Le grand Mezzé au Mucem


À partir du 16 décembre 2020, le Mucem présente « Le grand Mezzé », une exposition semi-permanente qui occupe la première section de la Galerie de la Méditerranée au rez-de-chaussée du J4.

« Le grand Mezzé » a pour ambition de conduire ses visiteurs « du champ à l’assiette, et des savoir-faire culinaires traditionnels de Méditerranée aux standards alimentaires mondialisés ». L’exposition propose ainsi de «saisir les spécificités, mais aussi les évolutions, sur le temps long » du « régime crétois » ou « diète méditerranéenne »…

Le parcours du grand Mezzé s’organise en deux séquences :

Il s’articule à partir d’une sélection de 550 objets et documents patrimoniaux prêtés par 35 musées.

Des confrontations chronologiques et thématiques devraient s’appuyer sur « des pièces archéologiques du Néolithique, de l’Antiquité et du Moyen-Âge issues de nombreux musées méditerranéens, une peinture de la Renaissance italienne et des œuvres contemporaines de Vincent Bouliès, de Michel Blazy, des collections d’art décoratif de faïences et de porcelaine de la Cité de la Céramique de Sèvres, des pièces ethnographiques issues des collections du Mucem et du Musée du quai Branly-Jacques Chirac »…

Pour ce « grand Mezzé », des pièces ethnographiques spécialement acquises et 13 projets audiovisuels produits par le Mucem s’ajouteront à cette imposante sélection.

Enfin, des œuvres inédites ont été commandées à 6 artistes contemporains. Les documents de presse annoncent ainsi que « Nicolas Boulard travaille pour la première fois sur la colorimétrie de l’huile d’olive, Christine Coulange filme la beauté des gestes culinaires traditionnels, Gérald de Viviès nous invite à mieux nous connaître en ouvrant son réfrigérateur, Lena Durr a construit l’image d’un étonnant buffet vegan, Laurent Fievet confronte Théorème de Pasolini avec des œuvres du Caravage, Laurent Derobert, avec sa vision poétique des mathématiques, propose une combinatoire de “Mille millions de mezzé” »…

Adossé à un imposant commissariat scientifique, Édouard de Laubrie, chargé des collections et de recherche, responsable du pôle « agriculture & alimentation » au Mucem assure le commissariat de l’exposition « Le grand Mezzé » avec la collaboration de Lucas Gomez, historien d’art.
La scénographe a été confiée à Christine Ilex Beinemeier.
Un catalogue coédité par le Mucem et Actes Sud est annoncé pour février 2021.

Chronique à suivre après une découverte de ce « grand mezzé ».

À lire, ci-dessous, une présentation du projet sous la forme de l’habituel entretien avec le commissaire et une description du parcours de l’exposition. Ces documents sont extraits du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site du Mucem
Suivre l’actualité du Mucem sur FacebookTwitter et Instagram

Entretien avec Edouard de Laubrie, commissaire de l’exposition « Le grand Mezzé »

Dans quel contexte l’exposition « Le grand mezzé » a-t-elle été conçue ?

Édouard de Laubrie : Depuis les années 1990, les crises alimentaires se sont multipliées dans le monde et la préoccupation alimentaire concerne également les pays riches. Les drames sanitaires de l’industrie agroalimentaire se multiplient (crise de la vache folle, grippe aviaire, lasagnes à la viande de cheval, affaire des laits et autres produits d’alimentation infantiles…). Le malaise agricole est de plus en plus flagrant et montre les limites d’un système de production industriel à outrance qui ne respecte ni les ressources agricoles ni les paysans. Ce phénomène est mondial et les consommateurs ne savent plus quoi manger. À partir de la fin du XXe siècle apparaît alors la mode du « régime crétois », où l’on vante les produits locaux essentiellement végétariens et une alimentation avec son incontournable corollaire : l’huile d’olive. Le succès de ce mode alimentaire devient mondial au point qu’en 2010 puis en 2013, ce que l’on appelle désormais la « diète méditerranéenne » est inscrite sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. C’est une consécration, puisque c’est la première fois qu’un mode alimentaire transnational est labellisé par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). C’est le premier dossier qui intègre à la fois une dimension culturelle et une dimension diététique. En mars 2019, l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie déposent un dossier conjoint afin que le couscous, spécialité culinaire d’Afrique du Nord, soit inscrit à la Liste du patrimoine mondial de l’humanité. En juin 2019, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) met en garde contre la perte de la valeur culturelle, sociale, environnementale et patrimoniale concernant l’érosion des régimes alimentaires durables, notamment le régime méditerranéen. La décennie 2019-2028 est pour les Nations unies celle de l’agriculture familiale qui doit relocaliser et ré-humaniser la production agricole, également en Méditerranée.

Avec une telle actualité, le Mucem se devait d’aborder cette problématique de l’alimentation en Méditerranée qui, on le voit, dépasse largement cette aire géographique. L’exposition propose, en dépit de l’immensité du sujet, quelques clés de lecture qui permettent de comprendre sur le temps long quelques fondamentaux de cette alimentation, son évolution constante et quelques-uns de ses enjeux très contemporains.

Les Professeurs Flaminio Fidanza (Université de Pérouse, Italie) à gauche et Ancel Keys (Université du Minnesota, Etats-Unis) à droite, prennent les mesures d'un patient à Kastelli en Crète
Les Professeurs Flaminio Fidanza (Université de Pérouse, Italie) à gauche et Ancel Keys (Université du Minnesota, Etats-Unis) à droite, prennent les mesures d’un patient à Kastelli en Crète – « Le grand Mezzé » au Mucem

La notion de « diète méditerranéenne » est au cœur du propos : pouvez-vous préciser ce concept ?

Édouard de Laubrie : À partir des années 1950, les Américains meurent de plus en plus de maladies cardiovasculaires dont on ne comprend pas encore l’origine. L’épidémiologiste Ancel Keys (1904-2004) remarque que les populations méditerranéennes ont une longévité remarquable en bonne santé. Pour Keys, cela s’explique par leur alimentation, majoritairement végétarienne, fondée sur la consommation de céréales et de légumineuses, de fruits et de légumes, une proportion limitée de poisson, produits laitiers et viande, enrichie de nombreux condiments et épices, et arrosée de vin et d’infusions. L’huile d’olive est le vecteur principal de cette bonne santé par comparaison avec les matières grasses d’origine animale. Pour Keys, le coupable de ces maladies cardiovasculaires est le cholestérol. Pour démontrer la validité de son propos, il réalise l’« Étude des sept pays », dans laquelle il établit un lien entre habitudes alimentaires méditerranéennes traditionnelles et baisse significative de l’incidence de mortalité due aux maladies coronariennes. Même si la méthodologie et les résultats des études de Keys sont remis en question par une partie de la communauté scientifique, il synthétise les modes alimentaires méditerranéens et fonde le concept de « diète méditerranéenne ». Dès les années 1970, Keys édite des ouvrages grand public sur le sujet, qui ont un succès mondial et font de la diète méditerranéenne un modèle alimentaire globalisé.

Existe-t-il vraiment une forme d’alimentation commune à toutes les populations de Méditerranée ?

