Icônes Américaines

Il y a des expositions dont on attend beaucoup et qui s’avèrent ennuyeuses et décevantes et plus rarement celles où l’on va à reculons et dont on sort enchantés… Sans aucun doute, l’exposition Icônes Américaines  se rattache à cette deuxième catégorie !

Circonspects, nous avons attendu la fin de l’été pour prendre le chemin du musée Granet et  voir « ces chefs-d’œuvre du San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA) et de la collection Fisher » que le Grand Palais avait montré au printemps dernier.

En pénétrant dans l’exposition, l’emblématique sérigraphie de Warhol, Liz #6 [Early Colored Liz], 1963 nous a fait craindre le pire…  Mais rapidement,  inquiétudes et préjugés se sont dissipés devant la qualité de l’exposition présentée.

Icônes Américaines - Musée Granet, Salle n° 1 - Andy Warhol
Icônes Américaines – Musée Granet, Salle n° 1 – Andy Warhol

Icônes Américaines présente des œuvres du SFMOMA, fermé depuis 2013, pour des travaux d’extension.  Cette sélection est complétée par des pièces issues de l’importante collection de Donald et Doris Fisher, fondateurs de la marque Gap. Les deux collections seront présentées ensemble dans la nouvelle extension du musée, en 2016.

Gary Garrels, commissaire et  conservateur en chef du département de peinture et sculpture au SFMOMA, précise dans sa présentation du projet  que l’exposition a été  « pensée comme une anthologie d’individualités, [qui ] offre un panorama de la production artistique aux États-Unis entre 1960 et le début des  années 2000 ».  Si l’accent est mis sur la singularité des artistes, les rapprochements à tel ou tel courant artistique ne sont pas ignorés.

Icônes Américaines - Musée Granet, Salle n° 2 - Carl Andre et Donald Judd
Icônes Américaines – Musée Granet, Salle n° 2 – Carl Andre et Donald Judd

La qualité du lieu et la très belle lumière qui baigne les salles offrent d’excellentes conditions de présentation aux 43 oeuvres, souvent de très grands formats. Les 700 m² d’exposition procurent aux visiteurs un confort appréciable et tout l’espace nécessaire aux tableaux, dessins et sculptures sélectionnés.

Icônes Américaines - Musée Granet, Salle n° 5 - Roy Lichtenstein et Chuck Close
Icônes Américaines – Musée Granet, Salle n° 5 – Roy Lichtenstein et Chuck Close

Ni chronologique, ni thématique, le parcours de visite est intelligemment construit. Il propose d’agréables changements de rythmes, des rapprochements pertinents,  quelques surprises et d’intéressantes découvertes, sans jamais tomber dans la facilité. Chaque toile, chaque sculpture semble avoir trouvé naturellement sa place.  La scénographie très sobre reste toujours au service des œuvres. Soulignons également la pertinence des textes de salles et les outils d’accompagnement de la visite

Icônes Américaines - Musée Granet, Salle n° 6 - Philip Guston et Richard Diebenkorn
Icônes Américaines – Musée Granet, Salle n° 6 – Philip Guston et Richard Diebenkorn

À lire ci-dessous, notre compte rendu de visite.

Commissariat : Gary Garrels, conservateur en chef du département de peinture et sculpture Elise S. Haas, SFMOMA. En collaboration avec : Bruno Ely, conservateur en chef du musée Granet
Catalogue : co-édition Editions de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais / Musée Granet

Artistes exposés : Carl Andre, Alexander Calder, Chuck Close, Richard Diebenkorn, Dan Flavin, Philip Guston, Donald Judd, Ellsworth Kelly, Sol LeWitt, Roy Lichtenstein, Brice Marden, Agnes Martin, Cy Twombly, Andy Warhol.

En savoir plus :
Sur le site du musée Granet
Sur le site du SFMOMA : à propos de l’exposition, interview de Doris et Donald Fisher, propos d’artistes de la collection Fisher.

Compte-rendu de visite

Andy Warhol

Dans la première salle, consacrée à Warhol, on a particulièrement apprécié le contraste entre l’iconique Liz #6 [Early Colored Liz], 1963 et National Velvet , 1963 découvert dans l’atelier de l’artiste après sa mort, sur un rouleau de lin non découpé… L’image multipliée de Liz adolescente, dans le film National Velvet, en 1944 paraît fragile et incertaine. On retrouve un traitement proche, avec de la peinture argentée (« Silver Screen » est aux USA  notre « Grand Écran ») dans Silver Marlon, 1963, portait dédoublé de Marlon Brando, chef d’un gang dans L’équipée sauvage. Il fait face au Most Wanted Men N°12, 1964.

Carl Andre, Dan Flavin et Donald Judd

La salle suivante, dédiée au minimalisme, rassemble des pièces de Carl Andre, Dan Flavin et Donald Judd. La mise en espace est particulièrement réussie. Si l’on regrette l’absence des « empilements » Untitled, 1973 et 1988 de Donald Judd qui étaient présentés à Paris, les « sculptures horizontales » de Carl Andre (Copper Zinc Plain, 1969 et Parisite, 1984) construisent un étonnant dialogue avec les néons de Dan Flavin, monument »for V. Tatlin, 1969 et untitled (to dear, durable Sol from Stephen, Sonja, and Dan) one, 1969. Cette dernière pièce, un des premiers « carrés d’angle » de l’artiste, est aussi un hommage à Sol LeWitt ; elle conduit naturellement à la salle suivante.

Sol LeWitt, Agnes Martin et Ellsworth Kelly

Sur une cimaise qui coupe la salle en deux, on découvre Wall grid, 1966) de Sol LeWitt, oeuvre à la fois minimaliste et conceptuelle, dont le motif de la grille dialogue formellement avec le travail plus sensible d’Agnes Martin (Untitled #5 ,1977 et Falling Blue, 1963), l’une des peintres favorites de Doris Fisher et une des agréables découvertes de l’exposition.

La deuxième partie de la salle une sélection de trois tableaux abstraits d’Ellsworth Kelly.

Alexander Calder

Le pallier et l’escalier met particulièrement en valeur trois superbes mobiles d’Alexander Calder (Eighteen Numbered Black, 1953, Constellation, 1943 et Tower with Painting, 1951).

Roy Lichtenstein et Chuck Close

Icônes Américaines - Musée Granet, Salle n° 5 - Roy Lichtenstein et Chuck Close
Icônes Américaines – Musée Granet, Salle n° 5 – Roy Lichtenstein et Chuck Close

En descendant la deuxième volée de marches de l’escalier, un des moments des plus saisissants et des plus réussis du parcours permet de découvrir le rapprochement  des œuvres de Roy Lichtenstein (Live Ammo (Tzing!) , 1962, Tire, et le superbe Figures with Sunset, 1978) avec les portraits de Chuck Close.  Roy I, 1994 et Agnes, 1998, deux artistes présents dans l’exposition et collectionnés par les Fisher, sont portraiturés en associant la grille de placement qui rappelle de travail d’Agnes Martin et la trame des points Benday utilisée par Lichtenstein. Le troisième portait Robert, 1996-1997, c’est bien entendu Rauschenberg…  Le texte de salle nous apprend que « L’aptitude de Close à créer des portraits immédiatement identifiables grâce à cette juxtaposition de centaines de cellules individuelles est d’autant plus remarquable que l’artiste lui-même souffre d’une affection qui le rend incapable de reconnaître les visages »…

Brice Marden, Philip Guston et Richard Diebenkorn

L’avant dernière salle présente le travail d’artistes beaucoup moins connus en Europe et en France. Il s’agit pour nous de vraies découvertes…

Trois toiles de Brice Marden illustrent son travail depuis les années 1980, époque, où selon la fiche de salle, il est  « influencé par la calligraphie chinoise, et notamment par les écrits d’un poète légendaire de la dynastie Tang (608-906) surnommé « Montagne froide », à qui l’artiste rend hommage dans Cold Mountain 6 (Bridge), 1989-1991 ». À propos de The Sisters (1991-1993), le dossier de presse nous éclaire sur la pratique de Marden, en rapportant ses propos : « j’utilise des pinceaux à long manche. […] Je me rapproche et gratte l’excédent avec le couteau. […] Ainsi, je suis près, puis je m’éloigne, avant de me rapprocher à nouveau. Et quand je m’arrête pour regarder la toile, je m’éloigne plus encore ; c’est comme une sorte de danse ».

De Philip Guston, on découvre For M. ,1955 une toile proche de l’expressionnisme abstrait new-yorkais. Son travail s’oriente ensuite vers des formes plus figuratives avec Evidence (1970) et Back view (1977). La fiche de salle relate les tourments de l’artiste à cette époque :  « Je me sentais partagé, schizophrène. La guerre, ce qui arrivait à l’Amérique, la brutalité du monde. Quelle sorte d’homme suis-je, assis chez moi à lire des magazines, me mettant en fureur à propos de tout, frustré, puis allant dans mon atelier pour ajuster un rouge par rapport à un bleu ? »

La découverte des toiles de Richard Diebenkorn  a été un des moments forts de cette visite. Les quatre tableaux exposés ici appartiennent  à deux séries importantes. La série Berkeley, avec plus de  60 toiles, exprime les expériences vécues par l’artiste dans cette ville, entre 1953 et 1956. Après une transition vers la figuration, Ocean Park, série de plus de 140 œuvres montre son retour vers l’abstraction en 1967, après son installation à Los Angeles…  Il semble que des lignes de paysages se dégagent dans ces toiles abstraites… Cependant,  Diebenkorn  affirme : « Ce que je peins semble souvent relever du paysage, mais j’essaie d’éviter toute rationalisation de cet aspect […] Je ne suis pas un paysagiste sinon je peindrais tout simplement des paysages ».

Cy Twombly

Le parcours s’achève avec  trois belles œuvres de Cy Twombly. Malheureusement, elles sont accrochées dans un espace où la lumière qui vient du patio et du hall d’accueil trouble un peu le très bel éclairage zénithal dont profitent les autres salles. On aurait aimé pour ces œuvres une salle plus intime et moins proche du hall d’accueil…

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