Incontournable : Cathryn Boch au FRAC à Marseille

Le travail de Cathryn Boch était présenté par le Galerie Claudine Papillon à l’occasion Pareidolie, le salon du dessin contemporain, le week-end de rentrée à Marseille.
Dans le cadre de la saison du dessin qui accompagne ce salon, elle expose au plateau expérimental du Frac jusqu’au 20 septembre.

Pareidolie 2015 - Galerie Claudine Papillon - Au premier plan, le travail de Cathryn Boch
Pareidolie 2015 – Galerie Claudine Papillon – Au premier plan, le travail de Cathryn Boch

Le travail de Cathryn Boch se construit autour de l’espace, du temps, de la frontière… Cartes, plans, photos aériennes sont les supports qu’elle gratte, ponce, frotte et sur lesquelles elle « dessine » avec une machine à coudre… Le papier se plie, se déforme, se déchire…

Sans titre, 2013 Couture machine de plans et collage de papiers et de reproductions photomécaniques, gouache, huile, crayon sur papier vélin blanc poncé. 146,6 x 204,2 cm. Collection Frac Picardie, Amiens
Cathryn Boch, Sans titre, 2013. Couture machine de plans et collage de papiers et de reproductions photomécaniques, gouache, huile, crayon sur papier vélin blanc poncé. 146,6 x 204,2 cm. Collection Frac Picardie, Amiens

L’artiste produit  des « paysages » fascinants, dans lesquels « On entre dans un territoire comme on pourrait rentrer dans la chair d’un corps » disait-elle à l’occasion d’une récente exposition parisienne à l’Observatoire du BHV Marais…

On lira avec intérêt ce texte de Cathryn Boch distribué au visiteur de  « N 43°18’ 21.5’’ E 5° 22’03.0’’ », son exposition au FRAC ( le titre reprend les coordonnées du lieu d’exposition) :

« J’ai parcouru des kilomètres avec les cartes routières ;
Ça m’est apparu comme une évidence
Cette résonance entre le macrocosme des cartes et le microcosme du corps, un glissement de vocabulaire…
Explorer les cartes, en sortir les rivières, les routes, pour que l’énergie, le souffle, le sang coule dans les veines, faire passer le flux et leur donner vie…

Je trace à la machine à coudre des lignes qui percent le papier, les trajectoires se mêlent à la géographie.
J’envahis la surface de fils, ils se tissent en profondeur, la matière est devant – derrière…
Je greffe              Je recouds         Je répare            Je relie
quelque chose qui est un vivant – changeant – mouvant
Avec la couture c’est le travail du temps, ce temps qu’il faut pour parcourir un territoire, un chemin de vie…
Le temps long de la dérive des continents

Terre – Ciel confondus »

Cathryn Boch

Cathryn Boch, Sans titre 2012, Collection privée (détail 2)
Cathryn Boch, Sans titre, 2012 (détail). Carte maritime, gouache, glaçage de sucre, carte routière, huile, collage, couture machine au fil de coton, sur papier poncé. 50 x 75 cm. Collection Privée

L’ensemble montré au Frac rassemble des œuvres prêtées par le Frac Picardie, des collectionneurs (collections LGR de Monaco, Antoine de Galbert, Florence et Daniel Guerlain…) et par la galerie Claudine Papillon.

Le nombre réduit d’œuvres (8), une belle et  sobre mise en espace et en lumière dans la salle isolée du plateau expérimental, une fréquentation est contrôlée offrent d’excellentes conditions et la quiétude nécessaire pour découvrir et apprécier le travail captivant de Cathryn Boch

À voir absolument !!!

On lira ci-dessous un entretien avec Philippe Piguet, paru dans Art absolument, 2015 et extrait du dossier de presse.

Cathryn Boch est née en 1968 à Strasbourg.
Elle vit et travaille à Marseille
Biographie et revue de presse sur le site de la Galerie Claudine Papillon.

Le centre de documentation de FRAC met à disposition des visiteurs un dossier documentaire sur l’artiste.

