Permafrost – Les formes du désastre à La Panacée


Jusqu’au 3 mai 2020, Le MO.CO. Panacée propose « Permafrost – Les formes du désastre », une exposition d’une lucidité troublante et prémonitoire qui fait écho à la situation que nous expérimentons depuis quelques semaines et qui ne manquera pas de se renouveler…

Cet extrait du texte d’introduction est particulièrement éloquent (c’est nous qui soulignons) :

Pensée comme une métaphore des bouleversements actuels ou imminents, la fonte du permafrost sert de point d’ancrage à l’exposition.
Le permafrost est le nom donné aux sols constamment gelés qui recouvrent un quart de la surface de l’hémisphère nord. Soumis au dérèglement climatique, ces sols fondent et libèrent de grandes quantités de méthane et de carbone. Leur fonte est à l’origine de phénomènes d’érosion, de disparitions de lacs, de glissements de terrain et d’affaissements du sol ; elle bouleverse la composition des espèces végétales ou animales, libère et propage bactéries et virus jusqu’alors inconnus car gelés depuis des milliers d’années.

Permafrost explore plus particulièrement comment les systèmes actuels (naturels, économiques et symboliques) évoluent et se transforment dans un mouvement permanent et incontrôlable de morphogenèse. Les œuvres produisent la réalité comme une science-fiction, et posent la question : quels symboles, formes et mythologies peuvent encore apparaître quand les systèmes connus s’effondrent, les paysages se délitent, les cycles se dérangent ? »

On attendait avec curiosité de découvrir les formes du désastre que révélerait ce pergélisol…

Sans aucun doute, « Permafrost – Les formes du désastre » est une des propositions les plus intéressantes et des mieux construites du moment.

Les œuvres sélectionnées, en grande partie coproduites par le MO.CO. Panacée et la Biennale d’Istanbul dont Nicolas Bourriaud était le commissaire sont particulièrement intéressantes.

Leur mise en espace est construite avec beaucoup de soin. Elle utilise intelligemment les contraintes du bâtiment et sait offrir d’excellentes conditions d’exposition aux pièces exposées. Le parcours joue adroitement avec les perspectives et la lumière du jour en proposant de subtils changements d’éclairages. Il faut saluer le travail de Vincent Honoré, directeur des expositions et de ses équipes qui enchaînent depuis plusieurs mois des accrochages remarquables.

La scénographie lumineuse imaginée par Serge Damon conduit le visiteur d’une ambiance où dominent les bleus glacés jusqu’à la dernière salle qui baigne dans des rouges « incendiaires ».

Le dispositif combine avec adresse un ensemble de projecteurs et la lumière naturelle modulée par des films translucides appliqués sur les fenêtres du patio. Selon les conditions météorologiques et l’heure du jour, les variations de lumière interagissent avec les œuvres et modifient subtilement la perception du regardeur…
À l’évidence, « Permafrost – Les formes du désastre » doit beaucoup à cette mise en lumière très réussie.

Un livret d’accompagnement de la visite est à la disposition du visiteur. Les cartels sont complétés par de brèves interviews des artistes. Ces documents proposent d’utiles repères qui enrichissent notablement l’expérience qu’offre « Permafrost – Les formes du désastre ». Ils sont également téléchargeables depuis le site du MO.CO.

Le commissariat est assuré par Vincent Honoré, Directeur des expositions, Caroline Chabrand, Curator et Rahmouna Boutayeb, Chargée de projets, assistés de Taddeo Reinhardt.

Vincent Honoré, Directeur des expositions au MO.CO. et commissaire de « Permafrost – Les formes du désastre »

« Permafrost – Les formes du désastre » rassemble des œuvres de : Deniz Aktaş, Ozan Atalan, Nina Beier, Dora Budor, Rochelle Goldberg, Eloise Hawser, Max Hooper Schneider, Nicolas Lamas, Pakui Hardware, Michael E. Smith, Laure Vigna.

À ne pas manquer, si « Permafrost – Les formes du désastre » est encore visible après la période de confinement actuelle.

« Permafrost » est réalisé en partenariat avec IKSV Istanbul Fondation for Culture and Arts Biennal16ème Biennale d’art d’Istanbul dont Nicolas Bourriaud était le commissaire.
L’exposition présente des installations, sculptures, vidéos et dessins, dont une grande partie a été coproduites par le MO.CO. Panacée et la Biennale d’Istanbul.

« Permafrost » devait être accompagné par un important programme de rencontres et de symposiums suspendu pour le moment.

À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite accompagné des textes extraits du livret et des entretiens avec les artistes.

En savoir plus :
Sur le site du MO.CO. Montpellier Contemporain
Suivre l’actualité du MO.CO. Montpellier Contemporain sur Facebook, Twitter et Instagram
Les liens associés aux noms des artistes revoient vers leur site personnel, celui de leur galerie ou les pages de IKSV quand ils ont participé à la 16ème Biennale d’art d’Istanbul.

Permafrost – Les formes du désastre : Regards sur l’exposition

Salle 1

Le parcours commence dans une lumière d’un bleu glacier avec la « confrontation » de l’installation d’Eloise Hawser qui interrogent le 7e continent et son cortège de déchets et les trois dioramas aux paysages désolés et tempétueux de Dora Budor.

Eloise Hawser - The Tipping Hall, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MO.CO. La Panacée Photo © Marc Domage
Eloise Hawser – The Tipping Hall, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MO.CO. La Panacée Photo © Marc Domage

Eloise Hawser

The Tipping Hall, 2019
Sculpture vidéo. 35’ Acier, verre feuilleté et recyclé
Ta, 2019
Sculpture vidéo. 12’ Acier, verre feuilleté et recyclé
Feathering, 2019
Sculpture vidéo. 19’ Acier, verre feuilleté et recyclé
Waste to energy, Zero-to-landfill, 2019
Déchets en énergie, zéro mise en décharge
Deplumed Mattress, 2019
Ressorts de matelas extraits d’Ardely, Royaume Uni

Œuvres coproduites par la 16e Biennale d’Istanbul et le MO.CO. Montpellier Contemporain.
Présentées avec le soutien de Bilge & Haro Cümbüşyan, Arts Council England, artgenève/artmonte-carlo, du British Art Council et de Fluxus Art Projects.

Pour cette œuvre coproduite avec la 16e Biennale d’Istanbul, l’artiste a filmé le plus grand centre de recyclage d’Istanbul : il en résulte une installation vidéo et une série de sculptures qui explorent les enjeux économiques et sociaux soulevés par ces circuits de recyclage. Les déchets sont chargés de résonances symboliques et effectives de régénération et de perte. Ils sont manipulés par des professionnels utilisant des grues spécialement conçues. Le film suit l’orchestration du mouvement de ces machines dans une sorte de performance chorégraphique, rythmée par le processus à l’œuvre.

Pour l’artiste : « la nature, en ce sens, n’est plus un matériau sur lequel l’industrie peut travailler, comme nous aurions pu auparavant considérer le bois, le gaz et le pétrole. Au lieu de cela, à l’ère de la consommation et des déchets de masse, il semble qu’il y ait maintenant un matériau de second ordre, déjà composé et recomposé par des procédés industriels.
L’objectif de l’économie dite circulaire est de parfaire cette procédure, selon laquelle tout ce avec quoi l’industrie travaille a toujours déjà été composé, décomposé et recomposé.
 »

Eloise Hawser - The Tipping Hall, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MoCo La Panacée
Eloise Hawser – The Tipping Hall, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MoCo La Panacée

Comment est-ce que votre installation sort de son contexte original ? Que dit votre installation de la situation politique actuelle à plus grande échelle ?

