Figuration Libre. L’Histoire d’une aventure

Jusqu’au 15 novembre 2015, le musée Paul Valéry présente à Sète, « Figuration Libre – Historique d’une aventure », une exposition inédite sur les premières années de la Figuration Libre. L’approche historique s’intéresse à l’origine et à l’installation, entre 1981 et 1984, d’un groupe de peintres avec  Robert Combas, Hervé Di Rosa, Rémi Blanchard et François Boisrond, auquel se joindront le sculpteur Richard Di Rosa et le photographe Louis Jammes

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Le travail de ces artistes est souvent présenté comme une réaction à la « mort de la peinture » qu’aurait provoquée le minimalisme, l’art conceptuel ou encore le Pop Art. Il faut y voir également la revendication d’une subjectivité de l’artiste et d’une individualisation des pratiques sans revendiquer l’appartenance à un quelconque courant artistique.
Lamarche-Vadel écrivait dans de numéro d’octobre-novembre de la revue Artistes : « Il fut un temps, peu lointain, mais lointain déjà, où peindre et voir se conjuguaient sous le commandement torride d’une brassée de concepts, de problématiques, de références, de connotations, et je ne regrette pas ce temps, je ne regrette rien… Ce temps fut un souterrain nécessaire sans doute. Pour que vienne au jour, encore, une ferveur nouvelle, une passion affirmative nouvelle ».
Pour Robert Combas, il s’agissait avant tout de faire une peinture « rigolote, libre et décontractée ».

Ce retour à la peinture et à la figuration avait déjà été annoncé, en France, par l’exposition Nouvelle subjectivité , organisée, en 1976, par le critique Jean Clair. Plusieurs initiatives avait confirmé cette réaction : les expositions « Bad painting » et « New Image Painting » à New-York (en 1978), le groupe de la Transavanguardia en Italie (en 1979) et les Nouveaux Fauves (Die Neuen Wilden) en Allemagne (en 1980).

Sans construction théorique, les acteurs de la Figuration Libre trouvent leur inspiration dans la culture rock, les bandes dessinées, l’imagerie populaire, la publicité, la télévision ou le cinéma. Ils sont attentifs à toutes les expressions artistiques qu’elles soient africaines ou océaniennes, qu’elles appartiennent à l’art brut, à l’art populaire ou singulier.

Après avoir évoqué les premières années sétoises de Robert Combas et Hervé Di Rosa, la revue Bato, et le groupe Les Démodés, le parcours que propose « Figuration Libre – Historique d’un aventure » est construit autour des expositions collectives qui réunirent ces artistes entre 1981 et l’hiver 1984/1985.

Pour commencer, « Finir en beauté »

Avec ce titre paradoxal, cette première partie s’intéresse à « Finir en beauté » et « To End in a Believe Glory », deux expositions montées par Lamarche-Vadel et Hervé Perdriolle, en juin et en septembre 1981.

To end in a believe of glory, Espace des Blancs Manteaux, Paris, octobre 1981, peintures de Combas, Viollet et Blanchard

Elles rassemblent pour la première fois les protagonistes de ce nouveau groupe qui sera baptisé « Figuration Libre » après une interview de Ben à Libération où il qualifiait le travail des deux sétois invités à Nice de « 30% provocation anti-culture, 30% Figuration Libre, 30% art brut, 10% folie. Le tout donne quelque chose de nouveau ».

 

L’accrochage n’oublie pas les artistes associés au groupe lors de ces deux expositions et qui ne revendiqueront pas ensuite une appartenance à la Figuration Libre :  Jean-François Maurige, Catherine Viollet et deux figures de ce que l’on nommera ensuite la « Figuration savante », Jean -Michel Alberola et Jean-Charles Blais.

Paris, New-York, Amsterdam, Groningen et Innsbruck

Paris, New-York, Amsterdam, Groningen, Innsbruck 04_1

Cette deuxième séquence du parcours évoque le contexte extrêmement favorable à la création contemporaine, en France, au début des années 80. Dès 1982, il permet une première présentation du travail de Blanchard, Boisrond, Combas et Di Rosa à la Galerie Holly Solomon de New York,  avec « Statements One. Leading contemporary artists from France », exposition organisée par Otto Hahn et voulue par Jack Lang.
Ce voyage est l’occasion pour ces artistes de rencontrer Keith Haring, Kenny Sharf et le photographe Tseng Kwong Chi. Il se poursuit par une résidence de plusieurs mois à New York pour Blanchard, Boisrond et Di Rosa, puis par des expositions personnelles à New York de Combas chez Léo Castelli, de Boisrond chez Annina Nosei et de Hervé Di Rosa chez Barbara Gladstone, puis chez Tony Shafrazi.

Les œuvres évoquent aussi les expositions à Amsterdam ( « Figuration Libre. Blanchard, Boisrond, Combas, Di Rosa » à la galerie Swart, en 1982), à Gröningen Blanchard, Boisron, Combas, Di Rosa », Gröninger Museum, en 1983 et à Innsbrück (« Images de le France, Bilder aus Frankreich », Jean-Charles Blais, Rémi Blanchard, François Boisrond, Catherine Brindel, Robert Combas, Denis Laget, Hervé Di Rosa, Georges Rousse, galerie Krinzinger, en 1983).

En regroupant les œuvres par artistes, l’accrochage montre comment l’écriture de chacun s’affermit très rapidement, et il met en évidence leurs univers très particuliers :  Environnement  socio politique, présence de la figure humaine, référence à l’Afrique chez Combas ; Mythologie inventée et personnages imaginaires chez Di Rosa ; Références au cinéma, à la télévision, au jeu vidéo chez Boisrond ; Animaux, nomadisme, contes et légendes chez Blanchard … Ces univers singuliers sont remarquablement  évoqués dans les portraits photographiques de Louis Jammes réalisé en 1983/1984.

Louis Jammes, Figuration Libre, 1984_1

Avec le tâtonnement de certaines expositions, cette deuxième partie montre comment le quatuor Blanchard, Boisron, Combas, Di Rosa s’affirme comme les acteurs majeurs de la Figuration Libre,  rejoints d’abord  par Richard Di Rosa puis par Louis Jammes.

Ensuite Londres, Pittsburgh et Paris/New York

La dernière partie du parcours s’intéresse plus particulièrement aux relations entre la Figuration Libre et les artistes américains.  Trois expositions « Paris/New York » marquent l’année 1984 :

  • En mai, à Londres, la Robert Fraser Gallery expose Blais, Blanchard, Boisrond, Combas, Di Rosa, Jammes, Basquiat, Crash, Haring, Tseng Kwong Chi, A One, Futura 2000 et Scharf.
  • En septembre, « New Attitudes: Paris/New York », exposition organisée par Tseng Kwong Chi au Center for the Arts de Pittsburgh, regroupe des œuvres de Blanchard, Di Rosa, Dan Friedman, Louis Jammes, Haring, Tseng Kwong Chi, Magnusson, Samantha McEwen.
  • À l’hiver 1984-1985, « 5/5 Figuration Libre, France / USA », présentée à l’ARC, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, sous la direction de Suzanne Pagé et le commissariat d’Otto Hahn et d’Hervé Perdriolle a fait l’objet d’un écho médiatique particulièrement important et cette exposition a fait date. Murs et espaces de l’ARC sont envahis par les œuvres de Jean-Michel Basquiat, Crash, Keith Haring, Kenny Scharf, Tseng Kwong Chi, Rémi Blanchard, François Boisrond, Robert Combas, Hervé et Richard Di Rosa, Louis Jammes.
    Hervé Di Rosa, Figuration Libre, France/USA, ARC, MAM Paris 1984

    Dans le catalogue de l’exposition et dans les articles de blog qu’Hervé Perdriolle consacre à cette exposition, on trouvera un ensemble de photographies qui montre l’ampleur des propositions souvent exécutées in situ, directement sur les murs de l’ARC.

Pour l’exposition, Maïthé Vallès-Bled s’est efforcée de rendre compte de l’esprit de ces confrontations « Paris/New York » avec une remarquable sélection d’œuvres. L’accrochage regroupe toujours les œuvres par artistes. Il montre une nouvelle fois que si ces artistes partageaient un retour à la peinture et à la figuration, une volonté de provocation et un esprit de liberté,  chacun développait son écriture propre, sa manière. Tous construisaient des univers particuliers qui avait peu en commun.  Cet extrait de la préface de Suzanne Pagé dans le catalogue de l’exposition « 5/5 Figuration Libre, France/USA » témoigne de l’esprit qui les rassemblait :

« Effet de liberté primordiale d’abord affirmée par un art libre de toute adhésion et de tout refus, de toute allégeance et de toute référence même, par l’excès précisément des emprunts, leur laminage réciproque, l’insolent aplatissement d’un brassage par collages étrangers à toute hiérarchie du grand art, du moyen art et du petit art, de l’histoire et de la rue, du noble et du trivial. Énergies, effets de liberté, aussi, par la vitesse, la spontanéité, la prodigalité, hautement émotives de cet art où le corps délié par la musique sous-jacente impose son propre rythme directement branché sur un réseau sensible et nerveux de haut voltage. Mixité d’humour et de frénésie qui n’exclut ni l’anxiété ni la violence. Libre enfin, cet art du melting-pot social, culturel, historique, géographique, faisant de tout ce métissage du savoir et de l’expérience la plus immédiate une expression neuve, au vif de la vie la plus brûlante, irréductible à rien de connu (popisme, surréalisme, graffiti…) et explosive par sa nécessité quasi primitive ».

« Figuration Libre – Historique d’une aventure » montre l’Histoire de l’Art en train de se construire. La trentaine d’années qui nous sépare de ces événements offrent un recul suffisant pour un regard à distance. Cependant, la mémoire encore vivace de ces moments, la collaboration des artistes et des acteurs de cette première moitié des années 1980, donnent au propos une « chair », une richesse et une densité que l’on rencontre rarement dans ces expositions historiques, souvent un peu « sèches ». Le catalogue aux Éditions midi-pyrénéennes  est un complément indispensable, en particulier pour les témoignages d’Hervé Perdriolle, l’abondance des images d’archives et la qualité des reproductions.

L’accrochage, les éclairages, les textes de salle et le film documentaire donnent tous les éléments nécessaires à une bonne compréhension du propos. Le seul reproche que l’on peut exprimer concerne quelques photographies de Louis Jammes qui ouvrent la troisième partie. Elles sont postérieures à la période historique définie et les tirages semblent un peu ternes, surtout si l’on rapproche les épreuves du « Basquiat à la corde », 1988 et du portrait de Lou Reed « Magic and Loss », 1990 de celles qui sont exposées à la Collection Lambert (« Basquiat en  bagnard », 1988 – « Portrait de Lou Reed »,1990).

L’exposition permet aussi  de mesurer le parcours des acteurs de la Figuration Libre. Les œuvres de cette période historiques, reconnues par le marché sont aujourd’hui représentées dans d’importantes collections privées et publiques. On sait les disparitions prématurées de Rémi Blanchard, de Jean-Michel Basquiat, de Keith Haring ou de A One. Le travail de François Boisrond a fortement évolué vers une peinture plus réaliste et documentaire qui s’intéresse à la réalité. Les expositions de Robert Combas à Montpellier l’an dernier ont montré une réelle vitalité et quelques fulgurances… Toujours aussi foisonnante,  sa production continue à diviser amateurs et critiques. D’Hervé Di Rosa, on garde le souvenir ému de son étonnante procession « Yhayen » au Carré Sainte-Anne … et des impressions plus mesurées de ces expositions chez AD Galerie à Montpellier. Crash, A One ou Futura, acteurs historiques et figures emblématiques du graffiti aux USA sont à l’origine d’une génération d’artistes dont on mesure aujourd’hui l’importance dans les cultures urbaines contemporaines.
Le MIAM et sa programmation n’est-il pas au bout du compte un des meilleurs héritiers de l’esprit qui animait la Figuration Libre au début des années 80 ?

Ne manquez pas l’évocation du passage de Robert Combas et d’Hervé Di Rosa à l’École des Beaux-Arts de Sète que propose Philippe Saulle, son actuel directeur dans l’étonnante bâtisse du XIXème siècle, à flanc du Mont Saint Clair.

En savoir plus :
Sur le site du musée Paul Valéry
Sur la page Facebook du musée Paul Valéry
Sur le blog d’Hervé Perdriolle (nombreuses photos des expositions)

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