LP Collection, les trésors cachés de la musique underground, Rencontres 2015, Arles

Dans une première chronique, on avait évoqué une cannibalisation éventuelle du travail de LP Company (Laurent Schlittler et Patrick Claudet) par une trop grande proximité avec la pléthorique exposition « Total Record , La grande aventure des pochettes de disques photographiques ».

Un deuxième passage à Arles confirme cette impression.
« LP Collection, les trésors cachés de la musique underground » est un projet particulièrement original et passionnant qui mérite qu’on lui accorde l’attention nécessaire.

LP Collection, albums emblématiques 02

L’exposition occupe une partie des espaces rénovés au premier étage de l’atelier des Forges. Le parcours enchaîne quatre espaces, séparés par d’élégantes cimaises noires ou blanches dont l’uniformité est rompue par des disques ou des portions de disques de teinte inverse. L’accrochage, la scénographie et l’éclairage simples et efficaces sont particulièrement réussis et au service de ce projet pas banal.

LP Company (Laurent Schlittler et Patrick Claudet)

En introduction, quelques textes et une vidéo racontent sommairement la rencontre de Laurent Schlittler et Patrick Claudet. Le premier est écrivain, le second scénariste. Ils partagent le même bureau et surtout une passion pour une musique underground de groupes obscurs qui ne diffusent leur travail que sous la forme de disques 33 tours (Long Play), autoproduits et aux pochettes  généralement « bricolées ».

LP Collection, 45 albums emblématiques

Ces documents nous apprennent que de leur intérêt commun est née The LP Collection qui compterait actuellement 6 752 LPs.  Quarante cinq albums emblématiques de cette collection sont présentés dans les premiers espaces, mais sous la forme de reproductions photographiques, en raison de la fragilité et de la rareté des pochettes originales.
On découvre que Laurent et Patrick ont rapidement commencé un travail de recherche documentaire à propos de ces groupes ignorés, et qu’ils ont publié chez l’éditeur Le Mot et le Reste, un ouvrage : « LP Collection, les trésors cachés de la musique underground ».

The LP Collection. Les trésors cachés de la musique underground

On lira dans le compte rendu de visite ci-dessous qu’à mesure que l’on progresse dans la découverte de cette exposition un doute s’installe à propos de cette collection…

Des « Albums emblématiques » jusqu’au « On dirait le Sud » en passant par les « Figures énigmatiques », ce qui apparaît d’abord comme évident, devient vraisemblable… puis peu à peu improbable. Progressivement, on perçoit qu’il y a quelque chose qui ne sonne pas « juste » dans cette musique underground,  quand bien même, on nous propose, en fin de parcours, d’écouter quelques « reprises » de ces morceaux.

En effet, LP Collection est une collection de disques imaginaires. À partir de photos d’objets ou de journaux, Laurent et Patrick  ont créé des pochettes de 30 cm, inventé des noms de groupes, produit des listes de morceaux et rédigé des chroniques sur ces artistes et leurs musiques sans qu’une seule note de musique n’existe et à fortiori n’ait été enregistrée.

Après avoir produit ainsi une cinquantaine d’albums, Laurent et Patrick ont demandé à des artistes réels de bien vouloir « reprendre » certains des titres du « catalogue »… Des disques ont alors été enregistrés et les morceaux sont jouée en public ! (à découvrir sur le site The LP Collection) Ils démontrent ainsi  avec un humour décapant que « la fiction engendre de la réalité ou alors que la critique fait de la musique » !

Avec cette étonnante collection, les deux acolytes  avouent parler d’eux-mêmes, mais aussi du monde qui les entoure.

LP Collection, albums emblématiques 03

L’exposition est un contre-point parfait, ou plutôt un formidable contre champ (chant) à Total Records. Elle offre des pistes très productives pour un regard critique de cette (trop) abondante exposition. Ce projet permet de mettre à distance les inévitables bouffées de nostalgie que provoquent ces 600 albums réels rassemblés par Total Records

 « LP Collection, les trésors cachés de la musique underground »  est un projet original, un des plus réussi des ces Rencontre 2015 ! À ne pas manquer !
Lire ci-dessous notre compte rendu de visite.

Commissaire de l’exposition : Sam Stourdzé.
Publication : « The LP Collection. Les trésors cachés de la musique underground », Le Mot et le reste, 2014

En savoir plus :
Sur le site des Rencontres de la photographie
Sur le site de The LP Company
Sur le site The LP Collection
Sur la page Facebook de The LP Company
Suivre The LP Company sur Twitter

Compte rendu de visite

Une approche documentaire et 45 albums emblématiques

En introduction, quelques textes et une vidéo racontent sommairement la rencontre de Laurent et Patrick. Une partie du travail de recherche et ils ont entrepris  pour documenter ces groupes mystérieux est présenté dans plusieurs vitrines qui occupent surtout les deux premiers espaces…