Mes œuvres filmiques et sculpturales sont des réponses spécifiques à la gestion des déchets au Royaume-Uni et à Istanbul. Ces sites ne sont pas des « contextes » au sens propre. Ils sont presque toujours cachés et n’offrent pas une idée précise d’espace. Mon travail tente d’extraire un certain « contexte » à partir de ces immenses sites impersonnels. Dans mon film, j’ai attaché une caméra à la pince d’une grue passant au crible un vaste paysage de débris se formant dans le hall de dépôts du site. Mes sculptures, quant à elles, sont composées de matériaux que j’ai récupérés lors du processus de recyclage. Une inspection rapprochée des déchets met en évidence la présence d’usages et de gestes anciens, révélant des lieux ensuite transformés en ordures anonymes.

J’ai eu une expérience surprenante en filmant sur ces sites. Les architectures et les machines au Royaume-Uni et en Turquie sont presque identiques, tandis que les déchets eux-mêmes et certains des processus cachés impliqués sont loin d’être uniformes. Bien que ces sites les traitent comme une « matière première » indéterminée et interchangeable, les examiner de manière plus artistique révèle leurs résonances politiques locales et internationales. À Istanbul, par exemple, nous savons que les « ramasseurs » occasionnels influencent la composition de ce qui est livré à la gestion des déchets de la ville. Ces deux flux ont récemment convergé vers un marché international des déchets, la Turquie étant désormais l’un des plus grands importateurs de déchets du Royaume-Uni.

Votre travail explore l’activité humaine et son impact sur les écosystèmes naturels, jusqu’à une substitution complète. Mis en perspective, seriez-vous d’accord avec le principe de Lavoisier selon lequel « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ?

L’un des objectifs de mon travail est de capturer certains des processus et des espaces qui interviennent dans notre gestion des déchets. Les écosystèmes naturels sont inévitablement touchés – la pollution et la mise en décharge en sont les exemples les plus évidents. L’ampleur des infrastructures impliquées dans cette gestion, cependant, suggère un écosystème spécifique – le mouvement des déchets est maintenant global, rythmique et impersonnel. Le nom de la masse de déchets flottant dans l’océan Pacifique a même été naturalisé, le fameux « septième continent ». Cependant, je ne sais pas si le principe de Lavoisier est utile pour réfléchir à cet « écosystème » et à son « continent ». Il me semble que la question du changement climatique concerne ce que les ingénieurs appelle la « masse critique » – un processus qui acquiert de telles dimensions et une telle complexité qu’il conduit à une reconfiguration complète.

Née en 1985 à Londres (Royaume-Uni) où elle vit et travaille.
Le travail d’Eloise Hawser se base sur l’investigation, révélant ce qui est caché, invisible ou enterré.

Plusieurs expositions monographiques et en duo lui ont été consacrées, parmi lesquelles Lives on Wire, ICA à Londres (2015) ; Hawser / Hofer, MUMOK de Vienne (2016) ; Sol Lewitt et Eloise Hawser, Vistamare à Pescara (2016). Elle a participé à des expositions collectives à la galerie White Cube à Londres (2016) ; à la Tate Britain à Londres (2015) ; au New Museum, New York (2015). Elle a aussi exposé à la 16e Biennale d’Istanbul (2019).


Dora Budor

Origin I (A Stag Drinking) [Origine I (Un cerf buvant)] 2019
Origin II (Burning of the Houses) [Origine II (L’incendie des maisons)] 2019
Origin III (Snow Storm) [Origine III (Tempête de neige)] 2019

Chambres environnementales personnalisées Système électronique réactif, compresseur, vannes, éléments imprimés en 3D, aluminium, acrylique, lumière LED, verre, bois, peinture, pigments organiques et solaires, terre de diatomées, poussière FX, feutre. Dimensions d’une chambre : 152 x 160 x 86 cm.

Œuvres coproduites par la 16e biennale d’Istanbul et MO.CO. Montpellier Contemporain
Courtesy de l’artiste et de la Kunsthalle de Bâle.

Dora Budor – OriginI, II et III, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MoCo La Panacée
Dora Budor – OriginI, II et III, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MoCo La Panacée

Les pièces Origin I (A Stag Drinking), II (Burning of the Houses) et III (Snow Storm) de Dora Budor pourraient être les miniatures de paysages de films de science-fiction. Ne restent que des horizons désolés et accidentés, une lumière blafarde, une dense poussière tourbillonnant sans cesse. Comme dans la plupart de ses œuvres, Dora Budor compose un univers fictionnel anticipatif, nourri par les histoires du cinéma, de la littérature, de l’architecture et de la peinture.

Dora Budor – Origin II (Burning of the Houses) [Origine II (L'incendie des maisons)] 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MO.CO. La Panacée
Dora Budor – Origin II (Burning of the Houses) [Origine II (L’incendie des maisons)] 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MO.CO. La Panacée

Ces dioramas sont notamment inspirés de trois peintures de tempête de J. M. W. Turner qui, déjà au début du XIXe siècle, représentait des paysages rendus abscons par des nuages de poussières volcaniques ou de particules de pollution. Malgré leurs apparences désertiques et purement minérales, ces paysages ont conservé les traces d’une activité humaine. Fonctionnant comme les chambres utilisées par les scientifiques pour tester la résistance d’objets manufacturés à l’usure et au temps, les œuvres interprètent les variations de nappes sonores enregistrées sur des chantiers. Ces échos inaudibles définissent la fréquence et l’intensité des éruptions de pigments qui troublent l’air des vivariums.

Origin III (Snow Storm) [Origine III (Tempête de neige)], 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MO
Dora Budor – Origin III (Snow Storm) [Origine III (Tempête de neige)], 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MO.CO

Quelle relation entretient votre travail avec le cinéma ?

Je crois que mon travail entretient une relation dynamique avec le cinéma et ses procédés de « création d’univers ». Dans mon travail, il y a toujours une tendance à penser non aux sujets et objets en tant que tels, mais plutôt par ce qui se joue entre eux – une situation transitoire qui existe selon certaines conditions ou atmosphères et qui produit un système complexe. De la même manière, un objet n’est jamais simplement perçu comme une chose, mais peut être considéré comme un outil, un évènement ou un instrument. Ainsi, la tendance à raconter des histoires, aussi abstraites soient-elles, est toujours là.

Contrairement à l’idée de Smithson qui considère que « passer du temps dans un cinéma, c’est faire un “trou” dans sa vie », mon travail donne au corps du spectateur une fonction d’agent. Il devient un participant actif ; détermine le temps d’attention, la durée, la lisibilité de l’œuvre – et parfois même l’influence directement.

Dora Budor – OriginI, II et III, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MoCo La Panacée
Dora Budor – Origin II , 2019 (détail)- Permafrost – Les formes du désastre au MoCo La Panacée

Le cinéma et l’architecture servent aussi comme modes de visualisation. Cela m’intéresse de voir les fictions cinématographiques comme des espaces architecturaux écrits, et de regarder l’architecture à travers le prisme de différents dispositifs d’observation et d’expérience. Ainsi, les mécanismes utilisés dans mon travail sont souvent proches des procédés de montage : je confronte des gros plans et des détails à des paysages en plan larges, le macro au micro. Je joue d’effet d’ellipses, tisse des trames narratives parallèles. Les corps ne sont pas les seuls à se mouvoir, l’espace aussi. Il s’approche, recule, tourne, se dissout, se cristallise…

J’utilise aussi d’autres effets cinématographiques pour travailler cette sensation de temporalité stratifiée, notamment le jump-cut, le montage parallèle, le match-cut et autres raccourcis, connections ou synchronisations qui permettent de faire se rejoindre les extrémités de plusieurs arcs narratifs.

