La Relève 4, Veiller au Château de Servières – Marseille

Leonore Camus-Govoroff • Camille Chastang • Manon Dalmas • Romeo Dini • Chloe Erb • Juliette George • Kiana Hubert-Low • Aglae Miguel • Gwenael Porte • Xiaoke Song • Eloise Vo


Jusqu’au 15 avril 2022, le Château de Servières accueille une des cinq expositions du programme « La Relève 4, Veiller » dans le cadre de la douzième édition du Festival Parallèle. Celui-ci propose en partenariat avec de nombreux lieux culturels de Marseille de porter un regard sur les pratiques artistiques émergentes (danse, théâtre, performance, arts visuels).

Depuis quatre ans, Parallèle s’est associé plusieurs espaces d’exposition (art-cade, Galerie des Grands Bains Douches de la Plaine, Buropolis, Coco Velten, la compagnie, lieu de création, Le Château de Servières, le Centre Photographique Marseille) pour présenter le travail d’artistes diplômé·e·s des écoles d’art depuis moins de 3 ans et en phase de professionnalisation.

Cette année, les jeunes artistes ont été invités à faire des propositions autour du verbe « Veiller ».

Le Château de Servières présente le travail de 11 jeunes artistes dans des espaces partiellement réaménagés pour leur offrir des conditions optimales d’exposition. Le parcours construit avec pertinence alterne avec expertise les propositions artistiques sans qu’aucune n’interfère sur ces voisines. Des changements de perspectives et l’alternance des ambiances lumineuses relancent habilement l’intérêt des visteurs·euses.

Un document à la disposition du public propose un plan pour repérer les différentes propositions et offrir les repères et les informations nécessaires pour enrichir une visite individuelle. En fin de parcours, un salon permet de consulter une documentation à propos des œuvres et des artistes.

Par ailleurs, des visites commentées sont faites sur réservation du mardi au vendredi aux horaires d’ouvertures mais aussi le matin pour les groupes.

Merci à Geoffrey Chautard pour son accueil et la convivialité de nos échanges autour des propositions artistiques.

Cette proposition du Château de Servières pour « La Relève 4, Veiller » est particulièrement aboutie. Un passage s’impose impérativement par le Boulevard Boisson avant la mi avril.

Chronique à suivre sur les expositions présentées à art-cade, à Coco Velten, au Centre Photographique Marseille et on l’espère à Buropolis.

À lire ci-dessous, un compte rendu de visite de l’exposition. Les citations et les repères biographiques qui accompagnent ces regards sur le parcours sont extraits du dossier de presse.

En savoir plus :
Sur le site du Château de Servières
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​« La Relève 4, Veiller » au Château de Servières : Regards sur l’exposition

Chloé Erb – Discret device for smashing entrance, 2022

Comme pour chaque exposition de « La Relève 4, Veiller », le parcours commence avec une des cigales en faïence de la série Discret device for smashing entrance de Chloé Erb qui alerte de l’arrivée d’un·e visiteur·euse dans l’exposition…

Chloé Erb a obtenu son DNSEP Design & Espace en 2020 à l’école supérieure d’art Annecy Alpes.
https://erbchloe83.wixsite.com/chloeerb

Xiaoke SongNyx, 2020-2021

Sur la gauche, Nyx (2020-2021) témoigne de marches nocturnes de Xiaoke Song autour de chez elle pendant les confinements et les mesures de couvre-feu.

À partir de photos prises entre chien et loup ou pendant des nuits de veille, elle réalise une série de 24 dessins à l’encre sur des post-it bleus qu’elle utilise habituellement pour apprendre des mots de langues étrangères… Elle nous invite ainsi à imaginer avec elle des histoires qui pourraient se dérouler derrière les fenêtres éclairées, sous la lumière des réverbères et les abris-bus…

Xiaoke SongNyx, 2020-2021. Ensemble de dessins sur 24 post-its (7,6 x 7,6 cm). Dimensions variables – La Relève 4, Veiller au Château de Servières

Xiaoke Song a été diplômée de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Nantes en 2021. Elle vit et travaille à Nantes. À l’instar des « land-artistes », la marche occupe une place prépondérante dans son travail plastique.
https://www.buveusenocturne.com/

Leonore Camus-GovoroffGardienne, 2021

Au fond de ce qui apparaît être un vestibule, une troublante créature nous accueille. Posée au sol, nourrie par son feu intérieur, cette Gardienne (2021) de Leonore Camus-Govoroff nous conduit vers la pénombre… Chimère aux attributs diaboliques, le dossier de presse la décrit comme l’incarnation d’« une figure maternelle, non au sens de la famille biologique, mais de la famille choisie. Elle représente la “Mother” de la “House” ou de la famille drag queen qui adopte ses filles et ses club kids pour veiller sur elleux dans la nuit ». Veille-t-elle aussi sur l’exposition ?

