Arnaud Vasseux, Les pierres oubliées de Samothrace, Musée des Moulages, Montpellier

Jusqu’au 27 janvier 2017, le Musée des MoulagesUniversité Paul Valéry Montpellier 3 présente une proposition du plasticien Arnaud Vasseux « Les pierres oubliées de Samothrace ».

Depuis sa réouverture, le Musée des Moulages affirme une volonté de confronter ses collections patrimoniales à la création contemporaine.

Rosa Plana, directrice du Musée des Moulages et Jean-François Pinchon responsable Master « Conservation, gestion, diffusion des oeuvres d’art des XXème et XXIème siècles » ont sollicité Arnaud Vasseux pour un projet d’exposition, dans la perspective d’un colloque autour du thème de la « Copie ».

Arnaud Vasseux, Rosa Plana et les étudiantes de l'Université Paul Valéry Montpellier 3 - Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier
Arnaud Vasseux, Rosa Plana et les étudiantes de l’Université Paul Valéry Montpellier 3 – Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier. Photo Halinka Zygart – Service de communication de l’Université Paul-Valéry

Le film de Juliette Garcias « La Victoire de Samothrace, une icône dévoilée », sur la restauration de la statue par le Musée du Louvre, en 2013-2015 avait interpellé Arnaud Vasseux. L’existence d’un vide, d’un bloc manquant resté à Samothrace, en 1879, avait tout particulièrement attiré son attention.

Le musée de Montpellier présente, dans sa collection permanente, un moulage de la célèbre sculpture exposée au Musée du Louvre.

Arnaud Vasseux a donc imaginé une exposition autour de ce bloc manquant. Ce bloc brisé, identifié comme « bloc C2 » incarne pour l’artiste « une dimension d’hypothèse, une puissance de question, une réalité matérielle et artistique qui concernent autant le monument lui-même que ceux qui s’intéressent à la sculpture »…
Avec « Les pierres oubliées de Samothrace », il propose « en s’interrogeant sur notre rapport à l’histoire et à la sculpture de tenter de venir combler l’emplacement vide, le creux invisible aux visiteurs du Louvre, du fameux monument »…

On a plusieurs fois évoqué ici le travail d’Arnaud Vasseux. On connaît son intérêt pour l’empreinte et le moulage, mais aussi pour la question des traces, des indices et des écarts.
Professeur de « sculpture/volume » à l’école des Beaux-Arts de Nîmes, l’artiste ne pouvait que s’intéresser à l’histoire ce bloc invisible, mais essentiel dans l’équilibre et la dynamique de la Victoire de Samothrace. Ce véritable tour de force technique montre aussi le talent et les connaissances du sculpteur anonyme, auteur de ce chef-d’œuvre.

Avec Ludovic Laugier, conservateur au Musée du Louvre, il évoque avec talent l’histoire de ces « Pierres oubliées de Samothrace » et explique les raisons de ce projet dans cette vidéo produite par le service audiovisuel de l’Université (Réalisation de Fabrice Belmessieri et Ahmad Joumblat).

Pour l’exposition au Musée des Moulages, Arnaud Vasseux a choisi de présenter les impressions 3D par stéréolithographie des deux fragments du bloc manquant. Contrairement aux conventions de l’exposition scientifique, il a pris le parti de séparer nettement les deux parties du bloc originel.

Arnaud Vasseux - Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier
Arnaud Vasseux – Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier

Devant ces fac-similés, l’artiste présente une sérigraphie sur plâtre à la dimension exacte du bloc. Elle reproduit un ensemble de sept documents qui en relate l’étude (un extrait d’une lettre de Champoiseau, découvreur du monument, quatre photographies et deux relevés).