Dora Budor – Origin I (A Stag Drinking) [Origine I (Un cerf buvant)] 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MO.CO
Dora Budor – Origin I (A Stag Drinking) [Origine I (Un cerf buvant)] 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MO.CO

Au-delà de l’influence des peintures de J. M. W. Turner, y a-t-il des films, ou des atmosphères cinématographiques, qui ont pu inspirer la série Origin ?

Bien sûr, mais ces peintures ont été choisies pour une raison particulière : on les considère, dans l’histoire de l’art, comme les toutes premières représentations de variations thermodynamiques visibles dans l’atmosphère. De cette manière, elles s’opposent à l’idée de l’histoire de l’art comme une discipline figée et préservée, imposant ces « images instables » qui sont continuellement construites et déconstruites – ce qui en soit est déjà une stratégie cinématographique.

Dora Budor – OriginI, II et III, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MoCo La Panacée
Dora Budor – Origin III, 2019 (Détail) – Permafrost – Les formes du désastre au MoCo La Panacée

Née en 1984 à Zagreb (Croatie).
Vit et travaille à New York (USA).

Elle a récemment exposé à la 16ème Biennale d’Istanbul (2019) et à la Kunsthalle de Bâle (2018) pour sa première monographie d’envergure en Europe. Elle a aussi participé à des expositions au Palais de Tokyo à Paris (2017) ; au Whitney Museum of American Art à New York (2016) ou à la Halle für Kunst & Medien de Graz en Autriche (2015) ainsi qu’à la 13ème Triennale de la Baltique (2018) ou à la 9ème Biennale de Berlin (2016).

Salle 2

L’installation d’Ozan Atalan (Monochrome, 2019) marque avec force la mise en espace de cette deuxième salle. L’œil du spectateur est irrépressiblement accroché par le squelette de buffle d’eau posé au centre. Ensuite, le regard est habilement conduit vers les deux moniteurs vidéo accrochés dans l’angle. Deux très beaux dessins de Deniz Aktas font écho à cette « nature morte »…


Ozan Atalan

Monochrome, 2019
Installation (squelette de buffle d’eau, béton, terre, vidéos 5′ chaque)

Œuvre coproduite par lla 16ème biennale d’Istanbul et MO.CO. Montpellier Contemporain.
Avec le soutien de la SAHA – Supporting Contemporary Art from Turkey

Ozan Atalan - Monochrome, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée - Photo © Marc Domage
Ozan Atalan – Monochrome, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MO.CO. La Panacée – Photo © Marc Domage

L’installation d’Ozan Atalan, Monochrome (2019), prend comme point de départ la destruction de l’habitat du buffle d’eau dans les environs d’Istanbul. La construction d’un nouvel aéroport – le plus grand du monde – et d’un troisième pont sur le Bosphore ont déplacé cette espèce endémique.

Ozan Atalan - Monochrome, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MoCo La Panacée
Ozan Atalan – Monochrome, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

La sculpture se compose d’un squelette de buffle posé sur un socle de béton, de colle et de terre. C’est un emblème de la mise en péril de la Nature et de la transformation des équilibres, en particulier en Turquie, l’un des cinq premiers pays de production et d’utilisation du béton, dont la production contribue à elle seule à 5% des émissions annuelles de dioxyde de carbone dans le monde. Une vidéo documentaire complète l’installation. Elle montre l’habitat des buffles d’eau à Kemerburgaz et la frénésie de construction qui mène à sa destruction. (Texte de Pablo Larios)

Ozan Atalan - Monochrome, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Ozan Atalan – Monochrome, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Dans votre œuvre Monochrome, vous faites clairement référence à la destruction de la nature par l’homme. Cette relation est-elle récurrente dans votre pratique ? En présentant un squelette de buffle, pensez-vous que cela implique plutôt de donner une vision du futur, ou de réfléchir sur notre présent et passé ? Quel est votre point de vue sur le concept de capitalocène ?

Dans mon travail, je traite des formes hybrides étroitement lié à des phénomènes d’évolution, ainsi que des réalités spéculatives résistant aux dualités artificielles qui conditionnent notre rapport au monde. Une approche anti-anthropocentrique domine ma pratique, qui explore la nature humaine à travers le prisme de l’aliénation. Vivant à une époque où nos angoisses existentielles nous éloignent de nous-même, de notre vrai état et de la nature, ma principale préoccupation est de compenser les conséquences de cette aliénation, qui se manifeste par l’altération de notre sens de la réalité, des blocages émotionnels et conceptuels dans notre relation avec le monde, l’opposition de l’homme et de la nature…

L’histoire et l’avenir de la planète ne peuvent pas être uniquement compris par la façon dont la nature conserve ses propres archives biologiques, physiques, chimiques et géologiques. Il faut aussi prendre en compte l’impact anthropologique.

Ozan Atalan - Monochrome, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Ozan Atalan – Monochrome, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Ainsi, la dimension spéculative de mon esthétique est autant rétrospective et que futuriste : le squelette du buffle est pensé comme une ruine du présent, destinée au futur de l’humanité.

Lorsque nous parlons d’impact humain, cela inclut inévitablement les systèmes économiques et politiques qui utilisent malheureusement les ressources du monde au détriment des êtres non-humains, alimentant la séparation entre «moi et l’autre». Cette ségrégation creuse l’écart entre le monde et l’homme et entre les personnes elles-mêmes. Dans cette perspective, le capitalocène renvoie à un monde sacrifié au nom d’une pseudo-sacralisation du profit privé au-delà de toute préoccupation éthique.

Né en 1985 à Gelibolu (Turquie).
Vit et travaille à Istanbul (Turquie).

Ses œuvres ont notamment été montrées dans des lieux d’exposition de renommée nationale et internationale tels que le Corridor Project Space à Amsterdam (2019) ; le Chelsea Town Hall à Londres (2017) ou le PØST à Los Angeles (2015). Il a aussi participé à la 16ème Biennale d’Istanbul (2019).


Deniz Aktaş

Untitled, 2019
Encre sur papier
Unbound Variable, 2019
Encre sur papier
Ruins of Hope II, 2019
Encre sur papier

Œuvres coproduites par la 16e Biennale d’Istanbul et le MO.CO. Montpellier Contemporain, avec le soutien de la SAHA-Supporting contemporary Art from Turkey.

Deniz Aktas - Untitled, 2019 The Ruins of Hope, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Deniz Aktas – Untitled, 2019 The Ruins of Hope, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Les trois dessins de l’artiste représentent des déchets, signes banals d’une société du chaos. Les deux petits formats encadrés montrent l’un la souche d’un arbre coupé et l’autre un amas de tuyaux peut-être égarés d’un chantier (ou est-ce un nid ?). La facture est classique, le sujet actuel : les images peuvent se lire comme une archive du contemporain.

