Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres – Espace Bagouet à Monpellier


Jusqu’au 17 avril 2022, l’Espace Dominique Bagouet accueille « Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres ». Cette exposition très réussie rend hommage à un acteur majeur de la vie intellectuelle montpelliéraine disparu en août 2020. Romancier, poète, traducteur, journaliste et ami de nombreux écrivains, Frédéric Jacques Temple a entretenu des liens forts avec l’art et notamment avec les peintres.

Dans leur texte d’intention, Michel Hilaire et Maud Marron-Wojewodzki, commissaires de l’exposition, rappellent que F. J. Temple, admirateur des œuvres de Courbet et de Bazille, fut un visiteur assidu du Musée Fabre. Ils soulignent également qu’après guerre, F.J. Temple « fréquente la scène artistique et littéraire du midi, les écrivains Lawrence Durrell et Joseph Delteil, chez lequel il rencontre Pierre Soulages, le peintre Georges Dezeuze ainsi que l’artiste Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor Hugo installé près de Lunel ». Un peu plus loin, les deux commissaires ajoutent :

« Puis, dans les années 1950 et 1960, il rencontre de nombreux artistes dont Albert Ayme, Alain Clément et Vincent Bioulès. Ce compagnonnage amical et artistique donne naissance à une œuvre riche et dense de livres illustrés – il en réalise près d’une quarantaine –, ainsi qu’à des textes et poèmes dédiés à la peinture, qui, à côté des œuvres qui l’ont marqué, témoignent du regard personnel et singulier de Frédéric Jacques Temple, “cet alchimiste du voyage” selon les mots de Blaise Cendrars, sur l’art de son temps ».

À partir d’une judicieuse sélection d’œuvres du Musée Fabre, de livres d’artistes issus de l’important fond déposé à la Médiathèque centrale Émile Zola et de prêts de Brigitte Portal et Francine Arnal, Michel Hilaire et Maud Marron-Wojewodzki ont conçu une exposition remarquable qui propose un regard sensible et chaleureux sur quelques rencontres de Frédéric Jacques Temple avec les peintres.

L’accrochage irréprochable s’articule autour d’une grande toile de Vincent Bioulès (Villa Marguerite ou la famille heureuse, 1986), un portrait familial de F. J. Temple avec Brigitte Portal et ses deux enfants dans la maison où il revient dans les années 70 et qu’il quitte en 1997. Il y écrit son « roman autobiographique » L’Enclos, publié en 1992…

Au fond sur la gauche, on remarque un portrait au fusain de Temple qui fait partie des études de Bioulès pour la Villa Marguerite ou la famille heureuse. Dans une des vitrines installées au centre de l’Espace Bagouet, deux photographies témoignent de la réalisation de cette huile sur toile.

Le parcours est construit en deux séquences. Sur le mur de droite, un très bel ensemble de toiles et de dessins figuratifs évoquent l’attachement de F.J. Temple pour les paysages de la région. S’y succèdent des œuvres de Bernard Mathigot, Jean-Pierre Blanche, Jean Hugo, Georges Dezeuze, Vincent Bioulès, Camille Descossy. Un dessin et deux plâtres de Albert Dupin les complètent.

Les cartels sont souvent accompagnés de textes de F.J. Temple, extraits de son ouvrage Mes rencontres (2015) aux éditions méridianes.

En face, l’accrochage s’intéresse à ses collaborations artistiques avec des rapprochements très réussis de livres d’artistes et d’œuvres de Pierre Soulages, Albert Ayme, André-Pierre Arnal, Claude Viallat et Alain Clément.

Au centre, trois vitrines présentent des documents qui témoignent des rencontres de F.J. Temple avec ses peintres. On y découvre, entre autres, des photos dans l’atelier de Clément, chez Albert Dupin à Octon, chez Georges Dezeuze, lors d’un séjour avec Albert Ayme et Pierre Caminade à Six Fours, avec Jean Hugo dans son atelier à Fourques. On peut aussi y voir un taureau peint par Viallat sur une planchette de bois dans les années 50, des aquarelles d’anniversaire de Bioulès, ou encore des aquarelles de Louis-Charles Eymar

Un livret d’une vingtaine de pages est à la disposition des visiteur à l’entrée de l’exposition. Le texte d’intention des commissaires précèdent de brefs repères biographiques pour les artistes exposés. On peut regretter que ces mêmes repères soient absents pour Frédéric Jacques Temple…

Exposition incontournable !

A lire, ci-dessous, quelques regards sur « Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres », le texte d’intention de Michel Hilaire et Maud Marron-Wojewodzki.

En savoir plus :
Sur le site de la Ville de Montpellier
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Sur le blog Les univers de Frédéric Jacques Temple

Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres : Regards sur l’exposition

L’accrochage s’organise autour de la grande huile sur toile Villa Marguerite ou la famille (202 x 172 cm) que Vincent Bioulès peint pendant l’année 1986. Dans son Journal (1972-2018), édité par méridiannes, Bioulès revient plusieurs fois sur ce « portrait des Temple » qu’il souhaite « dans un premier temps léger comme une aquarelle » et pour lequel il dit vouloir « lui conserver son caractère fortement graphique. Les empâtements inévitables se doivent d’être secs et grenus »…

Parmi les études préparatoires, cet ouvrage reproduit un portrait au fusain de Brigitte Portal (daté de juillet-août) et celui de Frédéric Jacques Temple (daté du 17 avril). On retrouve ce dernier sur le mur du fond, à gauche du tableau, à côté d’un portrait de Temple dans les tons orangés par Alain Clément en 2020.

Vincent BioulèsPortrait de Frédéric Jacques Tempe, 1986 (Étude pour Villa Marguerite ou la famille heureuse) © Mathilde Bozier pour l’Agence Out of Frame et Alain ClémentPortrait de Frédéric Jacques Temple, 2020 – Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres – Espace Bagouet à Montpellier

La Villa Marguerite ou la famille a, semble-t-il, donné un peu de fil à retorde à Bioulès.
Au 1er septembre, il note : « Je vais à l’atelier de la rue de Villefranche à 11 h et travaille au portrait des Temple. Cela avance et recule. À chaque progrès per saltum succède un moment de désarroi. Je ne comprends plus. Il faut beaucoup de temps pour comprendre ce que l’on vient de peindre, c’est-à-dire être capable de l’exploiter ».
Le 17 septembre, il écrit : « Le visage de F.J. Temple est enfin dans la lumière ».
Le 20 février 1987, il fait des retouches et précise : « Le reflet dans la glace que je refais entièrement en insistant sur le dessin de manière à le lier à l’ensemble. Il me faut revoir les mains. »

Vincent Bioulès avec Brigitte Portal et F.J. Temple pendant la réalisation de Villa Marguerite ou la famille heureuse, 1986. Collection particulière.

Les deux photographies présentées dans une des vitrines témoignent de la réalisation de ce « portrait des Temple »…

Sur la gauche, après le texte des commissaires, l’exposition évoque les relations entre Pierre Soulages et F.J. Temple qui se sont rencontrés chez Joseph Delteil à la Tuilerie de Massane, en 1948.

Pierre Soulages - Sans titre, Juin 1976 - Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres - Espace Bagouet à Montpellier
Pierre Soulages – Sans titre, Juin 1976 – Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres – Espace Bagouet à Montpellier

Une intéressante lithographie (Sans titre, 1976) avec la dédicace « Pour F.J. Temple en souvenir de Rodez, juin 76 » surmonte une édition de Ode à Saint-Pétersbourg (2004). Imprimé par Gérard Truilhé sur des presses artisanales de Barriac en Rouergue le 18 août 2004 et publié par les éditions Trames, le texte de Temple est enrichi d’une sérigraphie originale de Pierre Soulages réalisée par l’atelier Graficaza à Cergy.

Suit une magnifique toile libre de Albert Ayme (Paradigme du Bleu-Jaune-Rouge, 1977-1978) dont l’amitié avec F.J. Temple remonte à 1955.

L’œuvre de Albert Ayme dont le musée Fabre conserve trois autres toiles et le Musée Réattu un très bel ensemble dont les 27 variations de la Triple Suite en Jaune à la Gloire de Van Gogh (1986) mériterait sans aucun doute d’être réévalué. On espère voir bientôt une exposition à la hauteur de son importance…

La seconde séquence s’intéresse à la collaboration de Temple avec André-Pierre Arnal avec la présentation de Venise sous l’eau (2007) éditée par Fata Morgana et dont le texte est enrichi par quatre peintures.

Une très belle œuvre en collection particulière (Sans titre, 2002-2006) accompagne cet ouvrage. Ses papiers collés sur toile peuvent la rapprocher de la série des collages et déchirures commencée dans les années 1990 et dont le musée Fabre avait exposé une sélection l’an dernier dans l’accrochage qui était consacré à Arnal dans le cadre de Saison contemporaine.

Plus loin, l’accrochage présente une récente publication avec Claude Viallat (Danser avec les dauphins, 2020) aux Éditions Rencontres (Philippe Coquelet), Sète.

Une huile sur toile libre beaucoup plus ancienne (Toile, 1966) s’harmonise parfaitement avec les « vagues aux couleurs turquoise et lapis lazuli » qu’évoque le livre.

Sur le mur de gauche, la présentation se termine avec deux des multiples publications réalisées avec Alain Clément, rencontré en 1963 dans l’atelier de Jean Vodaine à Montpellier.

Une des onze gouaches de Molène, 2007 (aux éditions Rivières) et deux aquarelles de À l’ombre du figuier, 2002 (chez Fata Morgana) sont exposées dans la même vitrine.

Un grand format (Sans titre, 2001) que conserve le Musée Fabre est associé à ces trois feuilles. Il précède un poème de Temple intitulé « D’une peinture, à Alain Clément »

Sur la droite de l’Espace Bagouet, l’accrochage débute et se termine avec deux œuvres de Albert Dupin. Figure debout, un plâtre de 1956 semble faire écho aux Deux figures debout (1988), un dessin donné par F.J. Temple au Musée Fabre.

Albert DupinFigure debout, 1956 et Deux figures debout, 1988 – Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres – Espace Bagouet à Montpellier

De cet artiste, F.J. Temple écrivait dans Mes rencontres (2015) aux éditions méridianes :

« Pour Dupin, l’ascèse de la forme ne trouvait sa sublimation que dans la caressante, tendre et tactile modulation du corps féminin. D’où l’abondante production d’œuvres lisses et voluptueuses, de femmes de plâtre ou de ciment, moulées dans la lumière, qui parlent autant à l’esprit qu’aux sens. Nous tournons autour d’elles et notre regard s’y enroule du haut en bas, sans qu’il y ait un point de départ obligé dans cette aventure sans fin contenue dans les limites impalpables de l’objet ».

Les deux commissaires ont ensuite sélectionné des œuvres figuratives où dominent des paysages chers à F.J. Temple.

La séquence commence avec un tondo de Bernard Mathigot, La cour de la Violette (2013).

Suivent deux magnifiques dessins au fusain et pierre noire de Jean-Pierre Blanche (Roseau n°1 et Roseau n°2, 1999) qui sont entrés au Musée Fabre en 2002. Ces œuvres que le musée décrit comme dépassant « le simple motif naturaliste pour rejoindre des préoccupations abstraites qui sont une constante dans le travail de l’artiste » méritent à elles seules un passage par l’Espace Bagouet.

Trois autres dessins de J.P. Blanche sont présentés dans « La Beauté en partage – 15 ans d’acquisitions » au musée Fabre jusqu’au 13 mars.

Deux toiles de Jean Hugo (Soulagets, 1972 et La défonceuse, 1956) que Frédéric Jacques Temple rencontre pour la première fois en 1950 au mas de Fourques à Lunel, encadrent un Portrait de l’artiste (1937) par Georges Dezeuze et l’imposant Paysage d’Aigues-Mortes (2004) de Vincent Bioulès…

Jean HugoSoulagets, 1972 et La défonceuse, 1956 – Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres – Espace Bagouet à Montpellier

De Jean Hugo, F.J. Temple écrivait :

