« Civilization – Quelle époque ! » au Mucem

Jusqu’au 15 août 2021, le Mucem accueille « Civilization – Quelle époque ! », une exposition de photographies présentée à Séoul en 2018, à Pékin puis à Melbourne en 2019 et à Auckland en 2020.

Les deux commissaires, William A. Ewing et Holly Roussell, ont rassemblé un peu plus de 200 tirages originaux de 110 photographes « issus de nationalités, de genres ou de générations différents ».

« Civilization – Quelle époque ! » affirme l’ambition de dresser un portrait de notre civilisation au XXIe siècle à travers la photographie, avec la volonté de mettre l’accent sur le « collectif » dans un monde où les valeurs de l’individualisme sont dominantes :

« Plutôt que nous focaliser sur ce qui fait de nous une collection d’individus et d’histoires personnelles, “Civilization : Quelle époque !” s’intéresse à la civilisation collective planétaire du XXIe siècle. Elle se concentre sur ce qui est partagé – le caractère cumulatif de l’entreprise humaine, qui a donné naissance à la société la plus complexe et la plus interconnectée que le monde ait jamais connue ».

Pour sélectionner des photographies sur lesquelles appuyer leur propos, les deux commissaires ont « souhaité privilégier, dans la plupart des cas, des images originales et puissantes, capables à elles seules d’illustrer une idée ou un thème universel ».

Cependant dans l’entretien qu’ils ont accordé à l’équipe du Mucem, William A. Ewing et Holly Roussell confient : « La structure de l’exposition n’était pas décidée à l’avance, elle s’est imposée naturellement, et celle-ci se veut “poétique” avec des [huit] thématiques suffisamment ouvertes pour permettre une dispersion ludique des images ».

Dans une scénographie confiée à Émilie Delane et Amélie Lauret (Graepheme), le parcours au Mucem s’articule en huit séquences :

  • Ruche qui s’intéresse aux endroits où nous vivons,
  • Seuls ensemble autour des relations sociales,
  • Flux qui illustre le mouvement des peuples, des marchandises, des idées,
  • Persuasion autour des mécanismes que nous utilisons pour persuader les autres,
  • Contrôle c’est-à-dire l’autorité, le pouvoir,
  • Rupture autour des conflits au sein de nos sociétés,
  • Évasion autour des loisirs,
  • Après ? qui regarde le nouveau monde qui prend forme au XXIe siècle.

Après avoir évoqué l’emblématique exposition « The Family of Man », présentée en 1955 par Edward Steichen au MoMA avant une itinérance en plus de 80 étapes et après en avoir rappeler les nombreuses critiques, Jean François Chougnet, Président du Mucem, souligne les limites de « Civilization : Quelle époque ! » :

« Civilization, ne peut prétendre à la description universelle de son illustre devancière, et s’en méfie d’ailleurs, à juste titre. Bien entendu parce que le monde s’est fractionné, globalisé aussi. L’exposition fait la part des différences, peut-être davantage encore que des ressemblances ».
Il interroge également des enjeux inattendus qui accompagnent l’étape marseillaise : «La pandémie qui la touche (…) lui donne une nouvelle résonnance : nul ne sait si les historiens ne l’analyseront pas dans le futur comme le reflet des vingt premières années du siècle, avant la rupture majeure de 2020 ».

La présentation au Mucem de « Civilization : Quelle époque ! » est complétée par des commandes à Yohanne Lamoulère et au duo composé par Simon Brodbeck & Lucie de Barbuat avec le mécénat de Interxion et NGE.

Yohanne Lamoulère, Le baiser, 2020. Interxion—MRS2, production Mucem © Yohanne Lamoulère / Tendance Floue, 2020 et Brodbeck & de Barbuat, Tunnelier Koumba – NGE – Grand Paris 2020, production Mucem © Brodbeck & de Barbuat ; NGE – Grand Paris 2020

Le commissariat est assuré par :
William A. Ewing. Curateur indépendant, il est l’auteur nombreuses publications sur la photographie et conférencier. Il a dirigé le Musée de l’Élysée à Lausanne de 1996 à 2010.
Holly Roussell. Curatrice et historienne de l’art, elle est spécialiste de la photographie et de l’art contemporain asiatique. Elle a été la coordinatrice du programme d’expositions internationales et du prix photographique « Prix Élysée » pour le Musée de l’Élysée, à Lausanne. Elle a contribué à de nombreuses expositions et publications.
Ils ont été assistés par Juliette Hug. Hélia Paukner, conservatrice, responsable du pôle Art contemporain a été référente du projet au Mucem.

La traduction française du catalogue est coéditée par le Mucem et Thames & Hudson.

Catalogue Civilization

L’exposition est coproduite par la Foundation for the Exhibition of Photography, Minneapolis/New York/Paris/Lausanne, et le National Museum of Modern and Contemporary Art of Korea, Séoul, en collaboration avec le Mucem, Marseille.

« Civilization — Quelle époque ! » mérite sans aucun doute un passage par le Mucem.

À lire, ci-dessous, l’entretien de Holly Roussell et William Alexander Ewing avec l’équipe du Mucem et une description du parcours de l’exposition.
À voir cette présentation de l’exposition sur YouTube lors d’un « vernissage » en ligne le 14 mars 2021.

En savoir plus :
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« Civilization – Quelle époque ! » : Entretien avec Holly Roussell et William Alexander Ewing, commissaires de l’exposition

L’exposition dresse un portrait de notre civilisation à travers la photographie. Quelle est l’idée qui vous a menés vers ce projet ?