La troisième encre sur papier est un grand format présentant de manière frontale un amoncellement de pneus. Ici encore, l’homme n’est présent qu’à travers les traces de ses activités. Son titre, The Ruins of Hope 2 (Les ruines de l’espoir 2), fait référence au tableau romantique de Caspar David Friedrich, The Wreck of Hope, 1823-1824 (L’épave de l’espoir). Tout comme l’œuvre de Friedrich, le travail de Deniz Aktaş oscille entre peinture de paysage et d’histoire. Ce sombre mur de pneus est prétexte à montrer la réalité urbaine : ce qui permettait le mouvement, le pneu, est désormais devenu un obstacle. Les dimensions imposantes confrontent le spectateur à la réalité d’un monde sans horizon. L’œuvre témoigne néanmoins d’une fascination pour son sujet. Ce mur de pneus devient in fine un objet de contemplation tragique.

Deniz Aktas - Ruins of Hope II, 2019 - The Ruins of Hope, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Deniz Aktas – Ruins of Hope II, 2019 – The Ruins of Hope, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Peut-on associer votre travail à une « esthétique de la ruine » ?

J’ai commencé un nouvel ensemble intitulé No Man’s Land en 2016, qui est un tournant dans ma pratique. À l’époque, je vivais dans une de ces villes subissant de grandes transformations – comme beaucoup d’autres dans le sud-est de la Turquie et en Syrie. Ces destructions continues sont physiques, mais aussi immatérielles, culturelles, et il était frappant d’observer ces scènes de bouleversement depuis mes fenêtres. Mes dessins reflètent ce sentiment d’être à la fois dedans et en dehors de ces villes, de cette crise, ce qui renvoie peut-être aussi à l’idée de l’« esthétique de la ruine ».

Mes dessins transforment des scènes catastrophiques en images stériles composées de traits systématiques et linéaires au stylo noir. Les ruines contiennent une trace de violence autant qu’un potentiel de transformation. Ainsi, mon travail donne l’impression d’être pris entre deux extrémités, comme suspendu dans l’espace et le temps.

À quelles pratiques ou périodes artistiques votre travail se rapporte-t-il ?

Ruins of Hope II [Les ruines de l’espoir II] est inspiré du tableau The Wreck of Hope [L’Épave de l’espoir] (1823-24) de Caspar David Friedrich, qui représente le naufrage d’un navire ayant percuté un iceberg, et nous confronte à l’impuissance de l’humanité face à la nature. C’est un bon exemple de la manière dont les romantiques représentaient des paysages mélancoliques et la supériorité de la nature sur l’homme.

Ce qui m’inspire le plus sont la ville, les politiques urbaines, la question des droits, les migrations, les déplacements et les conflits, qu’ils mènent à la guerre ou à la paix. Plus largement, je m’intéresse à la domination de l’humanité sur la nature pour des raisons politiques, ce qui conduit à notre propre désespoir. Les politiques gouvernementales peuvent provoquer le déplacement de milliers de personnes, volontairement ou involontairement, des migrations de masse et la perturbation de l’équilibre écologique. Cela mène aussi inévitablement à une érosion culturelle.

Quelle est la dimension politique de votre travail ?

L’instabilité politique et les guerres au Moyen-Orient ces dernières décennies m’ont profondément affecté. J’étais encore enfant lorsque mon village a été évacué et que nous avons été obligés de migrer, ce qui a engendré un sentiment de désidentification. C’est un traumatisme à l’échelle sociale. Cela commence avec une petite communauté qui, dans un effet domino, finit par transformer les cultures. Ayant vu le revers de la médaille, je crois qu’il est important, en tant qu’artiste, de construire des ponts entre les pôles et de poser des questions à travers mon travail.

Deniz Aktas - Unbound Variable, 2019 - The Ruins of Hope, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Deniz Aktas – Unbound Variable, 2019 – The Ruins of Hope, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Né en 1987 à Diyarbakir (Turquie). Vit et travaille entre Istanbul et Diyarbakir (Turquie).

« Dans la plupart de mes œuvres, je considère la ville comme un chantier de construction continu ».
Les œuvres de Deniz Aktaş reflètent les stigmates de mutations urbaines radicales, d’expulsions forcées, de démolitions, voire de conflits armés.

Deniz Aktaş a participé à des expositions collectives à Paris, Munich, Milan et Istanbul. Parmi les dernières expositions figurent notamment la 16ème Biennale d’Istanbul (2019) ; Confusion, MACAO, Milan (2017) ; Poser Son Temps au On-Off-Studio, Paris (2017) ; à la Pasinger Fabrik Gmbh, Munich (2016). Il a été résident à la Cité Internationale des Arts en 2016.

Salle 3

Cette petite salle présente un des rapprochements les plus réussis de l’exposition. Au mur un grand dessin de Deniz Aktaş (Ruins of Hope II, 2019) répond de manière très juste à une installation au sol de Nina Beier (Mars, 2018) où de ces barres de chocolat à moitié déballées et coupées en deux ont été déposés sur des morceaux d’asphalte… De quoi méditer sur l’obscénité et le ridicule de nos déplacements routiers (entre-autres) !

Nina Beier - Mars, 2018 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée - Photo © Marc Domage
Nina Beier – Mars, 2018 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée – Photo © Marc Domage

Salle 4

On retrouve Nina Beier dans la salle suivante où une désopilante collection de lavabos « sodomisés » par des cigares roulés à la main déborde dans la galerie… On a particulièrement apprécié l’humour grinçant et provoquant de cette installation dont le titre Plugs (2019) est traduit pudiquement mais avec justesse en Bouchons… Certains ne manqueront pas d’y percevoir un clin d’œil ironique à MD.

Nina Beier - Plugs, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée - Photo © Marc Domage
Nina Beier – Plugs, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée – Photo © Marc Domage

Nina Beier

Mars, 2018
Asphalte et barres de Mars
Plugs, 2019
Éviers en céramique, cigares roulés à la main

À travers des procédés de collage et des associations incongrues, l’artiste Nina Beier s’approprie et détourne les univers (iconographiques, historiques ou commerciaux) d’objets communs. Par ces gestes, Nina Beier dévalue les objets qu’elle manipule, les rendant inopérants et répulsifs. Ils sont mis à nus et confrontés à leur propre dimension symbolique, qu’elle tourne en ridicule.

Dans Permafrost, on trouve ainsi des lavabos dont les siphons sont obstrués par des cigares roulés à la main (Plug) et des barres de Mars tranchées, à moitié déballées, déposées sur des morceaux d’asphalte (Mars).

Nina Beier - Mars, 2018 - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Nina Beier – Mars, 2018 – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Ces sculptures exhibent des signes sexuels et scatologiques qui renvoient au pathétique et à l’obscénité d’une société capitaliste bourgeoise et frivole. En l’état, elles deviennent les formes hybrides et ingrates d’un monde structuré par les fluctuations de valeurs économiques. Son sens de la matière et son travail sur les alliances de formes et de textures témoignent aussi de la qualité de son geste sculptural, par lequel elle traite une certaine forme de violence autant culturelle que matérielle.

Nina Beier - Plugs, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Nina Beier – Plugs, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Peut-on considérer vos œuvres comme les symboles, ou les images, de systèmes en crises ? De quels systèmes en particulier ?

[Dans mon travail] je recherche des motifs mutables et des tropes qui ont été régurgités dans un effort collectif de ‘faire sens’ ; des stocks de motifs visuels qui sont employés et redéfinis encore et encore ; des thèmes élastiques qui persistent à travers les âges, les réalités instables, et qui s’adaptent à toutes les décontextualisations et réinterprétations auxquelles ils sont sujets. Ce sont des symboles qui évoluent, qui se rencontrent, qui se réverbèrent, qui se glissent en dehors d’eux-mêmes et de leur signification, se transformant plutôt que s’épuisant.

Je vois mes œuvres comme des nœuds dont chaque ficelle répondrait à une logique différente. Elles captent les intentions contradictoires coexistant dans chaque entité, et cherchent à exposer la nature paradoxale et changeante de la notion de valeur. En d’autres termes, on pourrait tout autant considérer le cigare comme une forme phallique, une image de labeur, un produit de consommation globalisé, le symbole d’une tradition ancienne motif de fierté, un poison mortel, un signe de pouvoir et de richesse, un emblème désuet du patriarcat…

J’aime creuser ces archétypes culturels pour trouver des objets dont les différentes couches sont riches d’histoires et de problématiques ; des objets sujets à des mutations, dans leur intention, leur production, distribution, commercialisation ou usage. En ce sens, les objets qui représentent des systèmes qui se sont effondrés sont plus faciles à déployer. Et c’est cette information enfouie et confuse qui fonde l’identité de l’image qui m’intéresse. Enfin, j’essaye de mettre en place les possibilités d’un échange entre ces qualités symboliques, afin d’en révéler les structures économiques et de pouvoir qu’elles représentent, qu’elles soient liées aux questions de race, de genre ou de globalisation.

Née en 1975 à Aarhus (Danemark). Vit et travaille à Berlin (Allemagne).

Elle a récemment exposé à la Kunsthal Gent à Gand et à la Villa Arson à Nice (2019) ; au Kunstverein à Munich (2018) ainsi qu’à la Kunsthaus de Zürich et au ARoS Aarhus Kunstmuseum d’Helsinki (2017). Elle a aussi participé à la 13ème Triennale de la Baltique (2018) et à la 13ème Biennale de Lyon (2015).

Salle 5

Dans cet espace, on découvre l’installation probablement la plus énigmatique de « Permafrost ». En deux parties, l’œuvre produite par le MO.CO. repose sur un principe « d’intraction » imaginé par Rochelle Goldberg… où le céleri/cervelle semble jouer un rôle clé.


Rochelle Goldberg

Growing, 2018
Carton, riz, céleri rave, bronze, acier
Digesting Gold, 2018
Film plastique, céleri, bols en verre, eau, paillettes d’or, terre, pigments, bronze
Corpse, not an attraction, 2020
Bronze

Rochelle Goldberg - Digesting gold, 2018 et Corpse, not an attraction, 2020 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée - Photo © Marc Domage
Rochelle Goldberg – Digesting gold, 2018 et Corpse, not an attraction, 2020 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée – Photo © Marc Domage

L’installation de Rochelle Goldberg, spécialement créée pour Permafrost, existe comme un paysage miniature où les notions de temps, d’échelle, de croissance ou de préservation sont ébranlées et sans cesse recomposées. Au cœur de la pièce, une vie se développe : le céleri aura à peine le temps de se développer qu’il sera déjà sur le déclin ; les copeaux d’or qui recouvrent la surface de l’eau reproduisent un phénomène de contamination organique dans un décalage empreint de préciosité ; une figure de bronze habite l’espace avec la prestance d’une divinité fossilisée…

Fidèle au principe « d’intraction » qu’elle a conceptualisé, et qui caractérise les relations entre les différentes entités de ses installations, Rochelle Goldberg a composé un ensemble instable aux symboliques multiples. Suivant ce phénomène, les rapports entre les éléments s’altèrent sans cesse, alternant entre conflictualité et harmonie.

Dans des écosystèmes hybrides, l’artiste engage une synthétisation des sujets, notamment conceptuels, écologiques, théologiques et poétiques. Se joue alors au sein même de l’installation l’un des principes fondateurs de l’exposition : ne pourrait-on pas déceler dans le risque qu’accompagne le déclin des systèmes, un potentiel ?

Rochelle Goldberg - Digesting gold, 2018 et Corpse, not an attraction, 2020 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Rochelle Goldberg – Digesting gold, 2018 et Corpse, not an attraction, 2020 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Pourriez-vous expliquer votre concept d’« intraction » ?

Je pense que l’imaginaire permet l’accès à des manières étendues d’être et de voir.

Rochelle Goldberg - Corpse, not an attraction, 2020 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Rochelle Goldberg – Corpse, not an attraction, 2020 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Dans un moment de lucidité, on peut se tenir derrière soi-même, hors de nos corps, et devenir le témoin d’une réalité dans laquelle on joue un rôle. Mais comment matériellement se redéployer dans l’espace ?

Dans la seconde galerie :

La scénographie lumineuse imaginée par Serge Damon joue subtilement sur une transition entre les bleus glacés de la première galerie et les rouges qui dominent en fin de parcours…

Insensiblement, le visiteur passe ainsi d’une ambiance où dominent les bleus vert jusqu’à des jaunes qui évoluent du citron au safran puis à l’orangé… L’ombre des feuillages du patio anime les fenêtres produisant ainsi de délicates variations de l’éclairage.

À mi-parcours, au-dessus d’un coin repos, on remarque une étrange proposition de Michael E. Smith où un squelette de poisson-chat s’échappe d’un sac à dos…

Michael E. Smith – Untitled, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée - Photo © Marc Domage
Michael E. Smith – Untitled, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée – Photo © Marc Domage


Au fond de la galerie, dans les lueurs rougeoyantes de la grande salle, on distingue en lévitation une des inquiétantes sculptures du duo Pakui Hardware.

Grande Salle :

Cet espace avec ses poteaux et une lumière compliquée est sans aucun doute le plus délicat à maîtriser à La Panacée. Il a souvent été difficile de poser son regard dans cette grande salle où les accrochages ont parfois été trop denses et hétérogènes.
Vincent Honoré semble avoir pris la mesure du lieu. On se souvient de la très belle installation qu’il y avait construite avec Caroline Achaintre l’automne dernier. Pour « Permafrost », il présente une nouvelle fois une mise en espace très réussie.

Permafrost - Les formes du désastre au MoCo La Panacée - Vue de l'exposition
Permafrost – Les formes du désastre au MoCo La Panacée – Vue de l’exposition

Les trois artistes (Pakui Hardware, Laure Vigna et Nicolás Lamas) disposent de volumes à la dimension des œuvres choisies. Chaque proposition artistique développe son univers sans cannibaliser ou envahir les autres. La scénographie lumineuse de Serge Damon crée une atmosphère singulière et changeante qui valorise étonnamment les pièces qui y sont exposées, tout en produisant une cohérence inattendue.


Pakui Hardware

Extrakorporal, 2019
Trois œuvres en verre, fausse fourrure, cuir, silicone, graines de chia, système de suspension en métal
Extrakorporal, 2019
Plexiglas thermo aspiré, fausse fourrure, silicone, terre, graines de chia
Extrakorporal, 2019
Plexiglas thermo aspiré, silicone, terre

Cinq œuvres coproduites par la 16ème Biennale d’Istanbul et le MO.CO. Montpellier Contemporain.
Une œuvre produite par Moly-Sabata Avec le soutien de l’Institut Culturel Lituanien.