« Dans son mas de Fourgues, Jean Hugo a peint les paysages lumineux dans lesquels il vivait depuis 1940. “Il a toujours l’air d’être au Paradis”, disait-on de lui aux halles de Lunel où il faisait son marché au petit matin. (…) Jean Hugo a toujours peint en pleine lumière, des maisons claires, des chemins ensoleillés, des ciels radieux, qu’ils fussent de Russie, du Languedoc, de Provence ou d’Angleterre. Il ne pleut jamais chez Jean Hugo. Tout est serein. C’est, en effet, le Paradis sur terre que traversent parfois des licornes et des centaures. Sa peinture est heureuse, comme une louange ou une prière adressées à un Dieu bienveillant. Ce qui caractérise la peinture de Jean Hugo, c’est qu’on en reconnaît sans hésiter l’auteur. Sa fraîche manière de considérer le monde peut dérouter dans ce temps présent voué au bruit et à la fureur. »

À propos de Georges Dezeuze, il confiait :

« Le nom de Dezeuze fait remonter le passé déjà lointain d’une ville qui n’est plus le Clapas. Georges Dezeuze a été le dernier des témoins de la « civilisation du mazet », riche non seulement de coutumes ancestrales, mais aussi d’un certain art de vivre. (…) Sac au dos, à pied comme Monsieur Courbet, ou à bicyclette, il arpenta la garrigue, installa son chevalet et peignit, peignit sans arrêt et pour toujours. (…) Il n’a pas pris les autoroutes, préférant à la grande vitesse le cheminement dans les sentiers de campagne, prenant le temps de méditer sur le calme et clair visage de son pays et d’en faire le portrait. (…) Au fond, Georges Dezeuze était un laboureur qui traçait son sillon avec conscience et efficacité. Toile après toile, il a composé ce qu’on pourrait appeler Les Très Riches Heures du Terroir Languedocien. Disons aussi qu’il avait pour son œuvre l’orgueil des modestes. »

Les commissaires ont fait le choix opportun d’associer la toile de Bioulès avec le poème Aigues-Mortes dédié à Roland Pécout.

Frédéric Jacques Temple - Aigues-Mortes à Roland Pécout - Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres - Espace Bagouet à Montpellier

Un second plâtre de Dupin (Sans titre, 1951) précède la Vue du Pic Saint-Loup et de l’Hortus peinte en 1944 par Camille Descossy qui clôt l’accrochage sur ce mur à droite.

Albert DupinSans titre, 1951 et Camille DescossyVue du Pic Saint-Loup et de l’Hortus, 1944 – Frédéric Jacques Temple rencontre ses peintres – Espace Bagouet à Montpellier

Texte d’intention de Michel Hilaire & Maud Marron-Wojewodzki, commissaires de l’exposition

Né à Montpellier, Frédéric Jacques Temple (1921-2020) fut à la fois poète, romancier, traducteur, journaliste, voyageur, passionné tout autant de sciences naturelles que de peinture, dont il n’eut de cesse d’explorer les affinités avec la littérature. Ce lien privilégié à l’art, Temple l’entretient dès son enfance, à l’Enclos Saint-François, établissement d’enseignement secondaire catholique de Montpellier qui place l’expérience artistique au coeur de l’apprentissage, ainsi que lors de visites assidues au musée Fabre, où il admire l’oeuvre de Gustave Courbet et de Frédéric Bazille. Engagé durant la Seconde Guerre mondiale dans la campagne d’Italie, il rejoint après-guerre sa terre natale et fréquente la scène artistique et littéraire du midi, les écrivains Lawrence Durrell et Joseph Delteil, chez lequel il rencontre Pierre Soulages, le peintre Georges Dezeuze ainsi que l’artiste Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor Hugo installé près de Lunel. Avec eux, il partage l’amour des lieux languedociens et provençaux. Puis, dans les années 1950 et 1960, il rencontre de nombreux artistes dont Albert Ayme, Alain Clément et Vincent Bioulès. Ce compagnonnage amical et artistique donne naissance à une œuvre riche et dense de livres illustrés – il en réalise près d’une quarantaine –, ainsi qu’à des textes et poèmes dédiés à la peinture, qui, à côté des œuvres qui l’ont marqué, témoignent du regard personnel et singulier de Frédéric Jacques Temple, « cet alchimiste du voyage » selon les mots de Blaise Cendrars, sur l’art de son temps.

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