Flore Saunois – « Entre la table et le vide » au Château de Servières

Dans le deuxième espace du Château de Servières, Flore Saunois qui occupe un des Ateliers de la Ville de Marseille au premier étage présente « Entre la table et le vide ». Son installation propose des conversations délicates, parfois murmurées, entre plusieurs pièces avec la volonté, écrit-elle, de « pointer non sur ce qui se donne à voir, mais sur comment cela se donne à voir. Aller-retours entre une chose et sa représentation avec pour sujet non l’image, mais ce qui en constitue les conditions d’apparition ».  

A l’entrée, tombant du plafond, on retrouve le grand rideau que l’on avait croisé à art-cade en 2020, puis à Art-O-Rama en 2022. L’armure satin de son tissage et sa teinte rose abricot attrapent la lumière en produisant d’insaisissables nuances. Deux morceaux de verre posés au sol viennent écraser les plis de la tenture. Ils reflètent imparfaitement l’image du regardeur. Intitulée Fenêtre (2022), cette installation fait-elle référence à la fenêtre de Léon Battista Alberti ? Quant au rideau, est-il ici un écho à celui peint par Parrhasios dans son duel avec Zeuxis ? Flore Saunois semble vouloir immédiatement interroger la représentation du réel…

On perçoit aussitôt qu’il ne s’agit pas d’un trompe-l’œil. Derrière on découvre une pièce de cinq centimes d’euros posée en équilibre sur la tranche. Un éclairage millimétrique met en opposition l’ombre portée et le reflet lumineux renvoyés par la monnaie de cuivre. Une utilisation subtile du lieu pourrait laisser croire que cette pièce s’est immobilisée après avoir dévalé la pente du dispositif qui protège la descente d’escalier…

Flore SaunoisComme un marcheur sur une droite infinie, 2022 – Entre la table et le vide au Château de Servières – PAC 2022

Le cartel précise que le titre ( Comme un marcheur sur une droite infinie, 2022) est emprunté à La probabilité, le hasard et la certitude, chapitre XII Les marches aléatoires, coll. Que sais-je? Il en cite cette phrase : « On peut se considérer comme un marcheur sur une droite infinie, partant à l’instant t=0 de l’origine, et faisant un pas en avant chaque fois que la pièce tombe sur face, et un pas en arrière, chaque fois que la pièce tombe sur pile ».

C’est face au rideau qui n’est pas celui de Parrhasios que se cache le vrai mirage. Pour l’apercevoir, il faut se baisser ou s’agenouiller pour voir derrière la cimaise par une « fenêtre » découpée au ras du sol. On y découvre une installation (L’intervalle (présent continu), 2019) où de l’eau se déverse dans six vasques translucides. En passant de l’autre côté du mur, et après avoir lu le cartel, l’illusion se dissipe et le mystère se dévoile. Des filets d’eau numérique coulent depuis des vidéoprojecteurs dans des récipients en savon…

En face, au milieu d’une petite pièce, une vasque semble s’être échappée de cette installation. Modelée en verre de sucre, elle contient un tas de silice. Utilisé comme absorbeur d’humidité dans les dessiccateurs et les sachets déshydratants, ce matériau qui ressemble à du sucre en poudre devrait retarder la destruction de son contenant…

Flore SaunoisSans titre, 2022 – Entre la table et le vide au Château de Servières – PAC 2022

En troublant la perception du visiteur, cette œuvre comme la précédente tente de « réconcilier les paradoxes physiques et temporels ». Là, six vasques en savon sont remplies d’une eau immatérielle qui ne la dissoudra jamais. Ici, une coupe en sucre est remplie de sel de silice qui retarde son inéluctable désintégration par l’humidité ambiante…


Dans le prolongement de la draperie de in satin, un fragile rideau de perles (Sans titre, 2021), tombant des hauteurs du Château de Servières, est délicatement posé sur le sol. Précaires et peu visibles, ses grains de plastique thermoformable montés sur des fils captent discrètement la lumière.

Flore SaunoisSans titre, 2021 – Entre la table et le vide au Château de Servières – PAC 2022

Un peu plus loin, il faut lever les yeux pour remarquer une petite sculpture accrochée en hauteur. Pour des possibles malléables 3 (2022) est composé d’une équerre en verre de sucre sur laquelle est posé un dé à six faces en pâte à modeler. L’humidité de l’air entraînera l’inévitable dégradation du support, la chute du dé, et sa probable déformation… Il reste à parier sur le chiffre que le hasard rendra alors visible.

Au fond de cette salle, un miroir posé au sol et un tube de cuivre compose Indice de diffraction (2022). Cette pièce entraîne le regardeur dans une plongée vertigineuse au sein des entrailles ou plus exactement dans les combles du Château de Servières. L’artiste nous invite-t-elle à méditer sur la réfraction des ondes et à nous interroger sur les raisons pour lesquelles une paille ou un pinceau semble se fracturer dans un verre d’eau ?

Flore SaunoisIndice de diffraction, 2022 – Entre la table et le vide au Château de Servières – PAC 2022

À l’écart, « Entre la table et le vide » conserve avec deux tas d’affiches la trace de la performance Comme à dire L’envers est une chimère du vendredi 27 mai 2022…

Un passage par le Château de Servières s’impose avant le 15 juillet prochain pour découvrir l’incontournable manière avec laquelle Flore Saunois « dessine une dialectique constituée de jeux entre absences, présences, et “vues au travers de”, un trouble entre ce qui est, et ce qui pourrait être, entre matériel et immatériel, entre l’illusion et le tangible, une incertitude quant à la nature de ce qui nous est montré, tendant à déplacer les lignes de démarcation entre réel, imaginaire et illusion ».

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