Man Ray, photographe de mode au Musée Cantini – Marseille

Jusqu’au 8 mars 2020, le musée Cantini présente « Man Ray, photographe de mode », premier volet de « Man Ray et la mode », une exposition organisée par la Ville de Marseille et la Réunion des musées nationaux – Grand Palais.

« Man Ray, photographe de mode » affirmait l’ambition de « mettre en lumière un aspect méconnu du travail de Man Ray » et de montrer comment l’artiste avait renouvelé la photographie de mode, très souvent cantonné au registre documentaire. Mais surtout, le projet souhaitait « aborder l’enrichissement permanent et réciproque qui existe entre les projets artistiques de Man Ray et les productions assujetties à une commande commerciale, comme c’est le cas de ses photographies de mode et publicitaires, à l’instar de la série des Larmes, qui, si elle incarne aujourd’hui l’un des emblèmes de la photographie surréaliste, fut d’abord une publicité pour un produit cosmétique ».

Man Ray - Les Larmes, 1932
Les Larmes, 1932. Les Larmes, 1932. Epreuve gélatino-argentique, tirage moderne. 25 x 31 cm. Paris, collection particulière

Sans conteste, ces objectifs sont pleinement atteints et le musée Cantini nous offre une exposition magistrale dont l’accrochage et la scénographie sont particulièrement réussis.

Les commissaires ont sélectionné plus de 270 photographies et revues de mode. Elles sont issues très largement des collections du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne et de la Bibliothèque Kandinsky mais aussi du musée Cantini, du Centre de documentation de la mode à Marseille, du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, du Palais Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris et de plusieurs collections particulières.

La scénographie imaginée par Flirt Studio, Mothi Limbu a permis de construire un accrochage qui fait dialoguer les photographies parmi lesquelles on compte de nombreux tirages originaux avec des magazines de mode qui sont à l’origine de leur réalisation.

Rédigés avec simplicité et concision, les textes de salles accompagnent avec pertinence le parcours du visiteur. Beaucoup d’épreuves sont documentées par les cartels enrichis qui offrent un second niveau de lecture.

Quelques papiers peints, objets et silhouettes ponctuent habilement l’exposition.

L’éclairage élimine ou réduit la plupart des effets de miroir sur les verres de protection à l’exception toutefois de la photographie choisie comme visuel de communication (La Brouette d’Oscar Dominguez, vers 1930) où se reflètent les rares fenêtres qui ouvrent sur le jardin…

Man Ray - La Brouette d’Oscar Dominguez, vers 1930 - 1978 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Man Ray et Oscar Dominguez, histoire d’une rencontre
La Brouette d’Oscar Dominguez, vers 1930 – 1978

Combinant avec bonheur chronologie et approche thématique, le parcours s’articule en huit sections.

Dans la première galerie, après une séquence introductive, « Les années 1920, des portraits mondains à la photographie de mode » évoquent les premiers pas de Man Ray à Paris.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Du portrait à la photographie de mode
Du portrait à la photographie de mode

En face, « Bals, extravagances et célébrités des années folles » démontre l’originalité de son talent de portraitiste auprès de Peggy Guggenheim, Luisa Casati, Nancy Cunard ou de Marie-Laure de Noailles…

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Bals, extravagances et célébrités
Bals, extravagances et célébrités

Deux focus complètent ces premières séquences. « Le Pavillon de l’Élégance » rassemble quelques épreuves et deux robes pour illustrer l’importance de la mode dans le cadre de l’Exposition internationale des Arts décoratifs en 1925, mais aussi la manière dont s’affirme le travail de Man Ray et les liens qu’il sait construire avec sa participation au groupe surréaliste.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Le Pavillon de L’élégance
Le Pavillon de L’élégance

« Noire et Blanche » montre deux photographies iconiques où Kiki de Montparnasse pose avec un masque africain et leur publication dans la presse.

Dans la grande salle, l’accrochage s’articule à partir des quatre angles de ce vaste espace dont le centre est occupé par deux cimaises qui construisent astucieusement d’intéressantes perspectives.

Quatre séquences thématiques se développent à l’extérieur, avec en partant de la droite :

Au centre, « Man Ray et Oscar Dominguez, histoire d’une rencontre » s’attarde sur cette photographie emblématique (La Brouette d’Oscar Dominguez, vers 1930), télescopage d’une brouette capitonnée de satin et d’un mannequin en robe de soirée de Madeleine Vionnet de 1937…

Oscar Dominguez et Marcel Jean - Brouette n°1, avant 1937 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Man Ray et Oscar Dominguez, histoire d’une rencontre
Oscar Dominguez et Marcel Jean – Brouette n°1, avant 1937

Dans la diagonale, une Robe du soir de Chanel de 1933 semble lui répondre… À moins qu’elle ne vienne dialoguer avec la ligne violette d’un nu solarisé imaginé par Man Ray pour illustrer le numéro d’Harper’s Bazaar d’octobre 1940.

Je voulais lier l'art et la mode - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - L’apogée d’un photographe de mode - Les années Bazaar
Je voulais lier l’art et la mode – Man Ray, photographe de mode – Musée Cantini – L’apogée d’un photographe de mode – Les années Bazaar

Cette Beauté aux ultraviolets occupe la gauche d’une cimaise peinte en noir où l’on distingue cette citation de Man Ray :

« … je voulais lier l’art à la mode »

La salle en alcôve qui ouvre dans ce vaste espace est occupée par quelques repères biographiques et techniques ainsi que par une évocation de l’atelier de Man Ray.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Evocation de l'atelier

On ne manquera pas le Lampshade suspendu au plafond, « bout de papier sorti de la poubelle en 1919 deviendra sujet photographique, abat-jour édité à plusieurs exemplaires dans les années 1960, puis, en changeant d’échelle, boucles d’oreilles que Catherine Deneuve portera pour une série de portraits » (Claude Miglietti extrait du catalogue).

Le commissariat de « Man Ray, photographe de mode » est assuré par Claude Miglietti, conservatrice au musée Cantini avec la collaboration de Maud Marron-Wojewodzki aujourd’hui conservatrice responsable du Département milieu XIXe – XXIe siècles au Musée Fabre.
Alain Sayag, conservateur honoraire au Musée national d’Art moderne est le commissaire scientifique de l’exposition.

Pour prolonger l’exposition « Man Ray, photographe de mode », le Château Borély Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode propose un parcours sur deux étages consacré à « La Mode au temps de Man Ray » dont la commissaire est Marie-Josée Linou. Le commissariat général de « Man Ray et la mode » est assuré par Xavier Rey, directeur des musées de Marseille.
Une autre version de cette exposition sera présentée au musée du Luxembourg à Paris du 9 avril au 26 juillet 2020.

Catalogue (non lu) aux Éditions de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais. Au sommaire : Quand Man Ray photographie la mode, Claude MigliettiMan Ray, une courte carrière, Alain SayagLe photographe et ses modèles, Paméla GrimaudComprendre la mode de l’entre-deux-guerres, Marie-Josée LinouBrève évocation de la mode au temps de Man Ray, Catherine ÖrmenDes artistes de vitrine aux mannequins d’avant-garde, Erwan de Fligué« We nominate for the hall of fame », Man Ray et les revues de mode, Emmanuelle de l’EcotaisAu croisement des arts et de la vie mondaine, l’émergence de la photographie de mode, Maud Marron-Wojewodzki.

À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite photographique accompagné des textes de salle et des cartels enrichis.

En savoir plus :
Sur la page du musée Cantini sur le site de Culture.Marseille.fr
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Sur les conseils de Marcel Duchamp, Man Ray quitte New York en juillet 1921 pour s’installer à Paris. Il participe alors activement au groupe dadaïste, tout en devenant photographe. Le couturier Paul Poiret l’encourage alors à travailler comme photographe de mode pour les revues (Vogue, Femina, Vanity Fair) et les magazines illustrés (VU). Il devient même un collaborateur régulier du magazine américain Harper’s Bazaar.
Bien que fruits d’une production intense, auxquels l’artiste consacra une grande partie de sa carrière, ses photographies de mode demeurent encore aujourd’hui relativement mal connues.

Man Ray - Anatomies vers 1930
Anatomies, vers 1930 /1995 Epreuve gélatino-argentique, tirage moderne. 17 x 12,5 cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle

Man Ray renouvelle la photographie de mode en lui conférant une dimension faite d’inventivité technique et d’une liberté de ton inédite, venue de l’art de la scène et de l’avant-garde picturale. Les compositions, recadrages, jeux d’ombres et de lumière, solarisations, colorisations sont autant d’innovations qui contribuent à la création d’images en prise avec les développements de la photographie dans les médias des années 1930.
L’exposition permet d’aborder l’enrichissement permanent et réciproque qui existe entre les projets artistiques de Man Ray et les productions assujetties à une commande commerciale. Les revues de mode, à l’origine de la réalisation de ces images dialoguent avec les photographies afin de mettre en lumière leur rôle dans la diffusion d’une nouvelle esthétique.

Man Ray avait « cet oeil de grand chasseur, cette patience, ce sens du moment pathétiquement juste où l’équilibre, du reste le plus fugitif, s’établit dans l’expression d’un visage, entre la rêverie et l’action », André Breton.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Introduction

Man Ray - The Coat-stand (Le portemanteau), 1920-1995
The Coat-stand (Le portemanteau), 1920/1995. Epreuve gélatino-argentique, tirage moderne d’après négatif – Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle – acquis par commande
Une femme se tient nue derrière un portemanteau qui remplace ses bras, masque son visage et couvre ses épaules. L’image du corps-pantin est renforcée par le pied en métal qui scinde froidement le corps en deux. Mannequin versus corps vivant, poupée interloquée versus être émancipé. Le titre élimine tout doute : ici, c’est l’objet qui prévaut.
Reproduit dans le magazine New York dada, Marcel Duchamp et Man Ray, avril 1921
Man Ray - Obstruction, 1920-1964 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini
Obstruction, 1920-1964. Trente deux cintres en fer et bois. Edition 10, Galleria Schwarz, Milan. 100 x 100 x 200 cm
Milan, collection particulière, Fondazione Marconi
Cet objet recrée en 1947 « composé de 63 portemanteaux accrochés les uns aux autres de façon mathématique puisqu’il s’agit d’équations : ils sont accrochés de manière à former une progression arithmétique, d’abord un ; puis à chaque bout un autre, ce qui fait deux et sur les deux, deux autres, ce qui fait quatre ; après huit; après trente deux, jusqu’à ce que ça remplisse complètement la galerie et empêche de voir les tableaux qui y étaient accrochés et ça s’appelait logiquement Obstruction » (Man ray exposition Beverly Hills, 1948)

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Introduction

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Du portrait à la photographie de mode

En 1922 Man Ray est présenté à Paul Poiret. La rencontre est un semi-échec, le couturier se contente de mettre à la disposition du jeune américain fraîchement débarqué, ses installations et ses modèles, mais refuse de le payer pour disposer des photographies. Man Ray, qui doit trouver les moyens de subsister, se voue donc à faire le portrait des figures marquantes d’un milieu parisien mêlant des membres de la colonie américaine, des représentants de la bonne société à tous ceux – artistes, écrivains – qu’attire Paris. Man Ray, séduit par ce milieu libre et brillant, ne renonce pas et espère pouvoir rapidement maîtriser le métier de photographe de mode.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Bals, extravagances et célébrités

« Il voulait des photos originales de ses mannequins et de ses robes (…) il en parlerait aux mannequins, leur ferait comprendre qu’il ne s’agissait pas de montrer des robes comme à l’ordinaire ; que je ferais en même temps des portraits qui mettraient en avant l’élément humain » Man Ray au sujet de Paul Poiret.

Riche héritière américaine, Peggy Guggenheim arrive à Paris en 1921. Après son mariage l’année suivante avec le poète et artiste français Laurence Vail, elle fréquente l’avant-garde artistique parisienne et se lie avec Marcel Duchamp. Celle qui deviendra une des plus grandes mécènes et galeristes de l’art moderne dès les années 1930 est ici photographiée par Man Ray pour illustrer un article consacré aux personnalités étrangères influentes installées à Paris, commande de l’hebdomadaire suédois Bonniers Veckotidning.
Peggy Guggenheim pose sur un socle en damier, qui, s’il est un moyen d’éclairer les contrastes lumineux de la silhouette, est aussi comme une intrusion du jeu et du hasard. Elle finit ses jours à Venise où sa collection est toujours visible dans le Palais Venier dei Lepni.

Marie-Laure de Noailles est photographiée au bal futuriste donné par le Vicomte de Noailles à l’occasion de la nouvelle décoration de sa demeure par Jean-Michel Frank. Elle se tient devant un mur tapissé d’un pâle parchemin, costumée en calmar, sa robe du soir et son chapeau assortis sont réalisés avec des couches superposées de galuchat moucheté. Le galuchat (variété de raie) est un cuir de poisson cartilagineux utilisé depuis longtemps en ébénisterie, gainerie, et plus récemment en maroquinerie. Cette photographie est publiée dans Variétés du 15 juillet 1928, un des premiers numéros de cette « Revue illustrée de l’esprit contemporain » qui mit la photographie à l’honneur.

Man Ray - La Marquise Casati, 1935 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Bals, extravagances et célébrités
La Marquise Casati, 1935

Luisa Casati, à la personnalité extravagante, est une grande figure de la société européenne du début du XXème siècle, amie du poète italien Gabriele d’Annunzio, elle a rythmé la vie mondaine et artistique de l’Europe des années 1920, organisant de grands et fastueux bals masqués. Elle était mécène de grands créateurs de mode comme Fortuny et Paul Poiret et devint une légende parmi ses contemporains. Man Ray, auteur en 1922 d’un portrait de la marquise devenu célèbre pour avoir dédoublé son regard, la photographie de nouveau à l’occasion du Bal des Tableaux célèbres, organisé par le Comte de Beaumont en juillet 1935. Devant une tenture monumentale inspirée d’une toile du XIXe siècle, elle incarne l’impératrice d’Autriche dressant ses chevaux Flick et Flock.

Man Ray - Noire et blanche, 1926 - 1994
Noire et blanche, 1926 – 1994. Epreuve gélatino-argentique, tirage moderne 20,4 x 28,2 cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle – acquis par commande

Kiki pose avec un masque appartenant à Georges Sakier. Cette photographie est publiée dans le numéro de Vogue de mai 1926 sous le titre Visage de nacre et masque d’ébène puis dans le numéro de Variétés du 15 juillet 1928.

Man Ray - Kiki de Montparnasse (Alice Prin, dite), 1926 - 1994 et Noire et blanche, 1926 - 1994 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Noire et blanche
Kiki de Montparnasse (Alice Prin, dite), 1926 – 1994 et Noire et blanche, 1926 – 1994 – Man Ray, photographe de mode – Musée Cantini – Noire et blanche

Elle fait partie d’une série qui a nécessité plusieurs étapes afin d’aboutir au plus proche de l’image souhaitée. Man Ray commence par réaliser un cadrage comprenant le corps de Kiki mais finalement se focalise sur son visage, il veut que celui-ci devienne un masque, au même titre que le masque africain qu’elle tient.

Vogue France, 1er mai 1926 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Noire et blanche
Vogue France, 1er mai 1926

Le style épuré du masque est rappelé volontairement par les traits marqués de Kiki : les yeux clos, le trait délicat de maquillage qui renforce la ligne des yeux, les sourcils fins, les lèvres fermées. L’analogie est immédiate permettant d’affirmer l’égalité des deux cultures dans une « étrange poésie » selon Pierre Migennes (Art et Décoration, novembre 1928). En 1924, Man Ray avait déjà publié une oeuvre sous le même titre. Black and White apparaissait en couverture de la revue 391 de Picabia. Il juxtaposait deux sculptures l’une africaine et l’autre antique.

Art et Décoration, 5 novembre 1928 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Noire et blanche
Art et Décoration, 5 novembre 1928

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Le Pavillon de L’élégance

Composée de cinq grands groupes (Architecture ; Mobilier; Parure ; Arts du théâtre, de la rue et des jardins ; Enseignement), l’Exposition internationale des Arts décoratifs et Industriels modernes se tient à Paris en 1925. Cette manifestation réserve la part belle à la mode (présidée par Jeanne Lanvin), qui investit le Grand Palais avec plus de 300 modèles exposés, les Pavillons des grands magasins, les boutiques du Pont Alexandre III, tandis que le prestigieux Pavillon de l’Elégance, commandité par quatre grandes maisons de couture et une maison de joaillerie (Callot, Jenny, Lanvin, Worth et Cartier), dessiné par Robert Fournez et aménagé par Armand-Albert Rateau, est dédié au luxe. Les mannequins, imaginés par André Vigneau pour Siegel, déclinés dans différentes couleurs, ont des visages stylisés mais des poses très réalistes. Ils seront photographiés par Man Ray au sein du Pavillon de l’Elégance et du Grand Palais, de nombreux photographes les prendrons pour modèle.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Mode et publicité

Man Ray bénéficie assez vite de commandes dans le domaine de la publicité et de la mode. Mais si on fait appel à lui, c’est parce qu’il symbolise un style artistique aisément identifiable, celui du groupe surréaliste qui utilise à merveille l’arme du scandale et de la provocation. Ce style parfaitement maîtrisé, corrigé par un classicisme de bon ton, pimenté par un érotisme lisse, génère des images pleinement assimilables par ses commanditaires qui deviendront plus tard, détachées de leur fonction commerciale, des icônes.

« (…) Je prétendais que le monde finirait, non par un beau livre mais par une belle réclame pour l’enfer ou pour le ciel » André Breton

Man Ray - Les Larmes, 1932
Les Larmes, 1932. Epreuve gélatino-argentique, tirage moderne. 25 x 31 cm
Paris, collection particulière
Cette photographie iconique était à l’origine destinée à illustrer une publicité pour le mascara « Cosmécil », accompagnée du slogan « pleurez au cinéma / pleurez au théâtre / riez aux larmes, sans crainte pour vos yeux ».
Man Ray - Les Larmes, 1932 et L’œil, 1932 - Paris-Magazine n°44, avril 1935 - Publicité pour Cosmécil - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Mode et publicité
Les Larmes, 1932 et L’œil, 1932 – Paris-Magazine n°44, avril 1935 – Publicité pour Cosmécil – Man Ray, photographe de mode – Musée Cantini – Mode et publicité
Arts et métiers graphiques, 1933-1934 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Mode et publicité
Arts et métiers graphiques, 1933-1934 – Man Ray, photographe de mode – Musée Cantini – Mode et publicité

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Mode et publicité

Man Ray - Photographie de mode (publiée dans Harper’s Bazaar de novembre 1936), 1936
Photographie de mode, 1936. Epreuve gélatino-argentique. 13,5 x 9 cm. Marseille, musée Cantini. Acquis en souvenir de Monsieur Jean-François Sarnoul

Publiée dans Harper’s Bazaar de novembre 1936 Ce modèle vivant est traité comme un mannequin inanimé. Man Ray a isolé son modèle par un cache blanc qui le coupe à la hauteur des hanches, comme s’il s’agissait d’un objet que l’on pourrait poser sur une table. Le caractère artificiel de la mise en scène est encore accentué par la position stéréotypée des mains, figées dans un geste fort peu naturel qui rappelle ceux des mannequins de cire. Man Ray avait déjà utilisé cette posture maniérée lorsqu’il avait photographié en 1921 Marcel Duchamp, déguisé en Rrose Sélavy, en ajoutant les mains de Germaine Everling, la compagne de Picabia, pour mieux parfaire l’illusion.
Les mannequins de mode constituaient pour les surréalistes une inépuisable source d’inspiration, « un symbole propre à remuer la sensibilité humaine durant un temps » comme l’affirme André Breton dans le Manifeste du surréalisme de 1924 ou dans Nadja où il évoque cet « adorable leurre (…) qui dans sa pose immuable, est la seule statue, que je sache à avoir des yeux : ceux même de la provocation. »

Man Ray - La Brouette d’Oscar Dominguez, vers 1930
La Brouette d’Oscar Dominguez, vers 1930 – 1978. Epreuve gélatino-argentique, tirage moderne. 39 X 28 cm
Milan, collection particulière, Fondazione Marconi

Robe du soir en lamé de Madeleine Vionnet, automne 1937, réalisée par l’atelier de Marcelle Chaumont et portée par Sonia, mannequin fétiche de la couturière. Inspiré du chiton grec, le lamé est travaillé en plissé fin entièrement nervuré s’évasant progressivement sur la jupe.

Oscar Dominguez et Marcel Jean - Brouette n°1, avant 1937 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Man Ray et Oscar Dominguez, histoire d’une rencontre
Oscar Dominguez et Marcel Jean – Brouette n°1, avant 1937 – Man Ray, photographe de mode – Musée Cantini – Man Ray et Oscar Dominguez, histoire d’une rencontre

Oscar Dominguez transforme la brouette achetée dans une quincaillerie en la capitonnant de satin pour présenter le modèle Sonia. Dans l’ouvrage Histoire de la peinture surréaliste de Marcel Jean, il est précisé qu’Oscar Dominguez exécutera plusieurs exemplaires de cette brouette pour les salons de quelques « amateurs ». Le télescopage de cet objet lié aux travaux de peine et du mannequin en robe de soirée sophistiqué réconcilie à la fois la photographie de commande à la gratuité de l’image surréaliste et l’univers du travail rejoint celui du luxe.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Femmes du monde, modèles et compagnes

Les premiers modèles de Man Ray sont des femmes du monde comme la riche égyptienne Nimet Eloui Bey ou la Comtesse de Beauchamp mais c’est la figure de Lee Miller, à la fois modèle et « compagne-assistante », qui incarne le passage du portrait à la photo de mode. Sa présence marque l’abandon de formes compassées pour un style spontané, conforme à l’évolution du modèle féminin que des artifices techniques – solarisation, inversion négative, découpage, superposition – mettent brillamment en valeur.

« Demandez-moi si vous voulez, quelles sont les dix meilleures photographies que j’ai faites jusqu’à présent et je vous répondrai ceci :
1. Instantané fortuit d’une ombre entre deux autres photos, soigneusement composées, d’une jeune fille en maillot de bain.
(…)
4. Une jeune fille en déshabillé, appelant à l’aide ou cherchant seulement à se faire remarquer.
(…)
7. Le gros plan d’un œil aux cils bien fardés, avec une larme de verre accrochée sur la joue. »  Man Ray

Man Ray - Jacqueline Goddard, 1930 - 1982 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Femmes du monde, modèles et compagnes
Jacqueline Goddard, 1930. Epreuve gélatino-argentique. 23 x 29,3 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle

Arrivée en 1929 dans le quartier de Montparnasse, Jacqueline Goddard, fille de sculpteur, devient très vite modèle pour de nombreux artistes, parmi lesquels Man Ray qui la photographie ici en surexposant la pellicule à la lumière, manière d’obtenir un « résultat très doux au visage » comme l’indique l’artiste. Avec ce portrait d’une amie, Man Ray révèle son « sens du moment pathétiquement juste où l’équilibre, du reste le plus fugitif, s’établit dans l‘expression d’un visage, entre la rêverie et l’action », selon les mots d’André Breton.

Lee Miller nait aux Etats-Unis en 1907. Elle est dès la fin des années vingt recherchée comme modèle par les photographes de mode les plus renommés (Steichen, Horst P. Horst, Hoiningen Huene) et s’intéresse à la photographie. En 1929, elle se rend à Paris et devient l’assistante de Man Ray. En 1932 elle retourne à New York où elle ouvre un studio commercial. Après un mariage avec un riche industriel égyptien, elle s’installe à Londres. Elle est alors correspondante de guerre pour Condé-Nast puis elle ira vivre dans le Sussex avec sir Roland Penrose. Elle décède en 1977, depuis son travail de photographe a fait l’objet de nombreuses expositions.

Man Ray - Elsa Schiaparelli (avec une perruque), vers 1934
Elsa Schiaparelli (avec une perruque), vers 1934. Epreuve gélatino-argentique. 18 x 24 cm
Marseille, musée Cantini. Acquis en 2019, en souvenir de Monsieur Jean- François Sarnoul

Dans les années 1920, Man Ray rencontre Elsa Schiaparelli à New York, elle devient alors une figure prépondérante du travail photographique de l’artiste. Man Ray devint le photographe de l’intimité autant que celui du succès. Elsa Schiaparelli incarne le lien entre mode et art, le galeriste new-yorkais Julien Lévy affirmait qu’elle « était la seule créatrice de mode à comprendre le surréalisme ». On retrouve dans cette photographie le thème de la main, cher aux surréalistes. Breton en a fait l’emblème du surgissement de la surréalité : la main coupée va de pair avec « l’antitête », « l’acéphale ». Ici l’intrusion d’une main de mannequin qui se livre à une caresse sur le visage donne une certaine charge érotique à la photographie.

 

Harper’s Bazaar, septembre 1934 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Femmes du monde, modèles et compagnes
Harper’s Bazaar, septembre 1934 – Fashion by Radio – Paris, Palais Galliera, musée de la mode de la ville de Paris

Première photographie de Man Ray reproduite dans Harper’s Bazaar, cette image fut envoyée à l’aide d’un bélinographe, appareil de transmission à distance d’images fixes par voie radiophonique développé au cours des années 1920. Il n’est pas anodin que, pour sa première publication dans la revue de mode américaine, Man Ray réalise un rayogramme, procédé qu’il redécouvre en 1922 et qu’il associe très vite au lexique surréaliste. Consistant en l’interposition d’un objet – ici une image d’un modèle féminin – entre le papier sensible et la source lumineuse, le rayogramme produit de simples silhouettes blanches au caractère énigmatique. Dans cette mise en page par Alexei Brodovitch, l’image évanescente révèle les courbes du corps et les lignes du vêtement.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - L’apogée d’un photographe de mode - Les années Bazaar

Les années passées sous contrat avec le magazine américain Harper’s Bazaar (1934-1939) marquent l’apogée du style de Man Ray. La liberté technique et formelle du photographe, qui maîtrise dorénavant pleinement son mode d’expression, le place à la hauteur de l’invention graphique de l’équipe dirigeante du magazine. Carmel Snow et Alexey Brodovich ont trouvé dans Man Ray l’instrument adéquat à l’exercice d’un leadership international qui va durer vingt ans, alors que Man Ray préfère renoncer à la mode et ne plus se consacrer, après la guerre, qu’à son métier de peintre.

Man Ray - Whitney Bourne, 1936 et Mode, vers 1930-1978 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - L’apogée d’un photographe de mode - Les années Bazaar
Whitney Bourne, 1936 et Mode, vers 1930-1978 – Man Ray, photographe de mode – Musée Cantini – L’apogée d’un photographe de mode – Les années Bazaar

Photographie parue dans Harper’s Bazaar septembre 1936. L’actrice américaine Whitney Bourne dans une robe du soir de Victor Stiebel en crêpe romain noir plissé à la main, ornée de fleurs et portée avec un grand châle en mousseline framboise. Helen Whitney Bourne est née le 6 mai 1914 à New York de George Galt Bourne, fils d’un magnat de la machine à coudre, et de sa première épouse, Helen Whitney. Elle a été actrice dans plusieurs films de série B des années 1930, avec des apparitions occasionnelles dans des films plus prestigieux comme la comédie musicale britannique Head over Heels.
En 1933, elle apparaît dans un article recensant et classant les femmes les mieux habillées des États-Unis.

Photographie parue dans Harper’s Bazaar septembre 1936. L’actrice américaine Whitney Bourne dans une robe du soir de Victor Stiebel en crêpe romain noir plissé à la main, ornée de fleurs et portée avec un grand châle en mousseline framboise. Helen Whitney Bourne est née le 6 mai 1914 à New York de George Galt Bourne, fils d’un magnat de la machine à coudre, et de sa première épouse, Helen Whitney. Elle a été actrice dans plusieurs films de série B des années 1930, avec des apparitions occasionnelles dans des films plus prestigieux comme la comédie musicale britannique Head over Heels. En 1933, elle apparaît dans un article recensant et classant les femmes les mieux habillées des États-Unis.
Harper’s Bazaar, septembre 1936. To Be Alive. Whitney Bourne portant une robe de Victor Stiebel. Librairie Diktats
Man Ray - Robes du soir et tailleur Elsa Schiaparelli, 1936 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - L’apogée d’un photographe de mode - Les années Bazaar
Robes du soir et tailleur Elsa Schiaparelli, 1936 – Man Ray, photographe de mode – Musée Cantini – L’apogée d’un photographe de mode – Les années Bazaar
Harper’s Bazaar, juillet 1936 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - L’apogée d’un photographe de mode - Les années Bazaar
Harper’s Bazaar, juillet 1936. Chagrin d’amour – modèle portant une robe Chanel. Paris, Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Accessoires et bijoux

« En studio, je travaille comme le photographe le plus traditionnel. Les gens viennent dans mon studio me disent : « Je ne suis pas photogénique…je ne vais jamais chez le photographe » Je leur réponds : « Cela dépend de moi ». Même les grandes vedettes, les stars hollywoodiennes, merveilleuses quand elles jouaient devant les caméras, ne savaient pas poser pour des photos fixes.»

Boucles d’oreilles, 1970 - Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Accessoires et bijoux
Boucles d’oreilles, 1970 – Man Ray, photographe de mode – Musée Cantini – Accessoires et bijoux
Man Ray - Catherine Deneuve, 1968
Catherine Deneuve, 1968

Dans cette photographie issue de l’ultime commande commerciale à laquelle Man Ray participe, Catherine Deneuve pose devant l’objectif entourée d’objets de l’atelier de l’artiste : le paravent Les vingts nuits et jours de Juliet Browner, un jeu d’échecs, et l’abat-jour [lampshade], présenté par Man Ray à New York en 1920. Les boucles d’oreilles en plaqué or de l’actrice reprennent la forme de « cet objet d’affection », une spirale de carton mobile, à la fois objet trouvé et manufacturé. Figurant dans de nombreuses photographies durant les années 1920, sa réapparition ici, à la fin des années 1960, témoigne de l’attachement de l’artiste à cet abat-jour dont les formes ondulatoires fascinaient Man Ray. Lors d’un entretien, l’actrice a pu décrire le côté très artisanal de la séance, ainsi que la rapidité du photographe à la tâche.

Man Ray, photographe de mode - Musée Cantini - Evocation de l'atelier

Dans les années trente Man Ray dessine et fait réaliser une partie du mobilier de l’atelier qu’il loue dans un bel immeuble de la rue Campagne Première. Il le réinstallera dans le garage qu’il trouve rue Férou à son retour en France. Le local est inconfortable, humide et froid et il consacre toute son énergie à bâtir au centre de la pièce un lit qui est un ilot de confort ou tout était à portée de main sur des tablettes articulées.

Lampshade (Abat-jour), 1919 / 1954
Lampshade (Abat-jour), 1919 / 1954. Aluminium peint. 152,5 x 63,5 cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle. dation en 1994

Man Ray décide de s’installer au 31 bis rue Campagne- Première à Paris dès juillet 1922. Un an plus tard, l’atelier devient un studio photographique pour prise de vue rapide. On y retrouvera certains de ses objets devenus iconiques comme la lampe Lampshade qui illustre l’ingéniosité spontanée de Man Ray. Cette spirale de papier montée sur support et pouvant servir d’abat-jour est à la frontière entre l’objet manufacturé et l’objet d’art. Objet trouvé, readymade rectifié mais utilitaire, Man Ray le reproduira après la destruction de l’original. Cet objet devenu fétiche témoigne de sa passion pour le mouvement et les jeux ondulatoires que l’on retrouvera sur les rayographies. Man Ray réalisera une ultime grande version, en 1954, en métal peint en blanc, pour son atelier parisien de la rue Férou.

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