Djamel Tatah à la Collection Lambert

Jusqu’au 20 mai 2018, Djamel Tatah présente à une importante sélection d’œuvres récentes en « échos avec des dessins et peintures classiques et les monochromes de la Collection Lambert ».
L’exposition se développe dans l’ensemble des salles de l’Hôtel de Montfaucon à Avignon.

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 6
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 6

À lire Éric Mézil, dans le texte qu’il signe pour le catalogue, « l’exposition s’est dessinée dans ses grandes lignes en deux heures, le temps d’un déjeuner à quatre… » après une visite de l’atelier de Djamel Tatah à proximité d’Avignon, en compagnie de Philippe Dagen et sous le regard de la femme du peintre.

Après l’exposition de l’important triptyque aux « hittistes » dans la salle aux arcades pour « Mirages d’Orient, grenades & figues de barbarie », Éric Mézil explique qu’il ne souhaitait pas « enfermer l’artiste dans une histoire liée uniquement aux confrontations entre l’Orient et l’Occident ».
Il ajoute : « Sans occulter cette dimension politique au cœur de son œuvre, n’y avait-il pas au musée l’opportunité, avec les œuvres de la Collection Lambert, d’amener le peintre là où je l’avais toujours associé, vers les grands classiques de la seconde moitié du XXe siècle, des arabesques de Matisse aux grands hommages qui lui furent rendus à ce dernier par les maîtres de l’art minimal » avec Robert Mangold, Brice Marden, Cy Twombly ou Robert Barry.

Aux trésors de la donation Lambert, s’ajoutent quelques pièces prêtées par l’ancien galeriste et un superbe ensemble de 19 lithographies de Barnett Newman, les « Cantos » (1963-64), conservées au Centre Pompidou.

Barnett Newman, Cantos, 1963-1964 - Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 7
Barnett Newman, Cantos, 1963-1964 – Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 7

Si les échos de ces œuvres abstraites et minimalistes promettaient d’éclairer ce qui relève du monochrome dans la construction des tableaux de Djamel Tatah, la manière dont il traite la figure et son rapport à la peinture d’Histoire pouvait être mis en perspective par des œuvres plus anciennes.
Emprunter une cinquantaine de feuilles remarquables (Poussin, Le Sueur, Géricault, Delacroix, Millet entre autres) dans le Cabinet des dessins de l’École des Beaux-Arts de Paris, où Djamel Tatah enseigne depuis 2008, s’imposa naturellement…

Dessins du Cabinet de dessins de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris - Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 9
Dessins du Cabinet de dessins de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris – Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 9

Toujours soucieux de valoriser le patrimoine d’Avignon, Eric Mézil entraîna le peintre dans collection Campana, déposée par Le Louvre, au musée du Petit-Palais. Ils y ont emprunté un petit Saint-Jacques d’un anonyme bolonais du XVe siècle, auquel Mézil ajoutera un portrait de gentilhomme par Corneille de Lyon, prêté par une amie collectionneuse.

L’idée de cette double confrontation étant arrêtée, restait à la mettre en scène…
Le talent d’Éric Mézil, sa connaissance intime de la Collection Lambert et son empathie pour les artistes font une nouvelle fois merveille. Il réussit à construire un équilibre délicat entre les grandes toiles de Djamel Tatah et les œuvres qu’il a choisies d’accrocher en contrepoints subtils et savants. Dans le catalogue, il souligne : « Ainsi, en échos proches ou lointains, en dialogues secrets, l’exposition a été conçue pour que toutes les œuvres se répondent telle une cantate de Bach… »

Le parcours n’est pas contraint. Assez naturellement, l’œil est attiré par l’enfilade des salles de l’Hôtel de Montfaucon qui ouvrent sur le jardin… Les premiers espaces semblent conçus comme préludes aux superbes échos avec abstractions et minimalismes qui s’enchaînent par la suite…

On pourrait tout aussi bien commencer par descendre l’escalier vers les salles magistralement éclairées du sous-sol où les fragiles œuvres sur papier trouvent toutes les conditions qu’imposent leur exposition et les impératifs de la conservation préventive.

On conseillerait volontiers cet itinéraire à ceux qui connaissent peu la manière avec laquelle Djamel Tatah construit ses tableaux. En effet, dans la dernière salle, trois écrans projettent en boucle un enchaînement d’images avec lesquelles l’artiste travaille… On comprend très clairement comment ses tableaux sont conçus à partir de dessins réalisés avec un ordinateur et vidéoprojetés sur la toile. On découvre que les compositions s’élaborent à partir d’un stock d’images constitué de photographies d’actualité, de reproductions d’œuvres d’art et de clichés pris par le peintre où il demande à des proches de prendre des positions précises.