Édouard de Laubrie : En fait, les habitudes alimentaires méditerranéennes ne sont pas homogènes ; il n’y a pas une diète méditerranéenne mais des diètes méditerranéennes qui mobilisent des produits extrêmement variés. Il faut également dépasser le point de vue nationaliste des cuisines qui est une création identitaire (cuisine grecque, libanaise, marocaine…) et déterminer des aires géographiques plus étendues. Les environnements écologiques de la zone méditerranéenne sont d’abord extrêmement diversifiés. De plus, cette aire a connu au cours de son histoire de nombreuses dominations successives qui ont chacune contribué à l’enrichissement des cultures, des aliments, des cuisines : les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Arabes, les Byzantins, les Ottomans, les Espagnols, les Portugais, les Anglais, les Français… Les religions ont, elles aussi, modelé les traditions alimentaires en privilégiant certains aliments et en en interdisant d’autres. Enfin, les facteurs sociaux et économiques sont également à prendre en compte dans des sociétés qui restent très cloisonnées. De façon générale, les rations alimentaires diffèrent selon les pays. Dans les pays du Sud, l’alimentation est essentiellement végétale avec des céréales complétées par les légumineuses comme source de protéines et peu d’aliments carnés. Au contraire, dans les pays du Nord, la ration alimentaire est fortement dotée en produits animaux, même si en Italie par exemple, la consommation de céréales, fruits et légumes est plus élevée dans le sud du pays que dans le nord. Enfin, dans les pays des Balkans, la ration alimentaire est intermédiaire : plus riche en produits animaux par rapport au Sud, mais plus de céréales et de légumineuses par rapport au Nord.

Collectif SAFI. Cuisine portable, 2011 © SAFI ; photo David Giancatarina
Collectif SAFI. Cuisine portable, 2011 © SAFI ; photo David Giancatarina– « Le grand Mezzé » au Mucem

La diète méditerranéenne est devenue depuis les années 1990 un phénomène mondial… pour le meilleur et pour le pire ?

Édouard de Laubrie : Pour visualiser et diffuser plus largement ce modèle alimentaire méditerranéen, une pyramide est créée en 1992 par le département de l’agriculture des États-Unis : les aliments placés à la base de la pyramide sont ceux que l’on doit consommer avec une plus grande fréquence et en plus grande quantité alors que ceux au sommet doivent être consommés en plus petite quantité. En 2009 est créée une nouvelle pyramide de la diète méditerranéenne qui intègre non seulement la nourriture mais aussi le mode de vie (du grec diaita), c’est-à-dire les activités physiques et les contacts sociaux lors des repas pris collectivement.

Dès novembre 2010, puis en 2013, avec l’élargissement du nombre de pays et sa reconnaissance par l’UNESCO, la diète méditerranéenne acquiert une reconnaissance culturelle mondiale bien au-delà du simple point de vue diététique qui l’avait fondée. Parallèlement, dans le contexte d’augmentation de la population mondiale et de l’impérieuse nécessité de mettre en place des systèmes agricoles durables, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) promeut la diète méditerranéenne comme modèle alimentaire nutritionnel, sanitaire, économique, environnemental et social. La demande mondiale en produits méditerranéens augmente de façon exponentielle : l’huile d’olive, la tomate, la fraise… Et il faut donc cultiver de manière extrêmement intensive pour satisfaire la « demande mondiale de Méditerranée ». C’est un des paradoxes de l’industrie agroalimentaire qui, par la culture à outrance, détruit les terres agricoles et les ressources en eau douce de nombreuses régions méditerranéennes, notamment en Espagne, au Portugal, en Italie et en France. De plus, les ouvriers agricoles qui travaillent dans ces exploitations ont des conditions de vie déplorables. Les produits cultivés sont de qualité médiocre.

L’un des autres paradoxes est que la diète méditerranéenne a quitté la Méditerranée et que les maladies cardiovasculaires, l’obésité et le diabète ont désormais largement conquis ses populations, avides des modèles alimentaires des pays riches qui accordent une place prépondérante aux aliments industriels, à la nourriture rapidement préparée et consommée, riche en gras, en sel et en sucre.

Fabrication d’un silo à grains en terre crue, région de la Bekaa, Liban Syrie, 2020 © Hoda Kassatly
Fabrication d’un silo à grains en terre crue, région de la Bekaa, Liban Syrie, 2020 © Hoda Kassatly– « Le grand Mezzé » au Mucem

Dans ce contexte de globalisation, l’exposition pose la question d’une nécessaire réappropriation de la diète en Méditerranée…

Édouard de Laubrie : Bien que de nombreux travaux scientifiques confirment que la diète méditerranéenne représente un modèle alimentaire sain en termes de nutrition et de santé, elle est paradoxalement de moins en moins observée dans les pays méditerranéens où les problèmes de sous-nutrition, notamment dans le Sud, coexistent avec le surpoids, l’obésité et les maladies chroniques d’origine alimentaire qui sont communs à l’ensemble de l’aire méditerranéenne. Les mauvais comportements alimentaires sont imputables, entre autres, à une forte consommation de graisses saturées et de glucides raffinés, une forte consommation de glucides (boissons et aliments industriels), une faible consommation de fibres et une propension à la sédentarité. La diversité alimentaire qui caractérise la diète méditerranéenne diminue fortement.

Les raisons de la disparition de la diète en Méditerranée sont multiples et dépassent le cadre strictement alimentaire : la perte de biodiversité, la dégradation des ressources naturelles, la contamination par les pesticides, le changement climatique, la consommation élevée d’énergie et d’eau, la forte dépendance aux importations, la pression urbaine, la pauvreté et la vulnérabilité de nombreuses communautés rurales et urbaines…

Les scientifiques proposent aujourd’hui le concept de « diète durable » qui prend en considération tous les critères, du paysage à l’assiette, c’est-à-dire un modèle d’agriculture et de consommation alimentaire avec des systèmes de production intégrés et agro-écologiques et un mode de consommation plus riche en aliments végétaux qu’en produits d’origine animale.

À ce titre, la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur constitue un cas exemplaire ?

Édouard de Laubrie : La région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur bénéficie d’une diversité de terroirs, avec des spécialités comme le maraîchage dans les Bouches-du-Rhône, la viticulture dans le Var et le Vaucluse, la production fruitière dans la vallée de la Durance, les plantes à parfum et aromatiques en Haute-Provence et dans le pays de Grasse, et l’élevage surtout ovin dans les zones de montagne.

La région est le berceau des AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), la première ayant été créée à Aubagne en avril 2001. L’objectif d’une AMAP est de préserver l’existence et la continuité des fermes de proximité dans une logique d’agriculture paysanne, socialement équitable et écologiquement saine, mettant en lien direct producteurs et consommateurs.

En octobre 2014, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt insiste sur la notion de « projets alimentaires territoriaux » dans le but de produire une alimentation plus saine, plus proche et plus durable, avec un plan d’action autour de trois axes prioritaires liés au patrimoine foncier, au dynamisme agricole global et à la réponse aux besoins alimentaires de la population. Puis, en octobre 2018, la loi Agriculture et alimentation est issue des États généraux de l’alimentation réunissant consommateurs, industriels de l’agroalimentaire, commerces de la grande distribution et pouvoirs publics. Cette loi vise à rétablir l’équilibre des relations commerciales entre producteurs et grande distribution, et à rendre accessible une alimentation saine et durable pour tous les consommateurs.

La région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur est en tête en France pour la part des surfaces agricoles cultivées en bio (plus de 15 % de la surface utile). Plus de 20 % de la main-d’œuvre agricole travaille dans une ferme biologique. Les circuits courts et de proximité (points de vente collectifs, marchés, vente à la ferme, paniers type AMAP) concernent plus de 160 acteurs organisant environ 350 circuits. Plus d’un tiers des exploitations agricoles commercialisent des produits en circuits courts, auprès de consommateurs surtout urbains.

Des producteurs aux consommateurs en passant par les distributeurs et les institutions territoriales (communes, départements et région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur), le système alimentaire se territorialise grâce à de très nombreuses initiatives, parmi lesquelles on peut citer le RéGAL, Réseau de gouvernance alimentaire locale, initié par le pays de Haute-Provence en 2009, le label « Pays Gourmand » qui rassemble 58 restaurateurs, ou encore le Parc naturel régional du Lubéron qui encourage la culture des produits de la diète méditerranéenne… Ainsi, dans la région, les questions agricoles et alimentaires constituent l’articulation entre espace rural et espace urbain, puisque l’essentiel de la population est urbaine. Cela concerne aussi par exemple l’alimentation hors domicile, comme les nouvelles pratiques d’achat et de préparation culinaires dans les cantines scolaires.

