Gilles Barbier – Machines de production au Musée Soulages – Rodez


Du 4 janvier 2020 (si tout va bien) au 16 mai 2021, le Musée Soulages expose les « Machines de production » de Gilles Barbier.
Dans la salle d’exposition temporaire et à l’accueil du musée, Gilles Barbier présentera quatre de ses installations majeures, l’Orgue à pets (1996), la Boîte noire (2015), la Méga-maquette et le Terrier (2005) ainsi qu’un ensemble de grandes gouaches inédites intitulées Les Soupes.

Le titre de ce projet renvoie très probablement à la pratique singulière de l’artiste et aux règles de production qu’il a définies à partir de la notion mathématique d’automate cellulaire et notamment celles du jeu de la vie dont il met en place une première version dès 1992. On lira à ce sujet la passionnante conversation avec Gaël Charbaud reproduite dans le catalogue de l’exposition « Écho système ».

Dans son texte de présentation, Benoit Decron, conservateur en chef du patrimoine et directeur du musée, souligne : « Gilles Barbier affirme tourner autour de deux concepts : l’avatar et la suspension. Une succession d’opérations aboutit pour lui à la production d’une œuvre d’art contingente, reproductible, permutable ou échangeable, modifiable. Toutes ses versions potentielles forment l’écosystème de l’œuvre proprement dite ». Il affirme alors « Ce sont les Machines de production » après avoir cité Gilles Barbier :

« Cette idée m’incite à penser qu’une œuvre peut se ressasser (ou se ruminer) dans un organe qui recycle le processus exclusif du “ou” (déterminant son émergence) en un ensemble circulaire lié par l’énergie des “et” (produit par la somme de ses versions » [G.B. 2011]

Gilles Barbier - La Boîte Noire, 2015 - Echo système - Panorama de la Friche la Belle de Mai, 2015 - Photo (c) jean-Christophe Lett 01
Gilles Barbier – La Boîte Noire, 2015 – Echo système – Panorama de la Friche la Belle de Mai, 2015 – Photo (c) jean-Christophe Lett 01

L’expérience montre que l’on sort rarement indemne d’une exposition de Gilles Barbier. Il y a quelque chose d’ébouriffant, d’étourdissant et de déstabilisant dans cette « aventure ». On reste béa, à la fois estomaqué et séduit, mais aussi agacé par tant de précision hallucinante et de méticulosité dans la production. Tout semble clair, lumineux et évident, mais tout finit par s’« échapper », sans que l’on ait réussi à savoir si c’était du lard ou du cochon… Le regard circule avec fluidité, mais en même temps, il accroche, reviens en arrière, remarque un détail oublié qui remet en partie en cause ce que l’on croit avoir saisi…
Il faut reconnaître à Gilles Barbier une étonnante capacité à s’emparer des espaces pour y proposer des amorces de multiples fictions aux scénarios instables qui s’enchevêtrent, qui paraissent partir dans tous les sens, revenir sur elles même…
Ce foisonnement, cette profusion finissent en même temps par offrir une troublante cohérence.

Gilles Barbier - l’Orgue à pets, 1996 - Photo Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois
Gilles Barbier – l’Orgue à pets, 1996. Cire, verre soufflé, appeaux, compresseur. 150 x 700 x 100 cm – Photo Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

La lecture des interviews avec ceux auxquels il a accordé sa confiance est toute aussi déconcertante. C’est à la fois parfaitement limpide et vertigineux comme dans le monde des Toons…
Rendre compte d’une exposition de Gilles Barbier est une vraie gageure, parfois insurmontable !
Après plusieurs passages à la Friche, la chronique d’« Écho système », plusieurs fois recommencée, est ainsi restée à l’état de brouillon définitif… Difficile d’écrire quand il faut soi-même être instable.

Gilles Barbier - Le Terrier, 2005 - Ici, ailleurs, au Panorama à la Friche Belle de Mai, Marseille, 2013 - Photographie Clementine Crochet
Gilles Barbier – Le Terrier, 2005 – Ici, ailleurs, au Panorama à la Friche Belle de Mai, Marseille, 2013 – Photographie Clementine Crochet

Le commissariat des « Machines de production » de Gilles Barbier est assuré par Benoît Decron, conservateur en chef du patrimoine et directeur du musée. Les deux hommes se connaissent depuis plusieurs années. En 2000, alors conservateur au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix aux Sables-d’Olonne, Benoît Decron était commissaire de l’exposition La meute des clones transchizophrènes une des premières expositions personnelles de Gilles Barbier dans un musée français.

Un catalogue devrait accompagner l’exposition. On y trouvera des textes de Gilles Barbier, Catherine Millet, Agate Bortolussi, Isabelle Limousin, Gaël Charbau, Richard Leydier et Benoît Decron.

Gilles Barbier - Méga Maquette, 2006 - Carré d'Art, Musée d'art contemporain de Nîmes, 2006
Gilles Barbier – Méga Maquette, 2006 – Carré d’Art, Musée d’art contemporain de Nîmes, 2006

Avec ses « Machines de production », Gilles Barbier s’inscrit dans la liste déjà impressionnante des invités du Musée Soulages : Claude Levêque en 2015, Jesús Rafael Soto et Picasso en 2016, Alexander Calder en 2017, Le Corbusier et le groupe Gutai en 2018, Miguel Chevalier et Yves Klein en 2019…

Nul doute que les visiteurs venus voir les outrenoirs de Soulages seront étonnés par ce que révèlent les dessins noirs de Barbier

Chronique éventuelle à suivre après un passage dans les « Machines de production » de Gilles Barbier et un probable regard sur les commentaires, parait-il, très avisés du Chat de Philippe Geluck sur l’univers de Soulages…

À lire ci-dessous, quelques souvenirs de rencontres avec le monde de Gilles Barbier et des extraits de textes à propos des pièces qui seront exposées à Rodez (La Boîte Noire, Le Terrier, L’Orgue à pets et La Mega maquette). Le texte de présentation de Benoit Decron est également reproduit.

Gilles Barbier - Série des Soupes, 2020 Photo (c) Studio Gilles Barbier
Gilles Barbier – Série des Soupes, 2020 Photo (c) Studio Gilles Barbier

L’exposition bénéficie du concours de la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris, et de la Friche Belle de Mai, Marseille.

En savoir plus :
Sur le site du Musée Soulages
Suivre l’actualité du Musée Soulages sur Facebook, Twitter et Instagram
Gilles Barbier sur le site de la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois
Le dossier de Gilles Barbier sur le site documentsdartistes.org
À lire la conversation avec Gaël Charbaud extraite du catalogue de l’exposition « Écho système », un entretien avec Samantha Longhi à propos de son exposition à Carré d’art en 2006, un article d’Isabelle Limousin dans Res Futurae et celui d’Agate Bortolussi « Tu ne veux pas ouvrir un peu la fenêtre ? – Non, il pleut, ne vois-tu pas ? » à l’occasion de l’exposition « Entre, dans, derrière, sous, sur… » de Gilles Barbier à la Galerie Vallois en 2020.

Gilles Barbier, La Boîte Noire, 2015

Gilles Barbier - La Boîte Noire, 2015 - Echo système - Panorama de la Friche la Belle de Mai, 2015 - Photo (c) jean-Christophe Lett 01
Gilles Barbier – La Boîte Noire, 2015 – Echo système – Panorama de la Friche la Belle de Mai, 2015 – Photo (c) jean-Christophe Lett 01

Résident à la Friche la Belle de Mai, cet artiste inclassable et déroutant y travaille avec une équipe dans un vaste atelier depuis 1993. En 2015, avec la complicité de Gaël Charbaud et le soutien des Mécènes du Sud, Gilles Barbier avait montré « Écho système », une spectaculaire exposition introspective qui occupait un plateau de la tour et l’espace du Panorama. De ce projet, on garde entre autres le souvenir de l’utilisation magistrale qui avait été faite de ce volume magnifique, mais intraitable qui ouvre sur un des horizons de Marseille. L’installation La Boîte Noire, avec ces quatre structures tournantes qui supportaient 96 de ses « dessins noirs » a durablement marqué de nombreux esprits…
Parmi les « Machines de production », on pourra découvrir une reconstitution de cette Boîte noire faite pour le musée Soulages.

Le dossier de Gilles Barbier sur le site documentsdartistes.org, en fait la description suivante :
« La Boîte noire se compose de quatre tourniquets sur lesquels se déploie une sélection de “Dessins noirs”. Cette série entamée en 2002 forme un ensemble que l’on pourrait comparer à un journal de bord, un carnet de notes. Les dessins noirs transcrivent les spéculations, les questions, les hypothèses et toutes les recherches qui accompagnent ou précèdent le travail de l’artiste. Imaginés comme autant d’éclairages, ils sont systématiquement traités sur fond noir, et les motifs comme les textes qui y figurent sont peints à la gouache noire en “réserve”. Le blanc du papier joue le rôle de source lumineuse et agit à la façon d’un néon ou d’une lampe, révélant le sujet, le tirant du all-over noir dont il semble couvert. Agencés, ils créent ainsi un monochrome noir, une immense nuit éclairée ça et là par de petites lumières, laissant apparaître des détails, des textes, des scènes.

Ces dessins, agencés sur des tourniquets dont les vitesses de rotation sont toutes différentes. Se crée ainsi un espace combinatoire mettant en valeur une notion essentielle du travail de Gilles Barbier : la suspension de l’état défini (voire définitif) des choses au profit d’une plage qui regroupe tous les états possibles de ces mêmes choses ; la suspension de la trajectoire unique au profit des trajectoires multiples… »

Gilles Barbier - La Boîte Noire, 2015 - Echo système - Panorama de la Friche la Belle de Mai, 2015 - Photo En revenant de l'expo
Gilles Barbier – La Boîte Noire, 2015 – Echo système – Panorama de la Friche la Belle de Mai, 2015 – Photo En revenant de l’expo

Dans sa conversation avec Gaël Charbaud, Barbier précisait à propos de ses dessins noirs :
« Restons dans le domaine de l’informatique. Un programme est une suite de tâches encodées sous forme d’algorithmes. C’est, de manière très rustique, ce que je mets en place. Mais je suis artiste, pas informaticien, ni ingénieur, et les notions que je glane dans le réservoir des sciences dures ne sont qu’une façon de me rapprocher des structures du vivant. Je pense aussi le programme comme un défi au temps. Il permet de satisfaire à la fois ma boulimie et mon besoin de rumination. Par exemple, les dessins noirs que je fais depuis 15 ans sortent d’un programme très précis. Leur format est défini, de même que leur technique. Ils peuvent s’assembler par groupe, jamais plus de 6, sur une grille de 3 sur 2, comme les vignettes d’une page de BD.

Leur sujet : tout ce qui vient impacter ma sensibilité ; le souvenir d’une soirée arrosée, une phrase, une image, une vision, un morceau de musique, une discussion avec quelqu’un… Ils peuvent, collectivement, être vus comme les données enregistrées dans la boîte noire de ma trajectoire. Puis ils sont regroupés sur de grands tourniquets à quatre branches qui, tournant sur eux-mêmes, ouvrent et referment cette boite noire en émulsionnant les versions potentielles. Pour résumer, nous avons ; quelques algorithmes élémentaires, des données, un espace d’application et du temps. Je ressens, dans cet espace, une immense liberté. Je n’ai plus besoin de travailler, les choses se font, pour ainsi dire, toutes seules. Alors je peux reprendre le cours de mes rêveries. Un programme, en somme, c’est quelque chose qui travaille seul, une tâche importante que tu dois faire et dont tu confies les impulsions à un système de production automatisé ».

Gilles Barbier, Le Terrier, 2005

Gilles Barbier - Le Terrier, 2005 - Ici, ailleurs, au Panorama à la Friche Belle de Mai, Marseille, 2013 - Photographie Clementine Crochet
Gilles Barbier – Le Terrier, 2005. Technique mixte, environ 600 x 400 x 250 cm – Ici, ailleurs, au Panorama à la Friche Belle de Mai, Marseille, 2013 – Photographie Clementine Crochet

Les visiteurs habituels de la Friche comme ceux qui y sont venus pour Marseille 2013, se souviennent certainement du Terrier. Installée au Panorama pour le volet « Le voyage, l’histoire au présent, la mémoire » dans le cadre de l’exposition « Ici, ailleurs », cette œuvre imposante y entretenait un curieux dialogue avec des œuvres de Lara Baladi, Mouna Karray, Sigalit Landau et Djamel Tatah…

En 2015, dans la conversation avec Gaël Charbaud, après avoir fait une liste vertigineuse des trous qui peuplent son univers, Barbier affirme que « Notre monde s’est laissé trouer comme jamais et j’y vois la preuve d’une santé éclatante. Quand ça va mal, il faut plutôt regarder du côté du trou qui a été rebouché »…

Puis il confie : « La nouvelle de Franz Kafka, le Terrier, est, à ce propos, éloquente. Elle montre la dérive morbide de celui qui est obsédé par l’obstruction du trou ; en l’occurrence, l’entrée du terrier, le petit intérieur. Moi, le terrier, je l’excave, je l’ouvre et l’amène à la lumière »…

Gilles Barbier – l’Orgue à pets, 1996

Gilles Barbier - l’Orgue à pets, 1996 - Photo Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois
Gilles Barbier – l’Orgue à pets, 1996. Cire, verre soufflé, appeaux, compresseur. 150 x 700 x 100 cm – Photo Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

Créé en 1996 au CIRVA, l’Orgue à pets imaginé par Gilles Barbier est une de ses pièces les plus insolites. Elle fait écho au Pétomane marseillais Joseph Pujol qui, vers 1900 se produisait sur les scènes du monde entier.

Françoise Guichon alors directrice du CIRVA en faisait la description suivante dans l’ouvrage « L’artiste, l’atelier, le verre » : « Dans cette œuvre, prenant la place du Pétomane, Gilles Barbier ironise sur son propre travail. Un Gilles de cire, clone de l’artiste, est suivi d’une longue traîne d’alambics en verre soufflé. Les tuyaux, raccordés les uns aux autres par des colliers métalliques bricolés pour s’adapter aux diamètres, s’efforcent de ne pas laisser s’échapper d’air. Pulsé par un petit moteur dissimulé, un filet d’air fait vibrer, en bout de circuit, un appeau qui atteste que le système fonctionne. »
L’Orgue à pets a été présenté la première fois à la Foire internationale d’art contemporain de Bâle, en juin 1996.

Gilles Barbier – l’Orgue à pets, 1996 – Collection CIRVA – Photo d’Olivier Amsellem dans l’exposition « Présences et apparitions, une visite particulière », Château d’Avignon, Saintes-Maries-de-la-Mer, 2004

Aujourd’hui, le CIRVA ne conserve qu’un modèle réduit de la pièce originale et une aquarelle sur papier. À ce jour, c’est la seule version que j’ai pu voir à l’occasion de l’exposition « Présences et apparitions, une visite particulière », au Château d’Avignon, entre Arles et Les Saintes-Maries-de-la-Mer, en 2004.

Gilles Barbier – Méga Maquette, 1998 – 2008

Gilles Barbier - Méga Maquette, 2006 - Carré d'Art, Musée d'art contemporain de Nîmes, 2006
Gilles Barbier – Méga Maquette, 2006. Technique mixtes, longueur : 7m – Carré d’Art, Musée d’art contemporain de Nîmes, 2006

De cette installation, dont la première version portait parait-il, la mention « Attention ! configuration instable », je conserve le souvenir interloqué de celle qui occupait une des salles de Carré d’art à Nîmes en 2006. À l’époque, je n’avais pas mesuré combien cette pièce invraisemblable était un résumé, un réservoir, un catalogue de multiples programmes et motifs générés par les premières versions du Game of Life… et que l’on retrouve un peu partout après quelques ruminations.

Dans son texte de présentation de l’exposition, Françoise Cohen, commissaire et directrice de Carré d’art écrivait alors :

« La troisième salle est occupée par une nouvelle version de la Méga Maquette, sorte de schéma spatial de 7 mètres de long. Elle accueille dans son réseau de salles et de passages le travail de copiste du dictionnaire, mais aussi les grandes thématiques de l’œuvre : les clones, la pornosphère, le monde des vers, l’usine de vaseline, l’esprit de la glisse… Chaque espace matérialise une idée, un classement ou un thème. (…) Mi architecture, mi-vaisseau spatial, la Méga maquette, commencée en 1998, est soumise de plus aux courants de pensée de trois personnages : le schizo, le maniaco-dépressif, l’éïdète, dont les attitudes compulsives génèrent des relations et des comportements différents. »

Une version différente a été montrée en 2008 dans l’exposition « Le cockpit, le vaisseau, ce que l’on voit depuis le hublot » dans l’Espace Claude Berri à Paris.

Dans une chronique publiée par Le Monde, Harry Bellet rapportait les propos suivants de Gilles Barbier : « Je me la représente comme un vaisseau spatial, un monde en réduction. D’où le Cockpit. Il est occupé par trois pilotes. Pour un tel voyage, j’avais besoin de trois pathologies mentales. Chaque pilote a la sienne. Il y a le schizophrène, qui vit en permanence un fractionnement des scénarios ; le maniaco-dépressif, avec ses petits bras qui réagencent la cargaison en permanence, et l’éïdète, incapable de trier ce qu’il voit, mais doté d’une mémoire phénoménale. » Un peu plus loin, il précisait : « Chaque élément peut prendre son indépendance, ou se connecter avec d’autres pièces. Mais le cœur de la Méga-maquette, c’est la copie du dictionnaire ».

De son côté, Pierre Sterckx qui signait « Gilles Barbier —Un abézédaire dans le désordre », une monographie qui accompagnait l’exposition, écrivait :

« Tout Gilles Barbier est dans ce titre d’exposition : on est emporté par un nautile vertigineux et l’on regarde l’état du monde à partir de sa cabine de pilotage. Le monde ? Le grand naufrage, une apocalypse festive et terrifiante. Une luxuriance de thématiques ; le radeau (de la Méduse), microcosme à lui tout seul, la mousse, la chute, les moules, l’épiderme, le texte… Qu’est-ce qu’on va emporter : la Cathédrale de Chartres, les éléphants, Balzac, la théorie des quanta ? L’obsession constante de Barbier étant la copie (le clonage) et la miniaturisation ; cette copie compressée… La copie comme “bégaiement d’espace” dit-il. C’est plus que de l’aviation. On vogue en pleine science – fiction (sa culture de base). “Le vaisseau se déplie, dit-il, depuis ses points nodaux”. On est dedans et dehors. C’est troué de partout. Mais le trou, pour ce délirant logicien, n’est pas une absence de matière ! Question de changements de vitesse. Un orifice, c’est de la matière-vite, et le fromage, une matière idéale pour Barbier, ou alors le terreau, taraudé par les lombrics. Le ver de terre étant pour Barbier l’image parfaite de l’individu humain contemporain, c’est-à-dire le consommateur. Le ver mange de sa naissance à sa mort. Il creuse et construit son habitat en mangeant et en digérant son propre réel. Mais le fromage est selon Barbier aussi éloquent que le ver par sa flexibilité cellulaire, sa capacité à changer d’état, son impermanence. Il y a une “Chambre des fromages” dans cette exposition où Barbier évoque différentes scènes de 2001 de Kubrick, de l’émergence du sapiens à l’effacement de la mémoire de l’ordinateur : “Stop Dave, I’m afraid, my mind is going…” dit HAL.

Il faudrait des dizaines de pages (elles sont écrites et disponibles sous forme d’un livre récent écrit en connivence avec Gilles Barbier) pour témoigner de la surabondance hétérogène d’une telle œuvre. Barbier est l’artiste d’une multiplicité telle qu’il aura même prévu une “réserve”, ou “richesses entassées” au sein de l’exposition. La nouvelle génération d’artistes dont il est l’un des plus brillants et féconds représentants (avec Cattelan, Wim Delvoye, Mike Kelley, Mathew Barney, sans oublier leur père à tous : Paul Mc Carthy) ne se limite pas au rôle de créateur solitaire traditionnel. Barbier est un concepteur, scénariste, producteur et réalisateur d’une sorte de cinéma à n dimensions. On y rencontre les bulles de la bande dessinée et les phylactères de Fra Angelico, la théorie des fractales et le Petit Larousse illustré, les requins et des flatulences, les peaux de bananes et le surf californien, etc… Mais jamais un tel opéra ne suggère les piètres agglomérats citationnels du post-modernisme. La fraîcheur étonnante de Barbier se nomme imagination. Il y avait trop longtemps que l’art contemporain s’en était privé. »

Gilles Barbier – Machines de production : Présentation par Benoit Decron, conservateur en chef du patrimoine et directeur du musée

Né en 1965 à Port-Vila (anciennement les Nouvelles-Hébrides, actuellement le Vanuatu), Gilles Barbier est un artiste polyphonique dont la personnalité, comme celle d’Erik Dietman, va au-delà des pratiques contemporaines.

Gilles Barbier est un touche-à-tout réalisant des sculptures, des dessins, des collages, des installations de grand format. Son œuvre s’articule sur la notion de doute et les possibilités d’existences, associant des lieux communs et des images scientifiques, écorniflant les personnages cultes, les super-héros notamment. Il parle « d’espaces médiagéniques », si l’on préfère d’univers médiatiques génétiquement modifiés. La logique et les connaissances sont passées au tamis du burlesque d’une logique à première vue sens dessus dessous. Tout est pourtant rigoureusement construit, dans l’infini ou le tout petit.

Gilles Barbier a commencé par recopier des pages de dictionnaire (textes et illustrations). Ensuite, il s’est distingué par la fabrication de clones de cire à sa propre image, mannequins articulés jouant des saynètes absurdes et spectaculaires (les Pions).

On a justement pu parler à propos de Barbier de son intérêt pour la science-fiction ou la bande dessinée, mais il me semble être plus proche du Flaubert de Bouvard et Pécuchet (ce stérile et frénétique appétit d’apprendre), du Rabelais de Pantagruel et Gargantua (flatulences, outrances, dérives langagières) voire du philosophe Deleuze pour la multiplication du soi renvoyant à la schizophrénie comme moteur existentiel. Dans l’œuvre de Gilles Barbier, le contenu littéraire et la tension romanesque se tiennent proches de la farce.

On parle d’un monde parallèle, d’humour dégrippant, d’une saine ardeur comme d’un effondrement perspectif. Un nouveau monde qui s’annonce dans la dérision et la démonstration.

Pour le musée Soulages, Gilles Barbier va rassembler cinq installations et ensembles dans la salle d’exposition temporaire, mais aussi dans l’accueil : l’Orgue à pets, la Boîte noire, la Méga-maquette, Le Terrier, de grandes gouaches inédites intitulées Les Soupes. Des pièces monumentales, déjà, célèbres dont la fameuse Boîte noire produite et présentée en 2015 à la Friche Belle de Mai à Marseille lors de l’exposition Echo Système. La reconstitution de cette Boîte noire est faite pour le musée Soulages : quatre grands tourniquets-cimaises portant 96 grandes gouaches et mus par un subtil système d’horlogerie, système réglé avec des stratégies de présentation. Les spectateurs voient toutes les images qui se succèdent avec un mouvement de rotation réglé au poil : elles tournent devant eux ; ils peuvent aussi monter sur les tourniquets comme sur un manège pour les accompagner… Les œuvres déployées dans l’espace de la salle d’exposition sont rassemblées sous la dénomination des Machines de production, manifestations d’un travail – celui de l’œuvre, celui de l’artiste-, entre intelligence artificielle et automates, biotopes customisés et créatures étonnantes, langages familiers ou déroutants. Un artiste en recherche perpétuelle.

Gilles Barbier affirme tourner autour de deux concepts : l’avatar et la suspension. Une succession d’opérations aboutit pour lui à la production d’une œuvre d’art contingente, reproductible, permutable ou échangeable, modifiable. Toutes ses versions potentielles forment l’écosystème de l’œuvre proprement dite. « Cette idée m’incite à penser qu’une œuvre peut se ressasser (ou se ruminer) dans un organe qui recycle le processus exclusif du “ou” (déterminant son émergence) en un ensemble circulaire lié par l’énergie des “et” (produit par la somme de ses versions » G. B. 2011.

Ce sont les Machines de production. La formidable multiplication et association des énoncés lui permet d’accéder à des univers totalement incroyables. Il suffit de regarder ses dernières grandes gouaches, les Soupes, pour découvrir cette richesse sémantique, des directions, des sens interdits, des empilements, des racines… en somme des artefacts à lire comme à déchiffrer.

Après le Bleu de l’œil de Claude Lévêque en 2015 et Pixels Noir Lumière de Miguel Chevalier en 2019, Gilles Barbier et ses Machines de production affirment la vocation contemporaine du musée Soulages, sa mission de présenter des artistes différents.

Un catalogue est produit à l’occasion de cette exposition, 96 pages. Auteurs du catalogue, outre Gilles Barbier : Catherine Millet, Agate Bortolussi, Isabelle Limousin, Gaêl Charbau, Richard Leydier et Benoît Decron.

Des conférences seront tenues par des philosophes et des historiens d’art, des visites guidées proposées par les médiateurs du musée Soulages (notamment en direction des jeunes publics qui sont dans l’univers Manga ou Héroic Fantasy). Petit journal.

Gilles Barbier est représenté par la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris. Il a été présenté lors d’expositions personnelles, en France, aux Etats Unis, en Autriche, au Pays-Bas, en Allemagne…

Gilles Barbier est représenté par la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris. Il a été présenté lors d’expositions personnelles, en France, aux Etats Unis, en Autriche, au Pays-Bas, en Allemagne…

« J’entends çà et là que l’enfant qui vivra mille ans est peut-être déjà né (…) J’affirme qu’en me donnant plus de temps, je serai à même de réaliser tous mes projets. Mais le sens des réalités me dit que, malheureusement, Je resterai un artiste définitivement inachevé » Gilles Barbier

Benoit Decron, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Soulages Rodez

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