Jusqu’au 28 mai 2022, la Galerie de la Scep propose « De l’eau dans les paumes », une exposition remarquable par la cohérence des œuvres sélectionnées et par la justesse de leur mise en espace.
Dans leur texte d’intention, Diego Bustamante et Fanny Hugot-Conte présentent ainsi ce projet :
« De l’eau dans les paumes réunit quatre artistes qui fabriquent des objets régis ou traversés par des forces et éléments naturels. Le temps, l’attraction universelle, l’oxydation, la stratification. Ces forces produisent érosions, chutes, écoulements, fractures, cristallisations…Et si la plupart des lois naturelles échappent à notre vision, elles n’en sont pas moins déterminantes dans notre compréhension du monde. La connaissance de ces lois constitue le point de départ du travail de ces artistes. Il y est autant question de rejouer des phénomènes naturels que de tenter de les comprendre. Une réflexion qui s’opère par le faire et le laisser faire. La rouille, le bois, les branches, les pierres, les minéraux, le cuivre, l’acide, le vent, l’eau. Tous ces éléments sont activement amenés dans les œuvres par chaque artiste pour s’en servir tantôt d’outil, tantôt de matériaux. L’humanité est une érosion pour la planète. Pour autant la relation Homme/nature convoquée par Antoine Bondu, Sébastien Granier, Léo Schweiger et Javiera Tejerina Risso ne repose pas sur un principe de domination mais sur des collaborations, parfois même sur une relation de subordination. Cette coopération envisagerait alors ces phénomènes et éléments naturels comme co-créateurs ».
Au rez-de-chaussée, l’accrochage met en face à face des pièces de Javiera Tejerina Risso et Léo Schweiger avec celles de Sébastien Granier autour d’une imposante colonne en plâtre d’Antoine Bondu (Archaria uchroniques, 2022).
A gauche : Antoine Bondu – Archaria uchroniques, 2022 et Léo Schweiger – Cyanophycées 2, 2022. A droite : Sébastien Granier – Flotté coulé, 2022 – Faisceau radiant, 2022 et Fin de cycle, 2022 – De l’eau dans les paumes à la Galerie de la Scep
Sur la gauche, on découvre huit Îlots (2019-2020) de Javiera Tejerina Risso puis une sphère de Léo Schweiger (Cyanophycées 2, 2022). Les formes créées se parent d’une patine produite par l’oxydation et de la corrosion de métaux : cuivre et laiton chez l’une, acier chez l’autre. Le geste des deux artistes est prolongé, complété et enrichi par des phénomènes naturels provoqués et contrôlés… Le faire et le laisser faire sont ici fortement intriqués, entremêlés, enchevêtrés…
Les Îlots de Javiera Tejerina Risso sont contemporains de ses Paysages fluides. À propos de ces pièces, elle décrivait ainsi la nature de sa pratique :
« Le réel, le territoire et les relevés constituent les matières premières de mes pièces. Je crée par la suite des pièces qui proposent une mise à distance avec ce réel, afin de soulever des interrogations, notamment sur la confiance que nous lui accordons, ainsi qu’aux outils techniques qui permettent leur construction. Des objets, des protocoles, des processus proposent ainsi une singularité poétique, une fabrique d’imaginaires.
Une partie de mon travail s’articule autour du pli de la vague, de la mer.
Le pli apparaît comme un pont entre le concept et la forme, le monde physique et métaphysique. Le pli d’une tôle en métal, par exemple, transforme ses caractéristiques physiques, rendant la tôle nettement plus solide. Les plis confèrent plusieurs facettes aux objets. Des facettes visibles et d’autres qui restent cachées.
L’acte de plier/déplier et de créer du volume à partir d’une surface plane sont des actions sur la matière qui m’emmènent vers de nouvelles formes, combinaisons de plis, fronces et froissements de matière ».
En face, trois sculptures de Sébastien Granier assemblent des éléments naturels (bois flotté, ronces) ou industriels (cordelette, béton, grillage, polystyrène, laiton…) récoltés dans l’environnement, sur des chantiers ou chez des marchands de matériaux…
Sébastien Granier – Flotté coulé, 2022 – De l’eau dans les paumes à la Galerie de la Scep
Ici, l’érosion et l’oxydation, quand elles existent, précèdent la collecte des objets et la production de formes par l’artiste. « Des arrangements du réel où la présence de l’objet ne peut renvoyer qu’aux conditions de sa création » souligne Sébastien Granier qui ajoute que ces pièces proches du bricolage « peuvent être considérées comme la réaction à une situation ou la continuation d’une histoire. Ils me permettent de m’insérer dans une transformation en cours »…
Pour ce plasticien qui est aussi architecte, le béton est très souvent présent. Toutefois, il affirme ne pas lui vouer de culte particulier : « Je le considère plutôt comme un matériau constitutif de l’anthropocène, à nécessairement réenchanter, à réintégrer dans une dynamique plus large de création ».
Au centre, une monumentale construction en plâtre, appuyée sur un étai en bois vertical, s’impose au regard. En entrant dans la galerie, sa forme est assez indistincte.
Antoine Bondu – Archaria uchroniques, 2022 – De l’eau dans les paumes à la Galerie de la Scep
Il faut en faire le tour pour comprendre que l’on est face aux quatre tambours cannelés d’une colonne engagée, sans base ni chapiteau… Évocation des temples romains ou des productions « antigonesques » chères à Ricardo Bofill ?
Chaque morceau de son fût semble avoir fait l’objet d’une altération singulière : coups, projections d’acide, jet haute pression…
Le titre de cette pièce récente d’Antoine Bondu, Archaria uchroniques, 2022 peut laisser dubitatif. Le premier terme est assez mystérieux. Fait-il écho au scénario Archaria 2035 conçu par l’OTAN à la suite d’un wargame sur l’urbanisation, ou au système stellaire Archaria dans l’univers de Star Trek ?
L’adjectif « uchroniques » semble lui renvoyer clairement au genre fictionnel où l’auteur prend comme point de départ une situation historique existante et en modifie l’issue pour imaginer différentes conséquences possibles…
L’œuvre paraît assez emblématique du travail d’Antoine Bondu qu’il présente ainsi :
« À la frontière entre réalité et fiction, expérience pragmatique et interprétation, histoire et mythe, science-fiction et archéologie, mes propositions sculpturales invitent à regarder et penser le monde qui nous entoure, ses travers sociaux et ses évolutions potentielles.
Il existe au sein de mon travail une dualité thématique. D’une part une réflexion matériologique orientée sur les matériaux communs de construction, leurs altérations et dégradations. D’autre part une question plus “frontale” autour de la fiction et du réel, de l’archéologie, du présent et du futur. Ces deux lignes directrices sont parfois très distinctes, parfois poreuses. Cependant un terme sous-tend ces deux axes : C’est le Temps. La question de la temporalité (autant sur un plan matériel et matériologique que sur un plan culturel, conceptuel et politique) est au final d’une importance primordiale dans mon travail ».
Au sous-sol, l’accrochage s’articule autour des Paysages incertains (2021) de Javiera Tejerina Risso qui traversent et relient les deux espaces.
Partie de la pièce initialement conçue pour le hall du Puits Yvon Morandat à Gardanne dans le cadre du Printemps de l’Arc Contemporain 2021, cette installation magistrale fascine le visiteur et captive son regard.
Javiera Tejerina Risso – Paysages incertains, 2021 – De l’eau dans les paumes à la Galerie de la Scep
Si l’an dernier l’œuvre pouvait entrer en résonance avec le paysage post-industriel de Gardanne, elle prend ici une autre dimension. Un long travelling en surplomb entraîne le spectateur vers des récits indécis où s’entremêlent poésie troublante et visions cataclysmiques. Le texte du PAC en faisait une description brève, mais particulièrement juste :
« Les plis et replis du métal deviennent un mode opératoire pour la création de nouveaux paysages fictifs. Le relief et les failles se dessinent. Le travail d’oxydation de cette géologie minérale teinte le métal et lui apporte de la texture.
Surgissent ainsi des sortes de reliques de mondes engloutis par les eaux puis asséchés, dévastés, comme on pourrait parler de “caillou” en parlant de la terre dans des récits d’anticipation spéculatifs ».
Avant de pénétrer dans l’espace, il faut contourner Nouvel ordre (2022), une intrigante sculpture de Sébastien Granier dont l’équilibre semble incertain.
Faut-il entendre dans ce titre un projet ironique qui prolongerait en les moquant les ordres architecturaux des colonnes depuis le palmiforme égyptien jusqu’au composite romain en passant par les classiques dorique, ionique et corinthien de la Grèce ?
Dans un amas de béton est fichée une colonne penchée dont l’angle est, paraît-il, identique à celui de la Tour de Pise… Son fût également en béton a été moulé dans un cylindre construit avec des canisses. À son sommet et dans une stabilité relative est posée une éponge probablement imbibée de ciment…
Dans un texte qu’il nous a aimablement communiqué, Sébastien Granier conclut avec ses mots qui peuvent particulièrement s’appliquer à Nouvel ordre :
« Toute élévation est vacillante et n’est qu’une tentative pour échapper un temps à la gravité ».
Dans la seconde salle, une sculpture d’Antoine Bondu (La poussée, 2019) fait formellement écho à cette colonne de Sébastien Granier.
Antoine Bondu – La poussée, 2019 – De l’eau dans les paumes à la Galerie de la Scep
Dans son portfolio, l’artiste en décrit ainsi la nature et les enjeux :
« Cette œuvre est autant une construction inachevée qu’une ruine contemporaine. Le temps de l’édification est comme suspendu, et cette pierre vient suggérer une temporalité supplémentaire, plus fictionelle. Les cristallisations de sel viennent envahir et contaminer la roche, comme si le temps c’était accéléré puis stoppé net sur cet état de la matière.
La question du «socle» y est primordiale; la colonne de béton est-elle le support de la roche ou est-ce un ensemble qui ainsi équilibre ses forces ? »
Dans la première salle, trois pièces d’Antoine Bondu appartenant à sa série Malmener le béton sont posées au sol : La Volane, Le Rhony, L’Huveaune (2021). Leurs titres renvoient aux noms des cours d’eau où ont été prélevées les pierres.
Antoine Bondu – Malmener le béton. La Volane, 2021 – Malmener le béton. Le Rhony, 2021 et Malmener le béton. L’Huveaune, 2021 – De l’eau dans les paumes à la Galerie de la Scep
Cette série répond à un protocole strict où le volume de ciment et le mélange qui compose le béton sont reproduits avec précision. Le seul élément qui change est la pierre qui a été choisie dans l’espace naturel. Pour l’artiste :
« Les rapports de forces mis en scène sont ainsi ordonnés par la nature, la composition même de la roche et son volume jouent sur son poids et de cette manière les déformations du béton sont influencées.
Il s’agit là d’un “laisser-faire”, une variable d’étude qui m’amène à penser une partie de la sculpture comme étant formellement dirigée par ses matériaux.
Le principe de prélèvement non-sélectif du rocher amène l’œuvre dans un champ plus intuitif ; la déformation est différente sans pour autant être prévue ».
Sur le mur, la tache rose d’une sculpture attire l’attention. Sa forme évoque un peu celle d’un torse. En s’approchant, on découvre qu’il s’agit d’un bloc de béton moulé dans du papier à bulles ordinairement utilisé pour caler et protéger les objets délicats.
Les formes de cette Matrice à bulles rose (2020) « s’inscrivent dans une recherche d’autonomie formelle où la présence de l’objet ne peut renvoyer qu’aux conditions de sa création »…
Sur le mur adjacent, le galeriste a posé en équilibre sur un gros crochet à œillet la Sphère d’altérité n° 1 (2016) d’Antoine Bondu. La moitié de l’objet en béton de ciment a été attaqué à l’acide chlorhydrique. La cavité créée a ensuite été remplie par de la colle blanche.
Antoine Bondu – Altération – Sphère d’altérité n°1, 2016 – De l’eau dans les paumes à la Galerie de la Scep
Dans son portfolio l’artiste précise :
« Cette série (Altérations. Sphères d’altérité) questionne la détérioration du béton et ses altérations potentielles.
Il est advenu au fil des recherches et expériences que le béton, à l’inverse de ce qu’admet le sens commun, est un matériau pouvant évoluer au cours du temps de prise ou par la suite lorsque ce dernier est additionné à une ou plusieurs autres substances.
Chaque sphère subit alors une (ou plusieurs) influence d’un élément extérieur l’amenant à se modifier dans le temps ».
Entre ces deux sculptures murales, un socle bas en bois clair présente une étrange pièce de Léo Schweiger au titre énigmatique (Capitalithe, 2022). Les éléments moulés en plâtre pourraient évoquer la ruine ou la reconstitution d’une construction qui pourrait relever de l’archéologie fantasmée d’un univers de science-fiction…
La poussière de rouille déposée sur une partie de l’édifice laisse au regardeur l’initiative d’imaginer toutes les narrations possibles autour d’un monde indéfinissable qui semblerait se figer et/ou se désagréger… Faut-il entendre dans Capitalithe l’expression d’un mode production qui se pétrifie si l’on se réfère à l’étymologie de lithos ? À l’inverse, doit-on interpréter ce mystérieux vocable comme une référence à un capitalisme souple et agile si l’on considère la traduction de l’adjectif anglais « lithe » ?
Dans la seconde salle, Léo Schweiger expose sur un socle mural une singulière collection de 18 minéraux (Geofacts, 2018-2022) en équilibre sur des tiges métalliques…
Autour d’un morceau de quartz, on croit reconnaître un fragment de basalte parmi des roches volcaniques et divers minerais. Le titre renvoie en principe à des objets lithiques formés par un phénomène naturel. Toutefois, quelques-uns pourraient être des artefacts… Il en va ainsi d’un morceau de roche feuilletée, peut-être du schiste, dont on ne sait trop s’il s’est naturellement délité ou s’il a discrètement été sculpté… Au fond un fragment de calcaire érodé donne le sentiment d’un éventuel fossile ou d’un outil poli…
La nature de ce fond minéralogique intrigue autant que l’hypothétique maquette de son Capitalithe…
Dans un bref texte à propos de l’artiste, Fanny Hugot-Conte écrit de manière assez elliptique :
« Attentif aux mécanismes politiques et économiques à l’œuvre dans nos sociétés contemporaines, Léo propose une forme d’analogie entre ces derniers et les phénomènes naturels observables, en particulier ceux liés à la minéralogie ».
On laissera à chacun le soin de l’interprétation…
La dernière œuvre exposée dans « De l’eau dans les paumes » est une superbe sculpture de Sébastien Granier (Concrétion hors-sol, 2022). Une forme molle et oblongue en béton moulée dans un textile rappelle celles qu’il avait montrées au Lieu Mutiple à Montpellier à l’automne 2021. Ici, elle repose avec langueur et élégance sur une branche d’arbre en équilibre sur trois patins tronconiques en plastique noir.
Une nouvelle fois, Sébastien Granier joue malicieusement avec « un contraste équilibré entre fragile et solide, dur et mou, organique et orthonormé, parfois à la limite de la rupture ».
« De l’eau dans les paumes » est sans doute une des expositions des plus abouties présentées par la Galerie de la Scep. Inutile d’ajouter qu’un passage s’impose par la rue Perrin Solliers à Marseille, avant le 28 mai prochain.
À lire, ci-dessous, la présentation des artistes et le texte d’intention que signent Diego Bustamante et Fanny Hugot-Conte.
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Sur le site de Javiera Tejerina Risso
Antoine Bondu, Sébastien Granier, Léo Schweiger et Javiera Tejerina Risso sur Instagram
Antoine Bondu est né en 1992 à Talence (France). Il vit et travaille à Marseille. Il est diplômé des beaux-arts de Nîmes en 2020. Son travail de sculpture fabrique des objets qui compressent des strates temporelles par de nombreux biais, celui du réel, celui de la fiction, celui de la prospective et celui de la rétrospective. Antoine Bondu étudie comme un archéologue ses propres maçonneries, et active des histoires dont le temps est l’acteur principal.
