Jusqu’au 5 janvier 2020, le Frac Provence Alpes Côte d’azur présente « Photographie et documents, 1983-2018 », deuxième chapitre d’« Une histoire de la collection du Fonds régional d’art contemporain » qui avait commencé l’an dernier avec « Chefs-d’œuvre et documents de 1983 à 1999 ».
Pascal Neveux, directeur du Frac et commissaire de l’exposition, propose un accrochage une nouvelle fois très réussi à partir d’une sélection de photographies choisies avec soin parmi les plus de 400 œuvres acquises auprès d’une centaine artistes.
À l’inverse d’une collection privée, les choix des comités d’acquisition qui se sont succédé depuis les années 1980 ne reflètent pas la personnalité d’un individu. Les regards de ces « experts » permettent un retour sur l’histoire de la photographie contemporaine sur plus de trente ans. Cette période a vu s’enchaîner révolutions technologiques et numériques et le statut de l’image se modifier radicalement…
Pour relire ces œuvres et le travail de ces artistes, Pascal Neveux articule son projet en deux séquences :
Au premier plateau, il montre un exceptionnel ensemble de photographies réalisées avant 2000 où les expérimentations formelles en noir et blanc des années 1980 et les grands tirages permettent de revenir sur les enjeux d’une photographie souvent qualifiée de « plasticienne ».
Le second plateau rassemble, à quelques rares exceptions, des œuvres plus récentes qui affirment une orientation plus « documentaire » avec un ancrage plus politique et social et un engagement plus affirmé de leurs auteurs.
Si les rapprochements font souvent sens, ils évitent subtilement tout discours didactique et laissent au regardeur le soin de construire ses propres histoires et interprétations.
Chaque épreuve est accompagnée d’un cartel enrichi d’une quinzaine de lignes souvent extraites de notices de catalogues, de textes d’exposition ou de critiques. Ils offrent quelques repères souvent utiles.
Un dossier pédagogique téléchargeable depuis le site du Frac proposent quelques pistes au enseignants (mais pas que) pour aborder l’exposition autour de thématiques telles que « Points de vue sur le réel », « Vues sur la ville », « La représentation du corps », « La photographie engagée », « La photographie et les sciences humaines »…
En début du parcours, au bas des escaliers, un vaste panneau fait l’inventaire des acquisitions entre 1983 et 2018. Il montre l’ampleur et la diversité de ces achats et distingue les œuvres exposées qui y sont soulignées, mais aussi celles qui sont déposées dans diverses institutions de la région, en France ou à l’étranger.
Les habitués des Rencontres de la Photographie d’Arles ne manqueront pas de remarquer combien le festival a marqué le développement de la collection du Frac Paca.
Le troisième plateau propose « Documenter/re-présenter #2 : la photographie ». La libre consultation un choix important de monographies des artistes présentés dans l’exposition et quelques vitrines autour du livre photo nous ont paru moins pertinents que les archives présentées l’an dernier pour « Une histoire de la collection du Fonds régional d’art contemporain – Chefs-d’œuvre et documents de 1983 à 1999 ». Toutefois, nous n’avons pas pris le temps de regarder les entretiens vidéo avec Vincent Bonnet et Paul Pouvreau, photographes ou encore avec Fabienne Pavia, Le Bec en l’air éditions, et Françoise Paviot, galeriste. Nul doute que leurs réflexions apportent des éclairages très intéressant.
« Photographie et documents » reste avant tout un vrai moment de plaisir, le bonheur de (re)découvrir des œuvres magistrales et captivantes qui attrapent le regard et offrent au spectateur de multiples émotions.
À ne pas manquer !
À lire, ci-dessous, un compte rendu photographique de l’exposition accompagné des cartels développés extraits du dossier de presse qui sont parfois légèrement différents de ceux que l’on peut lire dans « Photographie et documents ». On trouvera également de texte de présentation que signe Pascal Neveux.
A voir cette présentation de « Photographie et documents » par Pascal Neveux. Entretien réalisé pour l’émission « Ça se visite » de la chaîne YouTube de la télévision locale de Marseille PROVENCE AZUR
En savoir plus :
Sur le site du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur
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« Photographie et documents » – Regards sur le parcours d’exposition
Au premier plateau
L’exposition réutilise les cimaises mises en place pour « Cristof Yvoré, Pots, lapin, fenêtres, fleurs ».
Un premier espace accueille le visiteur avec de face le magistral triptyque de Patrick Tosani (Talon, 1987) à droite le mystérieux polyptyque de Suzanne Lafont (Le Bruit, 1990) et à gauche l’étrange Drapeau de Sophie Ristelhueber.
Patrick Tosani – Talon, 1987
Photographie Cibachrome
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1991
Patrick Tosani est un des représentants de la photographie plasticienne, pratique au style documentaire, usant de grands formats photographiques proches de l’idée de tableaux. Son travail met en avant l’isolement des objets par le cadrage, l’amplification du regard par l’agrandissement, avec une précision des points de vue qui sont selon lui nécessaires pour révéler tout le potentiel descriptif d’une chose. Les talons sont un des composants de la chaussure, mais l’absence de celle-ci affranchi ces objets de leur fonction réelle et leur donne un degré d’abstraction. L’agrandissement photographique induit un rapport physique entre l’image et le spectateur. Le fait de voir le dessus des talons confère une sensation de domination, cet effet s’inversant sur l’image où le talon semble avoir grandi et nous surplombe, monumental. Cet aspect colossal nouveau de l’objet le transforme presque en totem, côtoyant soudain les arts premiers. La photographie n’est pas ici une manière de témoigner de la réalité mais bien de faire l’expérience du réel.
Suzanne Lafont – Le Bruit, 1990
Photographie noir et blanc, procédé argentique.120 x 800 cm, 8 x (120 x 100 cm)
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1996
Le Bruit de Suzanne Lafont se présente d’abord comme une composition de fresques quasi cinématographiques qui laissent planer le mystère sur les actions d’hommes et de femmes saisis sur le vif et cadrés serré. « Nous avons peur de l’inconnu. L’inconnu n’est pas le jamais vu. L’homme est ce qui est là, ce qui est là n’étant pas connaissable. Le Bruit, dans cette frise, immense, omniprésent, irreprésentable devient source de panique, de douleur pour l’homme. Le Bruit est rejeté, inconnu. L’ombre d’un Dehors terrifiant passe sur les visages. Crier, trembler d’effroi, se boucher les oreilles sont des actes par lesquels nous disons que quelque chose a lieu, mais par lesquels nous ne disons nullement ce qu’est ce qui existe. » confie l’artiste. La turbulence sonore évoquée dans le titre provoque une onde qui se propage tout le long de la séquence. Calme sur les bords, elle culmine en intensité dans les images centrales. Le modèle visuel de la série Le Bruit est une affiche allemande des années 1960 (contre les nuisances sonores) qui reprenait le principe dynamique des vues en contre-plongée de la nouvelle vision (Bauhaus), vulgarisée par la publicité.
Sophie Ristelhueber – Le drapeau, 2000
Photographie en couleur contrecollée sur aluminium
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur
Le Drapeau est un triptyque réalisé sur commande du Conseil général du Var […] Le titre fait immédiatement écho aux trois couleurs déclinées par les paysages : le bleu de la piscine, le blanc accentué de l’immeuble et le rouge des coquelicots inscrivent le territoire décrit dans le concept républicain, symbolisé par le drapeau français. Entre urbanisation et nature, habitat groupé et isolement choisi, solidité du béton et fragilité des coquelicots, l’œuvre invite le spectateur à un cheminement réflexif sur l’inscription de l’homme sur le territoire.
Marc Pataut – Portrait de Yannick Venot, Compagnon d’Emmaüs, Scherwiller 1993, janvier 1995 – Photographie et documents, 1983-2018 au Frac Paca
Après cette « antichambre », l’accrochage présente trois propositions sur les murs du vaste plateau. À droite comme à gauche, les grands formats dominent et articulent la « mise en page ». Au fond, un accrochage tapissier digne de la muséographie du XIXe siècle offre un captivant « polyptyque » construit avec des tirages de format plus réduits.
À droite : Marc Pataut, John Coplans, Balthasar Burkhard, Henry Lewis, Xavier Zimmermann, Joachim Mogarra
Marc Pataut – Portrait de Yannick Venot, Compagnon d’Emmaüs, Scherwiller 1993, janvier 1995
Photographie. Papier baryté MCC 111 Agfa
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1995
Photographe et vidéaste, Marc Pataut est sensible aux problèmes politiques et de société. En 1991, il crée, avec le graphiste Gérard Paris-Clavel le collectif Ne pas plier, pour développer et diffuser « des images d’urgences » sociales et politiques. Son travail va au-delà d’une simple pratique photographique ; les supports de communication sont mis au service d’un engagement social, des luttes collectives et des pratiques d’éducation populaire. Le corps, sa présence, ses traces et ses souffrances sont ses sujets de prédilection. Cette série réalisée pour les Compagnons d’Emmaüs répond à la question de comment photographier une communauté qui n’existe que dans la relation à l’autre. La notion de communauté s’entend ici non comme une unité figée mais comme un ensemble de relations en constante évolution auxquelles la lente recherche photographique veut participer, comme l’indique le photographe : « Je vais marquer à la craie au sol la position de chacun afin que le suivant puisse se placer dans ce groupe virtuel, un groupe qui n’existera que dans la mémoire, dans le travail que chacun devra faire pour le constituer. »
D’après la notice d’oeuvre de Christian Joschke, catalogue Collection 1989/1999,
actes sud / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2000.
John Coplans – Self portrait SP 22-88, 1988
Photographie noir et blanc. Polyptyque, 4 clichés recomposant un pied
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1991
En 1980, après un parcours de critique d’art et de conservateur aux États-Unis, John Coplans entame à 60 ans un travail photographique qu’il réalise en isolant des parties de son corps, des fragments, exclusivement, et de manière obsessionnelle.
« Mon art consiste en des photos de mon corps décapité ou des parties de celui-ci. Je ne peux prendre les photos de moi-même. Je dois indiquer à un assistant quelle partie de mon corps photographier, l’échelle de l’image et sa position par rapport au bord, etc. Je dois aussi discuter de la qualité des ombres jetées par l’éclairage artificiel que j’utilise. Une fois la photo prise, je dois expliquer le développement du négatif, la qualité du tirage : doux, contrasté, sombre ou clair, les parties à foncer ou à éclaircir, ou peut-être demander de recadrer et d’expérimenter d’autres dimensions afin de voir ce qui me convient le mieux. Une fois l’oeuvre terminée je dois décider d’un titre. Toutes mes images s’appellent des autoportraits, mais chacun doit pouvoir être identifié. À part le fait de signer l’oeuvre une fois terminée, je fais mon art en disant à d’autres personnes ce qu’il faut faire. Je vois l’image dans mon esprit et c’est en parlant qu’elle vient à exister. » J. Coplans, New York, 29 octobre 1999
Balthasar Burkhard – Le bras, 1993
Photographie noir et blanc
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1995
Portraits, figures monumentales étirées, gros plans de torses, de jambes et d’oreilles, détails de fleurs composent l’inventaire iconographique d’une oeuvre dont les images affirment l’évidence de leur sujet. Une évidence que surenchérissent les tirages en noir et blanc, nets et précis, sans emphase, mais portés simplement à des formats monumentaux qui les font jouer avec l’espace du lieu de leur présentation. Ainsi, le Bras se compose de trois panneaux qui, placés bout à bout, semblent déployer ce membre rendu monumental. Cadrée à partie de l’épaule, coupée du reste du modèle, cette partie n’appelle pourtant pas le reste du corps pour former un tout : elle se présente nue, à l’horizontale, en noir et blanc sur fond neutre, dans une relative indifférence à l’identité du modèle. Le découpage en trois séquences donne l’illusion que le bras n’en finit pas de se tendre, transformant ainsi le membre en un geste d’extension.
Henry Lewis – Sans titre, 1987
Tirages photographiques en noir et blanc. Diptyque
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1987
La série Luna Proxima s’inscrit à la suite d’un long travail d’autoportraits ; il marque une étape fondamentale dans l’évolution de l’oeuvre de Henry Lewis. Les lunes sont toutes réalisées à partir de poudres colorées : souffre, sable, ciment, ocre…, des matériaux par essence éphémères. L’acte de photographier n’intervient pas seulement comme un constat mais comme une transcription : la recomposition en valeur de gris et en deux dimensions d’un univers dont les substances colorées ont été rassemblées et ordonnées en fonction de leurs correspondances noires et blanches. Au moment du tirage, Henry Lewis imprime des formes géométriques à l’aide de la lumière. Ces formes épaississent l’image en lui donnant une importante dimension cosmique. Jouant parfaitement l’illusion, Lewis entretient toutes les ambiguïtés en engageant à l’extrême la tension entre réel et imaginaire et en s’appropriant les formes de la peinture. Ce langage appartient au registre de la mise en scène mais le jeu des apparences s’immerge dans un univers poétique où la métaphore est renforcée par l’économie des effets.
D’après Bernard Millet, 1987, cité dans la notice d’oeuvre du catalogue Acquisitions
1982/1988, Fonds régional d’art contemporain Provence-Alpes-Côte d’Azur, 1988
Xavier Zimmermann – Façade III, 1994
Photographie noir et blanc montée sur aluminium
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1995
Façades III appartient à une série de clichés que l’artiste a réalisés au milieu des années 1990.
« Mon travail photographique tente d’identifier une des fonctions de l’architecture, à savoir celle d’organiser l’espace et de le cloisonner ensuite, en construisant des formes qui ont chacune une fonction sociale distincte qui leur confère une identité propre. Je tente de montrer la possibilité qu’offre l’architecture d’amener les populations à se côtoyer sans se voir, sans même soupçonner la vie des uns et des autres. […] Ce qui m’intéresse avant tout, c’est cette séparation, ce cloisonnement, qui sépare l’intérieur de l’extérieur, qui divise un univers d’un autre. Le travail sur les Façades illustre ce propos en invitant le spectateur à imaginer ce qui se passe à l’intérieur de ces pavillons de banlieue. Le travail effectué alors résidait dans cet écart entre un constat (la façade) et un supposé (la représentation imaginée de l’intérieur à partir de l’extérieur). On observe cependant une déviation de la fonction de « l’écran » dans l’architecture par l’utilisation de plus en plus courante du verre qui, par le jeu de transparence, trouble notre regard. » Xavier Zimmermann
Joachim Mogarra – La montagne Sainte-Victoire – Spiral Jetty – Sweet Merz, 1985
Photographies noir et blanc sur toile émulsionnée tendue sur châssis
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1993
Véritable bricolage rocambolesque, le travail de Joachim Mogarra offre une imagerie à la fois espiègle et généreuse.
La Montagne Sainte-Victoire, Sweet Merz et Spiral Jetty participent à cette joyeuse transfiguration et soumettent en trois temps une réécriture de l’histoire de l’art. Appartenant aux Chefs-d’oeuvre de l’art, cette série est caractérisée par la légèreté des moyens mis en oeuvre pour sa réalisation. Régies par un précepte d’économie, ces photographies dévoilent un agencement précaire de matériaux insignifiants (épluchure d’orange, morceaux de sucre, mètre de menuisier). Démarche fondée sur le principe de l’appauvrissement des objets et de leur mise en scène, les propositions visuelles visent une saisie burlesque des repères culturels. Ces derniers, initialement suggérés au travers des représentations, se décryptent sans ambiguïté à la lecture des référents manuscrits. Jeux sur la métamorphose des signes intellectuels de notre civilisation, l’aspect humoristique de cette combinaison des langages résulte moins du contenu dérisoire lui-même que du décalage entre la réalité et son artifice.
Lydia Scapini, notice d’oeuvre du catalogue Collection 1989/1999, actes sud / Frac
Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2000.
