Du 17 mars au 24 septembre 2017, le musée Cantini accueille « Une maison de verre – Le Cirva », une exposition qui célèbre les 30 ans d’existence du Cirva, Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques à Marseille.
Isabelle Reiher, directrice du Cirva et commissaire de cette exposition a choisi de présenter une sélection resserrée de 60 pièces parmi les 700 que compte la collection du Cirva. Ces créations ont été conçues et réalisées par seize artistes qui ont marqué l’histoire de ce centre de recherche atypique et singulier : Dove Allouche, Andrea Branzi, Pascal Broccolichi, James Lee Byars, Giuseppe Caccavale, Delphine Coindet, Erik Dietman, Hreinn Fridfinnsson, Piotr Kowalski, Jean-Luc Moulène, Giuseppe Penone, Gaetano Pesce, Hermann Pitz, Ettore Sottsass, Jana Sterbak, Arnaud Vasseux, Robert Wilson.
La mise en espace est particulièrement réussie. Elle utilise au mieux les volumes parfois difficiles et les contraintes de circulation compliquées du musée Cantini.
Pour accompagner les pièces du Cirva, Isabelle Reiher a choisi avec beaucoup de pertinence une trentaine d’œuvres dans les collections du musée Cantini, du [mac] musée d’art contemporain de Marseille et du FRAC PACA.
L’accrochage subtil, délicat et cohérent construit des conversations riches et fécondes. À aucun moment, le trait n’est forcé. Les rapprochements ne sont jamais emberlificotés ou hermétiques et ils laissent toujours un espace au regardeur pour « faire couture ».
Il se dégage de l’ensemble une justesse du ton, une poésie, des moments jubilatoires qui cèdent parfois la place aux interrogations et réflexions.
Sans être chronologique, ni vraiment thématique, le parcours s’articule avec fluidité. Des perspectives opportunes sollicitent avec tact le regard du visiteur, le conduisant naturellement de salle en salle. Chaque proposition artistique semble avoir trouvé spontanément son espace. La déambulation enchaîne des moments forts où les œuvres sont magnifiées, des associations audacieuses ou des rencontres inopinées. Des dialogues captivants ponctuent la visite et relancent sans arrêt l’attention et la curiosité.
Rédigés avec beaucoup de soin, des textes de salle enrichissent les cartels. Simples et efficaces, ils proposent des repères utiles pour apprécier l’intention des artistes et comprendre les techniques de création des œuvres.
Dès que possible, l’éclairage naturel met en valeur les relations entre le verre et la lumière (Giuseppe Caccavale, Jean-Luc Moulène et Gaetano Pesce). Ici ou là, l’obscurité ou la pénombre sont avantageusement choisies pour valoriser certaines pièces (Piotr Kowalski, Pascal Broccolichi et Giuseppe Caccavale). Ailleurs, la mise en lumière est impeccable. On oublie les quelques ombres portées sur les « Creux » d’Arnaud Vasseux et sur les deux pièces qui leur font face (Hermann Pitz et Joseph Cornell) qui étaient probablement impossibles à éliminer. On a également apprécié l’utilisation de verre antireflet pour protéger la majorité des dessins exposés.
À de très rares exceptions, les œuvres créées au Cirva ne sont pas protégées par des dispositifs qui puissent faire obstacle au jeu de la lumière et du verre. Un ensemble de socles particulièrement élégants ont été conçus pour présenter les pièces de volume réduit. La scénographie minimaliste et respectueuse des œuvres est signée par l’Agence Privée.
Le catalogue, publié par les éditions Parenthèses, apporte de nombreuses informations qui enrichissent la visite de l’exposition. Des articles d’Isabelle Reiher, Vanessa Desclaux et Laurence Maynier précèdent les notices des pièces du Cirva présentes dans l’exposition. L’ensemble est complété par des textes de Nicolas Tardy, Esther Salmona, Caroline Sagot Duvauroux, Frédéric Valabrègue et Ramuntcho Matta sur certaines œuvres de « Une maison de verre – Le Cirva » ainsi qu’un corpus de créations emblématiques dans l’histoire du Cirva et quelques repères bibliographiques.