On trouvera, ci-dessous, un compte-rendu photographique de notre visite avec un regard particulier sur les plus belles mise en scène de ces « échos avec des dessins et peintures classiques et les monochromes de la Collection Lambert »…

Le propos reste toujours subtilement nuancé et élégant… jamais il ne s’impose au visiteur lui laissant l’initiative de sa déambulation, le choix de s’attarder ici ou là, de rebondir, de s’interroger, de s’émouvoir… parfois de s’indigner.

L’exposition est avant tout un superbe écrin pour les tableaux récents de Djamel Tatah qui y sont accrochés.

L’objet des chroniques publiées ici n’est pas de proposer une quelconque analyse des œuvres qui sont exposées. Pour le travail de Djamel Tatah, on renvoie donc nos lecteurs à deux articles accessibles depuis le site de l’artiste.
Le premier, « Les corps des pensées » de Philippe Dagen, a été publié à l’occasion d’une exposition de l’artiste au MAMAC à Nice, en 2009. Il permet de comprendre ce qui « intervient dans la genèse des toiles de Tatah ».
Le second, « Les tableaux de Djamel Tatah : une histoire », a été rédigé par Éric de Chassey pour le catalogue de l’exposition au Musée d’Art Moderne et Contemporain d’Alger, puis à la Fondation Marguerite et Aimé Maeght, en 2013-2014. De ce dernier, on reproduit l’extrait suivant qui nous semble illustrer le rapport du visiteur aux toiles de Djamel Tatah :

« C’est (…) le tableau tout entier qui s’adresse au monde, et à n’importe quel spectateur se trouvant en face de lui. Le caractère générique des regards, comme celui des expressions du visage ou du corps, rend le tableau disponible pour les interprétations de ce spectateur ; il les encourage même par le dispositif d’échange qu’il crée, mais sans rien lui imposer d’autre qu’un support, de telle sorte que, si un contenu psychologique s’y lit, il provient avant tout du regardeur et non pas de ce qui est regardé. D’autres que moi apporteraient sans doute à la vision de ces tableaux une implication psychologique que je n’y vois pas, la possibilité de récits que je ne construis pas, mais il me semble que compte avant tout la construction d’une situation de peinture, qui s’impose globalement sans obliger à des considérations de ce type, qui laisse entièrement libre chaque spectateur d’y apporter son propre point de vue, de se situer en face du tableau en y réagissant avec ses propres réactions, ses propres désirs, ses propres préoccupations ».

On a pu remarquer une intensification des filtres posés sur les vitres des fenêtres de l’Hôtel de Montfaucon. Ce dispositif réduit sensiblement la violence des ombres portées sur les œuvres sans pour autant éliminer les reflets gênants et les effets de miroirs. Ces derniers restent perceptibles même dans la grande galerie du premier étage où les fenêtres sur le jardin ont été occultées par une cimaise.

Si la lumière est parfaitement maîtrisée dans la salle aux ouvertures zénithales et dans celles du sous-sol, il faut bien admettre que la gestion de l’éclairage pour les autres espaces est toujours problématique, malgré les « bricolages » qui y ont été entrepris…

Commissariat d’Éric Mézil.
Catalogue bilingue (français / anglais) aux éditions Actes Sud. Les textes sont signés par Éric Mézil, Danièle Cohn et Éric de Chassey. Extraits du Désert d’Albert Camus. Texte et notices des dessins du Cabinet de l’École des Beaux-Arts par Emmanuelle Brugerolles. Excellentes reproductions des œuvres et des vues de l’exposition.

À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite et le texte d’intention d’Éric Mézil, commissaire de l’exposition et ancien directeur de la Collection Lambert, récemment remercié.

Est-il nécessaire d’écrire que la visite de cette exposition est indispensable ?

En savoir plus :
Sur le site de la Collection Lambert
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Sur le site de Djamel Tatah

Djamel Tatah à la Collection Lambert : Regards sur l’exposition

Échos avec une huile sur bois anonyme du XVe siècle, un « Mur chez Lambert » de Brice Marden et une « Tête Lobi » du Burkina Faso ou de Côte d’Ivoire…

Djamel Tatah et Brice Marden - Djamel Tatah à le Collection Lambert -vue de l'exposition salle 1
Djamel Tatah à la Collection Lambert -vue de l’exposition salle 1

Face à Brice Marden et Richard Serra, devant la silhouette d’Yvon Lambert par Cy Twombly et une anonyme Ariane endormie

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 2
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 2

Le regard perdu d’un homme avec un enfant dans les bras, un autre songeur face à un morceau d’architecture et l’étonnante proximité d’un fragment sculpture de Palmyre sur fond blanc avec deux toiles de Robert Ryman aux titres énigmatiques…

Djamel Tatah et Robert Ryman - Collection Lambert - vue de l'exposition salle 3
Djamel Tatah et Robert Ryman – Collection Lambert – vue de l’exposition salle 3

 

Dans la galerie en pente douce, autour d’un tapis kabyle, un premier face à face avec Robert Barry où les figures se dissolvent…

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 4
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 4

Sous la lumière zénithale, une nouvelle confrontation avec Barry… Il ne reste que les mots de l’un face à aux corps qui semblent soumis de l’autre.

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 5
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 5

À l’étage, dans la grande de galerie, une rencontre avec les figures géométriques de Robert Mangold.

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 6
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 6

Côté cour entre deux dessins de Matisse, d’abord trois merveilleux carrés blancs de Ryman, puis une série d’estampes de Djamel Tatah (bois gravé et lithographie sur caséine et papier) qui débute avec un enfant aux deux pierres…

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 6
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 6

À l’extrémité de la galerie, on devine cette même allusion à l’Intifada sur un fond rouge sombre…

En face, côté jardin se déroule une longue séquence. Sur un fond jaune, bleu ou rouge, les silhouettes d’hommes jeunes, mains au fond des poches et tête baissée, construisent une sombre litanie…

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 6
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 6

Face aux Cantos de Barnett Newman…

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 7
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 7

Djamel Tatah et Albert Camus

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 8
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 8

Djamel Tatah, le Cabinet des dessins de l’École des Beaux-Arts de Paris et quelques fragments de son atelier de dessin…

Djamel Tatah à la Collection Lambert - Vue de l'exposition, salle 9
Djamel Tatah à la Collection Lambert – Vue de l’exposition, salle 9

Djamel Tatah « Échos avec des dessins et peintures classiques et les monochromes de la Collection Lambert ». Texte d’intention d’Eric Mézil

Échos à des peintures et dessins classiques et aux monochromes de la Collection Lambert Corneille de Lyon, Eugène Delacroix, Henri Matisse, Brice Marden, Robert Ryman

« Mon expérience de la peinture tente d’être une expérience du partage. Une vision qui en rencontre une autre. C’est peut-être cela la grâce de l’art : réussir à faire quelque chose qui est accessible à quelqu’un d’autre. » Djamel Tatah

La Collection Lambert propose une exposition inédite construite sous la forme d’un dialogue sensible entre les œuvres de Djamel Tatah et celles des artistes du musée et de la Donation Yvon Lambert à l’État français en 2012.

Après des études à l’École des Beaux-Arts de Saint-Étienne, Djamel Tatah s’engage totalement dans l’expérience picturale. Dès la fin des années 1980, le peintre opte pour de grands formats et des polyptyques aux fonds monochromes sur lesquels apparaissent des figures humaines à taille réelle. Celles-ci viennent partager l’espace du musée avec le spectateur de manière poétique et singulière.

S’inscrivant à la fois dans la tradition de la peinture classique et dans celle des monochromes hérités de l’art minimal, l’ensemble des œuvres récentes de Djamel Tatah sont présentées pour la première fois à la Collection Lambert, dialoguant avec des œuvres anciennes et contemporaines. Le célèbre cabinet de dessins de l’École des Beaux-Arts de Paris où Djamel Tatah enseigne depuis neuf ans, a proposé le prêt d’une cinquantaine d’œuvres sur papier, de Poussin à Géricault, de Delacroix à Carpeaux.
Yvon Lambert a prêté des raretés, telle l’Ariane endormie présentée à côté d’un dormeur, ou des dessins d’Henri Matisse qui font parfaitement le lien avec l’art minimal.
Des œuvres sur papier et des peintures poétiques de Robert Mangold, Brice Marden, Robert Ryman, Robert Barry ou Richard Serra trouvent un écho unique avec un Primitif italien du XVe siècle emprunté au musée du Petit-Palais, ou avec une des rares peintures de Corneille de Lyon, portraitiste très recherché du XVIe siècle.

Toutes ces œuvres anciennes ou contemporaines reliées aux peintures de Djamel Tatah font aussi écho au monde d’aujourd’hui et aux tragédies de notre Histoire sur l’autre rive de la Méditerranée : des réfugiés de Syrie, des migrants de Libye, de la Somalie, du Yémen, des destructions des ruines du marché d’Alep ou celles des temples gréco-romains de Palmyre.

Éric Mézil Directeur de la Collection Lambert et commissaire des expositions

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