À travers cette thématique, cette section de l’exposition aborde un immense champ chronologique, du Néolithique à nos jours. Quels sont ses objectifs ?

Édouard de Laubrie : L’objectif de cette section de l’exposition est de montrer que, par sa position géographique dans le monde, et par les civilisations successives qui l’ont constituée, la Méditerranée est un creuset agricole et culinaire exceptionnel. Depuis le Néolithique, cette aire est un carrefour où convergent plantes, animaux, hommes et savoir-faire. Elle n’a cessé d’être une zone d’acclimatation et de transit, du fait de sa géographie et de son climat, de ses routes commerciales par la terre et par la mer, en dépit des tensions géopolitiques.

L’inscription de la diète méditerranéenne à l’UNESCO pourrait figer, comme toute forme de patrimonialisation, cette richesse alimentaire. Bien plus, le phénomène de la globalisation ramène abusivement la diète méditerranéenne à quelques produits emblématiques. Au contraire, la Méditerranée poursuit son enrichissement alimentaire comme elle l’a fait dès le XVIe siècle avec les produits venus des Amériques et comme elle le fait aujourd’hui avec des aliments et des cuisines de l’Extrême-Orient. Réciproquement, la cuisine méditerranéenne s’est également exportée dans le monde avec les adaptations locales, dont certaines pourraient vous surprendre !

« Le grand Mezzé » : Parcours de l’exposition

Prologue

Diète méditerranéenne : invention d’un concept

La notion de « diète méditerranéenne » établit une relation étroite entre le régime alimentaire méditerranéen et la santé. Dès les années 1950, Ancel Keys (1904-2004), chercheur à l’Université du Minnesota, observe que les populations du bassin méditerranéen ont la particularité d’avoir un faible taux de mortalité provoqué par des maladies coronariennes. C’est en 1975 que, pour la première fois, il parle de « diète méditerranéenne ». Les bienfaits de ce régime et sa vulgarisation vont en faire un modèle alimentaire mondialisé.

La diète méditerranéenne selon Ancel Keys

Dans son étude de 1956 sur la relation entre la consommation de graisses saturées et les maladies cardio-vasculaires en Grèce, en Italie, dans l’ex-Yougoslavie, aux Pays-Bas, au Japon, en Finlande et aux États-Unis, Ancel Keys observe que ces maladies sont peu importantes dans les pays méditerranéens en raison d’une alimentation et d’un mode de vie sains. Il reçoit le soutien de l’American Heart Association et du National Institute of Health. En dépit de la critique d’une partie de la communauté scientifique, Ancel Keys publie une série d’ouvrages rapidement devenus des « best-sellers », qui feront de la diète méditerranéenne un modèle de régime alimentaire mondial.

Les Professeurs Flaminio Fidanza (Université de Pérouse, Italie) à gauche et Ancel Keys (Université du Minnesota, Etats-Unis) à droite, prennent les mesures d'un patient à Kastelli en Crète
Les Professeurs Flaminio Fidanza (Université de Pérouse, Italie) à gauche et Ancel Keys (Université du Minnesota, Etats-Unis) à droite, prennent les mesures d’un patient à Kastelli en Crète en 1957. Cliché appartenant à un ensemble de photographies relatives à l’étude des « Seven Countries » et à ses suites menées par Ancel Keys et ses équipes (1957–1965). © Keys-Blackburn Collection. University of Minnesota Archive – « Le grand Mezzé » au Mucem

Dans les années 1950, les États-Unis connaissent une épidémie d’accidents cardio-vasculaires sans précédent. L’épidémiologiste américain Ancel Keys (1904-2004), de l’université du Minnesota, avance alors l’idée que le problème vient des graisses saturées, qui font grimper le taux de cholestérol total qui, à son tour, bouche les artères et cause les crises cardiaques. Pour Ancel Keys, il faut donc combattre le cholestérol. Après une étude à Naples dans les années 1940, puis son « Étude des sept pays » à partir de 1958, Keys montre la relation étroite entre le régime alimentaire méditerranéen et la santé. Il faut manger des fruits et légumes frais, des pâtes et du pain, avec de petites portions de viande et de poisson. Il devient célèbre auprès du grand public sous le nom de « M. Cholestérol ». Bien que ses études aient été remises en cause par de nombreux scientifiques, il publie des ouvrages à grand succès et reçoit le soutien de l’industrie agroalimentaire et des laboratoires pharmaceutiques américains. Il contribue largement au fait que « la diète méditerranéenne » devienne un modèle alimentaire mondialisé.

La diète méditerranéenne selon l’UNESCO

D’abord en 2010 puis en 2013, I’UNESCO inscrit la diète méditerranéenne sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Le point de vue de l’UNESCO est global : en plus des bénéfices pour la santé, cette organisation aborde les savoir-faire, les enjeux identitaires, la sociabilité et fait l’apologie de la durabilité. Elle défend l’idée que cette appellation puisse réunir tous les peuples de Méditerranée autour d’une alimentation commune.

Pourtant, aujourd’hui, ces populations méditerranéennes sont elles-mêmes divisées du point de vue de leurs modes alimentaires et on constate que celles-ci souffrent de problèmes sanitaires croissants tels que l’obésité ou la malnutrition. Enfin, la dépendance alimentaire de certains pays comme l’Égypte et l’Algérie font craindre des tensions géopolitiques croissantes.

La diète méditerranéenne est aussi la construction d’une stratégie commerciale, appuyée notamment par le Conseil oléicole international qui représente les pays producteurs d’huile d’olive au niveau mondial. Elle est aussi un vecteur de la promotion du tourisme dans cette partie du monde.

Nicolas Boulard, Nuancier, 2020. Huile d’olive, verre. Production Mucem © Gilles Berquet– « Le grand Mezzé » au Mucem

Cet artiste contemporain est connu pour ses œuvres conceptuelles sur le vin et sur le fromage. Le Mucem lui a proposé de travailler cette fois sur l’huile d’olive et cette fructueuse collaboration a abouti à cette œuvre sur la colorimétrie de l’huile, en hommage, aussi, à la diversité gustative.

Du champ à l’assiette : quelques fondements de l’alimentation en Méditerranée

Si le régime méditerranéen correspondait tout de même à des réalités vécues localement et observées par Ancel Keys dans le sud de l’Italie et en Grèce durant les années 1950, il est ensuite devenu un modèle alimentaire que l’on pouvait adopter partout dans le monde dans les années 1990, avant d’être réaffirmé comme un élément identitaire de cet espace géographique particulier depuis 2010. Du fait même de cette mondialisation, la diète méditerranéenne se retrouve plongée au coeur d’une série de contradictions dont trois sont développées dans cette section : les paysages de l’agriculture vivrière face à l’agriculture intensive industrielle, la cuisine locale et familiale difficilement conciliable avec une activité professionnelle, un régime diététique parfois en opposition avec certaines prescriptions alimentaires.

Terroirs agricoles traditionnels versus paysages agro-industriels

Céréales, vignes et oliviers se sont accommodés pendant des millénaires des terres arides et caillouteuses du pourtour méditerranéen, cohabitant avec des espaces forestiers et des pâturages. Cultivée sur d’étroites parcelles étagées soutenues par des murets de pierres, cette triade méditerranéenne a participé à façonner les paysages emblématiques de la Méditerranée, comme ceux des châtaigneraies, tout comme d’autres cultures plus localisées telles les rizières des zones marécageuses. Depuis les années 1980 a émergé dans certaines régions une agriculture productiviste sous serre qui produit tout au long de l’année, sur des surfaces gigantesques, des fruits et légumes destinés à l’exportation.