Pakui Hardware - Extrakorporal, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Pakui Hardware – Extrakorporal, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Pakui Hardware est le nom trouvé par le commissaire Alex Ross pour ce duo d’artiste formé en 2014. Ce nom fait référence à Pakui, servante spéciale d’Haumea, la déesse hawaïenne de la fertilité. La légende raconte que les enfants de la déesse sont tous nés de différentes parties de son corps, tandis que Pakui est connue pour avoir fait le tour de l’île hawaïenne d’Oahu six fois en une seule journée. Le symbolisme de fertilité de ce mythe, basé sur la fragmentation et l’accélération, est l’un des points de référence de Pakui Hardware dans leur exploration du corps contemporain et des dynamiques sociales et technologiques dans lequel il s’inscrit. Le duo crée ses installations en empruntant notamment aux domaines de la biologie synthétique, des processus métaboliques, de la médecine régénérative et du génie tissulaire.

Pakui Hardware - Extrakorporal, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Pakui Hardware – Extrakorporal, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Les œuvres de la série Extrakorporal sont composées de matériaux organiques et artificiels (verre, fausse fourrure, divers textiles, cuir, latex,…). Elles tirent leur origine dans les recherches médicales autour des tissus et des organes cultivés en dehors des corps eux-mêmes et de l’auto-rajeunissement. Le duo s’intéresse par ailleurs aux relations entre la technologie, l’économie et la matérialité ; à la fusion et la confusion du naturel et de l’artificiel ; à la manière dont la technologie façonne les économies, virtuelles et matérielles, et la réalité physique elle-même, jusqu’à comprendre son impact sur le corps humain.

Pakui Hardware - Extrakorporal, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Pakui Hardware – Extrakorporal, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Vous utilisez souvent des données spécifiques (notamment dans les domaines de la biologie, de la médecine régénérative ou du génie tissulaire). Vous arrive-t-il parfois de travailler directement avec des scientifiques pour concevoir vos pièces ?

Les innovations et les connaissances scientifiques servent toujours de point de départ à nos futures spéculations formelles, matérielles et conceptuelles, qui dépassent le strict cadre de la science. En d’autres termes, la science fonctionne généralement comme un déclencheur plutôt que comme le point central ou l’objet principal de notre pratique. Lorsque nous parlons de biologie synthétique, par exemple, nous spéculons sur les formes de vie sauvage qui peuvent être conçues dans ce domaine, même si aujourd’hui les scientifiques travaillent principalement sur des organismes plus petits et dans des champs dans lesquels les recherches sont plus facilement applicables, comme sur les carburants, les épices ou la biomédecine.

En partant du génie tissulaire, nous essayons d’imaginer à quoi ressemblerait un organisme fait d’organes technologiques cultivés artificiellement. Ainsi, nous ne restons pas uniquement cantonnés au domaine de la science. Par ailleurs, observer l’impact des fluctuations du capital sur les avancées de certains secteurs scientifiques est tout aussi important pour notre travail et notre réflexion.

Pakui Hardware - Extrakorporal, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Pakui Hardware – Extrakorporal, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Pensez-vous que l’hybridation soit une qualité nécessaire pour l’avenir ? Pour l’avenir de l’homme ? Pour l’avenir de la nature ?

L’hybridation a toujours été l’un des principaux facteurs de l’évolution des espèces, qu’elles soient humaines ou non-humaines. Mais ce qui distingue l’hybridation actuelle de la précédente, c’est son caractère technologique. Les espèces ne s’hybrident plus simplement entre elles ou en s’adaptant à l’environnement ; les hybridations naissent aujourd’hui des technologies humaines ou sont directement affectées par elles. Dans l’anthropocène/capitalocène, cette hybridation technologique due à l’expansion des activités humaines sera de plus en plus visible et inévitable. Alors que les humains pourraient appliquer stratégiquement cette hybridation technologique pour prolonger et faciliter leur survie face à l’état d’urgence de la planète, le reste de la nature ne pourra que la subir. Et pendant que nous écrivons ceci, nous écoutons sur YouTube une pie australienne imitant une sirène d’urgence pendant les feux dévastateurs en Australie.

Neringa Černiauskaitė et Ugnius Gelguda.
Nés en 1984 à Klaipėda et en 1977 à Vilnius (Lithuanie).
Vivent et travaillent à Berlin (Allemagne).

Le duo a notamment participé à la 16ème Biennale d’Istanbul (2019) ; à des expositions collectives au Musée d’Orsay, Paris (2018) et au Perth Institute of Contemporary Arts en Australie (2017) ; à la 13ème Triennale de la Baltique (2018).


Laure Vigna

Dispersion,2019
Acier brut, bio-plastique (amidon de blé, agar agar et carraghénane), pigments, encres, sisal
Incorporate, 2019
Acier brut, bio-plastique (amidon de blé), pigments, encres, sisal
Shimmer, 2019
Acier brut, bio-plastique (agar agar, carraghénane), pigments, encres

Œuvres coproduites par le Parc Saint-Léger – Centre d’art contemporain et MO.CO. Montpellier Contemporain.

Laure Vigna - Dispersion, Incorporate, Schimmer, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Laure Vigna – Dispersion, Incorporate, Schimmer, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Avec Laure Vigna, l’espace d’exposition est bouleversé, articulé par des interventions qui le construisent et le déconstruisent.

L’artiste se joue de la coexistence de différents matériaux, soit organiques ou transformés (feuille de riz, terre, gélatine, graines, sucre, colorants alimentaires, etc.), soit artificiels ou hybrides (métal, fibre de verre, goudron, résine époxy, glycérine, etc.). Ses œuvres se confrontent à l’espace et au temps dans un jeu d’apparitions et de disparitions.

À la façon d’une alchimiste, c’est en perdant le contrôle des matériaux que Laure Vigna espère atteindre leur maîtrise. De nombreux paramètres et facteurs extérieurs influencent le résultat, qui ne peut être figé : la température, l’hygrométrie, les composés naturels ou chimiques.

Incorporate, Schimmer et Dispersion sont des structures en acier brut sur lesquels Laure Vigna suspend des formes semi-organiques, produites en bio-plastiques et qui évolueront selon leur environnement. À travers ces combinaisons et assemblages, l’artiste met en perspective les fondamentaux de la sculpture : suspension, élévation, verticalité et horizontalité dans un jeu de tension et d’équilibre précaire.

S’opère alors un déploiement de formes, matières et couleurs qui interagissent avec l’espace, la lumière et le déplacement physique du visiteur.

Laure Vigna - Incorporate, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacé
Laure Vigna – Incorporate, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacé

Vous portez un intérêt à l’expérience de la matière, des formes produites et au processus de transformation. Pourriez-vous nous dire quels liens vous entretenez avec la nature et les matériaux, le naturel et l’artificiel ?

Ce qui m’intéresse, c’est de construire des dialogues entre différentes entités par rejet, porosité ou adaptation des matériaux. Je crée des environnements/écosystèmes qui déterminent leurs propres conditions matérielles. Quand je commence à travailler avec un matériau, je m’interroge sur son histoire. Cela apporte une forme d’épaisseur à sa plasticité.

Je recherche particulièrement ce qui n’est pas fixe, ce qui n’est pas stable. J’y vois des potentialités, c’est comme si une situation se démultipliait dans son évolution/dégradation. Des réactions en découlent. En m’intéressant aux différents états de la matière, mes sculptures explorent différentes temporalités et espaces et incarnent des formes en transition.