Sur la gauche : Craigie Horsfield, Günther Förg, Dieter Appelt et Georges Rousse
Craigie Horsfield – Hare row, East London, April 1983, 1993 – Mare Street, East London, January 1985, 1993
Photographie noir et blanc contrecollée sur aluminium
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1995
« Les photographies de Craigie Horsfield, de format carré, sont des images-tableaux dont le souci est moins de représenter que de témoigner. Estimant que le contexte des années 1970 / 1980 ne se prêtait pas à l’exposition de son travail (débuté en 1979), il expose pour la première fois en 1988. La lecture particulière qui aurait été faite à cette époque aurait détruit tout ce que, selon l’artiste, « les images contenaient ». Celles d’East London ne donnent de cette partie miséreuse de la ville qu’une expérience singulière, puisée dans des lieux périphériques. Images d’extérieur, elles montrent pourtant un espace clos, où la profondeur creuse peu l’image, où l’obscurité est tout autant dans la facture que dans le choix du nocturne. Ces lieux du commun, comme cette cheminée de tôle entourée de barricades fragiles, sont des espaces barrés et vidés de présence humaine où ne subsistent que quelques signes graphiques. La texture des photos assure seule le tissage des choses entre elles. Les photos forment des fragments de document et de vécu, mais sans anecdote, à la fois document objectif et transcription subjective. »
Extrait de la notice d’oeuvre par Céline Flécheux, catalogue Collection 1989/1999,
Actes Sud / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2000.
Günther Förg – Bauhaus, 1991
Photographie noir et blanc. 270 x 120 cm
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1991
L’association de la peinture et de la photographie, fréquente dans l’oeuvre de Günther Förg, est couramment interprétée comme l’expérience d’un pur formalisme. En effet, le plus souvent, l’artiste place ses photographies de très grand format (jusqu’à trois mètres de hauteur) sur de larges tableaux presque lisses ou sur des pans de mur peints, créant ainsi un environnement extrêmement structuré. Située sur un support réfléchissant et placée sous verre, l’image photographique fonctionne comme un miroir imprécis qui enregistre et superpose à l’image le reflet de ce qui l’entoure. Ces effets, conjugués à la taille des photographies, proche d’une porte ou d’une fenêtre, troublent la lecture, empêchent le regard d’isoler l’image, de la lire indépendamment de son contexte. Bauhaus peut également être considérée comme une évocation de la doctrine formaliste de cette école d’architecture et d’arts appliuqés créée par Walter Gropius en 1919.
Dieter Appelt – Tableau space, (Space tableau), 1989 – 1990
40 photographies noir et blanc
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1991
Ce travail réalisé à la fin des années 1980, est dominé par un questionnement sur la lumière, l’espace et le temps. À la différence des instantanés conventionnels traitant des mouvements inachevés, Dieter Appelt parvient à fixer – grâce à de longues poses et à la surimpression des clichés – la fin du mouvement. Pour cette série, l’artiste a photographié des objets en rotation, et favorisé l’accumulation de lumière. Les prises qui en résultent représentent un assemblage d’objets : écrous, bobines de chantier, rouleaux de fil de fer…des éléments appartenant aux rebuts industriels magnifiés ici sous l’objectif. À la fois positives et négatives, les prises ressemblent à des tourbillons cosmiques ou encore à des abstractions cubistes. Parallèlement, l’origine des matériaux, l’ordonnance géométrique et la répétition des formes font référence à l’art minimal. Conscient du développement de la photographie artistique, Dieter Appelt rejette la photographie traditionnelle en faveur de nouvelles voies à explorer. Il expérimente de nouvelles techniques où la transgression des langages traditionnels l’amène aux frontières d’un art qui interroge ses propres supports. L’interaction entre la photographie et l’action est un défi pour lequel l’artiste créé un espace.
Georges Rousse – Arles, 1986
Photographie cibachrome couleur. Diptyque
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1986
Photographe pour un laboratoire, c’est à l’occasion d’un reportage sur la Figuration Libre en 1981 que Georges Rousse décide de mener une démarche plasticienne originale alliant peinture, sculpture, architecture et photographie. Passionné par les ruines dont il faisait déjà des clichés en noir et blanc, il intervient dans des lieux désaffectés, plus ou moins délabrés, voués à une démolition proche. Il transforme un lieu banal en un atelier d’artiste appelé à disparaître. L’oeuvre est conçue in situ et l’interaction entre le projet artistique et le lieu est totale. Arles appartient à une série d’oeuvres dont le titre correspond à la ville où elle a été réalisée. L’artiste dessine des volumes géométriques directement sur les murs avec de la craie pour construire une image virtuelle dont le point de vue unique est celui de l’objectif photographique. La photographie, réalisée à l’aide d’une chambre grand format, est la seule trace qui reste de ce travail d’appropriation de l’espace une fois l’édifice détruit.
Au fond : Philippe Gronon, Christian Milovanoff, Arnaud Claass, Yves Jeanmougin, José Valabrègue, Alain Ceccaroli, Denis Brihat, Pierre-Jean Amar, Jean Dieuzaide, Jean-Pierre Sudre, Philippe Gully, Christian Louis, Bernard Plossu, Hubert Grooteclaes, Jun Shiraoka et Nancy Wilson-Pajic.