Pendant la révolution industrielle, une civilisation planétaire a commencé à émerger. Cette civilisation mondiale (parfois appelée « civilisation universelle » ou « méta-civilisation ») est une œuvre collective, additionnant ses propres outils à ceux que nous avons accumulés au cours des millénaires. Jamais, auparavant, les êtres humains n’avaient été aussi interconnectés et aussi interdépendants. Et pourtant, ce formidable sens du collectif a été éclipsé par le culte de l’individualisme. Le « je » a pris le pas sur le « nous ». Nous avons oublié que nous étions fondamentalement des animaux sociaux.

Depuis l’invention de la photographie, elle-même issue de cette même révolution industrielle, les photographes sont allés partout, ils ont tout photographié. C’est encore plus vrai aujourd’hui, avec les technologies qui permettent d’aller plus vite, plus loin.

La civilisation est planétaire, cumulative et collective. La photographie est à son image. Les photographes travaillent dans chaque continent, dans chaque pays, chaque ville, chaque village. Ils peuvent photographier seuls, mais la circulation de leurs travaux dépend d’un effort collectif rassemblant assistants, techniciens, imprimeurs, éditeurs, graphistes, agents, commissaires, galeristes, chauffeurs et pilotes.

Les photographes étudient l’histoire de leur médium, ils la respectent, et ils s’appuient sur le travail de leurs prédécesseurs. Ensemble, ils construisent un portrait vivant de la civilisation du début du XXIe siècle.

Comment s’est effectuée la sélection des images présentées ?

Le travail de sélection a pris compte d’un certain nombre d’éléments. Il faut d’abord préciser que huit thématiques ont émergé de ce travail. La structure de l’exposition n’était pas décidée à l’avance, elle s’est imposée naturellement, et celle-ci se veut « poétique » avec des thématiques suffisamment ouvertes pour permettre une dispersion ludique des images. Ces thématiques présentent les idées fortes que nous avons identifiées à l’examen des différents projets, elles définissent notre civilisation planétaire contemporaine et agissent comme des panneaux de direction pour guider le visiteur tout au long de son voyage. Par exemple, le thème « Flux » montre des œuvres représentant littéralement le mouvement des ressources (par exemple Henrik Spohler), le mouvement des personnes (Florian Böhm), le mouvement des véhicules (Mintio), mais aussi des flux plus abstraits tels que le mouvement de l’argent au sein de l’économie mondiale (Paolo Woods et Gabriele Galimberti).

En ce qui concerne la sélection des photographies, nous avons souhaité privilégier, dans la plupart des cas, des images originales et puissantes, capables à elles seules d’illustrer une idée ou un thème universel. Par exemple, un seul coup d’œil à l’une des photos de Xing Danwen vous amènera immédiatement à réfléchir à la question des déchets électroniques, de la pollution, de l’interconnexion de nos chaînes d’approvisionnement…

En plus de ces images puissamment narratives, nous avons également cherché à réunir des artistes issus de nationalités, de genres ou de générations différents. Ainsi, cette exposition sur la civilisation mondiale du XXIe siècle devient l’occasion de dresser un état des lieux de la photographie contemporaine.

Enfin, quand nous devions faire un choix entre deux images, nous avons cherché à retenir celle dont le langage visuel, l’identité, la technique étaient les plus aboutis. Cette œuvre est-elle issue d’un coup de chance ? Pouvons-nous soutenir, par un projet d’exposition, un artiste qui selon nous mérite davantage de reconnaissance ? C’est souvent dans cet esprit que nous avons travaillé. La sélection a suscité beaucoup de débats entre nous.

Quelles idées vous viennent à l’esprit, pour résumer toutes ces images ?

D’une part, la complexité, l’ingénuité, la variété, la diversité. De l’autre, la crise, l’ordre menacé, le chaos.

Vous avez choisi de mettre en valeur le « collectif » dans un monde où dominent les valeurs de l’individualisme…

Nous croyons que le sens du collectif est masqué par le culte de l’individu. Par exemple, Hollywood (ou Bollywood !), ces machines à rêves à la résonance mondiale nous éblouissent avec une poignée de stars. Mais chacun prend conscience qu’un film reste une œuvre collective lorsque défile le générique de fin… Ce qui nous intrigue, c’est la façon dont nous avons tendance à oublier combien de découvertes importantes à travers l’histoire ont été le fruit d’un travail collectif, et non individuel.

Plutôt que nous focaliser sur ce qui fait de nous une collection d’individus et d’histoires personnelles, « Civilization : Quelle époque ! » s’intéresse à la civilisation collective planétaire du XXIe siècle. Elle se concentre sur ce qui est partagé – le caractère cumulatif de l’entreprise humaine, qui a donné naissance à la société la plus complexe et la plus interconnectée que le monde ait jamais connue. Pourtant, nous ne nions pas les différences entre les civilisations ; des chercheurs comme Niall Ferguson parlent d’homogénéisation tout en admettant les disparités. Les cultures et les pays du monde partagent des valeurs communes comme la famille, et l’on retrouve partout des systèmes de contrôle social comme les lois, la police, les prisons, mais aussi des systèmes de transport, des systèmes monétaires… Cela ne signifie en aucun cas que nous manquons de diversité, mais cela montre bien qu’en tant qu’humains, au fil des générations, nous avons évolué, nous avons appris, nous avons emmagasiné de l’expérience dans nos interactions avec les autres cultures pour arriver à des choix similaires, ou pour travailler ensemble à vivre plus longtemps et coexister efficacement.

Quelle sera la prochaine étape ? Que nous réserve l’avenir pour 2100 ou 2200 ? Ce qui semble évident, c’est que ce nouveau monde sera une entreprise collective. Nous sommes confrontés à de nouveaux défis, c’est certain ; mais l’un des éléments positifs de cet avenir toujours plus collectif est que la communauté avec laquelle nous allons affronter ces défis, comme la pandémie que nous traversons en ce moment, est une communauté mondiale.

Comment s’organise l’exposition ?

Il s’agit d’une exposition d’envergure, puisqu’elle présente les travaux de 110 photographes originaires de près de 30 pays, et couvre les principaux aspects de la vie humaine : le travail, les loisirs, la production, la consommation, l’ordre, le désordre… Cette exposition est un portrait de notre civilisation à travers la photographie.

Nous avons conçu l’exposition comme un voyage en huit étapes : « Ruche » (qui s’intéresse aux endroits où nous vivons), « Seuls ensemble » (autour des relations sociales), « Flux » (qui illustre le mouvement des peuples, des marchandises, des idées), « Persuasion » (autour des mécanismes que nous utilisons pour persuader les autres), « Contrôle » (c’est-à-dire l’autorité, le pouvoir), « Rupture » (autour des conflits au sein de nos sociétés), « Évasion » (autour des loisirs) et « Après ? » (qui regarde le nouveau monde qui prend forme au XXIe siècle). Cette structure est assez souple, de nombreux visiteurs vont se dire : « J’aurais plutôt mis cette image dans une autre section » ; mais c’est aussi le type de réflexion que nous souhaitons provoquer.

« Civilization – Quelle époque ! » : Parcours de l’exposition

Préambule

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Francois Deladerrière - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Francois Deladerrière – Mucem

« Civilization – Quelle époque ! » dresse un portrait de notre civilisation à travers la photographie. L’exposition présente plus de 200 tirages originaux réalisés par 110 photographes originaires de près de 30 pays, et couvre les principaux aspects de la vie humaine. Elle se déploie en huit sections thématiques, comme un voyage en huit étapes : « Ruche » (qui s’intéresse aux endroits où nous vivons), « Seuls ensemble » (autour des relations sociales), « Flux » (qui illustre le mouvement des peuples, des marchandises, des idées), « Persuasion » (autour des mécanismes que nous utilisons pour persuader les autres), « Contrôle » (c’est-à-dire l’autorité, le pouvoir), « Rupture » (autour des conflits au sein de nos sociétés), « Évasion » (autour des loisirs) et « Après ? » (qui regarde le nouveau monde qui prend forme au XXIe siècle).

Olivier ChristinatFigurations II, 2016 – « Civilization – Quelle époque ! »

En 2008, l’humanité a franchi une étape importante puisque nous sommes désormais plus nombreux à vivre dans les centres urbains qu’à la campagne. Nous vivons ensemble, mais nous passons une grande partie de notre vie seuls. Olivier Christinat s’estime privilégié d’être né dans ce qu’il considère comme « un âge d’or » de la civilisation, ayant accès à l’éducation, à la culture, au confort, à la sécurité et à la liberté de mouvement et de pensée. Il a photographié de nombreuses foules dans beaucoup de villes, comme ces personnes descendant un escalator. Il recherche des moments privés, d’inattention : un geste de main qui ressemble à une prière, le sillon d’un front, un sourire adressé à un ami. L’artiste les décrit comme « des signes éphémères… des ponctuations à partir desquelles l’imagination peut s’égarer ».

Ruche

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Francois Deladerrière - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Francois Deladerrière – Mucem

Le romancier Tom Wolfe a utilisé l’expression « la Ruche » pour faire référence à la vie sociale frénétique de New York, mais la métaphore fonctionne aussi bien pour toute grande agglomération humaine. Le XXIe siècle a marqué la fin définitive de la longue histoire de la domination rurale : pour la première fois depuis les 200 000 ans d’existence de l’Homo sapiens, plus de gens vivent dans les centres urbains que dans les campagnes. Les organismes urbains toujours plus grands que nous avons développés ne sont pas seulement des ruches passives de la vie quotidienne, mais des ruches actives d’apprentissage, de production et de réflexion. Les photographes sont eux aussi des citadins qui se réjouissent des possibilités picturales offertes par le flux et reflux incessant des foules.

Pablo López Luz, Vue aérienne de la ville de Mexico, XIII, série Terrazo, 2006 © Pablo López Luz
Pablo López Luz, Vue aérienne de la ville de Mexico, XIII, série Terrazo, 2006 © Pablo López Luz – « Civilization – Quelle époque ! »

Au XXIe siècle, des milliards de personnes vivent dans des villes et près de 240 millions de personnes vivent dans les dix plus grandes villes du monde. La sixième mégalopole est la conurbation de Mexico avec une population d’environ 22 millions d’habitants. Comment un photographe peut-il évoquer des chiffres aussi vertigineux dans une seule image ? Pablo López Luz a choisi de le faire depuis les airs. À perte de vue, des vagues d’humanité déferlent sur le paysage. En nous refusant tout horizon, Luz amplifie l’impression d’une marée urbaine infinie.