Arnaud Vasseux - Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier
Arnaud Vasseux – Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier

Le choix du plâtre, un des matériaux favoris de Vasseux, fait évidement écho ici à celui utilisé pour les moulages. À l’inverse, la résine employée par l’impression 3D donne aux copies un aspect translucide et une sensation de luminescence qui contraste avec les plâtres de la collection…

Arnaud Vasseux - Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier
Arnaud Vasseux – Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier

Il y a aussi une part discrète dans le projet d’Arnaud Vasseux qui confie : « Le dispositif de présentation reprend celui du musée, le copie. Il s’agit donc de réhabiliter un bloc de pierre dont le rôle et l’importance ont été sous-estimé. Contre Champoiseau, il y a bien « de l’art » dans ce bloc et c’est aussi pour cela que je me focalise sur ce qui pourrait passer inaperçu. Le bloc « réel » demeure dans l’obscurité : sur le site du sanctuaire, face au bloc, il ne figure aucune mention de la Victoire ».

Le lien avec le moulage de la Victoire de Samothrace, un peu distant de l’espace réservé aux expositions temporaires, était plus délicat à réaliser. Un éclairage bleu azur doit normalement mettre discrètement en évidence la statue. Ce choix s’inspire des recherches scientifiques, qui ont permis de déceler des traces de couleur bleue, aujourd’hui invisibles à l’œil nu, au bas du manteau de la Victoire. Difficile à discerner durant la journée avec la luminosité ambiante du Musée, la couleur bleue doit se révéler à mesure que le jour décline et rester présente la nuit… Malheureusement, nous n’avons pas eu le plaisir d’en apprécier l’effet et la pertinence ; le projecteur était hors de service lors de notre visite !

Moulage de la Victoire de Samothrace, Musée des Moulages – Université Paul Valéry Montpellier 3
Moulage de la Victoire de Samothrace, Musée des Moulages – Université Paul Valéry Montpellier 3

Le dispositif est, disons-le clairement, plutôt sec, énigmatique, laconique et discret…
En apprécier tout le sens et la richesse suppose un accompagnement, même si l’on connaît un peu le travail de l’artiste.
Une visite commentée par deux élèves du master « Conservation, gestion, diffusion des œuvres d’art des XXème et XXIème siècles » nous a éclairé sur bien des aspects de ce projet qui peut rester assez opaque pour un visiteur non documenté.

Arnaud Vasseux - Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier (Visite commentée par les étudiantes de Université Paul Valéry Montpellier 3)
Arnaud Vasseux – Les pierres oubliées de Samothrace au Musée des Moulages, Montpellier (Visite commentée par les étudiantes de Université Paul Valéry Montpellier 3)

On conseille donc la participation à une des visites accompagnées et la lecture préalable du texte d’Arnaud Vasseux intitulé « Le bloc manquant », disponible à l’accueil du musée.
Jusqu’à ces derniers jours, il pouvait être utilement complété par la consultation du livret d’une vingtaine de pages réalisé par huit étudiantes des Masters « Collections et Musée d’art et d’histoire » et « Conservation, gestion, diffusion des œuvres d’art des XXème et XXIème siècles ». Elles ont suivi le travail et la mise en œuvre du projet d’exposition avec l’artiste. Ce document est malheureusement aujourd’hui épuisé.
On en extrait ces quelques lignes assez éclairantes dont on retrouve bien entendu l’esprit dans la présentation de la visite commentée  :

« Arnaud Vasseux nous donne à voir un moulage d’un objet qui n’est pas une œuvre d’art. Ce n’est qu’un des éléments d’une des œuvres les plus iconiques de l’antiquité grecque, qui plus est un élément camouflé, qui doit rester caché et invisible aux yeux du public. Et mieux encore, ce bloc C2 ne présente, a priori, aucun intérêt artistique et esthétique. Pourtant, c’est le lieu du secret de l’équilibre du monument de Samothrace tout entier, le point limite de la matière qui rend
possible la représentation gracieuse et légère de la victoire. Chez elle, le C2 est indispensable et sert à la représentation. Or, chez Vasseux, il est dénué de cette fonction, il nous est exposé pour lui-même.
(…) L’intérêt d’Arnaud Vasseux s’est porté sur le bloc C2 parce qu’il est “l’élément critique” de la Victoire de Samothrace. Celui qui met en crise notre conception du monument.
(…) Ici l’attention se focalise sur le détail. Loin d’être insignifiant, il est celui qui raconte, qui mémorise. La “part manquante” en retrait du monument est le détail qui fait histoire. Avec le Bloc C2, ce n’est plus le monument qui fait l’œuvre, mais la “part manquante”. La sculpture a longtemps était liée à la verticalité. Une verticalité majestueuse, imposante comme le figure la Victoire de Samothrace. Image du pouvoir la “Niké” conte la gloire et la puissance. Arnaud Vasseux se méfie d’une sculpture monumentale et triomphante. L’artiste se positionne contre cette forme d’idéologie dans le champ de la sculpture. Il développe son œuvre dans un rapport de compréhension et de communication du lieu et non pas dans des logiques de domination (monumentalité, centralité, symétrie) ». (extrait du document réalisé par des élèves de l’université Paul Valéry)

En lien avec l’exposition, un colloque autour du thème de la « Copie » est organisé les 8 et 9 décembre 2016.

À lire, ci-dessous, la présentation de l’exposition par le Musée des Moulages.

En savoir plus :
Sur le site du Musée des Moulages
Sur la page Facebook du Musée des Moulages
Arnaud Vasseux sur le site documentsdartistes.org
À propos du colloque autour du thème de la « Copie » sur le site du Musée des Moulages
À propos de l’impression 3D par stéréolithographie sur le site 3D natives
À écouter cet épisode de l’émission « Les regardeurs » sur France Culture, consacrée à la Victoire de Samothrace avec l’artiste Rainier Lericolais et l’historien d’art Ludovic Laugier :

« La Victoire de Samothrace, une icône dévoilée », un film de Juliette Garcias

Arnaud Vasseux – Les pierres oubliées de Samothrace
(Présentation de l’exposition par le Musée des Moulages)

En 2013 et 2014, le musée du Louvre a entrepris la restauration de la Victoire de Samothrace, la célèbre sculpture placée en haut de l’escalier Daru du Louvre. Cette restauration est la quatrième réalisée par le musée (la précédente eut lieu en 1934) ; elle a consisté à améliorer l’aspect du monument par le nettoyage de chaque élément ainsi que par la suppression du bloc de marbre gris qui, depuis 1934, servait de socle à la statue. Cette dernière restauration a également permis aux équipes de conservateurs/trices et de restaurateurs/trices, de compléter cet ensemble d’époque hellénistique par des fragments stockés dans les réserves depuis les premières missions archéologiques.

Mais, surtout, cela a été l’occasion d’étudier précisément et de vérifier le rôle et l’emplacement d’un bloc laissé à Samothrace en 1879 par Charles Champoiseau, le 17e bloc qui vient combler le vide à l’arrière de l’assise supérieure du navire, et qui soutenait la statue. C’est l’histoire de ce bloc, brisé en deux, et resté depuis sur l’île de Samothrace, située au nord de la mer Égée, qui a retenu l’attention d’Arnaud Vasseux.

Le bloc brisé, aujourd’hui conservé sur son site d’origine, dans le sanctuaire des Grands Dieux, incarne, une dimension d’hypothèse, une puissance de question, une réalité matérielle et artistique qui concernent autant le monument lui-même que ceux qui s’intéressent à la sculpture. L’exposition conçue pour le musée des moulages présentera les copies des deux fragments, ainsi qu’un ensemble de documents qui retrace l’observation et l’étude du bloc. D’une certaine manière, il s’agira en s’interrogeant sur notre rapport à l’histoire et à la sculpture de tenter de venir combler l’emplacement vide, le creux invisible aux visiteurs du Louvre, du fameux monument.

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