Soles, chaussures pour le décorticage des châtaignes. Villefort, Lozère, France
Soles, chaussures pour le décorticage des châtaignes. Villefort, Lozère, France. Bois, fer, cuir. Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn– « Le grand Mezzé » au Mucem

L’aire d’origine du châtaignier se situe sur les reliefs de la rive nord de la Méditerranée, en Turquie et dans le Caucase. Son aire d’extension atteint l’Europe méridionale et occidentale, jusqu’en Écosse et en Afrique du Nord. La châtaigne a constitué pendant longtemps l’aliment de base dans de nombreuses régions où les céréales poussaient mal.

Riche en amidon, la châtaigne est un fruit très nourrissant, consommée grillée ou cuite à l’eau, ou réduite en farine pour réaliser de la bouillie ou du pain. On retirait les châtaignes de leurs bogues, puis elles étaient mises à sécher dans un bâtiment spécial (la clède), où elles devenaient très dures. Ensuite, pour retirer leur enveloppe brune (péricarpe), on chaussait des « soles » : épaisses semelles de bois munies de grosses pointes forgées en épis et maintenues aux pieds par des sangles de cuir. Les châtaignes étaient placées dans une auge de bois et piétinées jusqu’à ce que cette enveloppe se brise et que l’on ait accès aux amandes des fruits. On pouvait alors conserver et transformer les châtaignes en fonction des besoins.

Savoir-faire domestique et artisanal

La transformation des produits agricoles et leur conservation sont des enjeux vitaux qui nécessitent beaucoup de temps de préparation et des savoir-faire très spécialisés. Les femmes sont les garantes de la production alimentaire familiale. Des artisans maitrisent aussi certains de ces savoir-faire. Parmi les céréales les plus consommées en Méditerranée, les blés durs et tendres entrent dans la préparation d’aliments fondamentaux qui sont évoqués dans l’exposition : pâtes alimentaires, couscous, pain, ou encore feuille de brick et pâte filo.

Fabrication d’un silo à grains en terre crue, région de la Bekaa, Liban Syrie, 2020 © Hoda Kassatly
Fabrication d’un silo à grains en terre crue, région de la Bekaa, Liban / Syrie, 2020. Mucem © Hoda Kassatly – « Le grand Mezzé » au Mucem

La réalisation par Issa el Khodr, réfugié syrien au Liban, de silos à grain en terre crue témoigne symboliquement de l’implication de l’ONG libanaise Arcenciel et du Mucem à l’égard de ce peuple, ainsi que de la volonté de ne pas voir disparaître des savoir-faire traditionnels et des objets devenus rarissimes.

Les gestes de la transformation du blé en Tunisie, en Crète, au Portugal, en Sicile - Christine Coulange – Sisygambis © Sisygambis - Les 7 portes
Les gestes de la transformation du blé en Tunisie, en Crète, au Portugal, en Sicile. Christine Coulange – Sisygambis. Référents scientifiques : Mouette Barboff, Gandolfo-Gabriele David, Sonia Hamzaoui, Louisa Karapidaki. Production Mucem 2020 © Sisygambis – Les 7 portes – « Le grand Mezzé » au Mucem

La base du régime méditerranéen consiste en la consommation de céréales associées à des légumineuses. Le blé dur joue un rôle fondamental dans l’alimentation méditerranéenne et sa culture coïncide avec les zones de faible pluviométrie des régions semi-arides d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Europe du Sud.

La vidéaste Christine Coulange a réalisé pour le Mucem une série de cinq films sur des produits issus de la farine de blé : le pain cuit dans le four tabouna en Tunisie, le couscous au Portugal, les pâtes en Sicile, la pâte brick en Tunisie et la pâte filo en Crète. À partir d’une base de matières premières souvent communes, ces films montrent la beauté et la diversité des gestes traditionnels, des préparations culinaires longues et parfaitement maîtrisées, le plus souvent par des femmes. Ces savoir-faire sont menacés de disparition avec l’accélération de la vie moderne qui ne permet plus de consacrer autant de temps aux préparations culinaires, et le développement des supermarchés qui proposent des produits agro-alimentaires déjà préparés.

Marmite et couscoussier, Alger, Algérie, XXe siècle © Mucem Marianne Kuhn
Marmite et couscoussier, Alger, Algérie, XXe siècle, Cuivre. Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

Le couscous est une préparation longue intégrant semoule et/ou farine de blé dur humidifiée, roulée et séchée avant d’être réhydratée. Il s’agit de petits grumeaux fabriqués par l’humidification de la mouture et calibrés par tamisage. Le couscoussier est composé de deux parties : dans la cuve inférieure, on cuisine la viande et les légumes, et dans la cuve supérieure, la semoule pour qu’elle gonfle sous l’effet de la vapeur.

Dès 1542, Rabelais, dans Gargantua, mentionne le « coscosson » ou « couscouton ». La consommation du couscous se développe surtout en France à partir de l’indépendance de l’Algérie, il est aujourd’hui le troisième plat préféré des Français. On le retrouve aussi en Sicile, au Portugal, en Espagne, à Madère et jusqu’au Brésil.

Le 29 mars 2019, l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie ont mis de côté leurs différends pour déposer un dossier conjoint à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) afin que le couscous, en tant que spécialité culinaire d’Afrique du nord, soit inscrit à la liste du patrimoine mondial de l’humanité.

Industrie agroalimentaire

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, certaines régions de Méditerranée se sont spécialisées dans la production intensive de produits locaux destinés à l’exportation. Gérés par des grands groupes industriels internationaux, les produits sont cultivés de façon intensive au détriment de leur qualité gustative, sans aucune préoccupation environnementale ou humaine. À ce titre, l’exemple de la région d’Almeria (Espagne), devenue un immense potager industriel alimentant toute l’année nombre de pays européens en fruits et légumes, est parlant. La question des OGM et des aliments ultra-transformés est aussi l’une des problématiques prégnantes de l’industrie agroalimentaire en Méditerranée.

Au niveau domestique, de nouveaux modes de conservation et de préparation des aliments sont à constater parallèlement à l’émancipation des femmes. En effet, l’industrie agro-alimentaire propose aujourd’hui des solutions simples, rapides et efficaces pour la préparation de plats quotidiens. Le réfrigérateur et le congélateur domestiques prolongent considérablement la conservation des aliments sans altérer leur couleur, leur saveur ni leur texture.

Enfin, il est intéressant d’observer le parcours de la pizza, dont les origines remontent à Naples au XIIe siècle, et qui est aujourd’hui l’un des plats les plus emblématiques de la mondialisation alimentaire.

Michel Blazy, Marguerite, 2012 © Michel Blazy ADAGP, Paris, 2020
Michel Blazy, Marguerite, 2012. Colle papier peint, polystyrène extrudé, eau, colorants alimentaires, arômes artificiels saveurs pizzas fromage fondu. 122 × 122 × 8 cm © Michel Blazy / ADAGP, Paris, 2020 – « Le grand Mezzé » au Mucem

Au XIIe siècle, la pizza désigne une pâte nue peu épaisse. On en connaît plusieurs recettes au XVIe siècle, sucrées et salées. Au XVIIIe siècle, avec la tomate venue d’Amérique centrale, la pizza rossa s’impose. En 2008, la pizza napolitaine obtient le label européen « spécialité traditionnelle garantie » : de sa consistance à sa couleur, de la levée de la pâte au mode de cuisson au feu de bois, la pizza doit être dégustée à la sortie du four. En décembre 2017, « l’art du pizzaïolo napolitain » est classé au titre de patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la pizza conquiert la planète dans le sillage des 26 millions d’Italiens qui s’expatrient. Dans les années 1960, les immigrés italiens en font un symbole d’identité culturelle dans une Amérique intégratrice. Le développement des chaînes de fast-food contribue à faire de la pizza l’un des plats emblématiques de la mondialisation alimentaire.

Les oeuvres de Michel Blazy se fondent le plus souvent sur un emploi de matériaux et d’ingrédients, périssables et évolutifs, issus de l’univers domestique. En donnant à un tableau l’apparence et l’odeur d’une pizza grâce à l’ajout de produits chimiques tels que des colorants et des arômes artificiels utilisés dans l’industrie agro-alimentaire, il pousse, jusqu’à l’écœurement, la conception séculaire qui voudrait qu’une œuvre d’art soit une représentation fidèle de la réalité.

Santé versus cultures

Médecine et alimentation sont intiment liées, comme en témoignent le sens originel de « diète », diaita en Grec. Ce mot recouvre à la fois le régime alimentaire et par extension le mode de vie. L’association du plaisir des sens et de la bonne santé se retrouve à travers un ensemble de textes fondateurs (Aristote, Hippocrate, Galien…), les ustensiles servant à préparer cataplasmes et épices (mortiers et pilons), et certains ingrédients plébiscités pour leurs vertus curatives aussi bien que gustatives (nougat, loukoum)…

En complément de cette perception diététique, l’UNESCO valorise des aspects culturels et festifs ; ce qui explique la part du sucre et des pâtisseries dans sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Tout comme le vin et la bière, qui accompagnent fêtes et rites de passage, et dont nous irons explorer quelques aspects en Géorgie.

Pot d’herboristerie  fenouil de Florence - Sarreguemines, Moselle, France, 1900 © Mucem Marianne Kuhn
Pot d’herboristerie : fenouil de Florence. Sarreguemines, Moselle, France, 1900, Faïence. Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

Dans la tradition antique classique, alimentation et médecine vont de pair comme l’écrivent des auteurs tels qu’Aristote, Hippocrate, ou Galien. La santé est le résultat de l’équilibre entre les quatre éléments que sont l’air, l’eau, le feu et la terre, et leur correspondance avec les quatre humeurs humaines : le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, les épices – classées chaudes et sèches -, sont des médicaments et participent à l’équilibre alimentaire en cuisine. Ainsi, dans le Tacuinum sanitatis, traité médical arabe écrit par Ibn Butlân vers 1050, puis transcris en latin aux XIIIe et XIVe siècles, on peut lire : « Fenouil. (…) Utilité : bon pour les yeux, éclaircit la vue, favorise la production de l’ait et d’urine, et apaise la flatulence. Inconvénients : lent à digérer. Remède : l’écraser et le mâcher bien. Effets : humeurs colériques. Convient aux complexions froides, aux vieux, en hiver et au moment où on le trouve, dans les régions froides et là où on le trouve ». Le fenouil aurait été ramené de Syrie en Italie où il est cultivé depuis le XVIe siècle au moins. Il a été introduit en France par l’entourage de Catherine de Médicis et par échanges de graines entre jardiniers italiens et provençaux. Le fenouil est très riche en vitamines et a des qualités apéritives et digestives.

Bassano del Grappa, copie d’après Jacopo Bassano, Lazare et le mauvais riche, XVIIe siècle © musée du Mans
Bassano del Grappa, copie d’après Jacopo Bassano, Lazare et le mauvais riche, XVIIe siècle. Huile sur toile, 98 × 135,8 cm. Musée de Tessé, Le Mans © musée du Mans – « Le grand Mezzé » au Mucem

Ce tableau, copie du XVIIe siècle d’une œuvre de l’italien Jacopo Bassano (vers 1510 – 1592), est présenté dans l’exposition moins pour son sujet (la parabole de Lazare et du mauvais riche), que parce qu’il illustre l’utilisation à des fins de préparation culinaire du mortier et du pilon, par une femme. Le mortier et le pilon sont autant utilisés en cuisine qu’en pharmacie. La lecture de ce tableau est celle du riche, bien portant et attablé à droite du tableau, se préparant à déguster de somptueux mets, et notamment de grasses viandes, en cours de préparation (volailles vidées, viande rôtie…) par de nombreux domestiques. Au premier plan à droite, un pauvre, nommé Lazare, couvert d’ulcères, et désireux de se rassasier des miettes qui tombent de la table du riche. Comme le précise le texte de la parabole et l’iconographie : « et même les chiens venaient encore lécher ses ulcères ». Lorsque les deux hommes meurent, Lazare est porté par les anges dans le sein d’Abraham alors que le riche, au purgatoire, demande à Abraham de lui envoyer Lazare pour le rafraîchir. Abraham dit au riche qu’il a vécu dans l’opulence sur terre sans se soucier du pauvre Lazare. L’interprétation est celle de l’âme ravagée par l’arrogance et par la richesse des biens matériels qui a créé elle-même un fossé infranchissable et irrémédiable entre elle et le pauvre.

Matériel utilisé pour l’entretien du lentisque, l’extraction et l’obtention du mastiha © MucemMarianne Kuhn
Matériel utilisé pour l’entretien du lentisque, l’extraction et l’obtention du mastiha. Île de Chios (Grèce), entre 1900 et 1980. Mucem © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

Le mastiha de Chios (Grèce) est une résine naturelle extraite d’un pistachier (pistacia lentiscus var. chia). A partir d’incisions faites sur le tronc de l’arbre, la résine est un liquide gluant et transparent qui se solidifie ensuite. Connu dès l’Antiquité, le mastiha a été utilisé comme anti-diarrhéique et antiscorbutique, en cataplasme, en fumigation, à l’occlusion des dents cariées. Première gomme à mâcher, produit d’Appellation d’Origine Contrôlée (1997), le mastiha est inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO en 2014.

Panier pour la vente des loukoums. Vers 1960 © Mucem Marianne Kuhn
Panier pour la vente des loukoums. Maison Sikoutris, Syros, Grèce. Vers 1960, osier, matière textile. Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

Confiserie d’origine turque ottomane, le loukoum, de l’arabe rahat al-halkoum, qui signifie « le repos du gosier », est présent dans les gastronomies balkaniques, maghrébines et moyen-orientales. Il a été jadis utilisé comme médicament contre les maux de gorge. Sous sa forme actuelle, c’est une pâte aromatisée à base d’amidon, d’eau et de sucre cuits dans de grands chaudrons en cuivre, puis saupoudrée de sucre glace, et parfois garnie de fruits secs. Le loukoum est arrivé sur l’île de Syros en Grèce entre 1822 et 1824, avec des rescapés venus de Chios et de Psara, îles mises à sac par les Ottomans. Les loukoums étaient fabriqués avec les trois produits issus de Chios : le mastiha, les amandes et la rose. Puis, de 1922 à 1924, des populations sont échangées entre la Grèce et la Turquie. Des milliers de Grecs sont chassés d’Asie Mineure et nombre d’entre eux s’installent à Syros, notamment beaucoup de pâtissiers-loukoumiers d’Istanbul et d’Izmir telles les familles Leivadaras, Sikoutris, Kehagias, Markopoulos… La fabrication familiale du loukoum s’est alors développée, tout comme les boutiques sur le port. Le commerce du loukoum a bénéficié du développement du tourisme dans les années 1960 ainsi que de la proximité de l’île de Mykonos. À chaque fois qu’un bateau accostait à Syros, les fabricants de loukoums allaient le rejoindre avec un petit canot pour y vendre leurs produits. Ils montaient à bord des bateaux vêtus de blanc et portant de grands paniers d’osier recouverts de coton blancs dans lesquels étaient disposées les boîtes de loukoums. La famille Sikoutris est la dernière à fabriquer ses loukoums de façon artisanale.

