Jusqu’au 30 mai, le Pavillon Populaire accueille les expositions de la sélection et les projections du jury des Boutographies 2021. Si un éclectisme et une hétérogénéité clairement assumée restent toujours l’ADN du festival, on note toutefois des préoccupations partagées dans plusieurs des séries sélectionnées par le jury.
Dans son éditorial, Christian Maccotta, directeur artistique des Boutographies, évoque les mutations et les bouleversements qui, écrit-il, « se succèdent les uns aux autres avec une rapidité jamais expérimentée » pour souligner immédiatement et avec lucidité que ceux-ci « recouvrent des mouvements plus lents qui ne s’interrompent pas pour autant ». Il précise ensuite comment ces transformations marquent la sélection des des Boutographies 2021 :
« Parmi ces évolutions, certaines ont trouvé un écho particulier dans les séries d’images que nous avons reçues l’an dernier et cette année, et notamment celles qui concernent l’identité culturelle, l’identité sexuelle et la parentalité. Les principes qui voudraient que l’on soit assigné pour toujours à un territoire, à un genre, à un statut social, sont fréquemment remis en cause, alors que, à l’opposé, l’aspiration à des identités locales, nationales ou familiales réaffirmées se répand, parfois sous des formes autoritaires. Les photographes de la sélection 2021, immergés dans un monde qui est intensément le leur, sont sensibles à ces questions perpétuelles, mais particulièrement aiguisées aujourd’hui »…
Le volume des espaces et le format des images ont naturellement imposé l’enchaînement des propositions. Si l’on perçoit, ici ou là, des inquiétudes partagées, il est inutile de rechercher un fil conducteur dans le parcours.
Les Boutographies 2021 sont incontestablement marquées par la forte présence de « Proxima B », une magistrale et prolifique installation du Collectif VOST qui s’impose dans le hall du Pavillon Populaire. Les parties : L’effondrement, La rupture, La métamorphose, de « Proxima B » captivent inévitablement l’attention du visiteur.
Dans une étonnante polyphonie, les séries des membres du collectifs s’enchaînent en combinant les formats, les supports et les images d’archives : Vostok d’Olivier Sarrazin, La nuit y sera, Alice de Lillie Pinot, Amours, voyage dans l’intimité des Égyptiens de Françoise Beauguion, Les incendies de Tifenn Ripoll, Le paradigme de la Stasis de Lilie Pinot, Sans titre d’Oriane Bault, Ceux qui restent en Irak de Matthieu Rosier, Exil de Olivier Sarrazin, Dans le pays de nulle part de Françoise Beauguion, Groenland de Kalaallit Nunaat, Balgarija de Tiffenn Ripoll, Le reste du monde de Françoise Beauguion… En dépit de son caractère kaléidoscopique, l’installation est d’une étonnante cohérence.
« Proxima B » mérite à elle seule un passage par le Pavillon Populaire. À noter que le livret qui débute l’exposition après la Métamorphose du papillon de Gaston Velles (1904) est disponible gratuitement à l’espace librairie.
La puissance de la proposition du Collectif VOST laisse malheureusement peu d’attention pour les photographies abstraites de Fernando Marante (« The Question Concerning the Thing »)… Curieusement, la discrète présentation de Celia Ovejero-Gomez réussit à tirer son épingle du jeu dans ce vaste espace du Pavillon Populaire.
Parmi les autres propositions, on a également remarqué en début de parcours « Oyster », la discrète présentation de Marco Marzocchi sous forme de leporello.
Les deux expositions très réussies d’Agata Wieczorek (« Fetish of the Image ») et de Jagoda Wisniewska (« Ma Mère est une hippie ») marquent puissamment la seconde galerie au rez-de-chaussée.
Agata Wieczorek – « Fetish of the Image »- Sélection des Boutographies 2021 – Montpellier
Jagoda Wisniewska – « Ma Mère est une hippie » – Sélection des Boutographies 2021 – Montpellier
À l’étage, le parcours débute avec les accrochages réussis de Antoine Lecharny (« Même pas morts ») et de Lucia Peluffo (« L’opacité des corps »).
