gethan&myles – Besoin de vélo à la Cartine

Jusqu’au 30 juin 2019, Carta associés accueille « Besoin de vélo », une proposition de gethan&myles dans un local de leur agence situé au 27 rue Saint Jacques dans le sixième arrondissement de Marseille.

Empruntant leur titre à l’écrivain Paul Fournel, les deux artistes présentent une sélection d’œuvres vélo-philes. Ils accompagnent cette exposition chacun d’un texte (reproduits ci-dessous) dont la lecture est indispensable. Ils y racontent avec un humour délicieux leurs relations singulières au vélo. Gethan évoque la place de cet engin dans sa relation à son corps… et Myles raconte l’importance du vélo dans ses liens avec la France et Marseille.

À l’occasion d’une rapide discussion, Myles confiait avec un sourire malicieux : « Ici ce ne sont pas les objets qui sont importants, mais les histoires qu’ils racontent… »

gethan&myles -Gethan devant Musiques Falling horizontally #1-6 - Besoin de vélo à la Cartine - Photo En revenant de l'expo !
gethan&myles -Gethan devant Musiques Falling horizontally #1-6 – Besoin de vélo à la Cartine – Photo En revenant de l’expo !

Ces deux artistes sont de fabuleux collecteurs et conteurs d’histoire. En effet, nombreux sont celles et ceux qui ont été très émus en lisant les récits des diptyques de la série « Lazare / The Space Between How Things Are And How We Want Them To Be Cyanotypes » créée pour l’exposition « OR » au Mucem, l’an dernier.

Pour « Besoin de vélo », chaque œuvre est naturellement accompagnée d’un cartel développé qui raconte les histoires auxquelles elles sont liées. Une citation extraite du livre de Paul Fournel complète cet ensemble.

Face à l’entrée, « I care » s élève en majesté, éclairé comme il se doit…
Certains se souviennent sans doute de ce vélo rutilant au cadre percé de multiple trous que gethan&myles avaient montrés à la Fiche la Belle de Mai à la rentrée 2017
Au sol, vingt maillots, portés dans les années 70 par des cyclistes amateurs dans diverses région française, sont placée en cercle sur le sol…

L’accrochage s’organise autour de ces deux pièces.

Sur la gauche, un large panneau rassemble les informations collectées par gethan&myles sur les maillots de « peloton / isolation ». Leur lecture est indispensable. Surprise, émotion, sourire et nostalgie sont au rendez-vous de ces articles de presse et de billets, avis et commentaires glanés sur internet.

En face, « Musiques Falling horizontally #1-6 » montrent six tracés à l’or sur papier qui racontent les trajectoires idéales dans la descente de cols mythique pour les deux artistes.

À gauche de la porte, « A Rose by any other name » regroupe 25 dessins réalisés par gethan&myles et des enfants de la Grande Section (5-6 ans) de l’école des Moulins à Marseille. Ils ont été exécutés en suivant le protocole du BDT (Bicycle Drawing Test) qui est utilisé pour évaluer les patients atteints d’Alzheimer et autres maladies neurodégénératives…

De l’autre côté, une œuvre plus énigmatique faite d’arceaux en aluminium, de ficelle, et de mirroirs : « Tentative de circonscription de vol / Pra Loup – Col de la Cayolle – Col des Champs – Col d’Allos – Pra Loup »

Un projet incontournable pour les amateurs de vélo et les autres !
Ci-dessous les textes qui accompagnent les œuvres et les présentations de Gethan et de Myles

Attention : Cette exposition ouverte dans le cadre du Printemps de l’Art Contemporain, reste accessible mais uniquement rendez-vous en présence des artistes (gethanandmyles@gmail.com)

gethan&myles – « Besoin de vélo » : Les œuvres

F Beck (Vitus 979) circa 1985

Euphorie. Allégresse. Légèreté. Vol. Le 16 juillet 2011, gethan&myles ont fait l’ascension du Mont Ventoux. Pendant la descente, grâce à une combinaison de vitesse (autour des 80km/h) et sa mauvaise posture renommée, le vélo de myles a commencé à décoller de la chaussée. D’abord la roue avant devient légère. Quand il la stabilise en appuyant sur le guidon la roue arrière commence à ‘flotter’ à son tour… Le vélo vole. Quand gethan arrive en bas elle a des crampes. Dans les joues. A force de sourire sur toute la descente.

gethan&myles - icare ; Mont Ventoux, 80kmh - Besoin de vélo à la Cartine - Photo En revenant de l'expo !
gethan&myles – icare ; Mont Ventoux, 80kmh – Besoin de vélo à la Cartine – Photo En revenant de l’expo !

Au bon vieux temps, avant l’arrivée des cadres en carbone, des coureurs cyclistes perçaient leur cadre en acier pour l’alléger. Des fois ils allaient trop loin et le cadre lâchait sur la route. Le ‘vélo-objet’ qu’on regarde, au lieu de le faire rouler, est une tristesse. Ce vélo a roulé pendant 30 années; avant de le transformer son cadre, un Vitus 979 ‘Made in Saint-Etienne’, était devenu dangereux.

« Le Ventoux, lui, est solitaire. Posé sur sa plaine. Il ne commande aucune vallée, il ne fait passer nulle part. Il ne sert à rien qu’à être grimpé.
Il est à lui un climat et un pays. Le Ventoux n’a pas d’en soi. Il est le plus grand révélateur de vous-même. Il vous restitue tout simplement votre fatigue et votre peur. Il sait tout de votre forme et de votre capacité au bonheur cycliste et au bonheur général. C’est vous même que vous escaladez. Si vous n’avez pas envie de savoir, restez au pied. »
Paul Fournel, Besoin de Vélo

20 impressions en risographie, aquarelle, crayon, pastilles adhésives

gethan&myles - peloton... -Besoin de vélo à la Cartine - Photo En revenant de l'expo !
gethan&myles – peloton… -Besoin de vélo à la Cartine – Photo En revenant de l’expo !

Nous avons commencé la collection de maillots qui est la base de peloton il y a vingt ans. Ces maillots sont tous fabriqués en France pendant les années soixante-dix – et ont été portes par des cyclistes amateurs dans des clubs de province un peu partout en France. Les noms écrits dessus nous fascinent. Ainsi on est partis à la recherche de ces petits clubs, de ces régions et surtout de ces sponsors qui les ont soutenus. De nos jours même le plus petit des clubs a une bonne douzaine de ‘partenaires’. Ici c’est plus simple, presque naïf. À la fois modestes, touchantes et singulières, leurs histoires parlent du sport amateur, du rouleur du dimanche, d’une Fronce ‘profonde’ en dehors des métropoles où la mondialisation et le néolibéralisme sont des préoccupations lointaines. Pour nous ces maillots racontent une époque, et une France, plus optimiste – mais révolue. Le passé certes – mais un passé qui vit encore dans l’esprit de beaucoup de français.

gethan&myles - peloton... -Besoin de vélo à la Cartine - Photo En revenant de l'expo !
gethan&myles – peloton… -Besoin de vélo à la Cartine – Photo En revenant de l’expo !

(#1 Col de la Croix de Chaubouret #2 Col de la Bavella #3 Mont Ventoux à Malaucène #4 Route de Crêtes #5 Col de l’Espigoulier #6 Col de la Bonette)
Papier, feuille d’or 23,5 carats, mixtion à eau

« Le plaisir de descendre une côte que vous avez mille fois descendue, c’est de freiner le moins possible, retarder les freinages, entrer le plus vite possible dans les virages, sortir en bonne ligne pour attaquer les suivants, tracer un dessin impeccable et lui donner le rythme d’une musique. » / « il existe une mémoire de cuisse qui ne se confond pas avec la mémoire ordinaire. »
Paul Fournet, Besoin de Vélo

gethan&myles&antonin&béni&diane&diego&eliseï&ilyes&isaac&ismael& juies&kaï&karmen&layana&liam&magnolia&milla&mohamed&prune&rayon &samuel&sasha&todor&tristan&vadim&wael&yuki
Papier, crayon, pastilles adhésives

gethan&myles - A Rose by any other name - Besoin de vélo à la Cartine - Photo En revenant de l'expo !
gethan&myles – A Rose by any other name – Besoin de vélo à la Cartine – Photo En revenant de l’expo !

Apprenez a votre enfant à faire du vélo et vous lui offrez le don du vol. Apprenez-lui à dessiner un vélo, cette dernière machine à taille humaine, et vous lui offrez la poésie de la science.
Le BDT (Bicycle Drawing Test) est utilisé par des neuropsychologues pour évaluer les patients atteints d’Alzheimer et autres maladies neurodégénératives. Merci à Françoise, Samira et les enfants de la Grande Section (5-6 ans) de l’école des Moulins, Marseille. Heureusement la neurodégénérescence semble loin.

« Dès que j’ai su pédaler j’ai eu l’idée d’un monde plus grand. »
Besoin… Paul Fournel

Arceaux en aluminium, ficelle, mirroirs

gethan&myles -Tentative de circonscription de vol... - Besoin de vélo à la Cartine - Photo En revenant de l'expo !
gethan&myles -Tentative de circonscription de vol… – Besoin de vélo à la Cartine – Photo En revenant de l’expo !

gethan&myles – « Besoin de vélo » : le regard de

« Quand t’es montée sur ce vélo c’était le début de la fin! » il m’a dit. Et il avait un peu raison. Petite j’étais forte, sauvage, brave. Je grimpais pieds nus dans les arbres, faisais des roues de charrette le long des murs, plongeais dans l’eau glacée de l’atlantique, rentrais en fin de journée toute égratignée et essoufflée. A l’école c’était toujours moi la dernière attrapée à la recrée et pour les relais tous les garçons me demandaient de courir dans leur équipe.
Et puis mon corps m’a trahie.

Au lieu d’être léger et souple il est devenu lourd et gravid de mystères dont je n’avais rien à foutre. Je n’avais pas la force de le hisser, plier et jeter comme avant. Et les seins c’est pénible. Ça bouge dans tous les sens, c’est pas pratique et puis les gens se sentent autorisés à les mater et t’es censée en être flattée. Et en plus il y a les règles et toutes les demi-vérités chuchotées qui vont avec… Avoir le corps d’un adolescent c’est dur, mais avoir le corps d’une adolescente c’est « Bienvenue à ta place mamzelle, n’oublie pas de mettre une jolie jupe! » Bref, un peu la merde quoi. Du coup, j’ai tourné le dos à mon corps et je me suis réfugiée dans ma tête.

Au début ça me manquait cruellement, j’étais tellement jalouse des mecs qui jouaient au foot ensemble, qui sautaient de la digue… Mais même si je suis arrivée à surmonter ma honte car, tant pis, j’allais jouer quand même, va chercher la copine qui aurait été prête à le faire avec moi. Y aller seule avec les garçons, avec mes nouveaux oreillers de chair attachées par ci et par là? Non, mais vous avez rencontré des ados par hasard?

Les années passaient. Je devenais molle. Je lisais beaucoup de livres. Je me suis trouvée un copain qui ne savait même pas faire du vélo et, à un moment, je me suis fiancée avec. Et puis, un jour, quand j’avais peut-être vingt-cinq ans, je suis allée acheter ce fameux vélo. Le vélo, ça te remet dans ta peau, ça te rend visible. Et quand je me suis vue comme ça, rapide et courageuse, comme une comète, trailing clouds of glory, alors oui, pour lui c’était le début de la fin. Mais pour moi c’était juste la reprise.

Depuis, le vélo m’a tout donné: la force, l’amour, la joie, la liberté, et même la célébrité car je faisais du vélo ici, à Marseille, enceinte. Je le conseille vivement! Si jamais t’as envie que les gens te regardent comme quelqu’un d’incroyable qui est en train de faire quelque chose d’impossible, fais-toi féconder, pose le cul sur la selle et fais le tour du Vieux Port.

Des années après on raconte toujours mon arrivée aux cours de préparation à la naissance – en danseuse et assez vite pour me garer avec un petit dérapage. Je portais mon ventre en obus, et devant ou de dos les gens voyaient juste une femme à vélo, puis de profil c’était si inattendu j’avais droit à des tronches tellement étonnées que des fois je m’éclatais de rire. « Oui oui, » je criais en les doublant, « après je ferai le funambule! » Dès le septième mois j’avais du mal à me pencher sur le guidon car j’avais le bide bloqué par la barre transversale, et à la fin je prenais les pavés car j’avais dépassé mon terme. Les regards stupéfiés continuaient jusqu’a quand, finalement, j’avais la petite dans le porte-bébé devant et son grand frère dans le siège derrière. Et maintenant, nos deux petits nous suivent à vélos, et commencent à faire les mêmes acrobaties.

Et quand j’ai l’impression que plus personne ne me regarde quand je pédale, je pédale fort. très fort – et je redeviens la comète. Ça fait du bien d’être quelqu’un d’incroyable qui est en train de faire quelque chose d’impossible. Même si ce n’est que pour un instant. Même si tout ce qu’on a fait pour le devenir c’est monter sur un vélo.

Le Tour de France m’a fait aimer la France.
C’est un peu triste à dire, mais ça n’en est pas moins vrai. Pendant les années 80, scotché à la télé pendant encore un été pluvieux, ce spectacle haletant – ciel bleu, champ doré, sommet lunaire, lycra flua, défaillance, triomphe, col, orage, descente, granite, calcaire, blé, tournesol, soleil, sueur, soleil, sang, soleil – m’a dévoilé les gloires de ce pays. Et je ne m’en suis jamais remis.

Bien-sûr le vélo était déjà important pour moi. Dès cette douce trahison où mon père a lâché ma selle (« oui oui, je te tiens toujours… »), le besoin de ce vol précaire était en moi. Mais à 15 ans, passer deux semaines à survoler des « Allez Hinault! » sur les bosses bretonnes suivi par mes deux meilleurs potes et la voix surexcitée d’un commentateur imaginaire? Sentir la liberté et la fatigue de trouver nos propres frontières; d’aller aussi loin qu’on pouvait sur nos deux roues? Et puis laver cette fatigue dans les « bonjours » / sourires indulgents / « allez-allezl » de tout un pays en vacances, bien, et heureux de nous montrer tout ce qu’il avait d’accueillant et de solidaire?… C’était le Rubicon franchi. Le premier amour. L’héroïne. Tout en même temps.
Tu parles de bonheur.

Mais le temps – comme le vélo! – ne veut pas rester immobile. Le Tour de France n’est sûrement plus ce qu’il était (mais on n’abandonne pas son amour – ou son shoot – car le temps l’a un peu usé, n’est ce pas?). Et le vélo non plus. C’est dommage. Qu’en sais je, moi qui ne suis pas d’ici? Mais il me semble que quand la France a perdu son amour pour le Tour, elle a perdu un peu son amour pour elle-même. Oui, c’est dommage.

De surcroit Marseille est loin d’être une ville qui aime les bicyclette (à notre arrivée en 2011 gethan demande à l’Office du Tourisme s’il y a un club de vélo local; la réponse: « Non Madame, ici on ne fait pas de vélo… car à Marseille on conduit vite et mal. » En fait KTM, ex-La Pomme, en est un d’assez célèbre – sauf à Marseille il parait).

Des fois, quand je fais mq énième montée à la Bonne Mère, yeux exorbités, poumons en feu, irrémédiablement pété – mais en danseuse car, Pantani quoi! – je croise le regard d’un pèlerin qui descend. Et surtout j’entrevois ce que j’espère voir dans son visage. C’est minable je sais, mais dans leur regard je cherche un petit (allez, pourquoi pas un grand) reflet de la beauté et la majesté de mon effort, de ma souffrance. Christ on a bike, quoi. Oui, oui minable, je sais. Mais malheureusement je n’ai plus 15 ans. Et la France – et le vélo – ne sont plus les mêmes. Alors ce que je vois la plupart du temps, c’est soit un regard un peu énervé (« Mais pourquoi y me regarde çuila? »), soit une petite colère grincheuse (« Blasphème! »), mais surtout ce que je croise c’est l’indifférence totale. A chaque fois ça me fait rigoler. Je suis ridicule, fatigué, vieux, con – le monde a changé, et moi avec – mais pendant cet instant j’avais 15 ans. Et ça roulait bien. Encore une fois le vélo m’offre une vérité – et un échappatoire de cette vérité. Et puis mon besoin de vélo sera toujours plus grand que mon besoin d’approbation (si grand qu’il soit). Alors, allez, zou, une dernière montée – et puis retour à terre…

« La différence entre le vélo et le vol est que le vélo est possible et le vol pas encore, » Paul Fournel, Besoin de Vélo.

Monet. Kelly. Planckaert. Roche. Delgado. Chiappucci. Abdoujaparov. Millas Alcala. Fignon. Hinault. LeMond. LeMond. LeMond…

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer