Caroline Muheim, « Montagne-Eau » – Aperto, Montpellier

Jusqu’au 25 janvier 2017, Aperto présente « Montagne-Eau », une proposition de Caroline Muheim qui rassemble une belle sélection de photographies et d’aquarelles.

Depuis plus de vingt ans, Caroline Muheim suit l’enseignement d’un maître chinois et voyage régulièrement en Chine, notamment dans le Sichuan et le Yunnan. Cet intérêt pour cette culture se traduit naturellement dans le travail fin et délicat qu’elle présente ici.

Accompagnée par catalogue publié par les éditions de la Villa St-Clair et la galerie Aperto, l’exposition s’articule en trois moments qui s’enchaînent avec souplesse grâce à une scénographie simple, légère et un accrochage très réussi.

À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite accompagné de commentaires de l’artiste extrait du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site de la galerie Aperto
Sur le site de Caroline Muheim

Caroline Muheim, « Montagne-Eau » : un compte rendu de visite

« Ce que je vois », 2017

Caroline Muheim, Ce que je vois, 2017. Aperto - 2017
Caroline Muheim, Ce que je vois, 2017. Aperto – 2017

Cette installation photographique occupe tout le mur à droite, en pénétrant dans la galerie. L’accrochage sobre et subtil construit d’habiles correspondances entre des photographies de réalisées dans l’atelier et un ensemble d’objets, parfois présents dans ces images (tréteaux d’ateliers, draps) où qui auraient pu y être (abeille, couleuvre)… Dans cette « mise en abîme », un dé intrigue par sa présence discrète…

Caroline Muheim, Ce que je vois, 2017 (détail). Aperto - 2017
Caroline Muheim, Ce que je vois, 2017 (détail). Aperto – 2017

L’artiste revendique le rapport de ses images avec la nature morte hollandaise du XVII ° siècle :

« Les photos sont des espaces immobiles où la vie se fige à la manière des “Tables dressées”, les “Still-life” de la peinture hollandaise. Les fonds des photos sont traités en peinture à l’huile comme dans les tableaux du XVII °. Les objets sont toujours des indices d’une présence, souvent à peine visible, effacée et silencieuse. Draps blancs soigneusement repassés, ou au contraire froissés, sont autant de plis dans un paysage imaginaire ou dans un jardin méticuleusement ordonné, à la façon de jardins Chan ou Zen. Les animaux construisent des indices du vivant et de la mort, ils peuvent se glisser dans les “tableaux” et sur les tables, donnant un léger flou lorsque l’un d’eux se met en mouvement pour échapper à la prise de vue…»

Sur la droite, un des « Wish Bones », montrés il y a longtemps au CRAC à Sète, conduit le regard et fait le lien vers la seconde partie de l’exposition… En haut à gauche, en gris sur le fond blanc « EST » renvoie aussi à la suite du parcours…

« Est-Ouest », 2016

Caroline Muheim, Est-Ouest, 2016. Aperto - 2017
Caroline Muheim, Est-Ouest, 2016. Aperto – 2017

Sept grandes aquarelles sur papier coton se développent sur une cimaise peinte en gris. En haut à gauche le mot « OUEST » se détache… On retrouve ce mot, inversé sur la première aquarelle qui ouvre la série. Accrochée au coin du mur précédent, elle paraît faire le lien vers ce qui précède.
De longues tiges de graminées et quelques cailloux construisent des paysages fluides et mouvants qui accompagnent lentement le regard d’un dessin à l’autre…
Au milieu de la série, on découvre les mots « AUTRE » et « SENS », parfois vus dans un miroir…

Caroline Muheim, Est Ouest, Hautes herbes © J.F
Caroline Muheim, Est Ouest, Hautes herbes © J.F

Toujours inversé, « EST » apparaît dans l’avant-dernière aquarelle.

La série s’appelle « Montagne-Eau », c’est aussi le titre de l’exposition…
Dans le texte du catalogue, «  Patrick Perry et Caroline Muheim, une conversation », on comprend l’importance des questions du paysage et du langage dans ce travail :

( … ) Patrick PerryCe qui nous amène à parler des questions du paysage et du langage, qui, évidemment, sont détermi­nantes dans ton travail. J’aimerais commencer par t’interroger sur le fait que, contrairement à la rigueur des Pharmacopées, les motifs de ces grandes aquarelles ne sont pas alignés mais occupent la surface de manière apparemment désordonnée. On observe également que certains éléments, des plantes en particulier, sont coupés par le bord de la feuille, ce qui donne l’impression que leur étalement peut se prolonger ad libitum hors des limites du papier. Ce qui renvoie donc à l’idée d’un paysage.

Caroline Muheim – Pour réaliser ces grandes aquarelles, le plus souvent dans l’atelier, je pose aussi les éléments directement sur la feuille, suivant le même rituel. Mais le souffle et la liberté que je cherchais dans les premières planches impliquaient davantage de vide dans l’espace de la feuille. Le vide entre les motifs devenait progressivement un élément très important. Il m’a donc fallu trouver un équilibre entre l’idée de la composition, selon le sens occidental, et la présence de ces blancs, qui pourrait se rattacher à une conscience issue du taoïsme. Les dessins du moine Chu Ta sont exemplaires de ce point de vue. C’est par l’intégration de cailloux, de poissons, de plantes, dans Les hautes herbes et Montagne-eau, que s’est dessinée progressivement l’idée d’un paysage. Pour l’instant, seules les plantes débordent hors champ, et ce sont elles qui croissent et se multiplient pour occuper la page et parfois la saturer. Elles sont basculées à l’horizontal, elles traversent les espaces et les paysages.

Patrick PerryDe quel type de paysage parle-t-on ? On sait les différences de point de vue fondamentales entre les approches occidentales et Extrêmes-Orientales, que François Jullien a parfaitement su décrire. Dans notre tradition européenne, la peinture est avant tout une affaire de point de vue, le paysage est le fragment d’un tout, une découpe. Le spectateur se situe face à ce qu’il regarde. En Orient, le spectateur ne regarde pas le paysage, il le vit, de l’intérieur.

Caroline Muheim – En effet, dans la peinture chinoise, le paysage est construit comme un monde en soi, il est étiré entre des pôles en mouvement qui s’opposent, il est en corrélation, entre le haut et le bas, le fluide et l’immobile, l’opaque et le transparent ou bien encore entre le vu et l’entendu comme l’écrit Jullien… Au contraire, nous demeurons face à la grande Touffe d’herbe. Et naturellement, je ne peux faire autrement que d’être ancrée dans une culture et une tradition occidentales, dans ces aquarelles comme dans le reste de mon travail. C’est peut-être mon attention au vide et au mouvement qui leur donne une dynamique autre et qui les rend sans doute ambiguës, ce que je peux revendiquer aisément.

Patrick Perry – Montagne-Eau est le titre d’une série de ces aquarelles, qui donne aussi celui de l’exposition. L’association de ces deux mots simples pourrait procéder de cette même ambiguïté. Tu m’as appris que, dans la langue chinoise, rares sont les mots qui sont utilisés seuls :
Montagne et eau signifient ainsi, ensemble, le terme de paysage…

Caroline Muheim – Le mot Shan Shui, littéralement Montagne(s)-Eau(x) est en effet utilisé pour dire paysage à la condition qu’il y ait bien des montagnes et de l’eau. Face à un paysage méditerranéen, sec, ou un bord de mer, on dira FengJing,vent-scène (ou vent-point-de-vue). Le mot chinois s’accouple lui aussi entre des pôles ou des réalités en tensions. Ainsi, le mot chose est DongXi, c’est-à-dire littéralement Est-Ouest, deux mots que je reprends sur les murs même de la galerie ou au milieu des aquarelles…

Extrait de Montagne-Eau
Patrick Perry et Caroline Muheim, une conversation –
Co Edition Villa Saint Clair / Galerie Aperto – 2017.

« Ling Zhi », 2015 et « Pharmacopée », 2010-2016

Le parcours se poursuit avec « Ling Zhi », 2015. L’ordre semble peu à peu s’organiser dans cette série qui présente un ensemble de ces champignons de sagesse et de guérison présents dans la pharmacopée chinoise depuis 2000 ans…

Sur la mezzanine, les alignements rigoureux composent les 40 aquarelles sur papier bambou de la série « Pharmacopée », 2010-2016…

Une photographie, « Table dressée, Papillon » (2014), vient faire contrepoint à cette « encyclopédie » de plantes et de substances à usage thérapeutique… Elle termine le parcours, ferme une boucle et invite à descendre l’escalier après avoir feuilleté le catalogue…

Caroline Muheim,  Table dressée, Papillon, 2014. © J.F
Caroline Muheim,  Table dressée, Papillon, 2014. © J.F

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