Dominique Figarella – La distance au soleil est d’un pied à la Galerie de le Scep – Marseille

Jusqu’au 24 juillet 2020, la Galerie de la Scep accueille Dominique Figarella pour une exposition personnelle à Marseille. Huit tableaux et trois dessins produits ces dernières années sont rassemblés sous le titre énigmatique « La distance au soleil est d’un pied ».

La trace, la couleur et le texte sont des éléments fondateurs de cet ensemble. À l’exception des dessins et d’un tableau, Dominique Figarella utilise de l’alucore, un panneau composite d’aluminium suffisamment résistant pour pouvoir être posé sur le sol de son atelier et sur lequel il peut grimper pour travailler avec tout son corps.

Dominique Figarella - Il faut tourner 7 fois les discours dans son organisme, 2018 acrylique sur alucore, 220 x 300 cm (diptyque)
Dominique Figarella – Il faut tourner 7 fois les discours dans son organisme, 2018 acrylique sur alucore, 220 x 300 cm (diptyque)

Le texte est très présent dans cette série. Dominique Figarella peint des phrases de mémoire. L’important, dit-il, « n’est pas l’exactitude du texte, mais la trace qu’il laisse dans sa mémoire »…

Il faut tourner 7 fois les discours dans son organisme, 2018 (détail) Photo Galerie de la Scep
Il faut tourner 7 fois les discours dans son organisme, 2018 (détail) Photo Galerie de la Scep

L’empreinte et la trace sont fondamentales. À l’occasion d’une exposition dans sa galerie parisienne en 2019, il écrivait : « J’ai un usage particulier de ces traces. Je ne les montre pas, je ne les préserve pas, je les utilise. Et en les utilisant, je les détruis. Si on passe dans les traces de quelqu’un qui a marché dans la neige, on détruit ces traces, mais elles nous servent éventuellement à ne pas nous perdre. Même lorsqu’il n’y a pas de traces physiques, ce peut être des traces mnésiques, des images, des textes, d’autres œuvres. »

Il faut tourner 7 fois les discours dans son organisme, 2018 (détail) Photo Galerie de la Scep
Il faut tourner 7 fois les discours dans son organisme, 2018 (détail) Photo Galerie de la Scep

Mais Dominique Figarella revient sur ses traces, qu’il « censure » à l’aide de longues bandes réalisées au ruban de masquage. Il précisait ainsi : « C’est en masquant que je montre. Si je laisse l’empreinte, on ne voit pas. Ce qu’on voit c’est juste l’empreinte. Lorsque je masque en revanche, on voit le schéma d’une action, et non plus l’effet de fétichisation que l’empreinte produit. C’est comme si je venais littéraliser l’empreinte, au fond, comme la science fait avec le génome. »

Il faut tourner 7 fois les discours dans son organisme, 2018 (détail) Photo Galerie de la Scep
Il faut tourner 7 fois les discours dans son organisme, 2018 (détail) Photo Galerie de la Scep

Dans ces tableaux, Dominique Figarella ne cache rien. Tout le processus de fabrication des œuvres est montré. Cependant, comme le souligne très justement Diego Bustamante, directeur de la galerie et commissaire de l’exposition : « Le travail de Dominique Figarella nécessite un temps plus intime avec ses tableaux pour apprécier la complexité conceptuelle de ses œuvres ».

Dominique Figarella - Tigre, 2018 acrylique sur alucore, 70 x 210 cm
Dominique Figarella – Tigre, 2018 acrylique sur alucore, 70 x 210 cm

Diego Bustamante a longuement échangé avec le peintre pour construire son accrochage. Les trois œuvres exposées au rez-de-chaussée montrent comment le processus de la série s’est affirmé entre 2014 et 2018.

Ensuite, pour le commissaire, chaque tableau « nous placent devant un ensemble d’indices visuels, qui non sans malice et humour, peuvent nous amener à remettre en question notre rapport à l’autorité du langage. »

Dominique Figarella - Quadrangle dans sa cave, 2018 acrylique sur alucore, 150 x 184 cm
Dominique Figarella – Quadrangle dans sa cave, 2018 acrylique sur alucore, 150 x 184 cm

Plusieurs des œuvres questionnent l’histoire de l’art et plus singulièrement celle de la peinture, mais aussi la manière dont nous percevons les images. D’autres nous renvoient à « l’archaïsme de nos premiers gestes »…

Quadrangle dans sa cave, 2018 acrylique sur alucore, 150 x 184 cm
Quadrangle dans sa cave, 2018 acrylique sur alucore, 150 x 184 cm

Les trois dessins qui sont exposés sont réalisés à partir de feuilles placées au sol sur lesquelles l’artiste fait couler de l’eau. Après séchage, il dessine au crayon en utilisant les traces perceptibles sur le papier. Ces œuvres graphiques sont d’étonnantes machines à se perdre…

Les œuvres rassemblées pour « La distance au soleil est d’un pied » sont à la fois séduisantes, énigmatiques et déstabilisantes.
La médiation que propose Diego Bustamante à ses visiteurs est remarquablement bien construite. Avec beaucoup d’attention, il sait laisser la place aux émotions et aux interrogations de son interlocuteur. Mais il sait aussi partager avec simplicité sa réflexion personnelle sur le travail de Figarella et toute la richesse des échanges qu’il a pu entretenir avec l’artiste. Par ce travail singulier d’accompagnement, la galerie de la Scep se positionne dans un original entre-deux : à la fois centre d’art et galerie…

Post-Production, 2016 acrylique sur bois, 75 x 60,5 cm
Post-Production, 2016 acrylique sur bois, 75 x 60,5 cm

Faut-il ajouter qu’une fois de plus un passage par la galerie de la Scep s’impose ?

Ceux qui méconnaissent le travail de Dominique Figarella, comme ceux qui n’ont pu qu’apercevoir son Triomphe de Gilgamesh pour 100 artistes dans la Ville – Zat 2019 à Montpellier avant sa dégradation y rencontreront sans aucun doute une œuvre captivante.

Dominique Figarella - Le triomphe de Gilgamesh sous le pont de Sète à Montpellier - 100 artistes dans la ville - Photo Marc Domage
Dominique Figarella – Le triomphe de Gilgamesh sous le pont de Sète à Montpellier – 100 artistes dans la ville – Photo Marc Domage

Ceux qui gardent quelques souvenirs de ses expositions dans la région en 2009 (au Mrac à Sérignan, au Carré Sainte-Anne et à la Galerie Vasistas à Montpellier) mesureront les évolutions et les permanences dans sa pratique artistique.

À lire, ci-dessous, le texte de présentation de « La distance au soleil est d’un pied » par Diego Bustamante et quelques repères biographiques extraits du site des Beaux-Arts de Paris (ENSBA) où il enseigne depuis 2001.

En savoir plus :
Suivre l’actualité de la galerie de la Scep sur Facebook et Instagram
Sur le site de la galerie Anne Barrault qui le représente.

Par ses couleurs et ses rapports colorés longuement travaillés et par ses successions de gestes tous visibles et intelligibles, l’artiste rend abordable le processus physique de fabrication de ses œuvres. Pour autant, le travail de Dominique Figarella nécessite un temps plus intime avec ses tableaux pour apprécier la complexité conceptuelle de ses œuvres. Dominique Figarella pratique une peinture sans toile et sans châssis. L’artiste grimpe sur ses tableaux, qu’il travaille au sol, il monte littéralement sur ses supports pour peindre, se traîne dessus, les griffe, applique la peinture par écoulement, marche dessus, etc.

Le monde en soi, 2018 acrylique sur alucore, 275 x 300 cm
Le monde en soi, 2018 acrylique sur alucore, 275 x 300 cm

Le choix de se retirer et de se retenir est aussi important que les mouvements qu’il pratique en atelier, et que l’implication physique dans ses peintures. Les peintures de Dominique Figarella incluant des mots, nous placent devant un ensemble d’indices visuels, qui non sans malice et humour, peuvent nous amener à remettre en question notre rapport à l’autorité du langage. En effet, tous les mots lisibles sont confondus avec des couleurs, des flux de peintures, des sens de lectures et d’écritures modifiés, des recouvrements, des griffures, etc. Ils apparaissent sans hiérarchie, parmi ses autres gestes picturaux, à la fois comme des signes, des traces, des graphies. Cette inclusion fait écho aux nombreuses autres que l’artiste a pu réaliser à l’intérieur de ses peintures, chewing-gums, balle de tennis, sparadrap, photographies, dessin, graffiti, etc. Comme un désir de faire en sorte que sa peinture n’exclut rien a priori. Dominique Figarella fabrique des combinaisons toujours retraçables visuellement, et lui même suit le sentier de gestes déjà existants de fait, dont la logique combinatoire définit sa manière de faire peinture. Les différents plans des tableaux de l’artiste, peints à l’horizontal et au sol, sont autant de strates accumulées à l’image de nos sols, de nos paysages. Pour autant, ses peintures font toujours images.

Post-Production, 2016 acrylique sur bois, 75 x 60,5 cm
Post-Production, 2016 acrylique sur bois, 75 x 60,5 cm

Dominique Figarella fait reposer ses gestes sur des lignes historiques les plus larges possibles allant jusqu’à l’archaïsme de nos premiers gestes (les sentiers et la marche qui sont, à l’origine, la poursuite des premiers passages créés par les animaux ; La griffure qui serait une des nombreuses origine du trait), en passant par une technique picturale de la renaissance (Post-Production, 2016) jusqu’à l’évocation du scanner d’un tableau de Kasimir Malevitch (Quadrangle dans sa cave, 2018).

Quadrangle dans sa cave, 2018 acrylique sur alucore, 150 x 184 cm
Quadrangle dans sa cave, 2018 acrylique sur alucore, 150 x 184 cm

Ses tableaux, chacun comme une enquête, sont autant des territoires tangibles, visuels, que des territoires immatériels de réflexions. Il faudrait, si l’on s’y intéresse et après avoir résolu l’énigme du processus de fabrication, se poser les questions : Pourquoi a-t-il combiné tout cela ? Qu’est-ce que cela signifie ? Et, heureusement il n’y a pas de réponse unique. Chaque couleur que l’artiste utilise est unique, mélangée. Dépendantes de notre manière biologique de voir le monde, elles constituent un premier vocabulaire en soi. L’artiste « censure » certains de ses passages : ils sont peints à l’intérieur de ces derniers, en bandes géométriques, réalisées au ruban de masquage. C’est une façon de retirer au premier geste son caractère unique et pionnier, mais aussi de faire coexister deux temporalités et attitudes quasiment opposées. En censurant certains de ces passages, il les transforme en sujet d’observation, il piste ses propres traces, il prend du recul et analyse comme le premier spectateur de son travail.

Quadrangle dans sa cave, 2018 acrylique sur alucore, 150 x 184 cm
Quadrangle dans sa cave, 2018 acrylique sur alucore, 150 x 184 cm

Lors d’une visite d’une grotte pré-pariétale, Dominique Figarella s’est confronté à des traces de griffures d’ours (vieilles de plusieurs dizaines de milliers d’années) qui avaient été augmentées par des dessins, représentants des ours, réalisés eux par des hommes qui ont habités ces grottes après le départ de ses anciens occupants. C’est là que le lien entre la griffure et la ligne devient une évidence. « La ligne, c’est la griffure ». Il faut comprendre que la main et les distances qui séparent nos doigts, sont les motifs des lignes d’écritures et des signes mathématiques, des ponctuations et des premières lettres. Certains tableaux sont réalisés entre autre avec ses pieds, tous sont fabriqués aux différentes échelles de son corps. Dominique Figarella produit des œuvres que l’on pourrait qualifier de séduisantes et donc qui s’adressent notamment à l’œil.

Sans titre, 2018 acrylique sur alucore, 124 x 154 cm
Sans titre, 2018 acrylique sur alucore, 124 x 154 cm

Ce lien entre les pieds et l’œil est central dans le travail de l’artiste. On ne voit que parce qu’on est debout, et ce que l’on voit nous le voyons parce que nous reposons sur nos pieds, et ce n’est qu’à notre échelle que nous percevons le monde et que nous le construisons.

Diego Bustamante, 2020

Né en 1966 à Chambéry (France). Vit entre Montpellier et Paris.
Enseigne aux Beaux-Arts de Paris depuis 2001.

C’est le corps tout entier qui s’implique dans la peinture abstraite, à la fois ludique et savante, de Dominique Figarella qui a enseigné à la Villa Arson de Nice, ainsi qu’aux Beaux-Arts de Nîmes et de Lyon. Formé à la Villa Arson dans l’héritage de Supports/Surfaces dont il s’affranchit, il ne cesse d’interroger le processus pictural dans sa démarche. Le geste, les accidents, la trace comme les éclaboussures ou les empreintes s’intègrent, avec un sens du décalage et une pointe d’humour, à ses tableaux. Les formes et les lignes sont parfois étayées par des objets inattendus : un sachet de poissons rouges, des photographies, sparadraps, ballons, ventouses… Cette peinture poétique et pleine d’invention est même récemment sortie de son cadre pour collaborer à « Soapera », un spectacle chorégraphique conçu avec Mathilde Monnier (Centre Pompidou, 2010-2014).

Parmi ses expositions personnelles marquantes, on a pu le voir à La Station de Nice en 2008, au Musée de Sérignan en 2009, au Life à Saint-Nazaire en 2010, ainsi que dans des expositions collectives : The Residenzgalerie à Salzburg (2008), l’EAC à Mouans-Sartoux (2011), le Musée Chagall de Nice (2013), La Maison Rouge à Paris (2014), à la Villa Tamaris à la Seyne-sur-Mer (2019).

Dominique Figarella - Le triomphe de Gilgamesh sous le pont de Sète à Montpellier - 100 artistes dans la ville - Photo Marc Domage
Dominique Figarella – Le triomphe de Gilgamesh sous le pont de Sète à Montpellier – 100 artistes dans la ville – Photo Marc Domage

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer