Jean-Charles Bureau – Ébauche du silence – HLM / Hors Les Murs, Marseille

Jusqu’au 30 juin 2019, Jean-Charles Bureau présente avec « Ébauche du silence » sa première exposition personnelle à HLM / Hors Les Murs, Marseille.
C’est sans aucun doute, un des accrochages les plus intéressants de la 11e édition du Printemps de l’Art Contemporain.
Sous le commissariat de Jean-Christophe Arcos, « Ébauche du silence » est une initiative de la Double V Gallery.

Jean-Charles Bureau - Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo Double V Gallery
Jean-Charles Bureau – Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo Double V Gallery

Le texte de Jean-Christophe Arcos – reproduit ci-dessous – est suffisamment complet et explicite pour qu’on évite de le paraphraser…

Quelques mots toutefois sur la mise en espace et l’accrochage d’« Ébauche du silence » .

Construit autour de la ruche / maquette de l’exposition et d’une étonnante machine à faire des ricochets, Jean-Charles Bureau utilise avec beaucoup d’à propos le caractère singulier de HLM / Hors Les Murs.

Il y construit des perspectives obliques qui sont en cohérence totale avec son propos. Troublant avec malice son visiteur, « Ébauche du silence » multiplie les fausses pistes et les trompe-l’œil. Sa « peinture figurative conceptuelle », ses maquettes et leurs études préparatoires, son activité d’apiculteur sont magistralement mises en scène et interpellent avec force celles et ceux qui s’aventurent dans cette exposition…

Une mention pour les titres de ses œuvres et en particulier pour « Le perceur de bulles, 2019 », et son « protocole pour une œuvre inexistante » qui pourrait évoquer sa rencontre avec la Double V Gallery autour d’une activité de régie… Quant au film bulle, il est omniprésent dans cette « Ébauche du silence » !

Jean-Charles Bureau - Le perceur de bulles, 2019 - Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !
Jean-Charles Bureau – Le perceur de bulles, 2019 – Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !

Jean-Charles Bureau dont on avait pu apprécier son « Paradis en construction » à la Collection Lambert à Avignon lors de Rêvez #2 en 2017 devrait être bientôt accueilli par la galerie Le Feuvre.

À ne pas manquer !
N’oubliez pas de déguster son miel !
À lire ci-dessous la présentation de « Ébauche du silence » par Jean-Christophe Arcos.

En savoir plus :
Sur le site de Jean-Charles Bureau
Sur le site de la Double V Gallery

Hors le temps, cette Ébauche du silence invite à la nonchalance qui semble sourdre du travail de l’artiste. A la Fondation Lambert en Avignon, en 2018, il étalait ainsi en une série de toiles son autoportrait en ouvrier du bâtiment. Désœuvré, rêvassant, pinceau à la main, il laissait dégouliner dans les alvéoles d’un parpaing un filet de peinture comme parfois on bave sur son oreiller. Le chantier ne s’achèvera pas, faute de manœuvre motivé.
Au Palais des Beaux-Arts de Paris, en 2017, un immense château de cartes, peint par dessus une toile blanche où se dessinait à peine l’illusion d’un châssis transparent, faisait face à une silhouette étalée de tout son long, mordant le cuir d’un moelleux canapé inondé d’une lumière d’après-midi.

Jean-Charles Bureau - La machine à ricochet, 2019 - Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !
Jean-Charles Bureau – La machine à ricochet, 2019 – Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !

Sieste, lancer de cailloux, pêche à la ligne, jeux enfantins, contemplations béates ou boudeuses : Jean-Charles Bureau décline dans son travail une panoplie nombreuse de passe-temps.
Fausses pistes, ou trompe l’oeil, ces vanités paresseuses se laisseraient facilement envisager comme autant de dénonciations de la valeur travail – ce serait mal connaître l’artiste, sans cesse affairé à élaborer de nouvelles stratégies, par la peinture, la sculpture, l’installation ou le dessin.
Il ne faut voir aucun hasard dans l’apparition dès 2016 de ruches parmi les œuvres de Jean-Charles Bureau : à l’image des ouvrières, l’artiste est travailleur, il essaime et s’active à produire. La maquette de l’exposition, dans laquelle on le retrouve au milieu des châssis, est en ce sens une mise en abyme de l’artiste, son autoportrait en abeille.

Jean-Charles Bureau - Ruche, 2019 - Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !
Jean-Charles Bureau – Ruche, 2019 – Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !

Le miel qu’il tire de ses ruches est tout autant métaphorique que littéral : fruits de son rucher installé sur les coteaux du Garlaban, les pots revendiquent ici la place de créations à part entière.
«La peinture qu’il vous faut», «le miel qu’il vous faut» : au détour d’un slogan singeant l’absence d’inventivité des publicitaires et leur style pour le moins direct et naïf, Jean- Charles Bureau relève la vacuité du marketing et y oppose l’authenticité du labeur.
La seule dimension vanitaire pourrait guider la lecture : les toiles nous inviteraient alors à lâcher prise, à bâyer aux corneilles, à dormir notre vie plutôt qu’à la construire. A propos de son chow-chow Jofi, Freud évoquait «la simplification de la vie libérée du conflit avec la civilisation» : Foxie, dans l’oeuvre de Jean-Charles Bureau, ne représente-t-elle pas cette vie apaisée, cette nouvelle civilisation qui naît, dans laquelle la relation entre nature et culture et celle tissée par les hommes avec les espèces compagnes se ferait en bonne intelligence, comme y invite Donna Haraway ?

Jean-Charles Bureau -Necessité du silence, 2019 - Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !
Jean-Charles Bureau -Necessité du silence, 2019 – Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !

Une vie idéale, une idéalité, trame indubitablement toutes ces peintures. Le dessein de Jean-Charles Bureau révélerait ainsi sa nature ontologique tout autant qu’esthétique. Quelque chose derrière l’image pourrait être aperçu – certaines toiles, brouillées à la vue par un papier bulle en résine rappelant les rayons de la ruche, indiquent qu’un message secret se niche et reste à décrypter. La contemplation des œuvres ne doit pas éluder l’effort continu pour en saisir le sens réel.

Jean-Charles Bureau - Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !
Jean-Charles Bureau – Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !

Voir le voir, donc – une méthode préside à l’encodage de ces images, il faut la circonscrire et la resituer. Revenons un peu sur l’histoire, récente, de la peinture : qu’elles aient été narrative, libre ou critique, les poussées figuratives de la peinture au 20e siècle n’ont pas pu résister à leur disqualification. Tout comme la photographie, médium contraint par le réel s’il en est, la peinture figurative a affirmé son rapport à la représentation en s’accrochant aux basques de la bande dessinée, du documentaire, des traditions populaires. En vain. Des générations d’artistes tentés par la peinture figurative ont dès lors intégré des approches plus conceptuelles autorisant une distance critique avec la question de la représentation. C’est à la dernière génération qu’appartient Jean-Charles Bureau, aux côtés d’Apolonia Sokol, de Jean Claracq, d’Anne-Laure Sacriste, d’Amélie Bertrand, de Gilles Elie, d’Henni Alftan ou de Laure Mary- Couégnias, parmi d’autres.

Se donnant pour instrument de combat une stratégie figurative de la peinture, cette relève impose peu à peu son exigence programmatique, celle d’une figuration conceptuelle, déliée de la pesanteur de la seule représentation du réel. Au cœur même des couleurs et des lignes, des visages et des phénomènes, se tapissent et se trament des symboliques, des manifestes, des situations, au sens proposé par Guy Debord.

Jean-Charles Bureau - Necessité du silence, 2019 - Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !
Jean-Charles Bureau – Necessité du silence, 2019 – Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !

Pour ce qui concerne Jean-Charles Bureau, si le leitmotiv de l’autoportrait en-tant-que-peintre atteste de la dimension réflexive du médium sur lui-même, il se double d’une ironie sur l’activité de peindre, implacablement annoncée comme pleine de vides, de silences, de latences, mais aussi, à revers de cette première imagerie du fainéant, comme une tâche fastidieuse, itérative, exténuante et toujours sur le métier.
Plus loin, en mettant en scène le désœuvrement, le détachement face au travail, que le peintre aurait pour mission de susciter dans les appels vibrants de ses toiles, Jean-Charles Bureau sème les indices d’un impossible dépassement de l’existence, pris en tenaille ontologique par mille doutes et mille incertitudes. Témoignant d’un penchant pour une forme de nihilisme heureux, quoique toujours hanté par le sacrifice de l’artiste-messie, les questions débordent : pourquoi le monde tourne-t-il? sur quel axe? d’ailleurs, tourne-t-il? la peinture permet-elle de voir la pensée? où chercher le bonheur? comment se faire des amis? les objets sont-ils nos amis? et quand fond la neige, où va le blanc?

Jean-Charles Bureau - Danse d’une bâche, 2019 et Un ventilateur danse-t-il... Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !
Jean-Charles Bureau – Danse d’une bâche, 2019 et Un ventilateur danse-t-il… Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !

Dans l’ambiance douceâtre et alanguie, un fond sonore de somnifère : le vrombissement mou d’un ventilateur jouant avec une feuille, s’accordant aux rebonds hypnotiques d’un ressort coulant lâchement de marche en marche. Surmontant son corps amorphe, le visiteur arrive en bout de course. Là, le regard est confronté à un ultime jeu de cache cache : se retournant dans l’espace d’exposition, il s’aperçoit que les coins soumettant les toiles à des angles de vue finissent par les soustraire à la vue elle-même, les submergeant dans le mirage d’une couleur flottante, de ces pastels dont Baudrillard disait qu’ils étaient une négation de la peinture mais aussi du travail. Orphée a perdu Eurydice.

Jean-Charles Bureau - Suspicion de la violence, 2019 - Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !
Jean-Charles Bureau – Suspicion de la violence, 2019 – Ébauche du silence – HLM Hors Les Murs, Marseille – Photo En revenant de l’expo !

Sonné par l’énigme des scènes qui se présentent (ou se dérobent) à ses yeux, le visiteur ne saisit pas qu’elles viendront le tarauder longtemps après sa dérive dans l’exposition. Tout se fond et retourne au néant, laissant le visiteur livré à lui-même : c’est ici le point de départ d’une réflexion vaste et ardue, sisyphéenne, à la redécouverte des efforts clandestins de Jean-Charles Bureau pour dire en peinture la condition de l’homme moderne.

Jean-Christophe Arcos

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