Philippe Gronon – Écritoire, Bibliothèque Vaticane, 1995
Photographie noir et blanc sur papier baryté, contrecollée sur aluminium
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1995
« Photographe-plasticien, je travaille depuis plusieurs années sur le concept du savoir. Savoirs que je représente par des séries photographiques d’objets ou d’éléments choisis pour leur esthétique, leur richesse historique et leur charge symbolique. Ces familles d’objets utilitaires, vecteurs de la connaissance et de la découverte, concentrent la mémoire passée présente et future d’un lieu. Avec le temps, l’usure, ils en deviennent la trace emblématique. Techniquement, cela se traduit par des photographies en noir et blanc, prises à la chambre, de face, telles des cibles, dans la lumière ambiante d’un espace dont c’est la seule apparition. Les tirages sont ensuite détourés et assemblés sur des structures en aluminium afin d’obtenir une plus forte impression de relief. Ainsi pointé, l’objet devient à la fois discret et étrangement énigmatique. Mon travail s’intéresse aussi à l’histoire des institutions où le « savoir » est conservé ou enseigné ainsi qu’à des lieux plus secrets où la notion de savoir est plus diffuse comme la Bibliothèque Vaticane (fichier des manuscrits et série des écritoires). À travers cette oeuvre, le but que je recherche est de permettre à l’oeil d’explorer une infinité de détails insoupçonnés (et révélateurs) de l’image. » Philippe Gronon, octobre 1989
Christian Milovanoff – I, 1982-1983
Photographie noir et blanc représentant le bas du tableau de Pierre-Paul Prud’hon.
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1986
En 1986, Christian Milovanoff publie Le Louvre revisité, ouvrage rassemblant une cinquantaine de photographies réalisées à partir de 1981. Photographiant des tableaux très célèbres du musée, il en donne une vision nouvelle, les recadrant et magnifiant les détails. Ce recueil reçoit le prix du « Premier livre photographique » en 1986 (Kodak). L’artiste déambule le long des cimaises du Louvre, du XVe au XIXe siècles, et entame un dialogue entre la peinture et la photographie, saisissant l’originalité de leur interaction. Ses photographies sont subjectives et vont à l’encontre de la vision habituelle de l’oeuvre d’art dans un contexte muséal. Le photographe offre au spectateur une nouvelle dimension, celle du cadre, du cartel, de mur et de la lumière. Le tableau n’est plus un objet de contemplation, mais un modèle, livré aux accidents de la lumière et recréé par un interprète, passionné par le découpage.
D’après la préface de Jean-François Chevrier « Le Louvre revisité », 1986, Editions Contre-jour.
Arnaud Claass – Toscane, 1984, Sologne, 1981, Cévennes, 1982
Photographie noir et blanc
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1988
« Méfiant à l’égard de l’image bavarde, Arnaud Claass cultive un goût pour l’observation visuelle : que se passe-t-il quand notre regard est frappé par un objet, par une scène ? Qu’est-ce qui résiste à l’observation durable des choses ? Des vibrations ombreuses de l’épais feuillage de Sologne, à cet oeil béant qui perce l’orée du bois dans Cévennes, à l’étrangeté d’un corps équin sans tête dans Toscane, point d’évènements, mais un constat intime. Celui peutêtre de cette résistance du réel à se dire et à se laisser lire pleinement. Comme si de son observation minutieuse naissait la découverte, irrémédiable, de cette part d’impénétrabilité. »
Elena Lespes Munoz, notice du catalogue Le Bruit des choses qui tombent, 2017
Yves Jeanmougin – L’Estaque, 1981 – Famille du Quart-Monde, 1977
Photographie noir et blanc
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1985
Yves Jeanmougin a débuté sa carrière de photographe à l’agence Viva (1972-1982) en 1973. L’agence Viva privilégiait les reportages de fond sur la vie quotidienne qui témoignent de l’engagement social, moral ou politique des photographes. Le travail d’Yves Jeanmougin est d’aller quelque part où il ne se passe pas forcément quelque chose d’exceptionnel et de rapporter des témoignages de la façon dont les gens vivent… C’est pour lui la seule aventure qui vaille la peine : rencontrer nos semblables, quelque fois si différents de nous dans leur vie quotidienne et dans leur volonté de « s’en sortir ». Il l’exprime ainsi : « Photographie documentaire, sociale, engagée… peu importe le nom que l’on donne à cette façon de photographier ou de donner à voir la vie. Avant toute chose je m’intéresse aux gens, à la façon dont ils « fonctionnent ». D’autres moins privilégiés pourront profiter de ma disponibilité, pas toujours évidente à conserver, pour en savoir plus sur leurs voisins de palier ! »
José Valabrègue – Coquelicots, 1989 – Lavandes et blés, 1989
Photographie, Cibachrome
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1990
« Les photographies Coquelicots, Lavandes et blés font partie d’une série d’images entreprises depuis déjà plus de dix ans ; à cette époque, les lieux que je découvrais et que j’arpentais méthodiquement (les Alpes de Haute-Provence et le plateau de Valensole), étaient plus verdoyants qu’aujourd’hui ; en effet certains endroits se sont métamorphosés en désert en moins de dix ans. C’était pour moi un enchantement de voir la nature en fête avec les premiers jours de juin, j’avais l’impression de cheminer dans l’univers de Giono ; le paysage était pour moi comme un grand livre ouvert. J’ai longtemps repeint mes photographies à l’aide d’encres transparentes et de pastels, mais dans ce travail-ci j’ai voulu saisir objectivement, sans autre artifice que l’appareil, la pellicule, le tirage (que je réalise moi-même) et sans retouches, tout ce qui peut suggérer la peinture par le mélange et la juxtaposition des couleurs. Ce travail tentait de montrer une nature maîtresse d’oeuvre de ses propres représentations ; je dis tentait car la nature montrée ici est déjà organisée par les hommes, elle n’est pas innocente ; elle rayonne à son acmé et cet instant éphémère nous invite à la réflexion parce qu’elle nous parle. » J. Valabrègue, 1999