En savoir plus :
Sur le site du FRAC
Sur le site de la Galerie Claudine Papillon

Cathryn Boch, dans les entrailles du dessin

un entretien avec Philippe Piguet, Art absolument, 2015

À l’origine, des cartes routières, des vues aériennes, des relevés topographiques, des plans d’occupation au sol… bref toute une iconographie de repérage, de mesure et d’inscription du territoire. Toute une matérialité codifiée du paysage. C’est là le médium de prédilection de Cathryn Boch. Comme un peintre presse les tubes de couleurs sur sa palette pour obtenir le ton recherché, comme un sculpteur prélève des morceaux du matériau qu’il travaille pour donner corps à une forme, l’artiste use de protocoles spécifiques qui en appellent tour à tour au déchirement et à l’assemblage via une pratique singulière, la couture. Le fil, en ligne ou en épaisseur, lui permet alors d’élaborer la cartographie de toutes sortes de mondes à part, inédits et improbables.

Des aplats, des creux, des bosses, des béances, des effractions configurent plaines, vallées et collines imaginaires dans lesquels l’artiste entraîne le regard à la perte de tout repère, de toute identification, de toute réalité. Il faut se laisser aller au pur plaisir de l’inconnu, de la surprise, de la découverte, voire au risque de ne plus jamais retourner au monde ici-bas. L’art de Cathryn Boch est requis par la tentation d’une échappée, d’une forme de fugue hors de soi et du contingent, en quête d’un ailleurs dans les entrailles mêmes du paysage. Rencontre.

D’où vous est donc venue cette idée d’utiliser une machine à coudre comme outil d’élaboration du dessin ?
Il m’est bien difficile de le dire exactement. Je sais que j’ai toujours aimé dessiner, il paraît que je dessinais tout le temps et aussi j’ai grandi dans les pattes de ma grand-mère couturière. Alors finalement, ça continue. Raison atavique ? Je n’en n’avais pas vraiment conscience, sinon qu’à la mort de ma grand-mère, j’ai découvert un acte de mariage et là, noir sur blanc les métiers respectifs de mes grands parents sont apparus: mon grand-père était dessinateur industriel, ma grand-mère couturière ! Le dessin, chez moi, c’est donc incroyablement légitime. Ça me colle à la peau. C’est ainsi. Je vis avec…

La couture, c’est une activité considérée ordinairement comme féminine. Y a-t-il dans le choix que vous avez fait de cet outil une quelconque attitude revendicatrice ?
Je suis née en 1968, ce n’est pas rien. Quand j’étais étudiante aux arts décoratifs à Strasbourg, j’ai fondé un collectif d’artistes avec trois autres camarades que nous avons appelé Les Pisseuses. Nous étions très actives et engagées quand à la question du langage des artistes femme. Nous avons énormément dessiné à quatre en cadavre exquis, ou à la craie directement sur les murs dans les rues. C’était une manière d’affirmer notre langage trop souvent catalogué de « très féminin ». Sans doute était-ce parce que nous parlions de notre intimité. Le dessin est formidable pour cela, il est en lien direct avec notre intimité, c’est un langage premier, primitif, instinctif, intuitif.

Qu’est-ce qui vous avez motivé à entrer dans le jeu collectif ?
Ensemble on est beaucoup plus fort. Ce sont des rythmes de travail et de vie qui donnent des respirations. La pensée va beaucoup plus vite, on échange, ça ricoche, c’est très dynamique. J’ai adoré la force créative que cela engage. Puis vient le moment inéluctable de la séparation car il y a le désir de faire un travail plus personnel, de développer son langage singulier.

Le dessin, vous le mettez en jeu dans des matérialités spécifiques puisque vous utilisez toutes sortes de papiers qui ont déjà un vécu. En quoi cela est-il important ?
Pas seulement un vécu mais qui portent une représentation particulière, qui a à voir avec l’idée de paysage, de déplacement, de voyage. Le dessin est complètement nomade. Il offre à celui qui le pratique la possibilité d’une totale indépendance, d’une liberté. Il n’a pas besoin de structures, de production. On peut le faire partout, n’importe où, n’importe quand, avec n’importe quel moyen. Pour revenir à votre question, en fait tous les papiers que j’utilise, je les fais vivre moi-même… Ce n’est pas seulement ce qu’ils véhiculent comme voyage physique ou le fait qu’ils soient passés dans d’autres mains avant qui compte, c’est surtout comment je peux les inscrire dans une aventure et leur donner une nouvelle vie, cela sous-tend un rapport au corps…

Le corps est en effet l’un des paramètres essentiels à la source de votre travail. Le dessin, c’est l’expression quasi directe du corps…
Le corps est omniprésent dans mon travail, la figure y est suspendue… d’autant que j’ai un rapport très physique avec mes dessins, les petits comme les grands. L’approche tactile des matériaux, c’est très important pour moi. Le papier, je le touche, je le ponce, je le gratte, je le caresse… J’en soulève la fibre… Ce faisant, que cherchez-vous à mettre à nu ? Je me dis qu’il y a une surface mais qu’il y a aussi une profondeur, un envers et un endroit. Je veux que mon dessin soit partout. La surface ne m’intéresse pas juste pour elle seule ; ce sont toutes les dimensions qui m’importent. C’est quelque chose de très charnel, d’incarné, en vérité.

Et la couture vous assure cette traversée ?
Cela me permet d’être aussi bien devant que derrière, à travers. Dans un même mouvement de percer et de réunir. La machine à coudre est un outil paradoxal. Au même moment où elle déchire le papier, elle le racomode avec la couture. Il y a une matière autonome qui se crée dans la décomposition du papier avec la densité du fil, une entité plastique à part entière. Le papier réagit à la tension de la couture, il prend du volume, comme une matière qui cherche à s’autonomiser…

Jusqu’à ce que le dessin prenne forme de sculpture, sinon de bas-relief ?
Mes premiers dessins aux arts décoratifs, je les faisais déjà sur des papiers qui faisaient 800 grammes et je venais creuser dedans avec de l’eau, sortir la fibre. Il y avait des épluchures. Ce qui m’intéresse surtout, c’est l’entre-deux. On n’est plus dans la surface mais on n’est pas encore dans la sculpture. C’est une question de frontière. Peut-être est-ce lié au fait que j’ai vécu dans une région limitrophe entre deux pays et que mes parents étaient chacun respectivement originaire de chaque côté…

Il y a quelque chose dans votre travail qui renvoie au désir de fouiller les entrailles mêmes du papier, sinon du dessin lui-même…
J’ai toujours été sensible à l’archéologie, à ce rapport au territoire, à la terre, c’est le lien aux origines. Le dessin, chez moi, se révèle bien plus que de toute autre manière.

Comment s’organise le travail ?
Je peux commencer un dessin puis le laisser de côté pendant longtemps. C’est même primordial pour moi, je commence et je ne finis jamais. À un moment donné, il y a une telle accumulation de choses commencées autour de moi que, petit à petit, je me rends compte qu’une chose résonne avec l’autre, que ça dialogue et qu’il va se passer quelque chose. Que la rencontre peut se faire. Mais c’est long, très long. Je ne fais jamais un dessin d’un seul jet. C’est totalement impossible. Il faut que les choses puissent se déposer.

Vous travaillez donc plusieurs dessins en même temps…
Oui. J’ai des bouts de dessins, des bouts de tout et de rien, des morceaux que j’ai poncés, des fragments cousus et tout ça m’accompagne. Il y en a plein les cartons, les boîtes, tout un capharnaüm.

Qu’est-ce qui nourrit le travail ? Où puise-t-il ses sources ?
Il se nourrit de toutes sortes de contemplations, de beaucoup de temps d’arrêt. Des temps programmés ou non. J’ai parfois besoin de les prévoir pour partir et aller marcher, mais cela est aussi hasardeux, au détour du travail. Je n’aime pas être enfermée trop longtemps. La ville, je l’adore. J’aime son énergie mais très souvent, je me sens débordée, j’ai besoin de respirer. De prendre le temps de rien. Ce n’est pas vide le temps de rien. Mes dessins sont à l’image de mon quotidien. Ce sont des strates. Ils attendent de se constituer, petit à petit, ils se chargent du monde qui les entoure. C’est une approche de mémoire et un présent absolu.

Il y a un côté palimpseste dans ce travail qui lui confère une identité.
J’aime bien aussi les repentirs. Il n’y a rien de définitif, je peux revenir sans cesse sur mon dessin. Je ressens parfois le moment où je peux m’en débarrasser mais il faut qu’il parte vite alors, sinon il reprendra un nouveau chemin. Le dessin, c’est le mouvement, la transformation, une perpétuelle métamorphose.

Qu’est-ce qui décide que c’est fini ?
Je ne sais pas. C’est viscéral. Quand la nécessité est là. On sent quand c’est arrivé à ce que l’on veut dire, du moins être au plus proche de la sensation que l’on veut traduire. Pensez-vous qu’une oeuvre n’arrive jamais à maturité ? Je l’espère bien. Quand je vois les derniers Picasso, je me dis que je veux aller jusqu’au bout. Quelle jouissance, non ? Il y a tant d’autres tentatives à éprouver, se mettre en danger, oublier d’où l’on vient… tant d’autres paysages à explorer…

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