Inside out – Au-delà des apparences (2) à la Galerie Annie Gabrielli

Après un premier volet à la Halle Tropisme, l’association Carbone 14 présente la suite de Inside out – Au-delà des apparences du 4 au 9 novembre à la Galerie Annie Gabrielli à Montpellier

Pour ce deuxième volet de l’exposition, Carbone 14 propose des œuvres de : Marie Boutevin, Manon Boyer, Charlotte Caragliu, Éva et Adèle, Jeanne Susplugas, Stéphane Kouchian et Maison Éclose.

On lira avec intérêt les intentions de ce projet dans le texte reproduit ci-dessous ainsi qu’un présentation des artistes rédigés par l’équipe de Carbone 14.

Rappelons que Carbone 14 est une association créée à l’initiative des étudiants du Master professionnel Conservation, Gestion et Diffusion des œuvres d’art des XXe et XXIe siècles de l’Université Paul Valéry Montpellier III.

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Carbone 14 présente Inside out - Au-delà des apparences (2) à la Galerie Annie Gabrielli
Carbone 14 présente Inside out – Au-delà des apparences (2) à la Galerie Annie Gabrielli

L’art contemporain du XXIe siècle est parcouru par une vague d’exploration des possibles limites du corps humain. Les questionnements autour de l’identité, mais également du genre et de la sexualité – hérités des travaux des années 60/70 – sont aujourd’hui, pourrait-on penser pleinement assimilés et intégrés par le monde artistique : pourtant de multiples variations sont encore perceptibles à l’heure actuelle.

Nous avons pu observer des allers-retours entre reconfiguration du corps et imitations des attributs et attitudes associés à une identité « genrée » dans le travail notamment de Marcel Duchamp, Claude Cahun, Urs Luthi, Martha Rosler, Orlan ou encore Cindy Sherman. Par le biais du travestissement et de la parodie, ces artistes affirment leur réversibilité et de ce fait l’artificialité d’une assignation fixe à un genre.

S’inscrivant dans un monde en proie à de constantes mutations, dans une insertion sociale en tant qu’être, les différentes générations d’artistes que nous présentons au sein de l’exposition intègrent des questions liées à l’identité, au genre et au devenir (1) et font état de problèmes sociétaux encore en discussion.

La société souhaite remodeler les comportements selon des grilles stéréotypées, potentiel vecteur de mal-être et de douleur. Comme le stipulait déjà le psychanalyste américain Robert Stoller(2) dans les années 70, le sexe et le genre restent pratiquement synonymes pour le sens commun. Pascale Molinier(3), psychologue, constate que cette déduction sous forme de construction socioculturelle peut aussi assigner des rôles, des fonctions, des attributs et au-delà, une différenciation sociale qui peut même justifier parfois un ordre hiérarchique. L’œuvre Herland de Stéphane Kouchian invite à une réflexion autour de ces rapports de force : historiquement le pouvoir est un symbole réservé aux hommes qui se cantonne généralement au sexe masculin. Cette idée préconçue selon laquelle la femme serait inférieure à l’homme est ici mise à mal dans un jeu savant qui tisse des liens entre un esthétisme ultra-pop, l’art conceptuel et un geste enfantin faussement innocent.

En partant de ces observations, questionner les limites définies par la société sur l’identification d’un corps et sa classification tout en promouvant la diversité des identités semblent être des aspects incontournables à aborder durant notre exposition. Il est selon nous nécessaire de donner une certaine visibilité à ces interrogations pour favoriser l’évolution de l’opinion sociale sur celles-ci.

Colette Chiland, psychiatre et ancienne présidente de la Société Française d’Etudes et de prise en charge du transsexualisme commentait déjà, à juste titre la célèbre citation de Simone de Beauvoir par : « on naît mâle ou femelle (ou intersexué) on devient homme ou femme » (4). Il convient dès lors de dire que c’est de cette vision dont s’inspire explicitement notre projet.

Cet ensemble de codes se retrouve à différents niveaux dans la représentation du corps, de ses actions, de son apparat et ses artifices. Artiste plasticienne, Charlotte Caragliu détourne savamment les modèles traditionnels de représentation du féminin et du masculin en offrant une esthétique délicate et épurée à même de perturber notre vision des genres.