Personnages en sucre, Palerme, Italie, 2019 © MucemMarianne Kuhn
Personnages en sucre, Giacomo Bona, Palerme, Italie, 2019. Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

En complément de la perception diététique de la « diète méditerranéenne » qui s’exprime dès l’Antiquité, le classement par l’UNESCO valorise ses aspects culturels et festifs, notamment à travers le rôle du sucre et des pâtisseries dans des traditions collectives. La fabrication des sujets en sucre se retrouve dans plusieurs pays méditerranéens. En Égypte, le jour de la commémoration de la naissance du prophète (al-Mawlid al-nabawi), les enfants reçoivent des poupées et des cavaliers en sucre d’orge peints et habillés. Cette tradition se retrouve en Tunisie et plus particulièrement à Nabeul où les enfants célèbrent le nouvel an de l’hégire avec des figurines qui prennent la forme de poupées, de coqs ou de chevaliers. Elle est également présente en Sicile où la Toussaint est l’occasion d’offrir aux enfants des puppi en sucre coloré. Les sujets représentent traditionnellement des chevaliers et des poupées, ou encore la charrette sicilienne conduite par un couple, mais ce répertoire est de plus en plus souvent remplacé par des personnages de dessins animés tels que Mickey et Minnie, mais aussi en 2019, les « Pyjamasques ». Les fabricants doivent s’adapter au goût de cette jeune clientèle qui veut pouvoir dévorer ses héros de dessins animés. Ces sujets sont confectionnés dans des moules bivalves en plâtre à l’intérieur desquels on coule une fine couche de sucre liquide. C’est un savoir-faire qui demande précision et rapidité dans la maîtrise du sucre brûlant (qui ne doit pas se transformer en caramel) et dans la manière de verser l’excédent de sucre avant qu’il ne durcisse. Après démoulage, les sujets sont peints avec des couleurs alimentaires puis ornés de papiers colorés et zigzags en sucre.

Récipient rituel [marani]. Mtskheta, région de Mtskheta-Mtianeti, Géorgie, vers 2000 © Mucem Marianne Kuhn
Récipient rituel [marani]. Mtskheta, région de Mtskheta-Mtianeti, Géorgie, vers 2000. Céramique, glaçure plombifère. Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

La Géorgie représente l’un des plus anciens foyers de domestication de la vigne sauvage, dès le VIe-Ve millénaire avant notre ère. Ce pays possède encore près de cinq cents cépages autochtones. La méthode géorgienne de vinification à l’ancienne dans des kvevri traditionnels a été inscrite en 2013 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Après pressage des raisins, le moût, les peaux et les rafles sont versés dans de grandes jarres (kvevri) à l’intérieur desquelles s’effectue, après scellage, la fermentation du moût jusqu’au début du printemps. Les kvevri sont enfouis dans le sol du chai (marani), pour garantir une température idéale au vieillissement et au stockage du vin. Le vin accompagne toutes les fêtes et rites de passage avec danses, chants et lectures de poésies. Le récipient rituel le plus exceptionnel est appelé marani, comme le cellier. Lors des mariages, le chef de la table, nommé tamada, et les invités spéciaux l’utilisaient pour bénir les nouveaux mariés. Dans ce récipient en terre cuite, un tuyau relie une tête de bélier à de petites jarres, qui peuvent correspondre au nombre d’enfants désiré par le jeune couple. Le bélier apparaît ici comme le symbole solaire de la fécondité, tout comme la toison d’or de la Colchide. Le Mucem possède un ensemble complet d’objets destinés à la vinification en Géorgie.

Matériel rituel pour la fabrication et la consommation de la bière. Gveletie, Géorgie, vers 1900-1930 © MucemMarianne Kuhn
Matériel rituel pour la fabrication et la consommation de la bière. Gveletie, Géorgie, vers 1900-1930, laiton, fer. Acquisition 2019, Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

En Géorgie, la bière est une boisson sacrée équivalente au vin et elle accompagne toutes les fêtes et rites de passage dans les régions montagnardes du pays où la culture de la vigne n’est pas possible. La bière est préparée dans un bâtiment spécifique et communautaire. Chaque année, une famille du village est désignée pour confectionner la bière sous l’autorité du « prêtre ». L’orge est mise à germer dans de l’eau pour créer des enzymes. On obtient des blocs qui sont concassés et mélangés à de l’eau. La pâte obtenue est mise à ébullition dans un grand chaudron en cuivre. Après l’ajout du houblon, la pâte est mise à chauffer à différentes températures qui permettent d’activer les enzymes et d’obtenir un jus sucré : le moût. Après filtrage, le moût est transféré dans des cuves auxquelles on ajoute de la levure pour provoquer la fermentation et transformer le moût en bière, en produisant de l’alcool, du gaz carbonique et des arômes. Les instruments liés à la fabrication de la bière et les coupes à boire sont souvent considérés comme les objets sacrés à usage cultuel. Le Mucem est le premier musée en Europe à conserver un chaudron traditionnel ainsi que des objets associés à la consommation de la bière en provenance de Géorgie (acquisition en 2019).

Sacré versus profane

Une norme, qu’elle soit alimentaire, sociale ou religieuse, est fondée sur des valeurs socialement partagées. Les prescriptions alimentaires collectives les plus importantes concernent le cycle religieux (carême, ramadan, fêtes, etc.). Si chrétiens, juifs et musulmans possèdent des normes alimentaires sensiblement différentes, les trois monothéismes se rejoignent sur certaines pratiques comme le jeûne ou la consommation de l’agneau lors des fêtes religieuses.

Quant à la diète méditerranéenne, sa construction au XXe siècle a été en partie influencée par le puritanisme américain qui, dès la fin du XIXe siècle, prônait le végétarisme. Aujourd’hui, bien que certaines normes alimentaires apparaissent comme l’expression de démarches individuelles, elles peuvent relever aussi d’un projet de société, comme on peut le voir par exemple avec le véganisme.

Panier à pain. Nivritos, Crète, Grèce, 1970-1980 © Mucem Marianne Kuhn
Panier à pain. Nivritos, Crète, Grèce, 1970-1980, Paille d’Italie. Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

Ce panier cérémoniel destiné à contenir du pain, d’un décor très raffiné, montre à quel point cet aliment revêt une dimension vitale et sacrée. Il a été tressé dans les années 1970-1980 par Mme Athena Zambetaki, du village de Nivritos en Crète (Grèce), considérée comme la personne la plus douée de la région. En forme de vasque, ce panier n’était tressé que par les femmes au moyen de tiges très fines d’un blé local. Ce type de panier existe également à Chypre, là aussi exclusivement tissé par des femmes.

Le panieri est un des rares objets représenté dès l’époque minoenne (2700-1200 av. JC) et qui subsiste encore de nos jours. Ce panier est chargé de symboles de la fertilité : la mère et le froment nourricier.

Les rites liés à l’usage du panieri sont nombreux : chaque famille doit en posséder un qui fait partie de la dot de la mariée. On y dépose les objets les plus précieux de l’épouse. Ce sont les enfants, garçons et filles, qui transportent en procession la précieuse dot, de la maison familiale de la mariée à la maison de l’époux. Un panieri emprunté à une autre famille doit être rendu avec une offrande : noix, raisins secs, gâteau… Le témoin du mariage ou le parrain du baptême reçoivent, selon l’usage, un volumineux pain-gâteau rituel décoré (ou deux pains gâteaux), transporté dans le panieri que l’on retourne avec les gâteries d’usage.

