Marjan Teeuwen – Destroyed House – Rencontres Arles 2019

Dans des Rencontres d’Arles 2019 un peu ternes, « Destroyed House » de Marjan Teeuwen apparaît comme une des rares pépites de cette 50e édition !

Depuis 2007, l’artiste néerlandaise Marjan Teeuwen travaille sur une importante série intitulée « Destroyed House ». Invitée par les Rencontres, elle présente sur le site de « Croisière » sa huitième installation architecturale.

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Installation à Croisière - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Installation à Croisière – Photo En revenant de l’expo !

Chaque projet relève à la fois de l’installation, de la sculpture, de la performance et de la photographie.

Marjan Teeuwen intervient sur des bâtiments délabrés destinés à la démolition qu’elle transforme en installation. En cassant les murs, les portes et les fenêtres, en ouvrant des trous dans les planchers et les plafonds, Teeuwen récupère des matériaux de la structure existante.

Marjan Teeuwen, Destroyed House Gaza 3, 2017
Marjan Teeuwen, Destroyed House Gaza 3, 2017

Ensuite, elle organise et assemble avec soin, souvent par empilement, chaque fragment pour en faire des sculptures architecturales, situées dans l’ossature originale.
Temporairement présentée au public, l’installation est par la suite définitivement détruite après avoir été photographiée.

Quelquefois comparée à celle de Gordon Matta-Clark, la pratique artistique de Marjan Teeuwen en diffère assez largement. Bien qu’elle ouvre aussi des vues dans et à travers les maisons dans lesquelles elle intervient, la sélection et la réorganisation des matériaux du bâtiment résonnent avec la réalité sociale environnante d’une autre manière que les œuvres de Matta-Clark.

Marjan Teeuwen, Destroyed House Krasnoyarsk 1, 2010
Marjan Teeuwen, Destroyed House Krasnoyarsk 1, 2010

Dans un texte d’introduction sur son site internet (A Building as Sculpture), Marjan Teeuwen évoque au-delà de Gordon Matta-Clark, Richard Wilson et Urs Fisher comme les rares artistes qui utilisent parfois le bâtiment comme médium.

Elle y décrit ainsi sa pratique artistique :

« Dans mon travail, la puissance constructive des édifices et leur force de destruction et de déclin vont de pair. Pour moi, les antagonismes construction/destruction, érection/chute, ordre/chaos sont au cœur de la condition humaine. Un conflit diabolique. Dostoïevski soutient que surmonter cette polarité est au-delà du pouvoir humain.

Dans mes installations, ces forces se manifestent dans des compositions monumentales. Tout est à la fois debout et chancelant. (…) Les interventions génèrent une nouvelle perspective sur la structure architecturale et sociale du bâtiment.
En plus d’un langage visuel qui parle de chaos, de démolition et de destruction, mon travail a un caractère très abstrait et minimaliste.

Chaque projet est précédé par une consultation poussée avec les propriétaires, les autorités administratives concernées, les constructeurs et les maîtres d’ouvrage.

Mon travail est étroitement lié à deux disciplines : l’installation architecturale et les œuvres photographiques. Deux réalités, chacune avec sa propre force et sa imagination.
Les photos ne sont pas documentaires, mais des images autonomes qui se suffisent à elles-mêmes ».

Marjan Teeuwen, Destroyed House Op Noord 5, 2014
Marjan Teeuwen, Destroyed House Op Noord 5, 2014

Ses sept premières interventions ont été réalisées au Pays-bas (Bloemhof à Rotterdam en 2012 – Op Noord en 2014 et Piet Mondriaan straat à Amsterdam en 2010/2011 – Leiden en 2015), en Russie (à Krasnoyarsk, en 2009) et à Gaza en 2017.

Marjan Teeuwen, Destroyed House Leiden 1, 2016
Marjan Teeuwen, Destroyed House Leiden 1, 2016

À Arles, pour cette huitième Destroyed House, Marjan Teeuwen est intervenue à l’intérieur d’un ancien garage destiné à devenir un cinéma sur le site « Croisière ».
Trois mois lui ont été nécessaire pour démolir murs, plafond, puis pour trier, classer, recouper les décombres et enfin reconstruire une étrange installation entre sculpture et architecture.
Si le volume réduit du bâtiment a dans un premier temps interrogé l’artiste, l’opération n’a semble-t-il pas été très facile, en particulier avec l’administration locale…

La visite de cette Destroyed House arlésienne est surprenante et inattendue. Si elle est obligatoirement accompagnée, elle n’est pas nécessairement commentée, mais impérativement limitée à 5 personnes. Fin septembre, elle sera détruite. Il n’en restera que les images de Marjan Teeuwen, exposées et vendues par sa galerie new-yorkaise.

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Installation à Croisière - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Installation à Croisière – Photo En revenant de l’expo !

En regard de cette installation, Marjan Teeuwen présente une très belle sélection de photographies. Elles occupent en grande partie le rez-de-chaussée de la maison qui ouvre sur le boulevard Émile Combes. Les images de ses précédentes Destroyed House à Gaza, en Russie et aux Pays-Bas sont complétées par quelques tirages de sa série Archive. L’accrochage est construit avec soin. Il joue avec habileté des contraintes du lieu en variant judicieusement les formats des épreuves. Les tirages numériques majoritairement imprimés sur dibond sont particulièrement bien mis en valeur.

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !

Le compte-rendu de visite de l’installation et de l’exposition de Marjan Teeuwen est un peu plus loin dans ce billet. Celles et ceux qui n’ont pas encore vu « Destroyed House » et qui ont l’intention de passer par Arles avant la fin septembre peuvent éventuellement arrêter leur lecture ici.

Bien entendu, cette proposition de Marjan Teeuwen est absolument incontournable !!!

« Destroyed House » est produit avec le soutien de la Bruce Silverstein Gallery, New York, du Mondriaan Fund et de l’ambassade des Pays-Bas à Paris.
Un ouvrage « Marjan Teeuwen – Destroyed House » a été publié par les éditions Valiz, Amsterdam en 2017. Six essais, en anglais et en néerlandais, sont signés par Ernst van Alphen, Maarten Doorman, Ludo van Halem, Hans den Hartog Jager, Meta Knol, Wilma Sütö. Une version PDF est téléchargeable depuis le site de l’artiste.

À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite de l’installation et de l’exposition.

En savoir plus :
Sur le site des Rencontres Arles 2019
Sur le site de Marjan Teeuwen
Marjan Teeuwen sur le site de la Bruce Silverstein Gallery, New York

Dans la première cour de l’espace « Croisière », il faut attendre la constitution d’un groupe de cinq personnes pour pousser la porte métallique qui ouvre sur l’installation de Marjan Teeuwen

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Installation à Croisière - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Installation à Croisière – Photo En revenant de l’expo !

Après avoir laissé son sac dans une malle métallique, on s’avance dans un étroit couloir labyrinthique dont les murs sont construits par une étonnante stratification de pierres, de briques, de bois, de sacs de gravats, de morceaux de plâtre et parfois de verre.

Un faible éclairage électrique remplace la lumière du jour. La pénombre dans laquelle on progresse fait naître d’étranges sensations où se mêlent une petite pointe d’angoisse.

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Installation à Croisière - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Installation à Croisière – Photo En revenant de l’expo !

La découverte inattendue d’une première salle ronde et blanche, où s’empilent minutieusement des morceaux de placoplâtre éclairés par la lumière du soleil, balaye instantanément tout sentiment désagréable et fait place à un apaisement émerveillé.

Après cette « pièce du silence », on découvre une seconde salle carrée construite par une superposition de morceaux de bois sombre récupérés dans la maison et complété par d’autres trouvés dans une déchetterie arlésienne.

Cet espace contraste singulièrement avec la première pièce. Elle est chichement éclairée par une ampoule qui pend à quelques centimètres du sol. Sa lumière se reflète sur fragments de plâtre qui s’intercalent entre planches de bois et qui forment des lignes incertaines.

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Installation à Croisière - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Installation à Croisière – Photo En revenant de l’expo !

L’installation architecturale de Marjan Teeuwen n’utilise aucun mortier ou liant. Seul le poids des matériaux et un habile système de cales en stabilisent les murs.

En regard de cette installation, Marjan Teeuwen présente une très belle sélection de photographies. Elles occupent en grande partie le rez-de-chaussée de la maison qui ouvre sur le boulevard Émile Combes.

Marjan Teeuwen - Archive : Town Hall Heerlen, 2019 -Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Archive : Town Hall Heerlen, 2019 – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !

Le parcours commence par un face à face entre un grand tirage vertical très récent de sa série Archive (Mairie de Heerlen, 2019) et une épreuve de la série Destroyed House ( Destroyed House Gaza 10, 2017).

Marjan Teeuwen - Destroyed House Gaza 10, 2017 - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House Gaza 10, 2017 – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !

Les piles chancelantes de morceaux de plâtre de l’une semblent répondre à la colonne massive mais fragile et vacillante d’autre… Amoncellement de débris ou évocation de documents, d’actes de mémoire qui seraient dignes d’être conservés ?

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !

Avec trois autres épreuves numériques (Destroyed House Gaza 3, 6 et 9), la pièce suivante continue de représenter l’intervention de Marjan Teeuwen en 2016-2017 dans une maison bombardée dans le sud de la bande de Gaza, près de la frontière égyptienne.

Marjan Teeuwen - Destroyed House Gaza 3,2017 - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House Gaza 3,2017 – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !
Marjan Teeuwen - Destroyed House Gaza 6 et 9, 2017 - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House Gaza 6 et 9, 2017 – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !

Dans l’ouvrage paru aux Éditions Valiz, Ernst van Alphen analyse longuement cette installation et démontre comment « en transformant le chaos en ordre et une ruine en sculpture architecturale, Teeuwen transforme le traumatisme en mémoire ».

Destroyed House Gaza – Images : Maomar Abu Tabeekh et Ezz Al Zanoon – Montage : Rob van de Ven et Marjan Teeuwen. Avec l’aide du Mondriaan Fund

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Photo En revenant de l’expo !

Dans un étroit couloir, deux images vertigineuses (Destroyed House Krasnoyarsk 1 et 2, 2010), dont les percements rappellent certaines ouvertures de Matta-Clark, témoignent de l’installation architecturale réalisée par Marjan Teeuwen dans une grande maison communale en bois de Sibérie en 2009. Elles sont accompagnées par une épreuve de la série Archive avec Johannesburg, 2015.

Les deux autres salles sont consacrées aux interventions de l’artiste aux Pays-bas.

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !

Trois images témoignent de son travail à Leiden en 2015 ( Destroyed House Leiden 5 et 3, 2016 dans la première pièce et Destroyed House Leiden 1, 2016 dans la suivante).

Marjan Teeuwen, Destroyed House Leiden 1, 2016
Marjan Teeuwen, Destroyed House Leiden 1, 2016

Cette intervention dans bâtiment sur le Lammermarkt utilisé comme sex-shop pendant 36 ans est analysée avec attention dans l’essai de Meta Knol (An Homage to Order and Disorder) dans l’ouvrage déjà cité.

Cette installation de Teeuwen à Amsterdam en 2013-2014 est évoquée ici par deux photographies dans chacun de ces salles (Destroyed House Op Noord 3 et 5, 2014).

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !
Marjan Teeuwen, Destroyed House Op Noord 5, 2014
Marjan Teeuwen, Destroyed House Op Noord 5, 2014

Dans son texte « Constructed Ruin », Hans den Hartog Jager évoque cette intervention dans une maison de la Wieringerwaardstraat dans le nord d’Amsterdam…

Rob van de Ven, Zapp Productions, © Marjan Teeuwen & Zapp Productions, 2015

Le parcours se termine avec une image qui évoque de travail de Marjan Teeuwen dans un bâtiment de logements sociaux à Rotterdam en 2012 (Destroyed House Bloemhof 6, 2013).

Marjan Teeuwen - Destroyed House - Les Rencontres Arles 2019 - Exposition - Photo En revenant de l'expo !
Marjan Teeuwen – Destroyed House – Les Rencontres Arles 2019 – Exposition – Photo En revenant de l’expo !

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