Dans le cadre de la 8e édition de Paréidolie, et en ouverture de la Saison du dessin, Olivier Nattes présente « Être monde » jusqu’au 19 septembre, au plateau expérimental du Frac Paca à Marseille.
« Être monde » s’articule autour d’un vaste dessin mural qui occupe tout un pan de mur de l’espace d’exposition. Face à ce paysage méditerranéen, réalisé avec des graines de chia (Salvia hispanica) et de l’eau, une architecture autogénérative, construite à partir de bambou, permet de s’installer confortablement pour méditer sur le sens d’« Être monde »…
Dans le texte de présentation du projet, Olivier Nattes donnait quelques pistes sur l’ambition de son installation :
« Être monde, c’est étendre sa sphère de conscience à l’étendue de notre biosphère ; faire corps avec comme un seul être. C’est donc porter un regard réaliste sur la situation catastrophique d’aujourd’hui, en termes d’effondrement des espèces et des écosystèmes. Nous sommes totalement dépendants de ces strates du vivant : d’un point de vue respiratoire, alimentaire, mais aussi affectif. Certains soirs, je n’arrive pas à fermer les yeux sur ces disparitions annoncées. Un terme désigne ce sentiment nouveau, la solastalgie. Pour autant ce sentiment anxiogène n’est pas viable. Il faut donc utiliser les ferments qu’il contient, ou le renverser, pour changer de vision et élaborer de nouveaux processus, à même de faire involuer les processus dégradatifs en cours. Continuer à développer de nouvelles alliances avec le vivant, du dialogue interspécifique… »
Dans un entretien avec Claire Luna, il précise :
« Être monde, c’est l’idée de faire corps avec cette Terre, comme avec un être cher. Cet ensemble du vivant dont nous faisons partie, et envers qui nous sommes redevables de nos conditions d’existence, nous ne cessons de le dégrader. »
Dans la « fresque », on observe sur la droite, un édifice proche de celui qui occupe le centre du plateau. Pour Olivier Nattes, « cette forme, à la fois comprise dans le dessin mural et le dispositif, façonne une construction mentale projetée, à l’image de la paréidolie : un ensemble de signes, descriptifs d’un possible devenir, associé à ce devenir construit, devenu réel »…
Cinq dessins carrés accompagnent la « fresque », ils témoignent des expérimentations d’Olivier Nattes avec la graine de Chia sur papier.
Olivier Nattes – Dessin de graines, 2021 – « Être monde » au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur. Photo 1 et 2 Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur et Laurent Lecat
L’architecture autogénérative est une construction en bambou « dont la matière constituante est produite par la forme même qui le contient ». Dans sa conversation avec Claire Luna, Olivier Nattes s’interroge : «Le bambou pousse en une saison, c’est la plante qui stocke le plus vite le carbone, pourquoi ne pas l’utiliser plus, et particulièrement là où le carbone est émis ? »
Olivier Nattes – « Être monde » au Frac Paca – Crédit photo Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur et Laurent Lecat
Sur le mur du fond, trois dessins montrent quelques exemples d’architectures autogénératives et symbiotique qui prolongent le concept dans l’espace urbain…
Olivier Nattes – Habiter léger, Multiples pour rue et La nature des rues – série Architectures autogénératives et symbiotiques, 2021 – « Être monde » au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur
À la fin de l’exposition, les graines de son grand dessin mural seront grattées et replantées. « Au travers de ce processus », écrit-il, « le dessin redevient plante, celle-ci refleurit, recrée des graines qui peuvent être récoltées pour élaborer de nouveaux dessins. C’est un cercle vertueux ».
Indéniablement, il y a une très forte cohérence entre la pratique et le discours de cet artiste qui se présente également comme chercheur, constructeur, paysagiste, architecte avec la volonté de travailler au « confluent de l’art, des sciences, du design et de l’écosophie »…
Dans le format contraint du plateau expérimental, « Être monde » prolonge les concepts mis en œuvre dans la mémorable exposition « La suite finira bien par arriver… » au Château de Servières en 2019 et les projets comme le restaurant solaire Le Présage à Marseille ou à La Nourrice, un jardin forêt comestible et habitable, dans le Gers.
Commissariat de Françoise Aubert, Martine Robin et Michèle Sylvander
À lire, ci-dessous, le texte de présentation du projet par Olivier Nattes et un bref entretien avec Claire Luna extrait de la feuille de salle.
À écouter ce podcast coproduit par le Frac Paca avec Radio Grenouille :
En savoir plus :
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Sur le site d’Olivier Nattes
Olivier Nattes – « Être monde » : Présentation du projet par l’artiste
Dans ma pratique, la question de l’exploration des phénomènes du vivant est centrale, tout comme les questions qui devraient présider à notre façon d’habiter notre « vaisseau terre » et les modalités de construction de ces formes, qui impactent notre environnement. Récemment, Vinciane Despret, philosophe et auteur d’Habiter en oiseaux, disait : « habiter c’est d’abord cohabiter ». J’ajouterai coexister.