Les trois religions monothéistes méditerranéennes ont en commun des prescriptions alimentaires et des périodes de jeûne très nombreuses qui sont le fruit d’une même vision cosmogonique du monde et d’une même rationalité. Ces périodes précèdent des fêtes religieuses importantes. Les règles distinguent les interdits alimentaires, la préparation, et la consommation des aliments. Ces principes instaurent des calendriers où alternent périodes de jeûne et de bombance, comme en témoigne ce diptyque Le déjeuner de gras, Le déjeuner de maigre de Vincent Bioulès (né en 1938). Les deux oeuvres reprennent la même composition : une nature morte posée sur une table dont on voit le plateau, un tiroir et le début des pieds, se détachant d’un mur orné d’un motif de bouquet de fleurs encadrés de pilastres, le tout de couleur bleue. Seuls les tables et les aliments qui y sont disposés diffèrent et sont facilement identifiables. Pour le maigre, sur la table mauve sont déposés un plat contenant des poissons et une cassolette de moules, ainsi que des moules et un demi citron ; pour le gras, sur la table verte sont disposés de la charcuterie sur une serviette blanche, du boudin noir, du pâté en croûte sur un plat, du saucisson et de belles côtes de boeuf. Ces mets correspondent aux prescriptions alimentaires chrétiennes, notamment pendant le Carême pour le maigre, et la fête de Pâques pour le gras.

Laurent Fiévet, Le charme de la bourgeoisie, Série « Teorema », 2019 © Laurent Fiévet Xavier Gautier
Laurent Fiévet, Le charme de la bourgeoisie, Série « Teorema », 2019. Boucle vidéo, 21 minutes. Courtoisie de l’artiste © Laurent Fiévet / Xavier Gautier – « Le grand Mezzé » au Mucem

La vidéo de Laurent Fiévet repose sur une confrontation entre peinture et film. Les subtils changements qui naissent du rapprochement entre image fixe avec Le souper à Emmaüs du Caravage et images en mouvement avec un extrait de Théorème, film réalisé par Pier Paolo Pasolini, créent une oeuvre à la temporalité singulière qui instaure un rapport particulier au spectateur, entre absorption et fascination.

De la construction de la mondialisation à la réappropriation des territoires : les enjeux alimentaires en Méditerranée

Depuis le Néolithique, la Méditerranée est un carrefour où convergent plantes, animaux, hommes et savoir-faire. En dépit des tensions géopolitiques, elle n’a jamais cessé d’être une zone d’acclimatation et de transit dûe au commerce qui s’est mondialisé. L’inscription de la diète méditerranéenne à l’UNESCO participe de ce processus. Elle donne une nouvelle mobilité à la gastronomie comme alternative au tourisme de masse dans une démarche de développement durable. L’alimentation méditerranéenne est en même temps un produit global.

Pourtant, du fait de la limitation des ressources, de l’explosion démographique et de l’urbanisation croissante, il faut aujourd’hui repenser les modèles de production et de consommation en Méditerranée. Les bienfaits de ce régime, combinés à sa vulgarisation, l’imposent comme un modèle alimentaire mondial alors qu’il quitte paradoxalement son territoire d’origine. Face à ces dérives, les populations méditerranéennes doivent se réapproprier une alimentation diététique soucieuse de ses cultures et de son territoire.

Jalons de la mondialisation alimentaire

Les régimes alimentaires des populations méditerranéennes n’ont jamais cessé d’évoluer sur le temps long. Tous les domaines sont concernés : la domestication et l’acclimatation de plantes et d’animaux, le commerce avec toutes les parties du monde, les apports culinaires et gastronomiques. La Méditerranée est un creuset où les aliments se côtoient, se mélangent, de la même façon que les peuples. La circulation des produits dans l’espace méditerranéen est réciproque : la Méditerranée importe et exporte à travers tous les continents.

L’exposition présente ici de nombreux exemples documentant la construction de ces circulations, depuis les premiers agriculteurs éleveurs du Néolithique qui propageaient plantes et animaux domestiqués de l’Orient vers l’Occident, jusqu’aux itinéraires parfois inattendus de certains produits comme les épices et la morue ; et depuis le grand commerce antique et médiéval jusqu’aux transports intercontinentaux rendus possibles par la révolution industrielle ; ou encore la circulation mondialisée du concentré de tomates et la tendance du tourisme culinaire.

Plat à poisson, Paestum, Italie du Sud, 350-325 av. J.-C. © Musée Saint-Raymond, Toulouse
Plat à poisson, Paestum, Italie du Sud, 350-325 av. J.-C., terre cuite. Musée Saint-Raymond, Toulouse © Musée Saint-Raymond, Toulouse – « Le grand Mezzé » au Mucem

Ce type de plat rond à décors d’animaux marins et présentant une cupule en son centre est fréquent dans les productions italiennes au IVe siècle avant J.-C. Au centre de ce plat sont représentés trois poissons rouges sur fond noir de type sars pointus, et sur l’épaisseur du vase, des motifs de vagues continues. Il est probable que l’on servait du poisson dans ce type de plat. La cupule au centre sert à présenter une sauce ou à recueillir le jus du poisson cuit.

Parmi les condiments très appréciés, et qui faisaient l’objet d’un commerce important, notons ce que les Romains appelaient le garum : il s’agissait de chair ou de viscères de poisson, voire d’huîtres, ayant fermenté longtemps dans une forte quantité de sel afin d’éviter tout pourrissement. Il entrait dans la composition de nombreux plats, notamment à cause de son fort goût salé. Toute la Méditerranée fabriquait des garum avec des qualités différentes. Le garum le plus réputé était fabriqué en Bétique, dans le sud de l’Espagne actuelle, avec le sang, les oeufs et le système digestif des thons rouges, mélangés à une grande quantité de sel. Le garum de moindre qualité était préparé directement à partir de la chair du thon ou de maquereau. Tous ces garums étaient commercialisés dans des amphores de petite taille, en raison de leur prix élevé.

François Desportes, Pieds de tabac et de maïs, 1682-1700 © RMN-Grand Palais (Sèvres, Cité de la céramique) Martine Beck-Coppola
François Desportes, Pieds de tabac et de maïs, 1682-1700, huile sur toile. Cité de la Céramique Sèvres et Limoges, Sèvres. © RMN-Grand Palais (Sèvres, Cité de la céramique) / Martine Beck-Coppola – « Le grand Mezzé » au Mucem

François Desportes (1661-1743) est reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en tant que « peintre d’animaux » en 1699. Les rois Louis XIV et Louis XV lui commandent le portrait de leurs chiens favoris. En 1784, le comte d’Angiviller, directeur général des bâtiments du Roi, fait l’acquisition du fonds d’atelier du peintre (études d’animaux, de plantes et de paysages peintes d’après nature) pour la manufacture de Sèvres afin qu’il puisse servir de modèle aux peintres sur porcelaine. Le tableau présenté dans l’exposition fait partie d’une série représentant des plantes originaires du Nouveau Monde.

Les premières graines de tabac furent rapportées en Europe en 1520. Le tabac est cultivé et utilisé au Portugal comme une plante médicinale. Jean Nicot, ambassadeur de France au Portugal, envoya en 1561 des feuilles de tabac râpées à Catherine de Médicis, reine de France.

Originaire du Mexique et cultivé depuis 9 000 ans, le maïs constituait l’aliment de base des Amérindiens avant l’arrivée des Européens. Depuis le sud de l’Espagne, il est diffusé dans toutes les régions d’Europe méridionale dont le climat est suffisamment chaud et humide, selon deux trajets : l’un depuis le Portugal (1515), le Pays basque espagnol (1576), la Galice, le sud-ouest de la France et la Bresse (1612) ; l’autre par la Vénétie (1554), puis la plaine du Pô pour atteindre la Serbie, la Roumanie (1692), la Turquie… Son origine se perd rapidement : « milho » (gros millet marocain) au Portugal, « blé d’Espagne » en Franche-Comté, « blé d’Égypte » pour les Turcs, « froment de Turquie » en Allemagne, « blé de Sicile » et « blé de Rome » en Lorraine et dans les Vosges… Néanmoins, cette céréale « étrangère » a du mal à s’imposer face au blé, céréale chrétienne et considéré comme le « brouet des pauvres ». Progressivement, le maïs devient un marqueur alimentaire en Italie avec la polenta, au Portugal avec le broa, en Roumanie avec la mămăligă, dans le sud-ouest de la France (talo, miches de Gascogne, crêpes de maïs d’Aquitaine) ou en Bresse avec les gaudes.

