Jusqu’au 7 mars 2021, les Mécènes du Sud Montpellier-Sète présentent « (Re-)sentir tous les jours/Techniques de résistance », une exposition imaginée par Veronica Valentini.
Ce projet était annoncé par la curatrice comme la « mise en espace d’une réflexion initiée en novembre 2019 lors de la série de rencontres sur les pratiques curatoriales et la sociabilité radicale Ils font, je fais, nous faisons ». Les ateliers qu’elle a menés avec une quinzaine de participant·e·s, ont été réalisés en collaboration entre Mécènes du Sud et le centre culturel de l’Université Paul Valéry à Montpellier.
Pour cette exposition singulière et audacieuse qui affirme l’ambition de « se construit autour de relations de soins et d’interdépendances aux niveaux somatique, affectif, social et culturel », Veronica Valentini a rassemblé des œuvres des artistes suivants :
Rachele Borghi • Laurie Charles • Anne-Laure Franchette • Julia Gorostidi • Raúl Hott • Yes, we fuck ! • Jacopo Miliani • Lizette Nin • Helena Vinent.
Veronica Valentini est curatrice, chercheuse et enseignante. Basée à Barcelone, elle est fondatrice et directrice de l’E.M.M.A (Experimenting Means & Methods in Arts) et co-fondatrice du BAR project, deux outils de réflexion, d’imagination et d’action.
Veronica Valentini est aussi médiatrice pour l’Espagne, de l’action Nouveaux Commanditaires parrainée par la Fondation Daniel & Nina Carasso (Madrid).
Nombres des artistes présents dans « (Re-)sentir tous les jours/Techniques de résistance » ont des liens étroits avec la vie artistique de Barcelone, les structures curatoriales, les résidences et les projets qu’y anime Veronica Valentini.
Il faut aussi rappeler que Veronica Valentini a été pendant trois ans membre du comité artistique des Mécènes du Sud Montpellier-Sète en compagnie d’Ingrid Luquet-Gad, Alain Servais, et Hugo Vitrani.
L’accrochage est particulièrement réussi. Au service du projet conçu par Veronica Valentini, il utilise avec habileté les contraires et les atouts du lieu. Un livret (téléchargeable à partir du des Mécènes du Sud) est à la disposition des visiteurs. Il offre toutes les informations nécessaires pour comprendre l’articulation du projet et le choix des artistes et des œuvres.
C’est sans doute une des propositions les plus intéressantes du moment. Elle impose un passage par le 13 rue des Balances à Montpellier.
Tant que les mesures gouvernementales interdisent l’ouverture des centres d’art au public, l’exposition est visible uniquement sur rendez-vous. Réservations par mail à montpellier.sete@mecenesdusud.fr ou par téléphone au 04 34 40 78 00.
À lire, ci-dessous, un compte rendu de visite et le texte d’intention de la commissaire.
En savoir plus :
Sur le site des Mécènes du Sud
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(Re-)sentir tous les jours/Techniques de résistance : Regards sur l’exposition
En préambule : Salon de conscientisation, Rachele Borghi et Julia Gorostidi
Les rencontres initiées par Veronica Valentini ont abouti à l’invitation de Rachele Borghi – maître de conférences en géographie à la Sorbonne et « pornactiviste » académicienne autour d’une performance et d’un atelier sur les pratiques anti-oppressives et décoloniales.
Le résultat se traduit par un Salon de conscientisation, qui ouvre l’exposition à partir d’un texte, d’un test sur une tablette numérique et d’un lexique autour de notions militantes qui se développe sur la première des deux tables qui occupent le centre de la première salle.
Sur la seconde, Rachele Borghi propose aux visiteurs de réfléchir à l’expression d’archives « politiquintimes » à l’image du collage qu’elle affiche sur le mur de droite. Quelques ouvrages complètent l’ensemble.
Sur la gauche, une étonnante bannière est suspendue au plafond. On y retrouve l’identité visuelle du projet « (Re-)sentir tous les jours/Techniques de résistance » construite à partir des signes de ponctuation de son titre : (-)/. La sculpture 3D imaginée par Julia Gorostidi structure un tissu d’épidermes par lequel elle semble absorbée…
Cette image forte, troublante et particulièrement sensuelle, renvoie à la corporalité, à la sexualité, à notre présence physique et à celle des autres. Cette prépondérance du corps est manifeste dans toute l’exposition.
Raúl Hott – Effet-Affect, 2020
La deuxième salle du rez-de-chaussée qui ouvre sur la droite est consacrée à Effet-Affect (2020), une installation proposée par l’architecte, chercheur et artiste chilien Raúl Hott.
Ce projet « in progress » est présenté ici à partir d’une vidéo d’un peu plus de 6 minutes, de six posters qui lui font face et de découpes vinyles collées au sol.
Raúl Hott propose en ensemble d’outils et d’exercices dans le cadre de protocoles qui mettent en relation deux personnes autour du soin physique à l’égard de l’autre où l’intime et la tendresse sont au centre de la pratique… Le livret d’accompagnement précise que « Le projet perpétue l’héritage du nudisme en tant que forme de thérapie, tirée des explorations variées dans le champ de la psychologie ainsi que des réformes de la santé faîtes au cours du XXème siècle ».
C’est une des propositions les plus abouties de « (Re-)sentir tous les jours/Techniques de résistance » qui s’oriente aujourd’hui « sur la création d’outils de soins personnels en période post-pandémique ».
Lizette Nin, Laurie Charles et Anne-Laure Franchette
Dans la salle qui ouvre sur la rue des Balances, l’accrochage s’organise autour de Be Like Water If You Can d’Anne-Laure Franchette.
Cette œuvre est assez proche d’une de celles qui étaient exposées dans « Les mauvaises herbes résisteront » que le CACN présentait récemment à l’Espace Villary à Nîmes. L’artiste était invitée en compagnie de Laura Rives, Elsa Leydier et Delphine Wibaux sous le commissariat d’Alice Santiago.
Les végétaux et mauvaises herbes figés dans la résine y évoquaient le « pouvoir d’adaptation d’une nature victorieuse »… S’y ajoutent ici d’autres objets qui semblent récoltés dans les laisses de mer (bois flotté, morceaux de liège…), mais aussi quelques seringues et pilules médicamenteuses qui accompagnent les fleurs séchées dans les pampilles de résine. L’ensemble relié par des chaînes construit un étrange mobile suspendu sur une tige métallique au centre de l’espace.
Le titre de cette pièce fait référence à un des célèbres préceptes de Bruce Lee : « Be water my friend ». L’œuvre interroge nos capacités de résistance, de résilience et de flexibilité sur les questions d’environnement, de santé ou sur celles liées à l’accueil des réfugiés…
Deux larges peintures sur tissus de Laurie Charles sont accrochées par une tringle à rideaux sur les murs de cette salle voûtée. Anatomical dissection (2019) est inspiré d’une gravure du XVe siècle et The Pharmacy, 2019 trouve son origine dans une illustration de Hortus Sanitatis minor, un herbier médical édité en 1488. Les images médiévales montrent des hommes médecins qui opèrent un corps de femme, ou des apothicaires qui discourent sur les vertus des plantes.
En utilisant les mêmes perspectives et un tracé identique à celui des artistes XVe siècle, Laurie Charles remplace la représentation des corps masculins par celle des corps féminins… Par cette simple substitution, elle interroge ce qui a été gravé et écrit et suggère une histoire alternative…
Sur le troisième mur, Lizette Nin présente un ensemble d’œuvres sur papier de sa série en cours Ori Odé. Ses impressions en noir et blanc, où parfois se superpose la forme colorée du coquillage cauri, symbole féminin de la fertilité et d’abondance en Afrique de l’Ouest, évoquent l’histoire des esclaves noirs déportés lors de l’époque coloniale vers les Caraïbes.
Certaines font, semble-t-il, référence à la Santeria une dérive caribéenne de la religion Yoruba, source africaine des vaudous haïtien et antillais… où l’avenir peut se lire dans les cauris.
Au centre de son accrochage, une phrase, « A Vessel For my BLACK Soul », rappelle peut-être l’esprit Orisha où se logent les âmes noires…
Lors d’une récente exposition de son projet Ori Odé à la Uxval Gochez Gallery de Barcelone, Lizette Nin accompagnait tous ses monotypes en origami avec la mention : « Dans la culture yoruba, la nature est un élément fondamental pour la construction de l’esprit et la croissance personnelle ».
Sur son compte instagram, elle en commente certain avec ces mots : « À la suite des fruits et des graines du passé qui ont été volés… », « Le germe de nos existences », « Des images plus poétiques qui fusionnent avec la nature, en résistant ! », « Un don des Orishas pour nous »…
À l’étage : Helena Vinent, Jacopo Miliani et Yes, we fuck !
Un ensemble de tubes verticaux servent de supports à des moniteurs vidéo pour trois artistes rassemblés à l’étage.
Trois d’entre eux sont dévolus à l’installation Hard persistence d’Helena Vinent.
Dans cette fiction à caractère autobiographique très réussie, l’artiste barcelonaise raconte sa relation avec ses prothèses auditives, la musique et le son dans laquelle elle se définit comme un « un cyber organisme ou un cyborg ».
C’est sans doute une des propositions les plus captivantes de « (Re-)sentir tous les jours/Techniques de résistance »…
Jacopo Miliani présente avec Deserto (2017) les possibilités d’identités multiples à travers l’invention d’un nouveau langage… En référence à Théorème (1968) de Pier Paolo Pasolini et à Priscilla, folle du désert (1994), le désert est choisi comme lieu de rencontre entre deux protagonistes : l’Invité (un mystérieux étranger) et Bernadette (une personne transgenre)…
Les rôles sont interprétés par le même acteur dans ce court métrage de six minutes où une nouvelle langue des signes, une voix et de longs ongles rouges accumulent, semble-t-il, les échos qui feront certainement sens pour les cinéphiles…
La dernière vidéo diffusée à l’étage est un documentaire espagnol réalisé par Antonio Centeno et Raúl de la Morena avec la communauté queer et post-porn de Barcelone. Yes, we fuck ! (2015), clin d’œil au slogan de la campagne Obama en 2008, présente la sexualité de plusieurs personnes dotées de « diversité fonctionnelle ». Cette qualification est choisie pour mettre en avant des modes de fonctionnement corporel différents plutôt que le handicap.
En une heure, et à travers six récits, ce documentaire aborde sans détours et avec une incroyable justesse « l’expérience de sa propre sexualité, la vie en couple, la prostitution, ou encore l’assistance sexuelle »…
On regrette le dispositif assez inconfortable pour une diffusion de 59 minutes… Yes, we fuck ! est disponible en ligne sur Vimeo :
(Re-)sentir tous les jours / Techniques de résistance
« (Re-)sentir tous les jours / Techniques de résistance » est la mise en espace d’une réflexion initiée en novembre 2019 lors de la série de rencontres sur les pratiques curatoriales et la sociabilité radicale Ils font, je fais, nous faisons menée par Veronica Valentini, qui visait à prendre conscience de ces mo(n)des individualistes dans lesquels nous avons été pendant longtemps culturellement confinés.
Organisé pour 15 participant·e·s en collaboration entre Mécènes du Sud et le centre culturel de l’Université Paul Valery à Montpellier, ces rencontres ont abouti à l’invitation de Rachele Borghi – maître de conférences en géographie à la Sorbonne et « pornactiviste » académicienne qui propose une performance, afin de mener un atelier sur les pratiques anti-oppressives et décoloniales.
Le résultat, matérialisé par le corps vif de l’exposition, est la création du Salon de conscientisation qui fonctionne dans et en dehors de l’espace d’exposition, comme un outil pour approcher, questionner et franchir les limites culturelles acquises et embrasser la collectivité et le plurivers dans toutes ses formes d’expressions.
À travers cette exposition, qui place des pratiques artistiques incarnées, le corps et la vulnérabilité en son cœur, l’idée est la création d’un écosystème entre les agent·e·s impliqué·e·s (curateur·rice·s, artistes, étudiant·e·s, publics et œuvres) qui se construit autour de relations de soins et d’interdépendances aux niveaux somatique, affectif, social et culturel.
Comme tel, l’exposition fonctionne comme un espace de vie partagée, ouvert à la conversation, à la cohabitation et à la connaissance des multiples formes d’être, des émotions et des vies que les œuvres révèlent : de la dissidence physique, sexuelle, de genre, à la santé, la contagion, la spiritualité, la science médicale et le monde végétal.
Parce que c’est seulement à partir de la conscientisation de nos réalités situées et entremêlées que nous pouvons nous mettre en relation avec les autres, que nous pouvons nous écouter, apprendre ensemble et anéantir les oppressions et les violences en cours et passées.