Mickael Wolf, Architecture of Density #91 [Architecture de la densité #91], 2006 © Michael Wolf, courtoisie de M97 Shanghai
Mickael Wolf, Architecture of Density #91 [Architecture de la densité #91], 2006 © Michael Wolf, courtoisie de M97 Shanghai – « Civilization – Quelle époque ! »

Le regretté Michael Wolf était connu pour ses photographies de grandes villes asiatiques comme Hong Kong, avec leurs logements massifs et leur interaction sociale très dense qui laissent deviner une certaine tension sociétale, voire une véritable crise. Wolf nous propose une vision de l’avenir pour tous les êtres humains, alors que la population globale s’approchera des dix milliards en 2050. Bien qu’une logique, un ordre et une rationalité impitoyables prévalent dans nos planifications urbaines de logements de masse, Wolf trouve de la beauté dans leurs façades en forme de falaise. Un regard plus attentif à ses images laisse même entrevoir un sentiment de plaisir découlant de l’esthétique que nous, les êtres humains, ne pouvons-nous empêcher de conférer à toutes les structures, même les plus banales.

Seuls ensemble

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Francois Deladerrière - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Francois Deladerrière – Mucem

« Aucun homme n’est une île », selon la célèbre formule du poète John Donne. Génétiquement, nous sommes des animaux sociaux, recherchant des amis, des compagnons et des partenaires de toutes sortes afin de partager nos intérêts. Mais notre vie sociale n’est pas un long fleuve tranquille. Il y a les malentendus, les conflits d’intérêts, la pression de se conformer conjuguée au désir de se démarquer… La condition humaine fondamentale est d’être seul – ainsi l’étions-nous en venant au monde et le serons-nous en le quittant. Mais tant que nous sommes en vie, nous vivons collectivement. Les photographies démontrent et renforcent à la fois notre interdépendance.

Lauren Greenfield, Des élèves de terminale se maquillant devant un miroir sans tain pour le documentaire « Beauty CULTure » de Lauren Greenfield, Los Angeles, 2011 © Lauren Greenfield
Lauren Greenfield, Des élèves de terminale (de g. à dr. : Lili, 17 ans, Nicole, 18 ans, Lauren, 18 ans, Luna, 18 ans, et Sam, 17 ans) se maquillant devant un miroir sans tain pour le documentaire « Beauty CULTure » de Lauren Greenfield, Los Angeles, 2011. Série Generation Wealth , 2011

Generation Wealth de Laureen Greenfield est la tentative ambitieuse, par le biais de la photographie et du film documentaire, d’appréhender le phénomène de la richesse excessive en Amérique – désignée par l’expression populaire « the one percent » (les un pour cent). Greenfield procède ici à une critique de la culture américaine contemporaine où la jeunesse, la célébrité, la technologie, la politique, les nouvelles formes de communication sociale et les cascades d’argent frais forment un cocktail enivrant qui subjugue le monde entier, et où personne n’est totalement à l’abri du chant des sirènes du consumérisme.

Dona Schwartz, Kathy et Lyonel, 18 mois, série Empty Nesters [Nids vides], 2010 © Dona Schwartz, courtoisie Stephen Bulger Gallery
Dona Schwartz, Kathy et Lyonel, 18 mois, série Empty Nesters [Nids vides], 2010 © Dona Schwartz, courtoisie Stephen Bulger Gallery

Les deux séries de Dona Schwartz, Expecting Parents et Empty Nesters, peuvent être considérées comme les parties d’un tout qui s’imbriquent. Schwartz prend pour sujet les parents et les enfants. Bien que ces derniers soient notablement invisibles, l’oeuvre en est d’autant plus puissante. La première série traite de couples qui attendent avec anxiété ou sérénité l’arrivée d’un nouveau-né. Les futurs parents sont placés dans les chambres de leur progéniture, et les environnements qu’ils ont créés parlent avec éloquence de leurs espoirs et de leurs aspirations. La seconde série montre des parents qui s’efforcent d’accepter le moment où leur enfant adulte quitte le nid.

Flux

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Francois Deladerrière - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Francois Deladerrière – Mucem

Les personnes, les biens matériels, les ressources brutes, les idées et même les symboles de la civilisation du XXIe siècle se déplacent à des vitesses inimaginables pour l’homme d’il y a seulement cent ans, que ce soit sur terre, sur les mers ou dans les airs. Un lubrifiant principal, l’argent, circule maintenant dans des « pipelines » à la vitesse de la lumière, tout comme l’autre lubrifiant principal, le pétrole. L’automobile a multiplié par cinquante la mobilité humaine. Les avions nous embarquent sur un continent et nous déposent sur un autre en l’espace d’une même journée. Cependant, les merveilles de la technologie que nous utilisons quotidiennement sont en grande partie invisibles, comme la livraison « just-in-time », jusqu’à ce qu’elles tombent en panne. Les photographes se délectent de ces possibilités, travaillant dans toutes les industries imaginables pour dévoiler les mobilités de notre civilisation planétaire.

Jeffrey Milstein, Newark 8 Terminal B, Newark, NJ, série Airports [Aéroports], 2016 © Jeffrey Milstein
Jeffrey Milstein, Newark 8 Terminal B, Newark, NJ, série Airports [Aéroports], 2016 © Jeffrey Milstein

Le travail de Jeffrey Milstein, pilote devenu photographe, est fortement influencé par sa passion pour l’aviation et par le regard attentif qu’il pose sur l’architecture et les structures civilisationnelles telles qu’elles se révèlent vues d’en haut. Ici, dans l’aéroport très dynamique de Newark, les milliers d’êtres humains qui traversent le terminal sont invisibles. Enfermés dans du béton, du métal, du plastique et du verre, ils sont traités avec efficacité avant d’être acheminés par avion vers des destinations lointaines. Ne sommes-nous pas tous déjà passés par là, où que se trouve ce « là » ?

Yohanne Lamoulère, Le baiser, 2020. Interxion - MRS2, production Mucem © Yohanne Lamoulère Tendance Floue, 2020
Yohanne Lamoulère, Le baiser, 2020. Interxion – MRS2, production Mucem © Yohanne Lamoulère Tendance Floue, 2020

Depuis 2015, la valeur des données numériques échangées dans le monde a dépassé celle des biens et des marchandises. Derrière ces flux permanents et invisibles se cachent des infrastructures, dont les data centers et réseaux télécoms sous terre et dans les mers constituent le premier socle. Sur ces autoroutes de l’information, la donnée voyage, se déplace de data centers en data centers, de réseaux en réseaux, avant d’arriver sur nos terminaux, ordinateurs, tablettes, téléphone etc. « Le baiser » met en scène un des boitiers du data center Interxion MRS2, à Marseille, où la donnée s’interconnecte physiquement pour s’enrichir, se développer, et créer la valeur de nos économies numériques.
Œuvre produite par le Mucem dans le cadre de l’exposition « Civilization—Quelle époque ! » avec le concours de la société Interxion.

Brodbeck & de Barbuat, Tunnelier Koumba - NGE - Grand Paris 2020, production Mucem © Brodbeck & de Barbuat ; NGE - Grand Paris 2020
Brodbeck & de Barbuat, Tunnelier Koumba – NGE – Grand Paris 2020, production Mucem © Brodbeck & de Barbuat ; NGE – Grand Paris 2020

Futuriste et cyclopéenne, la machine longue d’une centaine de mètres a été conçue pour creuser les boyaux de la terre. Elle ne pouvait qu’intéresser Simon Brodbeck et Lucie de Barbuat. Le duo d’artistes utilise sa maîtrise du médium photographique pour révéler le mythologique dans l’ultra-contemporain. La saturation de l’espace par la machine et l’ouverture d’une porte sur une mystérieuse lumière blafarde où n’apparaît personne, posent la question de l’humain dans un univers qu’il a peuplé de machines.
Œuvre produite par le Mucem dans le cadre de l’exposition « Civilization—Quelle époque ! » avec le concours de la société NGE.

Henrik Spohler, Culture et mesure de plans de maïs, Institut de recherche allemand, série The Third Day [Le troisième jour], non daté © Henrik Spohler
Henrik Spohler, Culture et mesure de plans de maïs, Institut de recherche allemand, série The Third Day [Le troisième jour], non daté © Henrik Spohler

Pour Henrik Spohler, les humains adaptent la croissance et la prolifération à leurs besoins, en les transformant industriellement. Nous irriguons les déserts, cultivons des fruits et des légumes sous des kilomètres de plastique et, de plus en plus, à l’aide du génie génétique, nous bricolons avec la création elle-même. Les légumes s’alignent en rangs serrés dans d’immenses monocultures ; même la division du jour et de la nuit a été suspendue depuis longtemps, de sorte qu’un « paradis de l’abondance » s’étale sur nos marchés locaux.

Paolo Woods et Gabriele Galimberti, série The Heavens [Les paradis], 20122015 © Gabriele Galimberti & Paolo Woods
Paolo Woods et Gabriele Galimberti, série The Heavens [Les paradis], 20122015 © Gabriele Galimberti & Paolo Woods

M. Neil M. Smith est le secrétaire aux finances des îles Vierges britanniques (IVB), photographié ici dans son bureau à Road Town, Tortola. Les IVB sont l’un des plus importants centres de services financiers offshore au monde et le leader mondial de la constitution de sociétés. Plus de 800 000 sociétés sont basées dans les IVB, mais elles n’abritent que 28 000 habitants. Les IVB sont les deuxièmes investisseurs directs en Chine, juste après Hong Kong. Gabriele Galimberti et Paolo Woods se sont attaqués à un sujet difficile lorsqu’ils ont décidé de photographier les flux monétaires. Pour la plupart, et de plus en plus, les transactions sont invisibles, sauf si l’on décide de photographier un écran d’ordinateur.

Persuasion

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Julie Cohen - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Julie Cohen – Mucem

Pour faire avancer les choses, il faut souvent convaincre les autres de la nécessité d’agir. Nous éduquons et formons, expliquons et argumentons, encourageons et menaçons. La persuasion peut être subtile ou lourde. Parfois, il s’agit d’amener les gens à faire des choses qui ne sont pas nécessairement dans leur intérêt, mais qui leur sont présentées de telle manière qu’elles semblent l’être. Publicité et propagande, marketing et promotion… ce sont des arts commerciaux qui ont atteint des niveaux de sophistication exceptionnels dans les sociétés modernes, souvent au point qu’une grande partie de la population ne se rend pas compte qu’elle est dirigée. Les photographes lèvent le voile sur ces manipulations, nous permettant ainsi d’entrevoir les stratégies subtiles que d’autres mettent en oeuvre pour nous faire obéir.

Priscilla Briggs, Happy (Centre commercial Golden Resources, Pékin), série Fortune, 2008 © Priscilla Briggs
Priscilla Briggs, Happy (Centre commercial Golden Resources, Pékin), série Fortune, 2008 © Priscilla Briggs

Priscilla Briggs imagine la civilisation comme un organisme foisonnant dans lequel les cultures se chevauchent et se mélangent, évoluant constamment vers de nouvelles formes. Les économies mondiales façonnent le destin d’individus dans le monde entier, sans parler de l’environnement. Ces photographies des paysages commerciaux et industriels de la Chine révèlent un moment historique spécifique de croissance économique rapide, où les « méga » centres commerciaux sont devenus des symboles du progrès économique. Ici, dans les salles en marbre poli de Prada, Louis Vuitton et Gucci, l’influence de la culture occidentale et sa préoccupation pour la richesse et le luxe trouvent un terrain fertile dans une Chine qui se modernise rapidement.

Contrôle

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Francois Deladerrière - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Francois Deladerrière – Mucem

À un niveau d’abstraction élémentaire, une civilisation peut être assimilée à une machine complexe dont les pièces sont constamment réparées ou remplacées. Les civilisations se protègent elles-mêmes, à la fois des étrangers et des menaces internes. Le contrôle, souvent subtilement déguisé sous la bannière de la sécurité ou de l’innovation, est devenu une fatalité dans notre existence moderne mondialisée. Il s’exprime à grande échelle sous la forme d’organes de direction et d’armées, faisant la guerre et la diplomatie (le droit, les entreprises, les établissements d’enseignement, etc.) ; ou plus concrètement dans les mécanismes d’application de l’autorité dans la vie quotidienne : postes de police, prisons, tribunaux, écoles, salles de conseil, centrales électriques, laboratoires, etc. Les photographes ont trouvé des moyens variés et ingénieux de cadrer ces réalités complexes, souvent cachées au public.

Mark Power, Les funérailles du pape Jean-Paul II retransmises en direct du Vatican. Varsovie, Pologne, série The Sound of Two Songs [L’air de deux chansons], 2005 © Mark Power Magnum Photos
Mark Power, Les funérailles du pape Jean-Paul II retransmises en direct du Vatican. Varsovie, Pologne, série The Sound of Two Songs [L’air de deux chansons], 2005 © Mark Power Magnum Photos

À première vue, l’image laisse perplexe : qu’est-ce que ce gigantesque mur technologique ? Mark Power met en fait en lumière deux parties distinctes d’un événement contemporain : une foule funèbre, serrée en une bande étroite à la base de l’image, et, occupant quatre-vingt-cinq pour cent de l’espace, un mur de moniteurs vidéo gigantesques. Il faut un moment pour se rendre compte que la foule est en réalité à l’arrière-plan, regardant les écrans, et non au premier plan. Le sujet de Power n’est pas vraiment l’enterrement du pape : en amplifiant l’importance des moniteurs, il met en évidence le pouvoir des médias dans nos vies – dominer, contrôler, neutraliser.

Luca Zanier, Comité exécutif de la FIFA I, Zurich, série Corridors of Power [Les couloirs du pouvoir], 2013 © Luca Zanier
Luca Zanier, Comité exécutif de la FIFA I, Zurich, série Corridors of Power [Les couloirs du pouvoir], 2013 © Luca Zanier

Le comité exécutif de la FIFA se réunit au troisième des cinq étages souterrains de la Maison de la FIFA à Zurich, dans une salle semblable à un bunker, digne du Docteur Folamour de Stanley Kubrick. L’architecte suisse Tilla Theus qualifie son oeuvre, qu’elle a conçue dans le quartier de Zürichberg à Zurich, de « résidence privée pour la famille ». Les décideurs de la famille du football se réunissent dans la salle de conférence souterraine éclairée par un lustre de cristal en forme de stade de football. L’ancien président de la FIFA, Joseph (Sepp) Blatter, estimait que la lumière « devrait venir des personnes elles-mêmes qui sont rassemblées ici ».

Rupture

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Julie Cohen - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Julie Cohen – Mucem

Troubles collectifs, ruptures dans l’ordre naturel, entraves à la justice, violations des droits de l’homme, déplacements forcés, conflits armés, mort lente ou brutale d’industries ; les photographes ont relaté avec assiduité les histoires de rupture tout au long des premières années turbulentes de notre XXIe siècle. Leurs oeuvres provocatrices, dont certaines prises au péril de leur vie, et d’autres minutieusement mises en scène pour attirer l’attention sur les crises émergentes, abordent des sujets variés, notamment la dégradation de l’environnement, les conflits et la gestion des frontières, la guerre et la violence, les migrations de masse et les défaillances des systèmes politiques et idéologiques. Ils nous obligent à affronter les angles morts de notre civilisation et ses échecs.

Alejandro CartagenaFille au pied du mur de la frontière États-Unis—Mexique. Série Without Walls [Sans murs], 2017 et Mère au pied du mur de la frontière Mexique—Etats-Unis. Série Without Walls [Sans murs], 2017

Le chagrin semble souvent accompagner le thème de la migration, quelles que soient ses racines locales et ses dures réalités, et ce, avec une vigueur maximale dans cette rencontre d’une mère et de sa fille à la frontière mexico-américaine. Alejandro Cartagena photographie ces lieux et ces rencontres depuis plus d’une décennie. « Il y a une ligne, note-t-il, une ligne physique mais invisible. Les familles sont divisées par cette ligne, mais sont déterminées à trouver un moyen de se réunir… [Ma série de photographies] offre l’occasion de repenser ce qu’est ce mur et pourquoi il ne divisera jamais la vie qui l’entoure. »

Sean Hemmerle, Magasin Brooks Brothers, World Trade Center, 12 septembre 2001, 2001 © Sean Hemmerle
Sean Hemmerle, Magasin Brooks Brothers, World Trade Center, 12 septembre 2001, 2001 © Sean Hemmerle

Au sujet de cette photo, le photojournaliste Sean Hemmerle déclare : « Être impuissant face à l’adversité est une expérience troublante et humiliante. » Le cadrage de l’image par le photographe souligne l’étrangeté de son expérience : il se retrouve seul dans l’enceinte figée d’un magasin de vêtements, la plupart des chemises encore bien empilées sur leurs étagères, une chaise et une table en parfait état. À l’extérieur, encadrée par la fenêtre soufflée, se déploie une scène de chaos et de ruine inimaginable. L’inscription ironique d’un véhicule qui passe, BASIC LIFE SUPPORT [soins immédiats en réanimation], complète ce tableau surréaliste.

Francesco Zizola, In the same boat [Dans le même bateau], 2015 © Francesco Zizola Noor images
Francesco Zizola, In the same boat [Dans le même bateau], 2015 © Francesco Zizola Noor images

Francesco Zizola nous informe qu’un canot pneumatique surchargé ayant quitté la Libye est approché par le Bourbon Argos de MSF, un navire de recherche et de sauvetage, le 26 août 2015. On ne nous dit pas depuis combien de temps ces personnes sont en mer, ni quel sort précis les attend. Le photographe ne le sait probablement pas. Mais cette photographie poignante capture un moment et un sentiment partagés de peur, de doute, d’inquiétude, de résignation et, sinon d’espoir, peut-être d’optimisme prudent – tous portés collectivement.

Xing Danwen, disCONNEXION, A14 [déCONNEXION], 2002-2003 © Xing Danwen, courtoisie Boers Li Gallery
Xing Danwen, disCONNEXION, A14 [déCONNEXION], 2002-2003 © Xing Danwen, courtoisie Boers Li Gallery

Dans les compositions sinueuses de disCONNEXION, Xing Danwen a choisi d’aborder l’une des marques que l’humanité laisse sur le paysage naturel. En moyenne, nos téléphones portables sont obsolètes en deux ans, observe-t-elle – où vont-ils ? Au début des années 2000, le long de la côte du sud de la Chine, des centaines de milliers de travailleurs gagnaient leur vie en démantelant et en brûlant des piles de composants informatiques et électroniques, afin d’en extraire des morceaux de cuivre, de laiton, d’aluminium et de zinc, pour les revendre dans des conditions environnementales et sociales très dures. La grande échelle de ces oeuvres symbolise l’immensité de nos déchets électroniques mondiaux.

Évasion

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Francois Deladerrière - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Francois Deladerrière – Mucem

Le terme d’évasion est parfois utilisé pour décrire le fait de se libérer d’une forme de contrainte, physique ou émotionnelle, ou le fait de fuir une situation désespérée ou simplement désagréable. Pour les personnes qui fuient la guerre et les conflits, l’évasion possède un sens littéral (voir « Rupture »). Pour les privilégiés de ce monde, le terme a la connotation positive d’une escapade. Nous recherchons le divertissement, la détente et le repos, ou bien la nouveauté, l’aventure et l’excitation. Une industrie du plaisir s’est développée, offrant une gamme spectaculaire de « produits » à ses consommateurs dans le monde entier, tout en fournissant une grande inspiration aux photographes qui lèvent le voile sur ses coûts réels.

Olaf Otto Becker, Point 660, 2, 082008 67°09’04’’N, 50°01’58’’W, Altitude 360M, série Above Zero [Au-dessus de zéro], 2008 © Olaf Otto Becker
Olaf Otto Becker, Point 660, 2, 082008 67°09’04’’N, 50°01’58’’W, Altitude 360M, série Above Zero [Au-dessus de zéro], 2008 © Olaf Otto Becker

Olaf Otto Becker a donné l’alerte sur la catastrophe environnementale qui se déroule dans l’Arctique il y a plus de dix ans, et depuis, les problèmes n’ont fait que s’accélérer. Les images de cette région, restées dans l’imaginaire collectif pendant des siècles – des étendues sans fin de neige immaculée, des ours polaires en train de rôder et des phoques se prélassant –, appartiennent désormais au passé. La réalité d’aujourd’hui, ce sont des sous-marins et des brise-glaces à la recherche de routes rentables, et des touristes faisant de brèves incursions sur la glace depuis leurs bateaux de croisière bien chauffés, en quête de photographies à montrer comme des trophées à leur retour.

Reiner Riedler, Rivière sauvage, Floride, série Fake Holidays [Fausses vacances], 2005 © Reiner Riedler
Reiner Riedler, Rivière sauvage, Floride, série Fake Holidays [Fausses vacances], 2005 © Reiner Riedler

Difficile de trouver de véritables régions sauvages à une époque où les puissances colonisatrices de la civilisation planétaire règnent en maître. Peut-être les hommes se souviennent-ils instinctivement, bien qu’un peu vaguement, des milliers d’années de lutte de notre espèce avec les forces de la nature ? Les « Wild Rivers » [Rivières sauvages] de nos parcs d’attractions les plus élaborés sont des lieux où les visiteurs remontent des courants turbulents surplombés par de hautes falaises et des forêts vierges. Les manèges donnent l’illusion de contrôler la nature, mais se déplacent en réalité sur des pistes pré-tracées.

Massimo Vitali, Piscinão de Ramos, 2012 © Massimo Vitali
Massimo Vitali, Piscinão de Ramos, 2012 © Massimo Vitali

Cette photographie montrant une plage de sable blanc et des baigneurs évoque un rite collectif mondial. Nos ancêtres animaux sont sortis de l’eau il y a 400 millions d’années – existerait-il quelque chose comme une mémoire atavique ? Le photographe se concentre bien sûr en premier lieu sur la foule colorée, et il amène sa ligne d’horizon presque jusqu’au bord supérieur de la composition pour l’accommoder, inversant ainsi la perspective habituelle d’un vaste océan qui s’étend jusqu’à l’horizon. Chaque année, des millions de personnes prennent encore plaisir à cette simple parenthèse hors de la routine quotidienne, partageant le désir de « s’évader de tout », mais recherchant en fait souvent la compagnie des autres.

Après ?

« Civilization - Quelle époque ! » - Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret - Février 2021© Francois Deladerrière - Mucem
« Civilization – Quelle époque ! » – Scénographie Emilie Delanne et Amélie Lauret – Février 2021© Francois Deladerrière – Mucem

Nous nous demandons chaque jour de quoi demain sera fait. Les voitures et les avions autonomes seront bientôt une réalité, tandis que les robots tondent déjà nos pelouses et opèrent nos corps comme de vrais chirurgiens – en effectuant souvent un travail plus fiable que nos semblables ! Les nouvelles technologies, qui étaient autrefois l’apanage de la science-fiction, passent désormais rapidement des laboratoires aux rayons des consommateurs. Nous sommes en attente d’innovations et de changements dans tous les domaines de notre vie. Mais qui oserait prédire à quoi ressembleront notre monde, ses villes et ses machines en 2100 ? Et à quoi nous ressemblerons, nous les êtres humains ? Ce qui est clair, c’est que ce meilleur des mondes est de plus en plus une entreprise collective. Les photographes recherchent les signes de ce monde qui n’est pas si lointain ; ils repèrent les graines semées et les nouvelles formes qui germent un peu partout.

Valérie Belin, Sans titre (Modèles II), 2006 © Valérie Belin, courtoisie Galerie Nathalie Obadia, Paris/Brussels © Adagp, Paris 2020
Valérie Belin, Sans titre (Modèles II), 2006 © Valérie Belin, courtoisie Galerie Nathalie Obadia, Paris/Brussels © Adagp, Paris 2020

La série Modèles II comprend douze photographies de jeunes modèles – six garçons et six filles – choisis dans des catalogues proposés par différentes agences de mannequins. Une sélection de quatre d’entre elles est présentée ici. Contrairement à la méthode « anthropométrique » choisie pour sa précédente série de portraits, Valérie Belin a travaillé ici à partir d’une idée préconçue du sujet afin de créer un stéréotype. Il ressort de cette série une esthétique particulière, qui rappelle les avatars utilisés pour représenter les humains dans les mondes virtuels. On pourrait également dire qu’il s’agit d’une série de portraits d’êtres chimériques.

Vincent Fournier, Ergol #3, salle blanche S1B, Arianespace, Centre spatial guyanais [CSG], Kourou, Guyane française, série Space Project [Projet spatial], 2011 © Vincent Fournier
Vincent Fournier, Ergol #3, salle blanche S1B, Arianespace, Centre spatial guyanais [CSG], Kourou, Guyane française, série Space Project [Projet spatial], 2011 © Vincent Fournier

Vincent Fournier a longtemps nourri une fascination pour les voyages dans l’espace. Il a photographié de nombreux sites, dont le Centre d’entraînement des cosmonautes Youri Gagarine en Russie, le cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan, le Centre spatial Kennedy de la NASA au Cap Canaveral et le Port spatial de Guyane française. Cependant, son intérêt n’est pas documentaire. Bien que les images soient incontestablement ancrées dans la réalité, c’est plutôt l’aspect onirique qui le motive – un rêve collectif qu’il croit partagé par une grande partie de l’humanité. Les astronautes qu’il a photographiés, écrasés par leur environnement high-tech, sont prêts à quitter la terre mais néanmoins attachés à celle-ci.

Robert Zhao Renhui, Pomme carrée, série A Guide to the Flora and Fauna of the World [Un guide de la flore et de la faune du monde], 2013 © Robert Zhao Renhui, courtoisie de l'artiste et de ShangAr
Robert Zhao Renhui, Pomme carrée, série A Guide to the Flora and Fauna of the World [Un guide de la flore et de la faune du monde], 2013 © Robert Zhao Renhui, courtoisie de l’artiste et de ShangAr

Robert Zhao Renhui a consacré sa carrière à l’exploration des questions relatives à la relation de l’humanité avec la nature. Son projet A Guide to the Flora and Fauna of the World nous alerte sur les espèces génétiquement modifiées qui sont déjà parmi nous. Ce projet comprend cinquante-cinq espèces de plantes et d’animaux, souvent ignorées par le discours scientifique traditionnel, qui ont été affectées par des influences esthétiques, génétiques, évolutives ou écologiques. En choisissant de ne pas montrer ces plantes et animaux communs dans un environnement naturaliste, l’artiste souligne les origines artificielles de ces espèces, conçues pour la recherche, le commerce ou le divertissement.

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