Dans la nature, aucune substance n’est synthétisée si sa dégradation n’est pas assurée ; le recyclage s’applique comme règle. Dans mon quotidien, je limite mon impact environnemental du mieux que je peux. Cette philosophie guide beaucoup d’entre nous, pour qui une forme de bienveillance envers le vivant est source de satisfaction et de mieux-être. Cette nouvelle conscience plus altruiste devient naturelle : il ne s’agit pas de se contraindre mais plutôt de retrouver un lien harmonieux et sensible avec le vivant. C’est avec ces mêmes postulats que je tente d’élaborer de nouveaux paradigmes, opérationnels, dans une forme d’esthétique politique, comme par exemple : la Nourrice, un jardin forêt comestible et habitable, près de Toulouse, ou le restaurant solaire le Présage à Marseille. Ces deux réalisations sont des modèles sociaux économiques et territoriaux pleinement résilients.
Être monde, c’est étendre sa sphère de conscience à l’étendue de notre biosphère ; faire corps avec comme un seul être. C’est donc porter un regard réaliste sur la situation catastrophique d’aujourd’hui, en termes d’effondrement des espèces et des écosystèmes. Nous sommes totalement dépendants de ces strates du vivant : d’un point de vue respiratoire, alimentaire, mais aussi affectif. Certains soirs, je n’arrive pas à fermer les yeux sur ces disparitions annoncées. Un terme désigne ce sentiment nouveau, la solastalgie. Pour autant ce sentiment anxiogène n’est pas viable. Il faut donc utiliser les ferments qu’il contient, ou le renverser, pour changer de vision et élaborer de nouveaux processus, à même de faire involuer les processus dégradatifs en cours. Continuer à développer de nouvelles alliances avec le vivant, du dialogue interspécifique… Ce sont des perspectives de travail très enrichissantes qui offrent un renouveau formel et philosophique. Sous une forme poétique, c’est ce que je tente de faire ici. Au plateau expérimental du Frac, deux projets se répondent et dialoguent avec l’architecture du bâtiment. D’abord une pratique du dessin abordée au château de Servières, avec l’utilisation de graines de chia, Salvia hispanica, et d’eau, rien de plus. Ces petites graines agissent chacune comme un point du dessin et me permettent de réaliser de grandes fresques. À la fin de l’exposition, les graines sont grattées puis replantées. Au travers de ce processus, le dessin redevient plante, celle-ci refleurit, recrée des graines qui peuvent être récoltées pour élaborer de nouveaux dessins. C’est un cercle vertueux. Dans le cadre d’une fresque réalisée en extérieur, comme au jardin du Refuge à Marseille, ce sont les insectes et les oiseaux qui s’en nourrissent, ou la pluie et le vent qui se chargent de la disséminer. Sur le plateau expérimental, cette fresque fait apparaître les phénomènes sous-jacents invisibles, présents au sein d’une installation placée dans l’exposition. Ce dessin est aussi un plan de fabrication de ce dispositif, qui vise à présenter un concept de construction nouveau, que je nomme « architecture auto-générative », et qui utilise le bambou. Il s’agit d’un projet d’habitat, dont la matière constituante est produite par la forme même qui le contient. Cette forme, à la fois comprise dans le dessin mural et le dispositif, façonne une construction mentale projetée, à l’image de la paréidolie : un ensemble de signes, descriptifs d’un possible devenir, associé à ce devenir construit, devenu réel.
Olivier Nattes, Marseille, mars 2021
Olivier Nattes – « Être monde » : entretie avec Claire Luna
Tu t’intéresses au potentiel plastique des phénomènes naturels, aux énergies et aux forces qui sont à l’oeuvre dans le mouvement des choses. Tu crées des structures qui mettent en avant ces phénomènes à partir de la forme et de la matière de l’existant, du vivant surtout.
Tu es un artiste ingénieur, paysagiste, ou encore architecte, tu as une démarche de designer aussi. Je pense à La Nourrice, un jardin forêt comestible et habitable, près de Toulouse, ainsi qu’au restaurant solaire Le Présage à Marseille.
Le rôle du dessin est important dans ton travail: j’ai l’impression qu’il te permet de concevoir tes projets (disegno), mais pas seulement… Le dessin joue différents rôles dans ma pratique, et c’est vrai que je l’utilise beaucoup pour concevoir mes projets. En ce sens, dessiner c’est comme désirer, c’est déjà construire une stratégie de mise en œuvre de l’objet du désir, par le dessin. Mais c’est aussi une façon d’ouvrir le champ des possibles, de se rencontrer soi même face au réel, d’exprimer une liberté, comme lorsque l’on se met à sa table de travail sans savoir encore ce qui va en sortir. J’ai ainsi deux pratiques du dessin : l’une où j’explore le monde et l’autre où je tente de lui donner une forme.
Comment se situe alors le projet que tu proposes pour Paréidolie au Frac dans ta pratique que l’on pourrait qualifier d’holistique ? Tu pourrais nous raconter en quelques mots ce que tu entends par Être monde ?
Être monde c’est l’idée de faire corps avec cette Terre, comme avec un être cher. Cet ensemble du vivant dont nous faisons partie, et envers qui nous sommes redevables de nos conditions d’existence, nous ne cessons de le dégrader. Avec cette première esquisse d’architecture autogénérative et symbiotique, je souhaite poser l’amorce d’une architecture qui produirait les matériaux qui servent à la construire, et qui participerait aux cycles naturels. Le bambou pousse en une saison, c’est la plante qui stocke le plus vite le carbone, pourquoi ne pas l’utiliser plus, et particulièrement là où le carbone est émis ? Être monde, ce serait transformer notre rapport à la biosphère : en la considérant comme nous-même, nous pourrions l’agrader, et nous engager avec elle dans un avenir commun et symbiotique.