Léonore Camus Govoroff à récemment été diplômée de l’ENSAD (Paris). Engagé·e dans un questionnement du corps individuel et collectif, iel s’intéresse aux systèmes de domination dont la biopolitique. Ses recherches plastiques sont nourries par l’ écoféminisme, l’anthropologie queer, la pop culture et le BDSM softcore.
Léonore Camus-Govoroff observe les limites physiques et sociales auxquelles font face les individu·e·s, pour poser des constats puis imaginer des transgressions possibles et autres scénarii émancipateurs. Iel est également membre de l’association Alien She créée par Cléo Farenc où iel opère en tant que curateur·rice et secrétaire général·e.
https://www.camusgovoroff.xyz/

Roméo Dini – Un coin d’air frais, 2021

Dans une salle qui fait transition entre la lumière et la nuit, cinq ventilateurs sur pied tournent et balayent l’espace. Chacun est équipé d’un vidéoprojecteur qui diffuse à travers une découpe dans un carton des images de ciels récupérées sur internet pendant les longues veilles imposées par le confinement.

Roméo Dini – Un coin d’air frais, 2021. Installation de 5 pièces ventilateurs, vidéoprojecteurs, matériaux divers. Dimensions variables – La Relève 4, Veiller au Château de Servières

Avec Un coin d’air frais (2021), Roméo Dini nous interpelle sur « le rapport au temps, à sa répétition et à l’enfermement » et partage cette interrogation :

« Dans un espace clos dont on ne peut sortir, dans la nuit, où le temps se délie, et où la seule fenêtre sur l’extérieur est un écran d’ordinateur, comment recréer un espace sensible ? »

Après les dessins de Xiaoke Song, cette installation nous replonge dans les étranges états de veille qui se sont succédé depuis le printemps 2020…

Roméo Dini a été diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs l’année dernière (2021). Roméo pioche dans le flux ininterrompu d’images (libres de droit) qu’offre internet pour constituer son travail plastique et matérialiser nos imaginaires numériques.
https://www.instagram.com/romeo__dini/?hl=fr

Aglaë MiguelApprivoisées #1, 2022

Avec Apprivoisées #1 (2022), Aglaë Miguel évoque la veillée mortuaire, un rituel funéraire que la médicalisation et la désocialisation de la mort ont réduit à peau de chagrin. Le business des entreprises de pompes funèbres la cantonne au mieux à la chambre mortuaire d’un hôpital ou d’un Epad et au salon du funérarium proche du cimetière… Quant à la pandémie, elle lui a souvent porté le coup de grâce.

Avec cette installation émouvante et particulièrement réussie, Aglaë Miguel nous renvoie à nos interrogations sur la manière en général couarde et timorée avec laquelle on prend congé des morts.

Aglaë MiguelApprivoisées #1, 2022. Projection sur textile, cire d’abeille, acier, miroirs. Dimensions variables – La Relève 4, Veiller au Château de Servières

Dans un espace plongé dans l’obscurité et dont les murs sont peints en noir, Apprivoisées #1 se compose de blocs de cire et de bougies de rituels funéraires pyrénéens et basques posés au sol sur des miroirs. Une collection d’ouvrages en dentelle est suspendue au plafond. Elle sert d’écran à une projection qui entremêle des archives régionales et documents photographiques personnels relatifs aux cires de deuils et aux veillées funéraires dans les vallées du Pays basque.

Ces pratiques liées à ces cires sont résumées avec simplicité dans la feuille de salle :

« Des vallées pyrénéennes au Pays basque, les cires de deuil accompagnaient communément les rituels funéraires avant de tomber en désuétude dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les traditions qui les entouraient se muaient délicatement au gré des vallées. Les “perdantes” les allumaient lors des enterrements, puis chaque dimanche et cérémonie religieuse durant l’année de deuil. Les croyances leur prêtaient également des propriétés de prédiction et de guérison ; elles pouvaient être embrasées pour connaître les maladies ou allumées durant trois jours et trois nuits pour veiller les mort·es. Elles symbolisent la vie éternelle, la présence des défunt·es, leur protection ».

Aglaé Miguel à été diplômée de l’École des Arts Décoratifs de Paris en 2019. Elle vit et travaille en Creuse où elle exerce en parallèle de son travail artistique le métier de designer graphique.
https://aglaemiguel.com/

Eloïse VoGrèves perlées, 2021

Au-delà d’une tenture, on retrouve avec un peu d’étonnement l’installation Grèves perlées (2021) d’Eloïse Vo que l’on avait découverte en cours de montage, peu avant le vernissage de la « La Relève 4, Veiller » à art-cade et avant la lecture performée de l’artiste.

Transférée au Château de Servières et en cours d’installation lors de notre passage, cette pièce ambitieuse propose d’interroger les pratiques de « veilles » technologiques, scientifiques ou journalistiques, pour ne pas rater l’émergence de nouveautés… On reviendra éventuellement sur Grèves perlées après une nouvelle visite de l’exposition. En attendant, on reproduit ce texte de l’artiste extrait du dossier de presse qui permet de saisir les enjeux de son installation :

« Si un œil s’assèche d’avoir trop regardé, alors il est conseillé d’abaisser la paupière et de la rouvrir rapidement. Cela peut aider à répartir l’humidité d’une larme sur la surface de l’œil. Cette fonction, aussi appelée nictation, reconstitue une barrière humide de protection contre toute forme de polluant ou d’éblouissement.
Pourtant, c’est pour une autre raison qu’une équipe de scientifiques japonais s’est également intéressée à ce geste. Leur étude a révélée que les aires cérébrales impliquées dans l’attention semblent s’inactiver à chaque battement de paupières. Dans le même temps, les régions qui se manifestent habituellement lorsque l’on dort, s’éveillent. Cligner des yeux revient à émuler une forme de sommeil. »

Éloïse Vo est titulaire d’un DNSEP Atelier communication graphique (2021) de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR). Elle vit et travaille actuellement en région parisienne où elle développe une méthode de recherche à partir des outils et de la pratique du design graphique.
http://eloisevo.fr/

Manon DalmasSleeping beauties, 2022

Le parcours se poursuit avec une des œuvres les plus singulières et des plus pertinentes de la « La Relève 4, Veiller ». C’est probablement celle qui exige l’attention la plus soutenue et qui impose plusieurs visites pour en saisir l’étrange beauté.

Sur un cheminement de sable qui pourrait évoquer un « arbre de vie », Manon Dalmas a disposé des soucoupes en argile cuite. Chacune contient une plante très particulière : la Selaginella lepidophylla.

Le texte de présentation de ces Sleeping beauties (2022) précise :

« Posée là, elle attend que quelqu’un la libère de son enchantement. Quelques gouttes suffisent à la réanimer. Elle s’étire, comme si elle se réveillait d’un long sommeil. Depuis quand dort-elle ? »

Le dossier de presse décrit l’étonnant caractère de cette plante connue pour son pouvoir de survivre au dessèchement :

« La selaginella lepidophylla, aussi appelée fausse Rose de Jéricho, ou encore plante de la résurrection, est une plante du désert, elle possède la capacité de se passer d’eau durant plusieurs années en se desséchant jusqu’à ne conserver que 3 % de sa masse. Lorsque les conditions météorologiques deviennent trop difficiles, elle développe alors un mécanisme de survie en se desséchant progressivement. Peu à peu la sève se retire des feuilles qui brunissent et se replient donnant à la plante l’aspect d’une boule. Elle se met en veille et toutes ses fonctions métaboliques se réduisent au minimum. Si la sécheresse persiste, les racines peuvent lâcher et le vent emporter la plante, lui permettant parfois de trouver un nouvel endroit humide où elle pourra se réhydrater avant de reprendre racine. »

La feuille de salle indique le protocole de l’installation :

« Sleeping beauties sera activée douze fois, une fois par semaine pendant tout le long de l’exposition. Elle nécessite qu’on lui prête attention pendant un long moment pour pouvoir la voir s’activer. Un moment de pause ; patienter pour la voir se déployer. Elle invite à revenir pour suivre son évolution et découvrir les différents stades de transformation ».

L’artiste nous interroge sur notre aptitude à « “veiller sur…”, porter une attention particulière à l’autre, s’en occuper, en prendre soin, et garder un œil dessus »…

Manon Dalmas a obtenu son diplôme en 2020 à École Supérieur d’Art et de Design Marseille-Méditerranée. À mi-chemin entre l’observation, la collecte et l’expérimentation, ses recherches plastiques se concentrent autour des plantes. « Je suis sensible aux plantes rudérales, aux mauvaises herbes, aux plantes médicinales, et autres plantes étranges… ».
https://www.instagram.com/mnndlms/?hl=fr

Gwenaël PorteIDDU (Guarda Iddu), en cours

Gwenaël Porte – IDDU (Guarda Iddu), en cours. Clou, feuille A4 – La Relève 4, Veiller au Château de Servières

Au fond du couloir vitré, Gwenaël Porte nous invite avec IDDU (Guarda Iddu) à partager sa veille sur l’activité du Stromboli, célèbre volcan des îles Éoliennes… Composé d’un clou et d’une feuille A4, l’œuvre est actualisée tous les jours à partir d’images fournies par un dispositif vidéo d’observation.

Gwenaël Porte a été diplômé en 2019 de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. Son travail porte sur le vide et l’impossibilité de voir. Il déplace les images selon une matrice, un système d’apparition des images qui demeurent toujours aussi instables, imparfaites, manquantes ou vides. Il imagine des dispositifs visant à épuiser les images.
Il est par ailleurs le co-fondateur de la revue La nuit dont il signe l’identité photographique.
https://gwenaelporte.com/

Le vaste espace qui suit est partagé par Camille Chastang et Kiana Hubert-Low. Pour leurs deux propositions artistiques, la notion de « Veille » nous a semblé assez floue…

Kiana Hubert-LowSur les murs blancs, 2021

Face à un canapé et deux « Fatboy », le court-métrage Sur les murs blancs (2021) de Kiana Hubert-Low est logiquement projeté… sur un mur blanc. L’artiste interroge les relations mère-fille, les non-dits, les récits à trous à travers leur espace domestique et un étrange assemblage/désassemblage d’une maquette en plâtre…

Kiana Hubert-Low – Sur les murs blancs, 2021. Vidéo projecteur, système son stéréo, canapé. Dimensions variables – La Relève 4, Veiller au Château de Servières

Kiana Hubert-Low est diplômée de l’École documentaire de Lussas en 2020. Artiste au même titre que documentariste, Kiana s’intéresse aux processus de récollection et de remodelage propres à la mémoire. Entre héritage, disparition et fantasme, elle mène un travail généalogique qui explore son expérience en tant qu’étrangère dans sa propre famille et dans les territoires de ses origines, où la distance et l’intimité se superposent.

Camille ChastangAssiettes parlantes, 2020

Sur un imposant papier peint sérigraphié aux couleurs vives, Camille Chastang a installé ses Assiettes parlantes (2020). Elle y affirme son désir de « (ré)concilier les arts décoratifs et les beaux-arts, et déconstruire les hiérarchisations distinguant les arts dits “mineurs”, souvent assignés aux artistes femmes, de ceux “majeurs”, associés à leurs homologues masculins ».

Au-delà de son intérêt pour les représentations florales et animales, elle propose une « réflexion sur le rôle politique de la chaussure dans la hiérarchie des corps dans l’espace public et privé »…

Certains ne manqueront pas d’y percevoir quelques échos au fétichisme des pieds, bottes, bottines et talons et aux représentations sexuelles de la chaussure et du pied chez Freud et Lacan…

Camille Chastang est une jeune artiste diplômée de la Villa Arson à Nice plaçant au centre de sa pratique le dessin sur divers supports.
http://cargocollective.com/camillechastang

Juliette GeorgeSoixante-deux vœux français, 2022

Le parcours de « La Relève 4, Veiller » se termine avec les Soixante-deux vœux français (2022) de Juliette George, une installation dont la sélection s’imposait à la « veille » de l’élection présidentielle !

Soixante-deux poèmes écrits par caviardage des vœux présidentiels depuis 1960 sont sagement alignés sur les quatre murs de l’espace. Leur lecture est souvent une pure délectation. Elle montre que la vacuité du blah blah blah de la Saint Sylvestre peut au moins devenir le terreau d’une intéressante « écriture poétique politique »…

Au centre de la salle trône un pupitre « Jupiter » initialement dessiné pour Mitterrand par Jacques Ségala. Faut-il s’étonner que Macron ait été le premier à le réutiliser ?

On y découvre un caviardage de ses vœux pour 2022 dont les deux avant-derniers vers sont :

« Sur le fracas des grandes confiances,
Veillons sur notre pays.»

Juliette George est une jeune artiste fraîchement diplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles (2021). Son travail peut prendre plusieurs formes, oscillant entre installation et édition. Juliette s’intéresse à la politique et l’économie, au petites anecdotes qui font la « grande Histoire » de façon réflexive et humoristique et leur donne une matérialité plastique.
https://juliettegeorge.wordpress.com/

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