Enrique Ramírez – Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021


Jusqu’au 29 août 2021, l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles propose « Jardins migratoires », une exposition organisée et produite par l’ENSP, résultat d’une collaboration entre Enrique Ramírez et une équipe d’étudiant·e·s et d’enseignan·e·s-technicien·e·s de l’école. Ce projet fait suite à une résidence de l’artiste chilien à l’ENSP en 2020-2021.

Modeste par ses dimensions comme par le nombre d’œuvres présentées, « Jardins migratoires » est probablement une des expositions les plus exemplaires du 52e festival des Rencontres d’Arles. L’accrochage et la mise en espace sont particulièrement réussis.

On retrouve l’ambiance singulière et souvent inquiétante des installations d’Enrique Ramírez.

Enrique Ramírez - Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021 - Vue de l'exposition
Enrique Ramírez – Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021 – Vue de l’exposition

Face à la porte, le parcours débute par une vidéo verticale où un homme interprète au trombone à pistons un hymne (celui du Chili ?). Avec des tremblements, le refrain chanté revendique «Vérité, Justice, Réparation » et demande « Que cela ne se reproduise pas… »

Enrique Ramírez – Himno, 2015. HD video, color, stereo sound – 3’02’’

Plongée dans la pénombre, la salle d’exposition est séparée dans sa longueur par deux cimaises disposées selon un angle largement ouvert. Deux espaces sont ainsi aménagés.

Enrique Ramírez - Sail N°6 instrumento poético de una mínima historia, 2018 et Calais, 2009 - Vue de l'exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021
Enrique Ramírez – Sail N°6 instrumento poético de una mínima historia, 2018 et Calais, 2009 – Vue de l’exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Le premier rassemble des pièces de l’artiste chilien autour de Sail N° 6 instrumento poético de una mínima historia (2018), une imposante installation posée au sol. Cette pièce appartient à une série d’œuvres construite autour d’une voile de bateau. A la fois hommage au père de l’artiste, fabricant de voiles au Chili, rappel de la forme de l’Amérique du Sud, incarnation de l’idée de mouvement perpétuel et de migration. Dans cet « instrument poétique d’une histoire minimale », les objets posés (bois flottés, bouteille à la mer…), les textes inscrits semblent évoquer le destin du Chili, d’improbables directions géographiques, des disparitions et de sombres fortunes…

Enrique Ramírez - Sail N°6 instrumento poético de una mínima historia, 2018 - Vue de l'exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Enrique Ramírez – Sail N°6 instrumento poético de una mínima historia, 2018 – Vue de l’exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Dans un entretien avec Sabine Mirlesse, à l’occasion de sa sélection pour le Prix Marcel Duchamp 2020, Enrique Ramírez racontait :

« Je viens d’une famille qui construit des bateaux. Mon père fabrique des voiles, et je suis presque né dans son atelier de fabrication. J’ai passé beaucoup de temps à naviguer avec lui. Ma relation à la mer est certainement liée au travail de mon père, et à la navigation, mais aussi au Chili, qui a une relation très forte avec la mer en raison de sa géographie. Nous avons 4 500 kilomètres de côtes. Nous sommes plus ou moins coincés entre la montagne et la mer. En fin de compte, c’est presque comme si nous étions une île. Bien sûr, pour les Chiliens, la relation à la mer est également politique. Pendant la dictature de Pinochet, de nombreux prisonniers politiques étaient jetés à la mer. Cela s’appelait l’opération “Condor” ».
Un peu plus loin au sujet d’une autre voile, il précisait : « Pour moi, cette voile présente dans l’exposition symbolise le départ, le voyage, le naufrage, la notion de perte… »

Autour de cette voile/continent, plusieurs œuvres d’Enrique Ramírez renvoient aux récits liés à la dictature d’Augusto Pinochet avec la projection La gravedad (2015), mais aussi aux migrations avec la troublante installation El intento de un mar (2017) et la série photographique Calais (2009).

Enrique Ramírez - La gravedad, 2015 - Vue de l'exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Enrique Ramírez – La gravedad, 2015. Vidéo HD 24 pps couleur, son, 11’26 » – Vue de l’exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021.

Une multitude de morceaux de papier blanc flottent dans un sombre vide, comme transportés par des courants. Une allusion contemplative aux discours effacés, aux voix disparues, à la mémoire déchirée de la dictature. Silencieux et légers, ces bouts de papiers évoquent, par un jeu de contrastes, la gravité de l’histoire politique chilienne et, plus largement, celle de tous les régimes autoritaires. (texte du cartel)

Enrique Ramírez - El intento de un mar, 2017 - Vue de l'exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Enrique Ramírez – El intento de un mar, 2017. Installation : Vidéo HD, couleur, son – 7’42 » ; papier peint ; article de journal encadré ; voile. Dimensions variables – Vue de l’exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Une image d’archive issue d’un journal des années 1940 montre un corps flottant sur l’eau grâce à une voile. Cette vision poétique semble suggérer que le corps peut devenir capitaine et bateau de soi-même : un corps-île. La dimension politique croise ainsi le récit d’un immigré nigérien au Chili qui ne sait pas nager comme tant d’autres au Chili et ailleurs dans le monde, qui tentent leur chance en entamant une traversée, très souvent mortelle. Nager est aussi un acte politique. (Texte du cartel)

Enrique Ramírez - Calais, 2009 - Vue de l'exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Enrique Ramírez – Calais, 2009. 8 tirages C-Print contrecollés et encadrés 73×48 cm – Vue de l’exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Ces photographies ont été prises après la destruction du Centre de Sangatte en 2002 (Calais). Elles s’intéressent aux gestes d’appropriation de ces lieux, appelés de façon paradoxale « abris de fortune ». Les notions de maison et de terre sont convoquées ici dans toute sa dimension politique. (Texte du cartel)

Dans la seconde partie de l’exposition, un large espace est consacré à la projection en triptyque de Los durmientes, 2014, une œuvre terrifiante qui présente simultanément trois actes et trois temporalités différentes de l’histoire abominable de la dictature chilienne.

Enrique Ramírez - Los durmientes, 2014 - Vue de l'exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Enrique Ramírez – Los durmientes, 2014. Vidéo triptyque 4k transféré sur fichier numérique 2k, couleur, son, 15′ Collection FRAC PACA, Marseille – Vue de l’exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Pendant le régime de Pinochet, beaucoup de ses opposants étaient torturés et leurs corps étaient jetés à la mer depuis des hélicoptères : los desaparecidos. Enlacés à des rails de train et enrobés de tissu, ils venaient engloutis par l’eau qui, parfois, les ramenait à la côte en trahissant le terrible secret. L’expression Los durmientes qui donne le titre à l’œuvre désigne à la fois les rails appelés « dormeurs » et ces « dormeurs éternels » qui sont les victimes de la dictature. (Texte du cartel)

Vue en triptyque sur Viméo

Sur un large écran, on découvre Jardins Migratoires (2021) un film de 21 minutes coproduit et coréalisé par l’artiste et sept étudiantes et étudiants de l’ENSP.

Enrique Ramírez - Jardins Migratoires, 2021 - Vue de l'exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Jardins Migratoires est l’aboutissement d’un travail réalisé à partir d’un échange de lettres entre les étudiant·e·s et une centaine d’habitants d’Arles, en novembre 2020, pendant le second confinement. Ces correspondances s’articulaient autour de cinq questions : Quel est votre souvenir le plus lointain ? Que demanderiez-vous à la mémoire ? Quel est le premier lieu que vous voyez lorsque vous fermez les yeux ? Quelles sont les images que vous aimeriez faire exister ? Quelle est l’image qui vous évoque un sentiment de joie ?

Enrique Ramírez - Jardins Migratoires, 2021 - Vue de l'exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Enrique Ramírez – Jardins Migratoires, 2021. 4K video, couleur, son, 21′ – Vue de l’exposition Jardins migratoires aux Rencontres Arles 2021

Production de l’École nationale supérieure de la photographie dans le cadre d’une résidence pédagogique de l’artiste avec les étudiant·e·s : Charlotte Arthaud, Estelle Blenet Mariano Bo-canegra, Jingyu Cao, Léonard Contramestre, Elena Corradi, Thomas Pendeliau.
Cette œuvre est le résultat d’un travail de réécriture poétique à partir d’un échange épistolaire entretenu auprès d’habitants d’Arles au cours du second confinement, en 2020-2021. En empruntant des mots écrits et des images convoquées dans plusieurs réponses reçues, Jardins Migratoires prend la forme d’un récit qui interroge, d’une façon poétique, le lien entre le besoin d’un ancrage a sa terre et l’expérience du déracinement. (Texte du cartel)

Le film Jardins Migratoires a pour ambition d’être une « reconstitution visuelle et narrative, à la fois poétique et politique, à propos des espaces imaginaires, qui habitent la mémoire, le désir et le vécu, en empruntant des mots écrits et des images convoquées dans plusieurs réponses »…

Une édition d’affiche complète la projection. Chacun est invité à emporter une trace photographique de cesJardins Migratoires.

Enrique Ramírez, Jardins migratoires, 2021

Le commissariat, la production et la coordination de l’exposition ont été assurés par Charlotte Arthaud, Estelle Blenet, Mariano Bocanegra, Léonard Contramestre, Jingyu Cao, Elena Corradi, Marta Gili, Franck Hirsch, Thomas Pendeliau, Enrique Ramírez, Olivier Vernhes, Juliette Vignon.

Un catalogue sera co-édité en 2022 par la Galerie de l’UQAM (Montréal) et l’ENSP.

Les œuvres de Enrique Ramírez sont présentées avec l’autorisation de l’artiste et de la Galerie Michel Rein, Paris/Bruxelles

En savoir plus :
Sur le site des Rencontres Arles 2021
L’actualité des Rencontres d’Arles 2021 sur Facebook et Instagram
Sur le site de Enrique Ramírez et sur Viméo
Enrique Ramírez sur le site de la Galerie Michel Rein, Paris/Bruxelles
Télécharger le portfolio de Enrique Ramírez
Lire l’entretien de Enrique Ramírez avec Sabine Mirlesse sur le site du Centre Pompidou

Enrique Ramírez présente son travail d’artiste à l’ENSP, le 11 mars 2020

À propos de Enrique Ramírez

Né en 1979 à Santiago, Chili.
Vit et travaille à Paris et Santiago.
Il a étudié la musique populaire et le cinéma au Chili avant de rejoindre en 2007 le Studio National des Arts Contemporains-Le Fresnoy (Tourcoing, France).

Enrique Ramírez © Avec l’aimable autorisation de l’artiste

En 2013, il a remporté le prix des Amis du Palais de Tokyo, Paris, France.
En 2020 il est nommé au Prix Marcel Duchamp.
Il a notamment exposé au au Palais de Tokyo, au Centre Pompidou, Paris ; Museo Amparo, Puebla, Mexique; Musée de la mémoire et des droits de l’homme, Santiago, Chili; Centre Culturel MATTA, Argentine, Buenos Aires et au Grand Café à Saint-Nazaire.
En 2017, il est invité par Christine Macel à participer à l’exposition Viva Arte Viva de la 57ème exposition internationale de la Biennale di Venezia.

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