Dans l’une, on y trouve des notes sur feuilles volantes, carnets et calepins et un étrange schéma sur ce qui semble être une serviette en papier. Un peu plus loin, dans un ensemble hétéroclite, on découvre un dessin d’enfant, un exemplaire d’une revue professionnelle (« Hôtellerie et Gastronomie »), un mystérieux magazine « Seafood & Co » ou encore l’impression d’une page du blog politique d’un conseiller communal de Lausanne…

Rapidement, on retrouve, parmi les pochettes reproduites, la sardine du « Seafood & Co » sur l’album de The Campbell Family « Picture of a desolated Mind ». Un peu plus loin, c’est une partie de la photo du transatlantique qui faisait la une d’ «Hôtellerie et Gastronomie » qui illustre l’album « ÜberFast » des Kaboulies. La photo surchargée (dent et pupilles noircies, cernes sous les yeux) du blog est utilisée pour la pochette de « Nefertica » de Johnny Staco !

Ces « découvertes » se poursuivent dans le deuxième espace…  Avec un peu d’attention, on retrouve les objets des deux vitrines par exemple sur les pochettes de Gollung (la bougie), de C.O.P.T. (Morceau de bois),  de The Belly Dancers (Balayette)… Un détail du blouson de cuir suspendu sur un cimaise illustre le disque du grouep O’Gonzo.

Sur un banc, un exemplaire de l’ouvrage, publié chez  Le Mot et le Reste, est disponible… On peut y consulter les critiques averties de ces albums.

Ainsi, lit-on à propos du « Nefretica » de Johnny Staco :
« On pense à Peaches, la diva trash de Montréal. Même brouillage des codes, même sexualité outrée, même décalage dans la grossierté pour ce natif de Wichita dans l’Etat du Kansas. Johnny Staco (Germaine Tool à la ville), crooner salace, assène son eurodance qui pourrait se résumer à une scie même pas dansante à force de beats martiaux archirebattus. Or l’originalité du gandin tient dans sa manière ultragonflée de parer le genre pauvre des oripeaux de la grande classe, plus prosaïquement «de le soumettre comme femme au doigté magique du Staco». Perles de glockenspiel, colliers de harpe, parures de violons puissamment réverbés. L’enluminure est osée, somptueuse pourtant dans la profondeur de champ ainsi créée, perverse aussi dans sa manière d’humilier la boîte à rythmes et son décor de boîte échangiste de province. Johnny Staco, dent en or et impeccable costume trois-pièces, a beau jeu de célébrer l’amour et le sexe (…)»

Néanmoins, cette démonstration documentaire finit par intriguer. Peu à peu le doute s’installe sur la réalité de cette musique et sur la nature de cette collection…

« Figures énigmatiques » et « On dirait le Sud »

Le troisième espace présente une sélection d’autres albums de la collection autour de deux thèmes « Figures énigmatiques » et « On dirait le Sud »…

LP Company, « LP Collection, les trésors cachés de la musique underground - Figures énigmatiques », Rencontres 2015, Arles
LP Company, « LP Collection, les trésors cachés de la musique underground – Figures énigmatiques », Rencontres 2015, Arles

Pour la première série, une vingtaine d’albums sont regroupés autour de pochettes sur lesquelles les « visages se dérobent et les identités [sont] floues »… La référence au bébé nageur du « Nervermind » de Nirvana  est clairement formulée.
L’accrochage reproduit  le même protocole pour chaque album. La pochette du disque est accompagnée de la photographie originale et d’un texte où les musiciens répondent aux questions « qui est sur la pochette ? » et « dans quelles circonstances la photographie a-t-elle été prise ? »

Anecdotique à souhait, l’ensemble est amusant, intriguant plus rarement sarcastique ou humoristique. On reste stupéfait ou ne pas dire incrédule devant un tel travail de recherche documentaire et surpris par une collaboration aussi parfaite des musiciens…

Pour « On dirait le Sud », la proposition est construite à partir de la chanson de Nino Ferrer « Le Sud », paru en 1975. Le texte de salle précise : « Suivant leur intuition, Laurent et Patrick ont entrepris une recherche systématique d’albums parus en 1975 et dont l’imagerie et les thématiques puisaient de manière claire ou oblique au Sud de la France comme pays de cocagne et terre d’inspiration ». La suite de ce texte renvoie au contexte économique, politique et culturel du milieu des années 70. Il est impossible de pas y percevoir espièglerie ou ironie…

Le doute n’est pratiquement plus permis, cette collection est très certainement un faux !

« LP Company : un label musical »

Le dernier espace « LP Company : un label musical » confirme paradoxalement  mesure cette idée de collection imaginaire. Il propose l’écoute de réels morceaux de musique édités par LP Company, accompagnés de la diffusion de vidéoclips…

Toutefois, ce ne sont que des « reprises » des titres originaux et imaginaires de la collection !

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Un extraordinaire pied-de-nez !  « La fiction engendre de la réalité… La critique fait de la musique ». Mais n’est ce pas le propre de l’art et du collectionneur, du commissaire et du critique ?

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