Alain Ceccaroli – Sierra Nevada, Andalousie, 1983 – Sablières, 1982 – Huescar-Andalousie, 1982
Photographie noir et blanc, virage au sélénium
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1984
« Des Alpes aux plateaux d’Andalousie, du littoral normand à la Corse, de la Méditerranée à la Guadeloupe, Alain Ceccaroli réalise des photographies de paysages en noir et blanc. Il a multiplié les projets photographiques grâce notamment aux commandes du Conservatoire du littoral en Corse et de l’Observatoire national photographique du paysage dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il prolonge cette démarche d’observation en Grèce, en ex- Yougoslavie et en Syrie. Alain Ceccaroli s’empare du sujet, du motif, l’étudie, le contemple, l’évalue, le pénètre. C’est une lente et longue capture puisqu’il s’agit d’y incorporer la lumière, dont on sait bien qu’elle se dérobe souvent et modifie d’un coup l’examen du paysage. Face à la nature, le photographe opère d’abord comme un peintre. Je n’aime d’ailleurs pas du tout comparer sa démarche à celle du paysagiste, qui peut modifier à son gré ce qu’il voit et imaginer le soleil sous la pluie. Mais je reviens au premier temps du photographe qui, lui aussi, évalue les plans, les volumes, les masses, construit tout en sachant bien qu’il ne pourra agir de la même manière, ni faire de sacrifice. Il devra prendre en compte l’ensemble du panorama envisagé ou imposé. Alain Ceccaroli voit toujours largement. Il ne craint pas l’étendue. Quand il met en évidence un détail, il l’inscrit dans l’espace et la profondeur. Il procède en géomètre et en arpenteur. C’est pourquoi je crois bon d’en faire ici le compagnon des premiers topographes, géologues et botanistes. Ses photographies sont autant de plans-fixes, où ne manquent aucune strate, mais aussi le résultat d’une vision globale, vaste, structurée où vivre la lumière. Ces constats chaleureux, ou en finit pas d’y découvrir des éléments significatifs et révélateurs. »
Charles-Henri Favrod, Fondateur du Musée de l’Elysée, un musée pour la photographie, Lausanne
Denis Brihat – Tulipe noire, 1977 – Tulipe noire, 1980
Photographies noir et blanc, coloration provenant de différents métaux
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1984
« William Blake aurait pu définir ainsi la passion qui anime Denis Brihat : « Voir un monde dans un grain de sable ou un paradis dans une fleur sauvage. » Pour lui, la photographie est le moyen de retrouver à travers les « Machines de la Nature » le vrai sens de la vie ; tout recommencer avec un brin d’herbe… mesurer le Temps pour sa longueur, la douceur de voir par sa couleur, son frémissement… découvrir au hasard d’un vallon perdu la fleur de lichen, soleil doux des pierres oubliées… entrer dans les genêts et y penser pendant des heures, s’imprégner du suave parfum de ses clochettes jaunes… imaginer, face à la mer le galet transformé en sable, le sable en reflets dorés, les reflets en vagues cristallisées… calculer la courbe de la ronce des bois, le nombre de ses épines, bref, découvrir encore… et puis, bien net, bien précis et sans bouger dans le calme des matins givrés, tout « photographier » au micro-nikkor bien diaphragmé, pour n’oublier aucun détail afin de revivre après coup, grâce aux épreuves, le charme ou le fantastique de toute cette réalité poétique. »
Extrait du texte de Jean-Pierre Sudre, dans le catalogue d’exposition, Galerie La Demeure, Paris, 2 mars 1972
Pierre-Jean Amar – Dans mon jardin, 1979 – Vieil imperméable, 1979
Tirage photographique argentique noir et blanc sur papier baryté
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1984
Pierre-Jean Amar a depuis longtemps fait siens les thèmes traditionnels de la photographie, nature morte, nu, portrait, paysage. Il en a perfectionné la maîtrise technique lors de stages aux Rencontres Internationales de la Photographie ou auprès de Willy Ronis dont il fut l’assistant en 1975. La nature morte, avec pour motif le règne végétal et minéral, est l’un de ses sujets de prédilection. Elle lui permet, par l’infinie diversité de formes et de textures, un travail sur la lumière, le détail, le grain. Dans cette série, l’artiste pousse même le jeu jusqu’à faire apparaître le cuir usé d’un vieil imperméable comme l’écorce d’un arbre ou encore transforme un bidon en corps de femme. C’est toujours le cadrage qui fait sens, le contenu paraissant anecdotique. La première photographie, par l’utilisation du gros plan, n’isole qu’un détail, devenu ambigu, sortant du cadre. Dans la seconde, plus classique, le sujet est nettement identifié car isolé au centre. La troisième, en étant dépourvue, insiste sur le pourtour. Hors-cadre, cadre, hors-cadre. Trois clichés. Trois fenêtres. Une leçon de photographie en somme.
Jean Dieuzaide – Fenêtre de mon bureau, 1981 – Aveyron – La cascade de Larroque, 1981 – La poêle miroir, 1970
Photographie noir et blanc tirée sur papier Agfa RR119, virage au sélénium
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1986
Jean Dieuzaide se fait connaître, étant seul en 1944 à couvrir la Libération de Toulouse. À cette occasion, il fait le premier portrait du Général de Gaulle à son retour en France. Il est le premier photographe français à être reconnu en recevant en 1955 le Prix Niepce et en 1961 le Prix Nadar. En 1974, il crée à Toulouse la Galerie du Château d’Eau, dont il fut le directeur artistique jusqu’en 1995. Il est également un des cofondateurs des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles. Révélations esthétiques et métaphysiques, les photographies de Jean Dieuzaide mettent en valeur ses recherches personnelles. Elles se basent sur l’observation détaillée de son environnement et une construction esthétique rigoureuse. La ligne n’est ni froide, ni désincarnée, et elle sait rendre avec chaleur les formes qu’elle impressionne. Le travail de Jean Dieuzaide a quelque chose de mystique même si les objets ne le sont pas.
Jean-Pierre Sudre – Paysage matériographique 2/3, 3/3, 5/6, 1980
Photographie noir et blanc
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1984
Fasciné par « la vie silencieuse des objets », Jean-Pierre Sudre sublime la matière à travers des images de grand format attestant d’une grande maîtrise du tirage. Dans les années 1950 il s’en tient encore à l’enveloppe extérieure des objets : paniers d’oeufs, bouquets de pissenlits… Très vite, il opère une plongée dans la matière et choisit un matériau fétiche : le cristal. Du contact direct des cristaux sur la plaque de verre naissent d’étonnants « paysages » : montagnes arides, sillons cratères, compositions abstraites qui ne sont pas sans évoquer des paysages du Lubéron, où l’artiste a vécu une grande partie de sa vie. Jean-Pierre Sudre nous dévoile ici des paysages issus de matière végétale ou minérale. Explorant les sciences et le secret du tirage, il parvient à nous présenter des spectacles, ressemblant tantôt à des peintures baroques, tantôt à des gravures sur bois. Ses compositions restent classiques dans leur construction ; des lignes horizontales divisent ses photographies en trois parties, gardant à l’ensemble un équilibre.
Philippe Gully – Ensemble « Sans titre », 1983
Photographie noir et blanc virée à l’or
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1983
Les créations photographiques de Philippe Gully se situent entre le visible et l’invisible. Les photographies sont travaillées de telle sorte qu’il nous semble y reconnaître certains éléments, mais jamais avec certitude. Les couleurs passées portent en elles l’empreinte du temps comme si elles avaient subi les intempéries du vent et de la pluie. Il nous entraîne ainsi dans un paysage à la limite entre le réel et l’abstrait, qui laisse place au monde imaginaire de chacun.
Christian Louis – Tramontane par-dessus le cimetière de Céret – La visite au musée d’art moderne – Madame Caoutchouc fait ses exercices – La funambule a-t-elle une culotte ? 02 juin 1983
Photographie noir et blanc
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1983
Christian Louis devient apprenti photographe en 1962 à l’âge de 14 ans. Depuis,dit-il, « la photographie retient le temps qui passe, alors que celui-ci me glisse entre les doigts ! Mais comment vivre sans cette passion ? ». A 26 ans, il rencontre Robert Doisneau et Willy Ronis, des photographes aux côtés desquels il s’inscrira dans la lignée de la « photographie française humaniste ». Sa manière de saisir le réel est nette et précise, l’imaginaire sollicité et la présence humaine en activité sont toujours au coeur de l’image. À michemin entre une démarche sociologique et un travail plastique, ses photographies composent une fresque passionnante de nos modes de vie et de nos manières d’être. Christian Louis se situe dans le quotidien, le banal invisible que l’on ne voit plus. Le constat est lucide et ironisé, porté par des images, qui sont une mine d’information sur le réel et la vie (décors, vêtements, attitudes). Une esthétique à l’opposé des canons du genre documentaire, grands formats, couleurs chromos, compositions froides…quasi cliniques. Christian Louis nous propose ainsi une forme de pratique heureuse de la vie et de la photographie.
Bernard Plossu – Train de lumière, 1997
25 photogrammes en Noir et Blanc extraits d’une bande en super-8mm sur papier argentique.
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 2011
L’œuvre singulière de Bernard Plossu, à la fois cinéaste, photographe et auteur, questionne et redéfinit de nouveaux partages du monde et de l’image. Né au Vietnam, nourri de la contre-culture américaine et de l’esthétique de la Nouvelle Vague, Bernard Plossu souhaitait au milieu des années 1950 devenir cinéaste. Ce cinéphile averti et passionné sera dans les années 1960 photographe. Pour ce cinéaste de l’instant donné, photographe du mouvement, la photographie est le moyen d’arrimer la pensée à une connaissance personnelle et physique du monde. Rencontres fortuites, stratégies furtives et rapides des sentiments… Bernard Plossu nous montre à quel point on saisit le monde à travers le corps et le corps à travers le monde.
Pascal Neveux, extrait du texte de la monographie Plossu Cinéma, éditions Yellow Now (Belgique), janvier 2010.