Aujourd’hui, le maïs est la première céréale cultivée dans le monde devant le riz et le blé.

Moulin à poivre et à épices, Provence, France, vers 1680 © Mucem Marianne Kuhn
Moulin à poivre et à épices, Provence, France, vers 1680. Bois, fer. Mucem, Marseille © Mucem / Marianne Kuhn – « Le grand Mezzé » au Mucem

Le poivrier est originaire de la côte de Malabar à l’ouest de l’Inde. L’usage du poivre serait connu dans la Grèce antique. A partir du XIe siècle, alors que le commerce de cette épice entre l’Inde et le Proche-Orient est aux mains des marchands arabes, les négociants de Gènes et de Venise créent un monopole qui entraînera une montée des prix exorbitante, le poivre devenant ainsi un produit de grand luxe. Les Portugais cherchent une autre route maritime et, en 1498, Vasco de Gama atteint l’Inde en contournant l’Afrique. Aux XVIe et XVIIe siècle, le Portugal et la Compagnie néerlandaise des Indes orientales contrôlent en grande partie le commerce du poivre. À partir du XVIe siècle, le poivre est également cultivé en Asie du Sud-Est puis à Madagascar et au Brésil.

Ce moulin datant du XVIIe siècle est actionné grâce à sa manivelle latérale et témoigne de l’époque où le poivre devient plus accessible. Il est ensuite présenté sur la table dans des contenants en faïence ou en porcelaine, souvent accompagné du sel. Il faut attendre le XIXe siècle pour que cette épice soit adoptée par toutes les couches sociales.

Atelier Perret-Gentil, plat ornemental, Menton, France, fin du XIXe - début du XXe siècle © Musée de Préhistoire régionale Ville de Menton
Atelier Perret-Gentil, plat ornemental, Menton, France, fin du XIXe-début du XXe siècle, barbotine. Musée de Préhistoire régionale, Menton. © Musée de Préhistoire régionale / Ville de Menton – « Le grand Mezzé » au Mucem

À partir du dernier tiers du XIXe siècle, la Côte d’Azur connaît un important développement touristique, surtout en hiver. Chaque ville veut marquer sa spécificité. En 1875, des hôteliers de Menton proposent la création d’un carnaval pour animer la ville en hiver. La ville de Menton est aussi fameuse pour sa culture du citron depuis le XIVe siècle. Également haut-lieu de la production céramiste, c’est en 1896 que Eugène Perret-Gentil reprend la fabrique de faïence d’art de L. Magnat et se spécialise dans la fabrication de plaques de villa, de carreaux muraux, d’objets décoratifs en barbotine, et de décorations en faïences pour services de table, dont ce très beau plat représentant le citron de Menton et les branches du citronnier en fleurs. En 1928, un hôtelier organise une exposition de fleurs et d’agrumes qui devient, en 1934, la « Fête du citron », fête carnavalesque ayant pour thème les agrumes. Aujourd’hui, les cent vingt tonnes d’agrumes nécessaires pour garnir les structures de la fête proviennent d’Espagne. Le citron de menton est depuis 2015 une Indication géographique protégée (IGP). Aujourd’hui, le tourisme culinaire est en forte progression, associant une visite touristique à un produit alimentaire local, et répondant aux attentes du touriste en quête d’authenticité, de savoir-faire locaux pratiqués par des personnes identifiées et conciliables avec un tourisme durable.

Vers un retour de la diète en Méditerranée ?
Le cas de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur

Quel modèle alimentaire durable pour la Méditerranée ? La situation est très contrastée entre les rives nord et sud. L’agriculture industrielle coexiste avec des nouvelles formes d’agricultures durables qui visent des produits de qualité. Le modèle français des « Appellations d’Origine » s’est exporté en Méditerranée. Les agricultures urbaines se développent ainsi que les réseaux d’approvisionnement alternatifs où producteurs et consommateurs sont associés sans intermédiaires. Des solutions alternatives encourageant les circuits courts restent à développer, bien qu’il existe d’énormes écarts entre le sud de l’Europe et le reste de l’aire méditerranéenne.

Divers facteurs préoccupants menacent très fortement les agricultures et systèmes alimentaires méditerranéens, concernant surtout les rives sud et est de la région : doublement prochain de la population et dépendance alimentaire croissante (Algérie, Égypte) entraînant une augmentation de la malnutrition, fractures géographiques et économiques accrues entre les mondes ruraux et urbains, fracture agricole entre une production vivrière sous développée et une agriculture d’exportation mondialisée, catastrophes environnementales et climatiques toujours plus marquées, diminution drastique de la ressource en eau allant de pair avec une baisse de sa qualité.

La région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur offre une agriculture diversifiée grâce à un territoire s’étendant du littoral à la haute montagne, mais également très contrainte par la pression urbaine notamment côtière. L’élevage ovin et caprin est prépondérant dans les départements de montagne, mais près de 80 % des exploitations de la région ont une orientation végétale (viticulture, fruits et légumes). La région est contrastée du point de vue de ses cultures végétales, où coexistent une agro-industrie fruitière et légumière à haut rendement mais dont l’impact environnemental est critiqué, et des formes d’agriculture à plus petite échelle, notamment en agriculture biologique, qui connaissent un dynamisme croissant.

Même si, en dix ans, un quart des exploitations a disparu, on en dénombre aujourd’hui 20 340 dont 4033 produisant en bio. Ainsi, la région est la quatrième au niveau national en nombre d’exploitations mais la première en part des surfaces agricoles cultivées en bio, qui représentent plus d’un quart du total (près de 29 %, soit 167 000 ha de surface agricole utilisée). Les Alpes-de-Haute-Provence et les Bouches-du-Rhône sont les départements français où la part de la surface bio est la plus importante et le Vaucluse est le premier département viticole bio de France.

La région est aussi le berceau des AMAP, la première ayant été créée à Aubagne en avril 2001. Une Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) a pour objectif de préserver l’existence et la continuité des fermes de proximité dans une logique d’agriculture paysanne, socialement équitable et écologiquement saine, mettant en lien direct producteurs et consommateurs. On dénombre en 2015 plus de 2 000 AMAP en France.

Collectif SAFI. Cuisine portable, 2011 © SAFI ; photo David Giancatarina
Collectif SAFI. Cuisine portable, 2011. Marseille © SAFI ; photo David Giancatarina – « Le grand Mezzé » au Mucem

SAFI (« du Sens, de l’Audace de la Fantaisie et de l’Imagination ») est un collectif d’artistes plasticiens fondé en 2001 à Marseille. SAFI travaille et transmet à partir du végétal des espaces en friche, tout en posant les enjeux du devenir urbain. À partir d’un répertoire de gestes fondamentaux (marcher, sentir, écouter, manger, cuisiner, bricoler, jardiner…), SAFI invite le public à traverser des zones oubliées, à pratiquer des gestes collectifs et à (re)découvrir des richesses insoupçonnées.

Dans l’exposition, un ensemble de dessins, objets, carte et films fait apparaître des usages inattendus en ville et témoignent du patrimoine que constituent les végétaux et la pratique de la cueillette, même dans une ville comme Marseille !

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer