Jusqu’au 20 octobre 2019, la Fondation Vasarely accueille sous le titre « La révolution permanente », une exposition qui rassemble une très intéressante sélection d’œuvres optiques et cinétiques de la collection du Centre Pompidou. Elle s’inscrit dans un partenariat du Musée National d’Art Moderne avec la Fondation qui devrait se poursuivre avec d’autres expositions.
Le projet conçu par Michel Gauthier, conservateur au Musée national d’art moderne « entend témoigner de la multiplicité des façons dont la question cinétique a hanté tout le XXe siècle, jusqu’à nos jours ».
« La révolution permanente » fait suite à l’importante rétrospective « Vasarely : le Partage des formes » que le Centre Pompidou a présenté à l’hiver et au printemps dernier. Michel Gauthier, au-delà des œuvres sélectionnées, souhaitait mettre un accent discret sur la question sociale qui lui apparaît comme constitutive du mouvement opto-cinétique et à sa dimension politique. Ce qui explique le titre « La révolution permanente » qu’il a emprunté à Léon Trotsky…
Construit avec rigueur, le parcours utilise au mieux les atouts et les contraintes des espaces rénovés du Centre architectonique d’Aix-en-Provence.
Un accrochage remarquable et un éclairage irréprochable valorisent parfaitement les pièces de Giovanni Anceschi, Carlos Cruz-Diez, Philippe Decrauzat, Viking Eggeling, Wojciech Fangor, Horacio García Rossi, Gyula Kosice, Walter Leblanc, Bruno Munari, Nicolas Schöffer, Francisco Sobrino, Jesús Rafael Soto, Gregorio Vardanega et Xavier Veilhan.
La scénographie sobre et discrète a été conçue par Camargo Art & Design.
L’exposition est organisée dans deux salles distribuées par un couloir en angle dans les alvéoles 10, 11, 12 et 14 au rez-de-chaussée du bâtiment.
Le parcours commence par un mobile de Bruno Munari (Macchina Inutile, 1956 – 1970) récemment entré dans les collections. Ces machines inutiles étaient conçues par Munari comme des objets de design, des multiples destinés à des espaces domestiques et non comme des œuvres d’art.
Ce mobile voisine avec Mouvement (1964 – 1965) de l’argentin Horacio García Rossi, cofondateur du GRAV (Groupe de recherche d’art visuel) avec Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein et Yvaral. Cette « boîte à lumière » trouve naturellement sa place à l’entrée du parcours, considérée par le commissaire comme une sorte de cartel géant de l’exposition.
Avec Julio Le Parc, Horacio García Rossi était dans les années soixante un militant particulièrement engagé politiquement. Michel Gauthier rappelle que Le Parc fut un des rares artistes expulsés en Mai 68.
En face, le commissaire a logiquement accroché Diagonal Symphony (1921), œuvre historique de Viking Eggeling. Premier film abstrait, cette captivante Symphonie diagonale marqua, semble-t-il, László Moholy-Nagy lors de sa première projection publique, en 1924. Cette pièce emblématique inspira sans doute à de nombreux artistes la mise en mouvement des formes abstraites…
https://vimeo.com/42401347
En longeant une autre alvéole, le couloir fait un coude où Michel Gauthier a installé avec beaucoup de pertinence To be continued (2016), une vaste peinture murale de l’artiste suisse Philippe Decrauzat qui ne pouvait pas trouver ailleurs une plus juste place.
Cette pièce d’un artiste contemporain qui fait écho au film de Viking Eggeling et très liée au cinéma puisque son motif de base reprend celui de la moquette du couloir de l’hôtel dans Shining de Stanley Kubrick. Cette forme géométrique hexagonale évoque aussi celle qui règle le plan du bâtiment de la Fondation Vasarely…
Selon le cheminement du visiteur, dans un sens ou dans un autre, l’œuvre de Philippe Decrauzat produit une sensation de freinage ou d’accélération, en déformant ce motif par compression ou étirement.
Le couloir conduit dans une vaste salle qui occupe la totalité de l’alvéole 14. L’accrochage imaginé par Michel Gauthier oppose en alternance les pièces selon deux « axes ».
Le premier propose trois œuvres où le spectateur fait le tableau par son déplacement.
On y découvre logiquement une des Physichromies (Physichromie n°506, 1970) de Carlos Cruz-Diez disparu cet été. Elle répond à Grand carré cadmio (1984) de son compatriote vénézuélien Jesús Rafael Soto. Les lamelles de PVC ou de plexiglas de l’un comme les tiges métalliques de l’autre dialoguent avec les bandes plastiques d’une des Torsions du belge Walter Leblanc (Torsions Mobilo-Static, 1962).
Le deuxième axe rassemble trois pièces autour de la courbe.
Une œuvre étonnante de Giovanni Anceschi, Tavola di possibilità liquide (1959 – circa 1990), où de l’huile de moteur colorée placée dans une poche en plastique doit être mise en mouvement en faisant tourner la structure métallique qui lui sert de cadre.
En face, le liquide (de l’eau) est au centre de Architecture de l’eau mobile dans une demi-sphère (1963) de Gyula Kosice, fondateur avec Carmelo Arden Quin et Rhod Rothfuss du groupe Madi, en 1948. Son manifeste commençait par proclamer l’ambition de « Concrétiser le mouvement, le synthétiser pour que l’objet naisse et délire entouré d’un éclat nouveau »… La pièce présentée ici est liée à un projet d’architecture utopique, l’occasion de rappeler pour le commissaire la relation des œuvres cinétique avec les utopies sociales…
La troisième pièce autour de la courbe est une huile sur toile de Wojciech Fangor (MA 3 D, 1971), entrée en 2018 dans les collections du Centre Pompidou.
Reconnu comme le principal introducteur du flou dans l’abstraction, il travaille d’abord sur des cercles concentriques dont s’inspirera bien plus tard Ugo Rondinone, puis comme ici sur des ondes. Particulièrement troublant, le motif semble vibrer sans arrêt et l’œil du regardeur ne se stabilise jamais définitivement…
Quelques marches permettent d’accéder à la seconde salle d’exposition qui occupe l’alvéole 11 du bâtiment.
Un vaste podium est installé au centre. On y découvre les multiples effets optiques d’une des Extensions de Jesús Rafael Soto (Extension, 1989), probablement une des pièces optiquement les plus perturbantes de l’exposition. Comme le souligne Michel Gauthier, « sans aucune médiation, que l’on soit cultivé ou non, l’effet visuel de cette Extension est le même ». Cela illustre pour le commissaire les préoccupations sociales de nombreux acteurs du mouvement opto-cinétique.
L’œuvre de Soto accompagne deux extraordinaires, captivantes et fragiles sculptures animées de Gregorio Vardanega (Couleurs sonores n° 3, 1963-1966) et de Nicolas Schöffer (Chronos 8, 1967) qui s’activent l’une après l’autre…
Un peu à l’écart, une Sculpture permutationnelle (1967-1968) de Francisco Sobrino multiplie les jeux de transparence ou de miroir, interdisant pratiquement tout point de vue fixe sur elle.
Si cette pièce déstabilise complètement le regardeur, elle ne manque pas de l’inclure en elle avec une prolifération de reflets explosés et diffractés empêchant toute reconstruction de son image…
L’espace sur la gauche de l’alvéole est maintenu dans une relative pénombre afin d’offrir des conditions acceptables à la projection de deux vidéos de Xavier Veilhan, Film du Japon (2002) et Drumball (2003) inspirés du langage optico-cinétique.
Le Film du Japon, Xavier Veilhan, 2002
Drumball, Xavier Veilhan, 2003
Ces films rappellent l’intérêt de l’artiste pour le cinétisme et son vocabulaire. Certains se souviennent peut-être que Veilhan avait exposé ses Light Machines à la Fondation Vasarely dans les années 2000.
Un catalogue est publié par les éditions Fage. Il propose un texte dense et didactique de Michel Gauthier « Scènes mobiles de la vie » dans lequel le conservateur du Musée National d’art Moderne évoque rapidement l’histoire du mouvement opto-cinétique et replace dans celle-ci les pièces sélectionnées. Mathilde Marchand, assistante au Centre Pompidou signe les notices des œuvres.
Inutile d’ajouter que « La révolution permanente » est une exposition incontournable. Par ailleurs, un passage s’impose par la Fondation Vasarely pour y voir ou y revoir les fabuleuses 42 intégrations monumentales dans leurs 7 alvéoles, expressions pleinement abouties des recherches de Victor Vasarely.
Au premier étage, la fondation a ouvert trois salles où sont présentés près de 250 œuvres et documents originaux qui retracent le parcours de Vasarely depuis ses débuts de graphiste jusqu’à la réalisation de ses intégrations monumentales. Celles et ceux qui gardent un souvenir ému des installations au Château de Gordes y retrouveront plusieurs dispositifs qui y étaient installés. Une salle est consacrée à l’exposition temporaire de douze œuvres de la collection « Lucien Arkas »…
À lire, ci-dessous, le texte d’introduction de Michel Gauthier.
En savoir plus :
Sur le site de la Fondation Vasarely
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La révolution permanente : Introduction par Michel Gauthier
La sélection d’œuvres proposée dans cette exposition entend témoigner de la multiplicité des façons dont la question cinétique a hanté tout le XX e siècle, jusqu’à nos jours. Le mouvement s’est en effet imposé comme l’une des dimensions cardinales de l’expérience moderne. Une tendance esthétique et un instrument, bientôt industriel, sont nés de ce constat : le Futurisme et le cinéma. À la volonté de rendre compte et même d’exalter la mouvante réalité que la société moderne engendre, l’art a toutefois très vite ajouté le désir de se voir lui-même mis en mouvement. Du film abstrait aux mobiles, de l’oeuvre physiquement en mouvement à celle qui en suscite l’illusion, le cinétisme est devenu l’un des phénomènes structurants de la création moderne et contemporaine. C’est qu’avec lui ne se joue pas qu’une simple affaire formelle ou stylistique : il faut voir dans l’oeuvre cinétique une authentique allégorie du vivant. Par ses actions et interactions, celle-ci cherche à mettre en communication l’art et la vie.
Il n’était pas de lieu plus approprié que la véritable Chapelle Sixtine de l’art optico-cinétique qu’est le « Centre architectonique » d’Aix-en-Provence, conçu par un créateur qui noua déstabilisation optique et socialisation de l’art, pour laisser les œuvres mener leurs révolutions permanentes, dans le cadre de cette première collaboration entre la Fondation Vasarely et le Centre Pompidou.
Michel Gauthier
Conservateur au Musée national d’art moderne
Centre Pompidou