En écho à Drawing Room 015, le salon du dessin contemporain, l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier accueille jusqu’au 28 octobre 2015, dans la galerie Le Cube, Dessins au Cube, une proposition d’Emmanuel Latreille, directeur du FRAC LR.
Si Thanks Esbama ! présentée à l’École des Beaux-Arts n’a pas réussi à capter notre intérêt, c’est l’inverse pour Dessins au Cube, une exposition qui nous a semblé captivante et aboutie.
Une heureuse sélection de dessins dans le fonds du FRAC et un accrochage particulièrement réussi tire tout le parti possible du Cube et joue adroitement avec ses exigences et ses contraintes. L’exposition illustre avec justesse les intentions du commissaire :
« Dans le contexte très singulier qu’est le Cube, le FRAC présente un ensemble très dense de dessins. Il ne s’agit pas de rejouer quelque chose de l’ordre du “cabinet d’amateur”, mais plutôt de poser la question des dimensions exponentielles du dessin contemporain. Ainsi, les 8 côtés du Cube offriront quelques directions actuelles de l’art de dessiner, représentées à chaque fois par plusieurs artistes ou des œuvres sérielles. Ces catégories renverront à :
– la transformation permanentes des images par les techniques contemporaines (“Mutantes”),
– la construction d’espaces “vécus” par les artistes (“Architêtures”),
– la spontanéité de “traces” questionnant l’altérité (“Vis et vertus”),
– l’incarnation improbable du temps (“Tempus dadalus”) ».
Le texte à la disposition des visiteurs permet d’en apprécier le propos.
À l’intérieur du Cube, les quatre murs illustrent chacun une dimension particulière du dessin, selon le projet d’Emmanuel Latreille. Le propos est renforcé par un accrochage qui devient de plus en plus dense, à mesure que le regard se déplace dans l’espace.
Sur un premier mur, jaune « moutarde », dans un accrochage assez libre, les dessins d’Andreas Slominski, Denis Castellas et Belkacem Boudjellouli évoquent « la spontanéité de “traces” questionnant l’altérité (“Vis et vertus”)», expressions de la fugacité et de l’urgence.
Le deuxième mur, gris « souris », rassemblent sur deux registres des œuvres où il est question de « l’incarnation improbable du temps ». 12 autoportraits d’Eudes Menichetti, narrent dans un journal mensuel de son année 2007. Un grand « Cheval chapeauté vu de dos » all ears » » de Vanessa Notley renvoie aux animaux mythologiques.
Les étonnantes empreintes de pas, dessins sur boite de lait concentré et deux pelles sculptées de Laurent Tixador, prélevés ou utilisés au cours de sa performance intitulée « Horizon – 20 », racontent son voyage sous terre de 20 jours en autarcie. À leur propos, mais aussi en écho à la couleur de la cimaise, le texte de présentation alerte avec un certain humour « Courage, creusons ! la petite souris du temps court si vite… »
« La construction d’espaces “vécus” par les artistes (“Architêtures”)» occupe le troisième mur, couvert d’un rouge « cardinal » très muséal. Un bel ensemble de huit dessins de Tjeerd Alkema suggère des architectures aux multiples lignes de perspective et points de fuite. Cinq « cartes » de Jean-Jacques Rullier évoquent un voyage en Israël.
Pour Emmanuel Latreille, le quatrième mur, noir « anthracite » veut suggérer, avec la joue gonflée de Duchamp, une troisième dimension. Un accrochage dense mais très lisible se développe sur trois registres.
Au centre, près du ciel, en majesté, on découvre le « Diptyque de Marcel Duchamp » par André Raffray, l’affiche de l’exposition. Ce dessin reproduit une photographie et un célèbre autoportrait de profil au crayon, avec la joue en plâtre, de 1959… Le titre « With my tongue in my cheek » est comme souvent chez Duchamp un jeu « miroirique » et une expression anglaise ambivalente à la fois équivalente de notre « tourner sa langue dans sa bouche », « se mordre la langue » mais aussi « pince sans rire » « avec ironie » ou encore « rire intérieurement de son interlocuteur »…
Cette icône duchampienne est « encadrée » par trois dessins de Ross Hansen qui encadrent des manuels d’encadrement aux titres savoureux (« Diagrammatic Models », « Framing and Hanging », « Documentation of a Missing Drawing »).
Face au regardeur, un personnage dessiné par Matthew Antezzo semble entrer puis sortir du mur… Enfin, au niveau du sol, au pied du visiteur, des « Nageuses synchronisées » ont quelques difficultés à faire surface dans les trames photomécaniques, aux tons pastels, dessinées aux crayons de couleur par Loïc Raguénes.
À lui seul, ce mur qui évoque avec pertinence « la transformation permanentes des images par les techniques contemporaines (“Mutantes”) » justifie une visite de l’exposition…
Les quatre faces visibles à l’extérieur du Cube cachent-elles, comme le suggère le texte de présentation, un chemin vers une quatrième dimension ?
« Oui, on peut » semble indiquer la trace argentée sur un bleu profond de Jessica Diamond… L’installation « Pas con » de Rémi Dall’Aglio qui inscrit à la demande la trace d’un cercle sur une face du Cube, n’est-elle pas l’hélice qui propulsera le Cube dans une autre dimension ? Doit-on comprendre que le fantôme au fouet de Masanao Hirayama est le cochet qui conduira le Cube vers d’autres dimensions ? Peut-être trouve-t-on la réponse en questionnant les 48 portraits-robots sur acétate de Maurizio Cattelan.
L’exposition montre la richesse de la collection du FRAC LR. Elle illustre également comment la connaissance intime de cette collection permet de construire un discours cohérent qui valorise le travail des artistes et qui sait parfaitement jouer des contraintes du lieu où il s’exprime.
Un seul regret, les reflets parfois désagréables qui perturbent la contemplation des œuvres…. Si l’on peut admettre les limites du dispositif d’éclairage dans un établissement de formation, par contre on peut s’interroger sur les raisons qui empêchent l’utilisation de verre anti-reflet pour le montage des dessins par le FRAC…
Dessins au Cube mérite, sans aucun doute, un passage par l’École nationale supérieure d’architecture avant le 28 octobre 2015.
Avec les œuvres de : Matthew Antezzo, Ross Hansen, André Raffray, Loïc Raguénes, Andreas Slominski, Denis Castellas, Belkacem Boudjellouli, Eudes Menichetti, Laurent Tixador, Vanessa Notley, Jean-Jacques Rullier, Tjeerd Alkema, Jessica Diamond, Masanao Hirayama, Rémi Dall’Aglio, Maurizio Cattelan.
En savoir plus :
Sur le site de l’École nationale supérieure d’architecture
Sur la page Facebook du FRAC-LR
La collection du FRAC LR est consultable via Navigart sur videomuseum