Sébastien Granier est né en 1992 à Montpellier. Il vit et travaille à Sète. Il est diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier en 2016. Il est architecte et plasticien. Sa pratique de la sculpture lui permet d’explorer les notions de fragilité, d’organicité et de fait-main à l’échelle d’un objet. Dans les deux disciplines, ses réalisations sont toutes guidées par la recherche d’une forme essentielle et d’une puissante connexion aux forces naturelles.
Léo Schweiger est né en 1993 à Nîmes où il vit et travaille. Il est diplômé des beaux-arts de Nîmes en 2019. Ses sculptures sont des interventions et des interactions faites par analogie aux mécanismes de développement de la matière, de l’échelle moléculaire à celle du paysage. Ses pièces entrent ensuite dans un fond minéralogique et géologique fictionnel où l’on retrouve ces mécanismes d’amoncellement, d’accumulation et de regroupement.
Javiera Tejerina Risso est née en 1980 à Santiago du Chili. Elle vit et travaille à Marseille. Elle est titulaire d’un doctorat en pratique et théorie de la création artistique de l’université Aix-Marseille. Artiste multidisciplinaire, nous n’aurons pas de mots plus justes que ceux de Jean-Christophe Arcos pour décrire son travail : « Posant en équivalence laboratoire et espace d’exposition comme terrains d’observation des phénomènes, elle y modélise des expériences poétiques appuyées sur les éléments, et en particulier sur les fluides, pour les abstraire jusqu’à une grandeur sans dimension. »
De l’eau dans les paumes réunit quatre artistes qui fabriquent des objets régis ou traversés par des forces et éléments naturels. Le temps, l’attraction universelle, l’oxydation, la stratification. Ces forces produisent érosions, chutes, écoulements, fractures, cristallisations… Et si la plupart des lois naturelles échappent à notre vision, elles n’en sont pas moins déterminantes dans notre compréhension du monde. La connaissance de ces lois constitue le point de départ du travail de ces artistes. Il y est autant question de rejouer des phénomènes naturels que de tenter de les comprendre. Une réflexion qui s’opère par le faire et le laisser faire. La rouille, le bois, les branches, les pierres, les minéraux, le cuivre, l’acide, le vent, l’eau. Tous ces éléments sont activement amenés dans les œuvres par chaque artiste pour s’en servir tantôt d’outil, tantôt de matériaux. L’humanité est une érosion pour la planète. Pour autant la relation Homme/nature convoquée par Antoine Bondu, Sébastien Granier, Léo Schweiger et Javiera Tejerina Risso ne repose pas sur un principe de domination mais sur des collaborations, parfois même sur une relation de subordination. Cette coopération envisagerait alors ces phénomènes et éléments naturels comme co-créateurs. De l’eau dans les paumes propose un parcours d’objets récents et manufacturés, pourtant ils semblent appartenir soit à une géologie ou une archéologie ancienne, soit à une muséographie scientifique d’un avenir plus ou moins lointain. Cette double projection, tournée à la fois vers le passé et vers l’avenir, permet de constater le déséquilibre entre la vitesse à laquelle l’Homme modifie son paysage, et les temporalités des inventions de la nature. De la réaction chimique microscopique à la concrétion terrestre, les artistes visibilisent et imitent des phénomènes naturels dont les échelles de temps et d’espace nous dépassent et dont la généalogie nous est mystérieuse. Se pose alors la question de leur représentation tant leur réalité peut nous sembler abstraite. Il s’agira alors pour les artistes de mettre en place les conditions nécessaires à l’expression de ces forces, de les interpréter et de composer avec elles. Cette distance mise avec l’actualité du présent permet de s’abstraire d’intentions écologiques où seule la protection de la planète serait au cœur d’une œuvre d’art. Ici, les artistes, ayant peut-être accepté la fatalité dans laquelle nous sommes engagé(e)s, œuvrent à imaginer l’effacement progressif de l’humanité.
Diego Bustamante et Fanny Hugot-Conte, 2022