La notion de construction sociale implique logiquement que nous vivons dans un environnement social ; un cadre dicté qui englobe les représentations, les prétendues caractéristiques immuables aux femmes et aux hommes selon (le plus souvent) leurs caractéristiques biologiques. Cette idée de construction, d’apprentissage d’une identité, d’assimilation de comportements socialement attendus d’une femme ou d’un homme se perçoit dès le plus jeune âge, et c’est autour de ce processus que Manon Boyer a travaillé dans sa série photographique Plastic (2014). L’artiste apporte une réflexion sur « l’apprentissage d’une féminité » à travers une certaine conception de la beauté et met en exergue la perception que ces petites filles ont de la « femme ».

Au-delà de la prise en compte de la diversité des identités, révélé d’une certaine manière par les artistes de Maison Éclose, prônant l’amour et la bienveillance et maîtres dans l’art de la transformation, l’exposition nous apparaît comme un moyen de sonder notre propre identité. Le spectateur se retrouve face à lui-même et au monde dans lequel il vit, il se questionne sur ce qu’il perçoit, sur la/sa réalité. Ainsi Marie Boutevin, par le biais de médium réfléchissant interroge le visiteur sur la fiabilité de ce qu’il pense voir. En effet il convient de dire que notre apparence, réelle ou transformée ne suffit pas à elle-seule à définir notre identité. L’ambiguïté de cette façade tantôt séduisante et rassurante, tantôt inconfortable peut être vectrice de malaise intérieur et de solitude, questionnements dont Jeanne Susplugas fait état.

L’équipe Carbone 14

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1 https://calenda.org/420498 https://journals.openedition.org/annuaire-chess/17215
2 STOLLER, J ROBERT, Recherches sur l’identité sexuelle à partir du transsexualisme, Gallimard, Paris, 1978.
3 MOLINIER, Pascale, « Préface », FAUSTO-STERLING Anne, Les cinq sexes Pourquoi mâle et femelle ne sont pas suffisants, Petite bibliothèque Payot, Paris, 2013, p.13.
4 CHILAND, Colette, Le sexe mène le monde, Calmann-Lévy, Paris, 1999, p.38.

Née à Montpellier en 1974, Jeanne Susplugas est une artiste plasticienne adepte aussi bien de la photographie que de l’installation, en passant par la vidéo et la sculpture. Après une formation en histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, c’est sous la tutelle du célèbre critique d’art et universitaire Philippe Dagen qu’elle va entreprendre son doctorat sur Annette Messager (1943 -) et la place qu’elle accorde au jouet dans son art. L’œuvre de Susplugas voit se rencontrer une pluralité de matériaux allant du cristal (Graal, 2013) à la céramique (Containers, 2014) en passant par le dispositif LED (Borderline, 2007).

Jeanne Susplugas - Hair (Tribute to Gordon Matta-Clark) 2010-2018 40x60cm Atelier Tchikebe Sérigraphie sur Arches BFK Rives 250g/m2
Jeanne Susplugas – Hair (Tribute to Gordon Matta-Clark) 2010-2018 40x60cm Atelier Tchikebe Sérigraphie sur Arches BFK Rives 250g/m2

Bien qu’esthétiquement plaisants, ses travaux engagent une réflexion sur des thèmes encore tabou à l’heure actuelle tels que l’addiction ou encore les problèmes corporels. Emblématique de son travail, la Maison Malade (1999-2010) se présente comme un endroit fermé, saturé par d’innombrables boîtes de médicaments que l’artiste collecte dans le pays où elle présente son œuvre. L’installation, tapissant aussi bien les murs que le sol, renvoie à une salle capitonnée d’institut psychiatrique, mais aussi – plus implicitement – à l’image de notre société occidentale submergée par cette surproduction de médicaments donc chaque boîte raconte une expérience individuelle. Ainsi son approche artistique présente différentes clefs de lecture et témoigne d’une société malade et aliénée.

Le travail de Jeanne Susplugas a été largement montré dans des lieux tels le KW Institute for Contemporary Art à Berlin, Pioneer Works à Brooklyn, la Emily Harvey Foundation à New York, la Villa Medicis à Rome, le Shanghai 21st Century Minsheng Art Museum, le Palais de Tokyo ou la Maison Rouge à Paris.

Après avoir décroché son Diplôme National Supérieur d’Expressions Plastiques avec les félicitations du jury à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Nîmes en 2012, Charlotte Caragliu a multiplié les expositions collectives et personnelles en Occitanie.

Son travail interroge une pluralité de thèmes tels que la mort, la folie ou encore le genre qu’elle décline sur autant de médiums artistiques qu’il en existe. L’œuvre de l’artiste est décrite comme « une sorte de cabinet de curiosité ou musée contemporain des étrangetés » cherchant à mettre en avant le politiquement « non-correct » à l’aide de travaux teintés d’une esthétique épurée et poétique.

Charlotte Caragliu - Bryan on the bloc 2018 150 x 50 x50cm Chaussettes, paillettes, mannequin, bois
Charlotte Caragliu – Bryan on the bloc 2018 150 x 50 x50cm Chaussettes, paillettes, mannequin, bois

L’œuvre Bryan on the bloc (2018) témoigne notamment de cet engagement : la moitié inférieure d’un corps est placé à la verticale, jambes vers le haut tandis que ces-dernières sont pourvues de deux longues chaussettes dorées et pailletées. Avec cette sculpture, Charlotte Caragliu renverse la conception préétablie que l’on peut avoir de la virilité masculine. Comme un instant figé issu d’un film pornographique, la fresque Make me come (2018), met en scène plusieurs corps nus dont les lignes laissent transparaître la dimension sensible du corps et brouillent la vision binaire du genre. Utilisant l’art comme un moyen de déconstruire les notions de normes telles que nous les entendons, elle tente de perturber le rapport du soi et de sa représentation, du soi et de son rapport à l’autre. Cherchant à sublimer ce qui peut répulser, elle crée une nouvelle esthétique du corps et de ses envies, de l’instant partagé avec autrui.

A travers les fragments de I put a spell on you (2019), sorte d’état de genèse de toutes les questions liées au genre, Charlotte Caragliu présente les corps d’une femme transgenre et d’un homme androgyne morcelés, détruits. A la manière de fossiles contemporains, de vestiges évoquant un passé lointain, à l’instar de Pompéi, cette œuvre questionne aussi bien la construction de l’identité que l’édification d’une mythologie personnelle.

Diplômée de l’Ecole de la Photographie d’Arles, Manon Boyer est une photographe polymorphe s’intéressant aussi bien à la ruralité états-unienne qu’aux spectacles de Drag Queens et leurs coulisses.

Souvent une thématique unit ses différentes séries : celle de la représentation de soi et les artifices employés pour altérer cette dernière. A travers ses clichés, la photographe s’intéresse donc à un corps en constante évolution : son corpus présente des bodybuilders aux muscles saillants (Vénus & Apollon), des corps androgynes flamboyants (No Matter, 2017) ou encore des fillettes peinturlurées et apprêtées par leurs soins (Plastic, 2014).

La série Reborns Babies (2015) mettant en exergue les poupées hyperréalistes de la marque adopte elle aussi cette thématique de la vision du corps en prêtant une attention particulière à capturer les affects de leurs « parents ».

Le travail de Manon Boyer offre une multitude de clefs de lecture quant à la compréhension de notre corps, son altération et sa représentation.

Formée par quatre drags queens bordelaises, la Maison Eclose a vu le jour en 2018 et est née d’une ambition commune : celle de créer un bar associatif queer où tout un chacun est à sa place et peut se sentir en sécurité. Ce projet porté à l’origine par Tiny Beast Prince, Bonne- Bienveillante Déchéance et Andrea Liqueer a rapidement accueilli en son sein Vicky Lips, « née » à la Pride de Bordeaux.

Avec comme slogan « Amour et Bienveillance », ces quatre reines de la nuit conçoivent leurs spectacles, leurs apparats et ne cessent de se réinventer show après show. Le drag est ici perçu comme un vecteur d’expression artistique et personnelle, de création jouxtant une liberté totale qui permet à ces artistes de devenir art et de revendiquer leurs idéaux. Leurs performances allient danse, voguing (danse queer née dans les années 70 aux USA) et lipsync.

Immuables et imperturbables, EVA & ADÈLE sont à l’heure actuelle – et depuis plusieurs décennies – l’un des couples d’artistes contemporains les plus fameux. Crânes rasés, maquillages hauts en couleurs et tenues extravagantes sont devenus les apparats quotidiens de ces deux artistes qui font de leur entière existence une performance. Hors-système de par leur refus de se fondre dans le marché de l’art, EVA & ADELE ont fait de l’apparition-performance leur spécialité où chaque geste est minutieusement chorégraphié et savamment étudié. De par leur esthétique kitsch aux allures de lolitas tokyoïtes, les artistes fascinent et créent l’évènement à chaque lieu qu’elles visitent.

Marié en tant que couple de femmes depuis 2011 (elles se sont rencontrées en 1989), ce couple transgenre défit le regard d’autrui et appellent à un projet visant à « libérer les corps des mécanismes de construction du genre ». Les artistes appellent ainsi à la tolérance et à l’acceptation d’autrui grâce à leur œuvre hautement médiatique et prolifique qui comprend également une multitude de polaroïds et de dessins de leurs silhouettes des plus reconnaissables

L’objet de stimulus sensoriel a été son point de départ. Le spectateur est confronté à la perception de l’insaisissable d’autant qu’elle expérimente diverses modalités plastiques propres à perturber la perception. Elle joue, en effet, avec les perceptions mentales et les expériences physiques. En cela, le miroir – objet récurrent dans son travail – est une métaphore saisissante du questionnement du visible et de l’invisible, du réel et de l’imaginaire. Dédoublement, redoublement des apparences, telles sont les issues proposées par les différents outils qui la composent.

Marie Boutevin - Photo Ophélie Viala
Marie Boutevin – Photo Ophélie Viala

La question de l’identité est également présente. Son travail aborde le devenir de soi qui, par le reflet, devient altérité. Lequel devient le médiateur de l’identité de la personne ou à l’inverse, un empêchement pour l’individu d’accéder à la représentation de lui-même. Que ce soit de « soi à soi » ou de « soi à l’autre ». Marie Boutevin vise à une lente traversée des apparences, à une reconnaissance du vrai et du faux par la mise en évidence de l’illusion. Finalement, à travers l’identité c’est la question du double qu’elle vise. Son travail plastique s’inscrit dans un parcours de recherche personnelle.

Né en 1978, Stéphane Kouchian est un plasticien polymorphe de par les médiums qu’il
emploi pour concevoir son travail. Acidulée et résolument pop, son oeuvre ne s’inscrit cependant pas dans une lignée téléologique de l’art. Ses sculptures, installations ou encore peintures concourent à la même fascination qu’a l’artiste pour le plastique, un sentiment viscéral qui le hante depuis son enfance. Allégorie de l’ère contemporaine, le plastique – matériau anti nature par excellence – se retrouve aussi bien dans les premières compositions de l’artiste (Plastiques, 2006) que dans ses dernières réalisations (Herland, 2019). Mais au-delà de la simple analogie avec le jouet, le plastique est aussi synonyme d’industrialisation, une industrialisation qui dénature la société telle que nous la connaissons à l’heure actuelle. Kouchian s’emploie aujourd’hui à utiliser ce matériau pour offrir à ses spectateurs une vision résolument plus agréable et décomplexée de cet élément sans pour autant en oublier les ravages qu’il peut engendrer sur notre environnement.

Stephane Kouchian - Herland 2018-2019 dimensions variables matériaux divers
Stephane Kouchian – Herland 2018-2019 dimensions variables matériaux divers

Les problématiques qu’il aborde gravitent également autour de grands enjeux sociétaux ancrés dans notre ère : ainsi avec Herland, Kouchian présente une épée ainsi qu’une couronne recouvertes d’une multitude de bijoux fantaisie, dénaturant la fonction première de ces artefacts. Symboles de pouvoir souvent associés au genre masculin et à la virilité qu’incarnent ses porteurs, ces objets perdent ici leur essence par la présence de ces bijoux kitschs et colorés qui cassent les codes préétablis d’une masculinité qui se veut virile et dominante.

Ses travaux ont été montrés au Carré Saint-Anne et à la Galerie AL/MA à Montpellier, à la Chapelle des Pénitents à Aniane ou encore au Gwangmyeong Hall de Séoul dans le cadre de l’exposition Barbie du Musée des Arts Décoratifs de Paris.

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