« Ces photogrammes […] sont extraits de la bande en super-8 mm que l’on me voit tourner dans Sur la voie, film de Hedi Tahar, réalisé d’après une idée originale de Bertrand Priour et qui en contient des extraits. Le trajet était La Ciotat–Lyon–La Ciotat en train (comme les frères Lumière cent ans plus tôt). » Bernard Plossu
Hubert Grooteclaes – Tokyo, 1973 – Fort de France, 1980
Photographies noir et blanc, virage sépia
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1986
On m’avait offert un vieil objectif des années trente qui, à pleine ouverture, donnait des images floues. Je me suis mis à tirer flou. C’est très difficile, personne n’a jamais fait ça, on n’a ni référence ni point de repère. Il a fallu que je mette une technique au point. Garder un souvenir flou des endroits où je n’irai plus… pour revoir mes filles petites, parce que je n’ai pas une bonne mémoire, parce que je suis myope… pour ne pas faire comme tout le monde. Je ne pense qu’à moi quand je réalise une photographie. Tant mieux si cela plaît à d’autres ensuite. Le moins qu’on puisse faire, c’est de montrer quelque chose. Il faut démontrer et encore mieux dénoncer. Embellir la beauté et enlaidir la laideur. A force de se remettre en question, on finit bien par changer : un jour, en 1973, je suis parti du trait vers le flou, faisant ce qu’on appelle communément un saut de carpe, mais qui n’est en définitive qu’un prolongement dans la rigueur. Depuis, je pars à la découverte de mes négatifs. J’essaie de leur donner une nouvelle vie en les chargeant de nostalgie. Hubert Grooteclaes, « Propos épars »
Jun Shiraoka – Shikoku, Japon, 27 novembre 1970 – New York, U.S.A, 1977 – Versailles, France, 08 juillet 1980 – Albi, France, 26 décembre 1980
Photographie noir et blanc au bromure d’argent sur papier
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1989
Japonais ayant quitté son pays pour New York, puis pour Paris, Shiraoka conçoit la photographie comme une sorte d’agenda qui enregistrerait ses expériences sur ses lieux de passage et de vie. Sans motif particulier, ses instantanés ne flattent pas l’oeil : denses, d’un noir profond, ils demandent un effort de vision qui se transforme en une concentration méditative. D’une composition sobre et structurée, ils sont retravaillés au tirage, obscurcis ou éclaircis selon l’intensité émotive que l’artiste décide de leur procurer. Ils ne sont donc pas des vues d’instants privilégiés, mais plutôt une réflexion sur l’ombre et la lumière. Souvent pris au travers d’une vitre qui peut se transformer en grille, ils montrent des lointains rendus difficilement accessibles. Avec l’accent porté sur le premier plan formé par des barreaux, de la buée ou par un étagement de jardins, Shiraoka joue sur les échelles et nous livre pudiquement une confidence.
Céline Flécheux, notice d’œuvre du catalogue Collection 1989/1999, Actes Sud / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2000.
Nancy Wilson-Pajic – 11 septembre 1983, 1983 – 22 octobre 1983 II, 1983 – 6 décembre 1983, 1983
Épreuve à la gomme bichromatée noire sur papier vélin
Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, acquisition 1989
Lorsque Nancy Wilson-Pajic quitte New-York en 1978 pour la France, elle y laisse un milieu avant-gardiste très favorable à ses installations radicales et engagées. Lors de cette remise en cause, elle se met à expérimenter des procédés photographiques du XIXe siècle et à réaliser des tirages à la gomme bichromatée. Grâce à cette technique singulière, utilisée par les pictorialistes, elle s’attache à rendre visibles les contenus émotifs des lieux, des situations et des choses. La série Treshold (qui compte sept images en tout) renvoie, dans un esprit minimal, à son atelier, ce réel sur lequel elle restreint la prise de vue. Seule la lumière y tire des traits et forme des compositions abstraites, jouant des contrastes avec précision. Elle met en évidence comment la matière de l’épreuve et la composition de l’image peuvent communiquer une information finalement indépendante du sujet photographié. L’image obtenue, stable, mate et veloutée, rend palpables l’écoulement du temps et la densité de l’espace plastique de l’atelier.
Céline Flécheux, notice d’oeuvre du catalogue Collection 1989/1999, Actes Sud / Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2000.
Au deuxième plateau
Au centre de l’espace, deux cimaises construisent quelques perspectives…
Le parcours commence avec deux œuvres d’Anna Malagrida de sa série « Vitrines » dont une occupe la première cimaise et celles de Paul Pouvreau malheureusement desservies par de désagréables reflets et effets de miroirs qui les rendent très difficiles à regarder…
Sur la droite, on découvre un dialogue très réussi entre des épreuves de Gilles Pourtier et Marie Bovo heureusement présentées sans vitre de protection !
Suit un rapprochement autour du thème de la guerre avecune photographie de Sophie Ristelhueber (Fait, 1992) et une série de Ahlam Shibli (Trackers, 2005)…
Un peu plus loin les Façades (1994) de Valérie Jouve dialoguent plus difficilement avec trois tirages de Laura Henno extraits de son travail à Slab City…
Un ensemble de photographie de Laia Abril appartenant à son travail sur l’avortement qui avait marqué les Rencontres d’Arles 2017 au Magasin électrique termine l’accrochage sur la droite du deuxième plateau.
La seconde cimaise placée entre la série de Laura Henno et celle de Laia Abril présente côté pile deux grands formats de Thierry Fontaine, D’un soleil à l’autre, 2017 et Le Gagnant, 2015. Ce dernier souffre lui aussi de reflets particulièrement gênants.
Côté face, trois paysages en Camargue de Lionel Roux pourraient, au moins par leur format, dialoguer avec les façades de Valérie Jouve.
Le mur du fond rapproche quatre photographies argentiques couleur de Vincent Bonnet avec des images de Franck Pourcel issues de son projet Constellations, photos prises autour de la Méditerranée…
En revenant vers le début du parcours, on découvre six photographies noir et blanc de Nicolas Floc’h où il nous montre les structures en béton implantées au large du Château d’If, dans l’univers sous-marin des maricultures. Elles voisinent avec un paysage de Gérard Traquandi, transfert photographique sur papier Arche… Une de ses manières de « Faire entrer la photographie dans l’atelier ».
Un peu plus loin, deux étranges photographies d’Erica Baum extraites de sa série The Naked Eye (à l’oeil nu) troublent le regard.
Au revers de la première cimaise, quatre photographies d’André Mérian illustrent les cardages et les constructions très rigoureuses de sa série Nevermind (Peu importe)…