Plusieurs chroniques ont été consacrées, ici, aux expositions qui présentaient des pièces produites au Cirva. On se souvient tout particulièrement de « L’Île de Montmajour » où Christian Lacroix avait construit sa carte blanche à l’Abbaye de Montmajour autour d’une sélection d’œuvres issues des collections du Cirva ou encore de « À bruit secret – Trésors de la collection du CIRVA » au Pavillon de Vendôme à Aix-en-Provence où les œuvres en verre créaient des perturbations raffinées, parfois espiègles dans les décors de la folie aixoise.
On attendait avec beaucoup d’intérêt et de curiosité cette nouvelle confrontation des créations réalisées dans cette « maison de verre » avec les œuvres sélectionnées dans les collections du musée Cantini, du [mac] musée d’art contemporain et du FRAC PACA…
Avec intelligence, « Une maison de verre – Le Cirva » réussit à nous envoûter et à nous surprendre. L’exposition imaginée par Isabelle Reiher laisse toute sa place au spectateur pour construire avec plaisir et gourmandise sa propre expérience de visite, faire circuler son regard, vagabonder, s’attarder ici ou là… revenir vers les pièces trop vite vues ou sur celles qui l’ont intrigué, ému, fait sourire ou rire.
Cette « maison de verre » est un lieu magique qui propose une très belle expérience à l’œil et au spectateur…
Commissariat : Isabelle Reiher, directrice du Cirva.
Un compte rendu de visite complétera prochainement cette chronique.
À lire ci-dessous une présentation du Cirva composés d’extraits du texte d’Isabelle Reiher, directrice du Cirva
En savoir plus :
Sur le site du Cirva
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A écouter cet entretien avec Isabelle Reiher par Alain Paire pour Web Radio Zibeline :
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« Une maison de verre – le Cirva » – extraits du texte d’Isabelle Reiher
(…) Le recours facile aux terminologies usuelles que sont la transparence, l’opacité, la réflexion, la fragilité ne peut suffire à aborder un matériau qui véhicule beaucoup plus de complexité et d’explorations possibles dans le champ artistique comme dans d’autres. Au XXIe siècle, les artistes sont tentés de créer des ponts entre plusieurs disciplines, motivés par le flux des connaissances et la rapidité de nos modes de communications et d’échanges. Le verre n’échappe pas à cette tentation : les rapprochements entre verre, art et science, entre verre, art, design et architecture, entre verre, art et sciences humaines deviennent de plus en plus courants.
Au Cirva, ces terrains de réflexion pour les artistes sont rendus possibles et sont encouragés comme philosophie de travail et comme empreinte de la mission principale du centre d’art. D’abord et tout simplement, c’est l’enjeu du temps qui est privilégié, le temps accordé aux artistes et celui qu’ils ont le loisir de prendre. Nul besoin de venir avec un projet précis, mais plutôt celui de perdre (ou gagner) du temps à réfléchir, observer, découvrir. C’est aussi un espace de rencontres : la rencontre avec le verrier qui accompagne l’artiste de son savoir-faire et de ses intuitions, la rencontre avec les projets antérieurs qui habitent les lieux et les esprits, celle avec Marseille qui nécessairement injecte au Cirva sa personnalité directe et intense. (…)
(…) Le Cirva est un centre d’art atypique, discret, méconnu. Ses activités se concentrent sur le noyau central que constitue l’atelier de travail du verre, mais son rayonnement diffuse largement aux niveaux européen et international. Son originalité tient à différents aspects : sa géographie, ses missions qui relient l’artiste à l’artisan, sa collection, le rythme et la dynamique de son fonctionnement. (…)
(…) Sa spécificité tient aussi du fait qu’il est, depuis son installation à Marseille, un centre d’art à part entière, dévolu aux projets des artistes qui y travaillent et ce, sans vocation commerciale. D’autres ateliers existent en France pour le travail du verre, mais celui-ci se démarque par les mots « recherche » et « arts plastiques ». Les artistes sont invités à venir y poser leurs valises pour des temps de travail de longue durée, des moments de réflexion et d’exploration sur un matériau nouveau qu’ils ne côtoient pas habituellement. Ils s’engagent sur un terrain inconnu, parfois à risques, annonçant toujours des découvertes. Ils s’investissent aussi dans une aventure humaine susceptible de déplacer des intentions initiales ou de chambouler des convictions. Dans la rencontre avec les artisans verriers qui prêtent leurs mains et leurs savoir-faire aux idées des artistes, des oeuvres d’art voient le jour après une longue maturation.
Le Cirva se démarque enfin des autres centres d’art français par sa collection, aujourd’hui riche de presque 700 oeuvres. Paradoxalement, la constitution d’une collection n’était pas dans le cahier des charges initial du projet en 1983, mais elle s’est dessinée petit à petit, avec évidence et nécessité. Le Cirva a d’abord été pensé comme un outil de production permettant aux artistes de réaliser des projets, ainsi qu’un centre de ressources sur les techniques du verre. Mais son identité de laboratoire pour l’art contemporain s’est rapidement forgée autour du projet de sa première directrice Françoise Guichon. Encore aujourd’hui, il s’agit de penser un projet artistique autour d’une famille de créateurs qui habitent la scène de l’art et du design contemporains de façon singulière et marquante. Il s’agit aussi d’enrichir un corpus de recherche et une 6 collection qui se sera imposée progressivement, motivée par le désir et l’intérêt de conserver une trace du travail des artistes accompli dans l’atelier ; les oeuvres étant la meilleure vitrine pour parler d’un centre d’art, au-delà des discours. Tout naturellement, le principe de l’échange de pièces entre l’artiste et le Cirva est apparu, marquant le point de départ de la collection en bonne intelligence avec les créateurs. (…)
(…) En 1986, le Cirva ouvre ses portes rue de la Joliette à Marseille. Une installation sommaire permet de démarrer le travail. Parmi les premiers artistes qui eurent la chance d’expérimenter l’atelier, certains d’entre eux mèneront un programme de recherche dans la durée, préfigurant ainsi un nouveau mode de fonctionnement pour le Cirva : Giuseppe Penone, Thomas Kovachevich ou Erik Dietman. Parallèlement à ces projets, beaucoup d’autres artistes fréquentent l’atelier pour des projets plus courts et précis : Howard Ben Tré, François Morellet, Osman, Bert Van Loo, ou des designers comme Didier Tisseyre ou François Bauchet. Pour la plupart d’entre eux, le verre est une expérience nouvelle. (…)
(…) Aujourd’hui, en 2017, après trente années d’existence, ce centre d’art d’exception répond de façon peut-être encore plus pressante aux besoins des artistes qui dans le domaine de l’art contemporain, croisent et expérimentent toujours plus les matériaux dans leur pratique. La forme installative ne connaît pas de limites, elle associe des matières, des idées et des techniques souvent aux antipodes, et le verre n’échappe pas aux mixités les plus expérimentales. De la même manière, les artistes n’hésitent pas à susciter des collaborations entre les disciplines : la science, la médecine, la technologie, le sport… Il est passionnant de constater que le verre arrive toujours à point nommé dans l’un ou l’autre de ces projets innovants. La toute dernière production de l’atelier du Cirva, montrée pour la première fois dans l’exposition « Une maison de verre » au musée Cantini est un bel exemple de ces croisements. L’artiste Dove Allouche, qui pratique généralement le dessin, a exploré les problématiques de conservation du papier destiné aux supports des images patrimoniales (dessins, photographies, imprimeries) en travaillant avec le Centre de recherche sur la conservation des collections (Pôle bio-détérioration et environnement). Après avoir recensé de façon exhaustive les principales familles de spores présentes dans les lieux de conservation des collections patrimoniales, 45 familles de moisissures ont été mises en culture dans des boîtes de pétri. L’artiste a ensuite photographié les champignons à un stade précis de leur développement et imprimé les images sur un papier de format 45 x 45 cm. Au Cirva, de très grandes cives de verre ont été soufflées puis découpées à froid au même format. Il s’agissait de mettre en relation deux gestes fondamentaux et deux phénomènes : en premier lieu, le geste du verrier soufflant à la canne qui est mis en regard de celui du microbiologiste ensemençant à la pipette. En deuxième lieu, le rapprochement entre la formation naturelle circulaire d’un champignon et la réalisation par le verrier d’une cive de verre, large sphère obtenue grâce à l’effet rotatif et centrifuge du geste du souffleur. Pour chacune des 45 images de spore a été réalisée une cive unique, colorée en écho à la valeur dominante du champignon. Les cives une fois découpées au format carré sont apposées aux images des champignons correspondants et viennent en perturber la lecture, la densifier, la transposer dans un nouveau registre, en retrait de la bactériologie, en écho à la photographie, en décalé du verre.