se ressentir de l’attrait sur lui du ténébrisme de Preti, tandis que, vers la fin de sa carrière, il s’oriente vers un style plus classicisant en devenant l’un des plus célèbres adeptes en Europe du grand baroque théâtral.