Ma pratique expérimentale de manipulation des matériaux m’a récemment amené à développer une partie de mon travail en fabriquant mes propres matériaux dérivés de sources biodégradables avec une durée de vie limitée dans le temps et différentes phases de dégradation (comme le bio-plastique avec l’amidon). Souvent, je fais coexister ces substances « en train d’évoluer » avec une structure sur laquelle elles viennent s’intégrer ou s’articuler. Les composants et leurs conditions se parasitent, ce qui est une manière de tester des comportements, modifiant la forme de la sculpture jusqu’à sa potentielle disparition.

Vous vous intéressez aussi aux territoires, comment influencent-ils votre pratique ?

Mes nombreux déplacements ont influencé mon rapport à la production et m’ont amené à repenser l’usage que nous faisons des matériaux et à ce que nous en laissons derrière-nous. Puis à interroger plus généralement les modes de production, l’économie/l’écologie des matériaux dans une logique de conservation, de retraitement ou à l’inverse de destruction.

J’ai commencé à travailler avec des éléments alimentaires ou organiques quand je voyageais pour des projets ou des résidences à l’étranger. C’était un moyen de trouver rapidement des matériaux en même temps que ma nourriture, mais aussi de travailler à une certaine économie et de minimiser les transports puisque la moitié partait au compost ou dans l’évier. Cette manière de travailler, en m’approvisionnant à l’épicerie la plus proche, et en travaillant dans ma cuisine quand je n’avais que mon espace domestique comme espace de travail, me permettait d’être autonome dans la fabrication de mes propres matériaux. De fait, je travaille en cuisine comme en atelier et produit des recettes-scripts qui s’adaptent aux ingrédients sur place.

Mais un territoire, c’est aussi un climat, un matériau à part entière qui informe, influence, fait évoluer la forme. D’ailleurs, un climat en viticulture (plus particulièrement en Bourgogne d’où je suis originaire) désigne une parcelle de vigne possédant sa propre histoire avec des conditions géologiques et climatiques particulières.

Les matières que je fabrique sont tributaires du contexte thermique dans lequel je les élabore, elles réagissent à leur environnement direct et dépendent des lieux, tout comme des saisons.

Née en 1984 à Saint-Rémy (France).
Vit et travaille à Bruxelles (Belgique) et Paris (France).

Laure Vigna a participé à plusieurs programmes indépendants d’éducation alternative et de résidences comme l’Independent Study Program au Rogaland Kunstsenter à Stavanger en Norvège (2017) ; la Mountain School of Arts à Los Angeles (2017) ; au 18th Street Arts Center à Santa Monica au États-Unis (2013) ou encore la Kunststiftung Baden-Württemberg à Stuttgart en Allemagne (2011). Son travail a été montré récemment à DOC à Paris (2018) ; à Rogaland Kunstsenter à Stavanger (2017) et MonChéri à Bruxelles (2017).


Nicolás Lamas

Planned obsolescence, 2019
Imprimante, plâtre, papier, marbre, os humain, mousse, herbe 
Planned obsolescence, 2019
Imprimante, plâtre, carte électronique, livre, mousse, objectif d’appareil photo
Planned obsolescence, 2019
Imprimante, plâtre, papier, os humain, marbre
After the end, 2019
Frigo, casque, tête en plâtre, jute, nid de branches et de feuilles

Nicolas Lamas - Planned Obsolescence, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Nicolas Lamas – Planned Obsolescence, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Dans ses ensembles de sculptures et ses installations composées d’objets disparates, détournés ou prélevés de son quotidien et de son environnement direct, Nicolas Lamas met en évidence la fragilité d’une époque minée par la profusion d’informations.

Dans Permafrost, l’artiste montre une partie de sa série Planned Obsolescence : des machines éventrées qui pourraient s’apparenter à des corps mutilés ou disséqués. Il développe une analogie entre l’humain et la machine, au travers des flux, des circulations, des productions et de la mémoire qu’ils génèrent. L’artiste met en forme et symbolise le rapport de l’homme à la divulgation et la préservation des idées, ainsi qu’à leurs différentes manifestations, naturelles et artificielles, autonomes ou programmées. L’œuvre fait coexister et se télescoper différents symboles de savoir, de la culture antique à celle de la reproduction et de l’immédiateté.

Nicolas Lamas - After the end, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Nicolas Lamas – After the end, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Il en va de même de l’œuvre After the end, consistant en une série d’objets usés et d’éléments organiques, mi-déchets, mi-pièces à conviction, conservés dans un réfrigérateur. Celui-ci devient la vitrine d’une mémoire hybride, dont les valeurs sont sans cesse recomposées.

Vous utilisez différents objets que l’on retrouve dans notre environnement immédiat que vous réunissez pour créer de nouveaux récits. Pensez-vous que votre pratique se rapporte à celles du collectionneur, du sociologue ou de l’archéologue ?

Je pense que c’est un mélange, mais je vois mon travail plus proche du domaine de l’archéologie. Ce qui m’intéresse le plus dans l’archéologie est l’analyse d’objets affectés par le temps. Je m’intéresse aussi à la grande marge d’erreur à laquelle notre intuition et nos spéculations sont susceptibles d’être confrontées lorsque les données d’analyse d’un objet sont insuffisantes.

Je trouve fascinant la possibilité de pouvoir façonner le passé, de combler les vides, de travailler sur le manque d’information à partir de vestiges et de fragments qui résistent à leur disparition. Je m’intéresse à la manière dont différents procédés techniques et technologiques nous aident à collecter des données sur le passé. Je m’en sers ensuite comme point de départ pour imaginer de possibles futurs.

Une autre caractéristique singulière de l’archéologie se trouve dans le désir obsessionnel de révéler, classer et organiser tout ce qui a perdu sa structure et sa symétrie à travers des processus d’usure, de décomposition, de fragmentation et de dispersion ; dans les flux de matières qui tendent vers le chaos au fil du temps ; dans la confrontation entre forces opposées : que contention et débordement soient en négociation permanente. Afin de souligner cette confrontation, j’utilise généralement des structures, des étagères, des réticules, des conteneurs ou des éléments qui forment des zones de régulation, dans lesquels différents processus entropiques coexistent et interagissent à différents niveaux. Je m’intéresse à tout ce qui brise l’équilibre au sein d’un système, proposant des lectures alternatives qui dépassent le point de vue anthropocentrique.

Considérez-vous votre travail comme une tentative de provoquer des collisions et de créer des liens entre des éléments irrémédiablement voués à disparaître ?

Je m’intéresse à la transformation d’un objet au cours de sa vie, depuis sa création jusqu’à sa disparition définitive ou son recyclage en matériau susceptible de façonner de nouveaux objets. Je pense donc que les objets ne sont pas seulement ce que nous pensons qu’ils sont. Ce ne sont pas seulement des éléments passifs qui exercent une fonction spécifique pendant un temps déterminé, mais aussi des entités actives qui affectent les contextes et la vie d’autres êtres, créant un processus dynamique complexe à mesure qu’ils se transforment et se répandent dans le monde.

Nicolas Lamas - Planned Obsolescence, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Bien qu’étant des entités inertes, si l’on y réfléchit, leur émergence, mobilisation, regroupement, degrés de transformation et autres caractéristiques de leur existence, produisent des schémas qui me rappellent les dynamiques qui régissent l’existence de certains organismes vivants. Ils ont une « vitalité » différente. Les corps inertes ou la décomposition des matières organiques sont également sujets à de multiples évolutions et dynamiques, malgré leur apparente inactivité. L’énergie circule et est libérée pendant que les corps et les choses changent de forme et de condition physique. En fin de compte, tout se transforme et se déplace, tout est en transition vers un autre état ou une autre condition. En ce sens, les liens entre le vivant et l’inerte, l’unique et la masse, l’organique et le synthétique, la matière et le virtuel, le doux et le dur, le chaud et le froid ou l’humain et le non-humain, sont extrêmement importants dans mon travail.

Né en 1980 à Lima (Pérou).

Vit et travaille à Bruxelles (Belgique).

Nicolás Lamas a présenté son travail dans des expositions collectives ou monographiques internationales dans des lieux tels que la galerie Tenderpixel à Londres (2019) ; le Musée de Grenoble (2019) ; la Spazio Tripla à Bologne (2017) ; la Fundaciô Joan Miro à Barcelone (2016) et la Brand New Gallery à Milan (2016).

Pour finir : Max Hooper Schneider et Michael E. Smith

Un des deux petits espaces qui ouvrent dans la grande salle est occupé par l’installation et la projection satirique et caricaturale de Max Hooper Schneider (To become a melon head, 2019) accompagné de sa tonitruante bonde son… Le second propose un accrochage « en majesté » pour méditer devant deux pièces énigmatiques de Michael E. Smith dont a déjà croisé un sac à dos…


Max Hooper Schneider

To become a melon head, 2019
Installation (projection vidéo 10’, rideaux, paysage sonore, socle en béton, terre, légumes)

Œuvre coproduite par la 16ème Biennale d’Istanbul et le MO.CO. Montpellier Contemporain.

Max Hooper Schneider - To become a melon head, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée - Photo © Marc Domage
Max Hooper Schneider – To become a melon head, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée – Photo © Marc Domage

Max Hooper Schneider a suivi des formations en biologie, en design urbain et en architecture du paysage. Dans son travail artistique, il imagine des écosystèmes examinant les interactions entre les espèces humaines et non-humaines.

Les univers qu’il crée peuvent prendre différentes formes : des terrariums ou aquariums, des dioramas dystopiques dans lesquels il mélange l’éphémère biologique et synthétique avec la vie aquatique et végétale ou encore un théâtre d’ombres chinoises.

L’œuvre To become a melon head est un théâtre d’ombres (marionnettes manipulées avec une baguette fixée perpendiculairement) filmé. L’histoire racontée est celle de Tiryaki, et de sa femme depuis 33 ans, Bébé Ruhi. Co-produite et montrée à la Biennale d’Istanbul, l’histoire est basée sur un spectacle satirique traditionnel turc, Karagöz & Hacivat. Le couple, qui vient d’avoir un accident de voiture, prend la décision de divorcer à l’hôpital alors qu’ils sont tous deux entre la vie et la mort. Le divorce acté, le couple se revoit, chacun se métamorphosant : Tiryiaki en Denyo, hybride évolutif dont la tête se transforme en pastèque carrée et Bébé Ruhi en Djinn sans tête. Le spectacle est décalé, au jeu assez caricatural, teinté d’absurdité et d’humour à la Ionesco ou à la Raymond Queneau, presque un vaudeville, entrecoupé de morceaux de musique hardcore.

Max Hooper Schneider -To become a melon head, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Max Hooper Schneider -To become a melon head, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Qu’est-ce qui vous a encouragé à travailler avec des marionnettes ? Que symbolisent-elles ?

Le choix de travailler avec des marionnettes ne vient pas de ce qu’elles pourraient représenter ou symboliser, mais plutôt d’un engagement à utiliser des matériaux locaux. Les marionnettes sont fabriquées avec des matériaux naturels et non traités (peau de vache, pigments végétaux, etc.) et leur utilisation imite une structure indigène de narration. De même, la BO composée par « Necrophagist » suggère une narration sonore très élaborée, qui peut être considérée comme liée à la culture turque contemporaine. Mon intention était de réunir les marionnettes traditionnelles et la musique contemporaine dans une nouvelle forme de théâtre « naturel ». L’installation dans son ensemble est conceptualisée comme une « nature naturante ». Les marionnettes, tout comme la musique, sont la nature plutôt que des représentations ou des symbolisations de la nature.

Pensez-vous que l’homme est voué à muter pour survivre ?

L’illusion que l’homme moderne a développé sur son rapport à la nature – l’idée qu’il s’en démarque et qu’il en est le maître – est maltraitée dans mes œuvres. Contre la notion de hiérarchie des êtres, je privilégie le concept de démocratie des êtres. L’état actuel de la planète suggère que les formes de vie non-humaine finiront par dominer et que les humains vont soit s’éteindre, soit évoluer vers de nouvelles formes pour survivre.

Né en 1982 à Los Angeles (USA) où il vit et travaille.

Sa dernière exposition personnelle, Hammer project : Max Hooper Schneider au Hammer Museum à Los Angeles s’est déroulée en 2019. Il a aussi participé à la 16ème Biennale d’Istanbul (2019) et You : œuvres de la Collection Lafayette Anticipations au Musée d’art moderne de la Ville de Paris.


Michael E. Smith

Untitled, 2017
Gant de baseball, canal d’oreille
Untitled, 2019
Clavier abîmé, flocons d’avoine, uréthane

Michael E. Smith - Sans titre, 2017 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Michael E. Smith – Sans titre, 2017 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

Dans Permafrost, les sculptures de Michael E. Smith ne constituent que des interventions discrètes : un clavier d’ordinateur recouvert de flocons d’avoine ; un sac à dos éventré dans lequel s’est logé le squelette d’un poisson-chat ; un gant de baseball en cuir serti d’un minuscule conduit auditif fossilisé. Ces œuvres sont en fait le fruit d’un minutieux travail d’hybridation d’objets communs glanés par l’artiste et de matériaux inattendus : des matières organiques et des restes d’animaux morts. Teintées d’humour noir, elles sont les métonymies de paysages industriels désertés, des rebuts, d’infimes ruines témoins d’un déclin économique et écologique éclair.

Michael E. Smith - Sans titre, 2019 - Permafrost - Les formes du désastre au MOCO La Panacée
Michael E. Smith – Sans titre, 2019 – Permafrost – Les formes du désastre au MOCO La Panacée

L’accrochage et le minimalisme des sculptures illustrent aussi une fascination de l’artiste pour l’espace. Elles appartiennent toutes à un paysage qui les dépassent largement, dans un effet vertigineux de disproportion. Les compositions de M. E. Smith sont aussi dramatiques qu’anodines. Au cœur des débris, quelles traces reste-t-il?

Michael E. Smith - Sans titre, 2017 - Permafrost - Les formes du désastre au MoCo La Panacée - Photo Marc Domage
Michael E. Smith – Sans titre, 2017 – Permafrost – Les formes du désastre au MoCo La Panacée – Photo Marc Domage

Ce qui m’intéresse, c’est l’échelle humaine. En gros, je dessine des fantômes.

Né en 1977 à Detroit (USA).
Vit et travaille à Providence (USA).

Il enseigne au College for Creative Studies à Détroit et a notamment exposé à la Kunsthalle de Bâle (2018) ; au Moma PS1 à New York et au S.M.A.C.K de Gand (2017). Il a par ailleurs participé à la 58ème Biennale de Venise (2019) et à la 13ème Triennale de la Baltique (2018), ainsi qu’à des expositions collectives au Modern Institute à Glasgow ou au Palais de Tokyo à Paris (2017).

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer