Georges Autard – La forme informe
Galerie AL/MA – Montpellier


Après le grand confinement, la galerie AL/MA a rouvert ses portes le 14 mai avec la prolongation jusqu’au 6 juin 2020 de l’exposition « La forme informe » de Georges Autard.

Pour cette quatrième invitation à la galerie AL/MA, Georges Autard a imaginé avec la complicité de Marie-Caroline Allaire-Matte une proposition spécifique aux dimensions de l’espace d’exposition.

Georges Autard - La forme informe, 2019 Galerie ALMA- Vue de l'exposition Photo © David Huguenin
Georges Autard – La forme informe, 2019 Galerie ALMA- Vue de l’exposition Photo © David Huguenin

Face à l’entrée, quatre photo-collages/montages/découpages présentent une réinterprétation très singulière du travail de Beuys. Georges Autard pratique des découpes dans les photographies pour faire apparaître des formes de couleur jaune fluo. Les images perdent une partie de leur sens… L’artiste joue ainsi avec cette forme informe et suggère une information nouvelle à ces tirages, tout en rendant hommage à Joseph Beuys.

Le nom de cette série, « La forme informe », dont une première partie a été montrée l’été dernier à l’espace Brigitte March ICA de Stuttgart, est repris aujourd’hui comme titre de cette exposition à Montpellier. Le texte du communiqué de presse souligne que Georges Autard joue avec l’intitulé de cette série et de ce projet sur un double sens : « La forme qui informe et, à la fois, la forme sans formes »…

Georges Autard - - La forme informe- Galerie ALMA- Vue de l'exposition Photo © David Huguenin
Georges Autard – – La forme informe- Galerie ALMA- Vue de l’exposition Photo © David Huguenin

Comme toujours à la galerie AL/MA, l’accrochage irréprochable est construit avec sobriété et exigence dans le respect des œuvres exposées et avec le souhait de la place laissée au spectateur. Une ambition qui est particulièrement essentielle ici. En effet, dans un texte pour l’exposition de Stuttgart, Gisela Sprenger-Schoch rappelait à juste titre la volonté de Georges Autard d’ouvrir la porte au regardeur « pour qu’il remplisse son travail de ses propres pensées ».

Georges Autard - Installation, 2020 - La forme informe- Galerie ALMA- Vue de l'exposition Photo © David Huguenin
Georges Autard – Installation, 2020 – La forme informe- Galerie ALMA- Vue de l’exposition Photo © David Huguenin

Pour le grand mur à droite de la galerie, Georges Autard a conçu une installation pour le lieu. Sur un fond jaune qui couvre la totalité de la paroi, le pinceau a tracé un texte manuscrit en partie effacé ou biffé. On y retrouve des formules récurrentes dans son travail depuis le « Paradise Now » inspiré d’une pièce de théâtre du Living Theater de Julian Beck jusqu’à énigmatiquement « Mystik Esthetik Kommando », titre de son exposition au CAIRN centre d’art de Digne-les-Bains en 2018, en passant par les « Wisdom+Compassion », tiré de l’enseignement du Dalai Lama…

Georges Autard - Time is on my side (Rolling stones), 2019 et D’après Beuys, 2019 - La forme informe- Galerie ALMA- Vue de l'exposition Photo © David Huguenin
Georges Autard – Time is on my side (Rolling stones), 2019 et D’après Beuys, 2019 – La forme informe- Galerie ALMA- Vue de l’exposition Photo © David Huguenin

Épinglé au milieu de cette vaste accumulation de mantras, Time is on my side (2019) rappelle un morceau enregistré par les Rolling Stones en 1964… Posée au sol, une ardoise masque en partie cette toile. On peut y lire tracé à la craie « Block Beuys (détail) » au-dessus d’une représentation rapidement esquissée d’un des empilements de feutre gris, couverts de plaques de cuivre que conserve le Hessisches Landesmuseum Darmstadt dans le Block Beuys

En face, Georges Autard a réagencé 23 de ses Statements, assemblages de carton et de bois où l’on retrouve les formules « Paradise Now », « Wisdom+Compassion », « Mystik Esthetik Kommando ».

S’y ajoutent un « Peace Corps Kommando », plusieurs « Spirit in the Sky » du chanteur américain Norman Greenbaum, un « A hard rain’s gonna fall » qui cite Bob Dylan, ou encore un « A Day in the Life » qui évoque les Beatles, et un « Time is on my side » pour les Rolling Stones… On note aussi un « Zen Spirit/Punk attitude » et plusieurs « la forme informe »…


Installation inspirée par des moulins à prières bricolés à partir de boîtes de conserve vus dans un monastère tibétain, ces Statements aléatoires de Georges Autard témoignent-ils « de sa contemplation errante des contradictions existant les unes à côté des autres et entre elles » comme le suggère Gisela Sprenger-Schoch ? Nous invitent-ils à en faire autant ?

Entre les deux ouvertures sur le Plan du Palais, il existe dans la galerie AL/MA un espace privilégié, un peu magique et particulièrement approprié à la contemplation et à la médiation… Il a souvent accueilli des œuvres de petit format, intimes et captivantes.
« La forme informe » perpétue l’usage de cet endroit singulier avec l’accrochage d’une pièce très récente Inconoration (couronnement)…

Georges Autard - Inconoration (couronnement), 2020 - La forme informe- Galerie ALMA- Vue de l'exposition Photo © David Huguenin
Georges Autard – Inconoration (couronnement), 2020 – La forme informe- Galerie ALMA- Vue de l’exposition Photo © David Huguenin

Marie-Caroline Allaire-Matte conserve dans les réserves de sa galerie plusieurs œuvres sur papier de 1998 à 2013 qui méritent attention. On peut également y découvrir d’autres photo-collages de la série « La forme informe » dont plusieurs ont été montrées par Brigitte March ainsi que plusieurs toiles de format moyen.

On l’aura compris, un passage par la galerie AL/MA s’impose avant le 6 juin prochain. La rencontre avec « La forme informe » que propose Georges Autard surprend et ne peut laisser pas indifférent.

À lire ci-dessous, un texte d’Armand Vivier extrait du communiqué de presse

Pour sa prochaine exposition, la galerie accueille Agnès Fornells du 15 juin au 18 juillet avec « Peinture entre guillemets ». Vernissage le samedi 20 juin de 15 à 20 heures.

Agnès Fornells – Peinture entre guillemets, photographie, 2019

En savoir plus :
Sur le site de la galerie AL/MA
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Georges Autard sur documentsdartistes.org


Georges Autard au CAIRN centre d’art à Digne-les-Bains à propos de son exposition « Mystik Esthetik Kommando » en 2018

Georges Autard – La forme informe à la galerie AL/MA par Armand Vivier

Né le 17 avril 1951, à Cannes, Georges Autard vit et travaille à Marseille.

Georges Autard a exposé à plusieurs reprises à la galerie AL/MA : en 2005, 2010 et 2013. En 2018, son travail est exposé au CAIRN centre d’art de Digne-les-Bains, lors de l’exposition Mystik Esthetik Kommando, afin de célébrer les 150 ans de la naissance d’Alexandra David-Neel, écrivaine orientaliste ayant vécu dans la cité interdite de Lhassa, au Tibet. En effet, le travail de Georges Autard tire entre autres sujets, son inspiration de ses nombreux voyages au Ladakh et au Zanskar, de son intérêt pour l’univers spirituel du bouddhisme – en tentant de faire le lien entre Orient et Occident.

Cependant il n’est jamais question de sublimation du médium peinture dans son travail, aucun désir de lui rendre ses lettres de noblesse. Au contraire, il la violente, la bouscule et comme le dit Frédérique Valabrègue à propos du travail de Georges Autard : « ça n’est que par l’insolence qu’on redonnera de la couleur à une vieille chose heureusement ringardisé (1). » Insolence en effet, est le terme le mieux adapté pour qualifier son approche de la peinture – en témoigne sa série intitulée Fuckin’ Paintings, datant de la fin des années quatre-vingt-dix. Il y fait référence, entre autres, à Malevitch, Rothko, Cézanne ou encore Beuys. Outre l’influence du bouddhisme dans son travail, on retrouve par l’usage des couleurs ou dans ses statements l’empreinte de la culture punk. « Ce qui frappe immédiatement, face aux peintures et aux inscriptions quasiment litaniques, c’est la puissance rythmique, sourde, tourbillonnante, austère, vivace, directe, immédiate : des gestes picturaux, rapides ou lents, en rafale, des nappes de sonorités picturales (cymbales, cornes, gongs), une polyphonie obscure où les Throbbing Gristle rejoignent les mantras. Des effacements qui évoquent les “effaçages” de Wolf Vostell et les recouvrements de Beuys. Il a d’ailleurs entièrement effacé l’ouvrage de Beuys consacré à son expérience-action avec un coyote, en 1974, à New-York (2). »

La forme informe, titre donné par l’artiste à l’exposition de 2020 à la galerie AL/MA, joue sur un double sens. La forme qui informe et, à la fois, la forme sans formes. À travers sa réinterprétation des photographies du travail de Beuys, par le biais de découpages, d’agrafes et d’aplats de couleur jaune fluo, Georges Autard renforce cette impression de forme dépourvue de forme, la forme devenant innommable, échappant ainsi à notre compréhension. Le sens de la photo est irrémédiablement transformé, le sujet supprimé. Il apporte ainsi une information nouvelle qui ouvre à la réflexion tout en rendant hommage à un artiste qu’il admire et qu’il a découvert auprès de Bernard Lamarche-Vadel.

De ses statements émane une certaine violence. Les messages viennent frapper le spectateur par leur efficacité et leur sonorité. Les œuvres de Georges Autard sont ainsi imprégnées d’un rythme qui accompagne leur puissance sonore. Les écrits qui font référence à des chansons – « Time is on my side » des Rolling Stones, « A hard rain’s gonna fall » de Bob Dylan, etc. – en naissent spontanément.

Pendant toute la durée de l’exposition un tableau noir servira de support à différentes déclarations régulièrement effacées et renouvelées. À l’image de Beuys et de son œuvre Richtkräfte (einer neuen Gesellschaft) [Forces directrices (d’une nouvelle société)] en 1974-77, qui consistait en plusieurs tableaux noirs avec des inscriptions à la craie et où les tableaux étaient au fur et à mesure remplacés (et laissés au sol) par de nouveaux supports avec de nouvelles inscriptions. Ces inscriptions avaient valeurs de concepts qui s’effaçaient, comme la craie, laissant place à de nouveaux concepts.

À travers ces déclarations éphémères, Georges Autard questionne la valeur et l’impact que les mots, en perpétuel renouvellement, comme les idées et les concepts, peuvent avoir sur ceux qui les lisent. Dans un entretien accordé à Philippe Piguet en 1988, Georges Autard parle de la peinture en ces termes : « La peinture est un matériau qui pense, comme les mots. Elle est une matière à réflexion, au sens concret comme au sens mental. […] Au cours de mes lectures, je fais très souvent des petits dessins pour illustrer la pensée de l’auteur, un peu comme si j’essayais d’expliquer à quelqu’un comment j’appréhende ce que je suis en train de lire. Je me constitue une espèce de réservoir de signes que j’investis ensuite dans la peinture. » C’est peut-être ainsi qu’il convient le mieux d’appréhender la peinture de Georges Autard, comme une peinture qui pense, qui frappe la tête plutôt que de flatter le cœur.

Armand Vivier

(1) Frédérique Valabrègue, « Paradise Now », Georges Autard, 2006.
(2) Michel Giroud, In Alpina, janvier 2018.

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