Antoine Lecharny – « Même pas morts » – Sélection des Boutographies 2021 – Montpellier
Lucia Peluffo – « Une tentative d’équilibre » – Sélection des Boutographies 2021 – Montpellier
La suite nous a semblé plus terne et plus convenue, mais cette perception est certainement liée à une usure de l’œil. Une autre visite infirmerait peut-être cette « appréciation ».
Globalement, les photographes ont proposé des plans d’accrochages précis, utilisant au mieux les espaces qui leur étaient destinés. À de rares exceptions, les propositions linéaires ont disparu.
Au fil des éditions, les artistes se sont largement investis dans la mise en espace de leurs images. Il faut rappeler qu’au-delà de la qualité de dossier présenté, l’attribution du Prix du Jury qui ne récompense pas seulement une série, mais avant tout son exposition.
Comme toujours au Pavillon Populaire, la mise en lumière est irréprochable. Les tirages sur papier protégés par du verre sont l’exception. À l’inverse, les épreuves contrecollées sur Dibond, sur papier sans protection et l’utilisation de « wall paper » sont devenus la règle. Depuis plusieurs éditions, les Boutographies offrent à ses visiteurs d’excellentes conditions pour apprécier pleinement les photographies exposées.
La qualité des documents qui accompagnent le parcours reste toujours exemplaire. Chaque série est précédée par un texte bilingue (français/anglais) qui offre les informations nécessaires pour comprendre les intentions du photographe. Il est complété par quelques repères biographiques.
A lire ci dessous, extraits du dossier de presse, l’édito de Christian Maccotta et la présentation des expositions de la sélection officielle au Pavillon Populaire avec :
Agata Wieczorek (« Fetish of the Image »), Antoine Lecharny (« Même pas morts »), Celia Ovejero-Gomez, Collectif VOST (« Proxima B »), Doro Zinn (« Future Kids »), Fernando Marante (« The Question Concerning the Thing »), Jagoda Wisniewska (« Ma Mère est une hippie »), Julie Joubert (« Mido »), Lucia Peluffo (« L’opacité des corps »), Marc Avila Català (« Homo et Natura »), Marco Marzocchi (« Oyster »), Marianne et Katarzyna Wasowska (« En attendant la neige »), Natalia Kepesz (« Niewybuch »).
La Projection du Jury rassemble en deux espaces des séries de Ahmad Tahmasi • Alejandra Fayad Caceres • Alex Llovet • Alexandra Dautel • Alexandre Silberman • Alexis Pazoumian • Ambre Husson • Annemie Martin • Arnaud Teicher • Arthur Gau • Christiane Blanchard • Corentin Fohlen • Didier Bizet • Dmitry Ermakov • Florine Thiebaud • Francesca Todde • Gianluca Abblasio • Giorgia Ortalli • Ioanna Sakellaraki • Irina Shkoda • Jana Kiesser • Jean Abou Faysal & Swen Renault • Laetitia d’Aboville • Lilly Urbat • Lisa Gervassi • Louisa Ben-Zangue • Louise Honée • Marie Meneau • Matei Focseneanu • Natalia Kepesz • Natalya Reznik • Pascal Bastien • Robin Lopvet • Sasha Maslov • Tamara Eckhardt • Thierry Motard • Thomas Brasey • Thomas Jorion • Victoria Novak • Vincent Es-Sadeq
Le jury des Boutographies 2021, présidé par François-Nicolas L’hardy, directeur de l’Hôtel Fontfreyde est composé de : Sarah Carlet, conservatrice et consultante en photographie et directrice de Phototales ; Camilla De Maffei, photographe et créatrice de El Observatorio ; Eric Sinatora, directeur du GRAPh ; Christian Maccotta, directeur artistique des Boutographies.
La rétrospective présentée à l’espace Saint Ravy propose les séries présentées en projection et primées depuis 2011 et une image extraite d’une exposition par édition depuis 2001.
En savoir plus :
Sur le site des Boutographies
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Boutographies 2021 : La sélection officielle
Agata Wieczorek – « Fetish of the Image »
« Fetish of the Image » est un projet qui associe photographie et vidéo pour présenter une subculture étonnamment présente dans le monde entier : le fétichisme de masquage.
Le projet dépeint les utilisateurs de masques corporels féminins en silicone, étudie les évolutions concernant la conception binaire du genre et explore comment la mondialisation et l’interconnectivité accrues ne conduisent pas nécessairement à une « démocratisation de la visibilité ».
Les masqueurs sont majoritairement des hommes, alors que leur pratique est basée sur un déguisement qui vise à devenir quelqu’un d’autre : une femme. Le déguisement vise non seulement à se déguiser en femme, mais littéralement à le devenir, en se glissant totalement dans une apparence de corps féminin. Ainsi, les éléments de costume – masques réalistes en silicone et combinaisons corporelles – sont appelés « secondes peaux » car ils reconstituent l’intégralité de la surface du corps humain.
Bien que l’idée d’entrer dans la peau d’une autre personne puisse apparaître comme une extravagance érotique, le masquage est un concept éloigné de la simple volonté de divertissement. La communauté des masqueurs s’oppose aux conventions sociales et politiques fondées sur une vision binaire du genre, de l’identité et du corps. Le masquage assume l’idée que l’identité humaine est constituée de deux sexes et non d’un seul, mais considère que l’identité sexuelle est une question de choix individuel, et ne peut être une assignation imposée ou autorisée de l’extérieur.
Agata Wieczorek (1992, Pologne) vit à Lodz, où elle termine actuellement un master à l’École nationale de cinéma. Elle a auparavant obtenu son diplôme avec mention de l’Académie des arts Strzeminski de Lodz, où elle a étudié les arts graphiques et la peinture. La pratique d’Agata Wieczorek combine le cinéma, la photographie et l’animation. Son travail a été exposé et récompensé au niveau international, notamment au Festival de photographie Obscura, à Penang (finaliste), aux Journées de la photo de Varsovie (Grand Prix), au Festival international de photographie Organ Vida, à Zagreb, et au GESTE à Paris, entre autres. Parallèlement à sa pratique artistique, elle contribue à la rédaction du magazine Lynx Contemporary.
Antoine Lecharny -« Même pas morts »
« À l’origine de ce travail il y a la mort de Dadou, mon grand-père. Quelque temps après son enterrement, ma grand-mère m’a donné sa chevalière en héritage. Je l’ai longtemps portée avant de la perdre en jouant dans la mer avec ma sœur et mon père au mois d’août il y a deux ans. En lien avec cet évènement, j’ai progressivement choisi d’écrire sur les objets qui nous rattachent à ceux que nous avons perdus.
Le point de départ de ce travail, c’est la perte, c’est quelqu’un qui n’est plus là, mais j’ai essayé de ramener beaucoup de monde, beaucoup de proches, beaucoup de vie intime, comme s’il s’agissait déjà d’un début de réponse à l’absence ».
Antoine Lecharny est né en 1995 et vit à Paris. Il est diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle. Il a obtenu le Prix Audi talents, pour le projet Trou, triangle, jonc doucine et dissonance en 2020 et le « coup de coeur » du Grand Prix Paris Match du photoreportage étudiant pour la série À Deva, les roms ne sont pas nomades en 2019.
Sa série Comme un Lego a été présentée aux Boutographies en 2019.
Celia Ovejero-Gomez
« Je montre le processus et le résultat du geste, pour mieux montrer la disparition.
La photographie est utilisée ici comme seul moyen de montrer « ce qui a été ».
En gravure, une épreuve d’état est une estampe que l’on tire d’une planche pour juger de l’état d’avancement de son travail. Pour voir où nous en sommes.
Après, une fois la planche à nouveau préparée, on rajoute du noir. Et on recommence. Jusqu’à la fin. Quelle fin ? Où ça se finit ? Peut-être que c’était déjà fini avant ?
Comme je le faisais en gravure, dans mon travail photographique je rajoute du noir.
Je rajoute du noir, comme le fait la vie ».
Celia Ovejero-Gomez est née en 1973 à Bilbao (Espagne). Elle vit et travaille à Toulouse.
Titulaire d’un master en arts de l’université du Pays Basque en 1995, elle s’inscrit ensuite à l’Accademia di Belle Arti de Bologne, puis obtient un doctorat en Gravure à l’université Complutense de Madrid.
https://celiaovejerogomez.format.com/
Collectif VOST – « Proxima B »
Conçue une première fois en 2019, cette installation a pour thèmes l’effondrement qui vient et la collapsologie, les métamorphoses et les altérations de notre époque, une « fin du monde » qui serait le commencement d’un autre. Cette série associe des images aux statuts différents : archives, photojournalisme, mises en scène…
L’installation souhaite ainsi soulever un questionnement sur l’utilisation des images et leur impact, créer une atmosphère étrange et intemporelle, parfois dure et brutale, mais aussi habitée de résonances positives, d’éclats et de possibilités de changement. Les images veulent apparaître comme une vibration, un bredouillement, un bruissement du réel.
L’exposition comporte trois parties : L’effondrement, La rupture, La métamorphose.
Collectif VOST – Tifenn Ripoll et Olivier Sarrazin – Les Boutographies
Né à Arles en 2012, VOST est un collectif d’artistes photographes basé à Marseille dans les locaux de Coco Velten, à Toulouse et à Paris. Tournés vers le monde proche et lointain, les membres du collectif mêlent les approches documentaires et plasticiennes, et associent divers moyens d’expression : vidéo, son, écriture, scénographie. VOST a par ailleurs une activité de commissariat d’exposition et travaille régulièrement avec des artistes invités.
Les membres :
Françoise Beauguion (ENSP Arles)
Oriane Bault (E.H.E.S.S – Icart photo Paris)
Lilie Pinot (ENSP Arles)
Matthieu Rosier (Beaux-Arts Cergy-Pontoise et ENSP Arles)
Olivier Sarrazin (ENSP Arles)
Tifenn Ripoll (Photo documentaire et écritures transmédia, Université de Perpignan)
Doro Zinn – « Future Kids »
« Je ne suis rien de ce que vous imaginez, et bien plus que ce que vous pouvez imaginer » Coco, 2017
Leila, Coco, Mohammed et İlhan vivent à Berlin, entre Kottbusser Tor et les cités de la périphérie, entre le monde de la gentrification et celui des aides sociales. Ce sont les enfants d’immigrants musulmans venus du Liban, de Turquie, de Jordanie et de Palestine. Leurs parents sont arrivés en Allemagne en tant que « Gastarbeiter » (travailleurs invités) ou bien en tant que réfugiés. Leila, Coco, Mo et İlhan appartiennent à la première génération née en Allemagne et qui a grandi dans ce pays.
Leurs histoires racontent le passé et le présent, les lieux d’existence (imaginés), le devenir-adulte et, en fin de compte, la recherche d’une identité. Doro Zinn raconte leur quotidien en usant de la photographie documentaire et de portraits intimes, mais aussi de matériel d’archives, de textes et de chansons qui lui ont été donnés par les protagonistes. L’ensemble interroge les récits que la société et les médias produisent à l’égard des immigrants et de leurs enfants, pour les remettre en cause d’une manière très personnelle.
Doro Zinn, né en 1987, a grandi à Munich. Elle a obtenu une licence en sciences politiques et une licence en psychologie à Vienne. En 2017, elle obtient un diplôme de photographie à l’Ostkreuzschule für Fotografie de Berlin. Son travail, qui traite principalement de sujets sociaux et de questions liées à l’identité, a été exposé et récompensé au niveau international, et a été publié dans différents magazines et journaux. Elle travaille comme photographe et rédactrice photo indépendante à Berlin et à Munich.
Fernando Marante – « The Question Concerning the Thing »
Partant de l’hypothèse qu’il n’y a pas de photographie abstraite, puisqu’elle est toujours liée à son référent dans le monde concret, cette série de photographies joue avec cette pseudo-contrainte en préservant un objet d’identification, et simultanément en lui échappant.