Noémie Goudal – Phoenix aux Rencontres d’Arles 2022


Jusqu’au 28 aout prochain, Noémie Goudal présente « Phoenix », une spectaculaire installation dans la chapelle des Trinitaires à Arles. Salué par la critique, cette proposition est sans doute une des plus abouties de cette édition des Rencontres d’Arles.

Invitée dans « La Grande Table d’été » sur France Culture, Noémie Goudal présentait le travail qu’elle expose à Arles, et, avec la metteuse en scène Maëlle Poésy, le spectacle Anima joué à la Collection Lambert, dans le cadre du Festival d’Avignon. Au cours de cette émission, elle résumait ainsi la nature de sa démarche artistique :

« L’idée c’est d’utiliser le paysage non pas par “où il est exactement”, mais par ce qu’il évoque. La première question qu’on pose quand on voit une photographie c’est “Où c’est ?” et “Quand c’est ?”. J’essaie justement de ne pas répondre à ces questions, mais plutôt de proposer des espaces où chacun ramène son bagage, sa propre culture, ses propres voyages et permet d’apporter sa propre interprétation de “Qu’est-ce que ça représente pour moi une palmeraie ?”. (…) Le paysage c’est une manière pour moi de parler des mouvements des paysages de manière universelle. Et justement pas par un lieu précis. C’est pour ça que le sujet de la paléoclimatologie est fascinant parce que ce sont des métamorphoses de paysage qui sont à des échelles énormes, à l’échelle de la planète où les frontières, les continents qu’on connaît actuellement n’existent plus ».

Dans sa présentation pour les Rencontres d’Arles, Noémie Goudal explique comment l’exposition « Phoenix » est issue de ses recherches sur la paléoclimatologie (l’étude des climats passés) et sur l’idée de « temps profond » (l’histoire géologique de la planète).

Avec une remarquable scénographie signée par Hélène Jourdan et la complicité de Alona Pardo qui assure le commissariat, Noémie Goudal occupe avec maestria le volume de la chapelle des Trinitaires qui s’est bien souvent révélé comme particulièrement compliqué.

Dans la pénombre, l’espace est segmenté en plusieurs modules par d’ingénieuses et élégantes cloisons grillagées en métal.

Dans la première partie de la nef, sur ces cimaises ajourées, sont accrochés cinq imposants tirages de la série « Phoenix » qui donne son titre à l’exposition. Ces images de palmeraies photographiées sous une lumière blanche et artificielle sont fragmentées et recomposées.

Noémie Goudal, Phoenix VII et Phoenix IV, 2021 – Phoenix aux Rencontres d’Arles 2022. À gauche, photo de Noémie Goudal

Noémie GoudalPhoenix II et Phoenix VI, 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Les filles du calvaire.

Elles placent les visiteurs·euses dans une situation de trouble et d’inconfort. Elles obligent le regard à circuler dans ces « paysages » disloqués. Sans apporter de réponse, elles nous interrogent sur ce que l’on voit ou sur ce que l’on croit voir…
À quoi nous renvoient ces strates ? À l’histoire de ces paysages ? À notre propre histoire ? À celle du « Deep Time » des paléoclimatologues ? Cachent-elles un futur de l’anthropocène ? Sur ce dernier point, Noémie Goudal laisse entendre que son travail s’intéresse à des phénomènes qui vont bien au-delà de la période où l’impact à grande échelle de l’activité humaine sur la biosphère est avéré…

Noémie Goudal, Untitled (Roches), 2022 – Phoenix aux Rencontres d’Arles 2022

Sur le mur de gauche, une installation photo-vidéo (Untitled (Roches), 2022) brouille un peu plus les pistes… Que signifie cette projection ? Sur quoi est-elle faite : un écran de papier ? Une photographie ? On perçoit difficilement ce que diffuse le vidéoprojecteur qui est lui très visible. S’agit-il d’une vidéo ou d’un simple faisceau lumineux ?

En face, une installation lumineuse est-elle aussi assez énigmatique. Des lettres de néon affichent alternativement les mots INHALE et EXHALE…

Les intentions de Noémie Goudal deviennent plus manifestes avec les deux films projetés dans la seconde partie de la nef et dans le chœur de la chapelle des Trinitaires réunis par une même estrade.

Dans un plan-séquence de huit minutes (Inhale, Exhale, 2021), d’imposantes photographies d’une végétation luxuriante, où l’on reconnaît palmiers et bananiers, émergent lentement des eaux stagnantes dans une forêt. Rien n’est caché du système de cordes et poulies avec lequel se met en place un décor de théâtre qui peu à peu remplace la réalité dans une troublante illusion d’optique.

Après cette inspiration marécageuse, les éléments du trompe-l’œil redescendent dans une lente expiration vers leurs origines paludéennes… En fond sonore, des chants d’oiseaux se mêlent à des grondements telluriques.

Dans un texte qui accompagnait la présentation de cette installation, fin 2021, au Grand Café — centre d’art contemporain de Saint-Nazaire, la critique Éva Prouteau écrivait :

« Ici, l’artiste fait subtilement référence à l’histoire de la géologie, lorsque le climatologue allemand Alfred Wegener formula sa théorie de la dérive des continents en 1912. Bien après sa mort, les mécanismes de la tectonique des plaques sont devenus évidents pour la communauté scientifique, tout comme l’emboîtement visuel de l’Afrique et de l’Amérique latine, la dorsale océanique ou la présence de certaines espèces végétales ou de minéraux de part et d’autre de l’Atlantique. À ce titre, le palmier ou le bananier apparaissent de manière récurrente dans l’œuvre de Noémie Goudal : ce sont des marqueurs de mouvement, dressés des deux côtés de la rive, témoins de l’histoire de ce paysage disloqué, écartelé. Cette notion, vertigineuse pour l’Homme, qui induit de penser un territoire en perpétuel mouvement, fut longue à prendre en considération : l’installation Inhale Exhale intègre ce perpetuum mobile sous une forme méditative et chorégraphique ».

En face, Below The Deep South (2021) montre la lente et fascinante destruction par le feu du décor d’une jungle primaire…

Exposée à Loop Barcelona 2021, cette œuvre était ainsi décrite par la Galerie Les filles du calvaire qui représente l’artiste :

« La vidéo montre une jungle verte, plusieurs photographies disposées en fonds successifs, jouant avec les échelles et la profondeur et provoquant une illusion d’optique. Peu à peu, un incendie détruit et désagrège le décor, formant un nouveau paysage à chaque seconde. Un décalage se produit ainsi entre le décor, issu de la production humaine qui se décompose, et la vision hallucinatoire du paysage sauvage d’une jungle primaire.
« Below The Deep South » s’inspire des découvertes récentes qui ont été faites en Antarctique. Grâce à un forage profond, une équipe scientifique a pu trouver un fossile de pollen et l’existence d’un gisement de charbon. Cette découverte introduit l’énigme d’une immense forêt, potentiellement tropicale, située sur ce territoire. L’artiste questionne ici les mouvements perpétuels de notre paysage actuel et notamment l’évolution et la transformation d’un espace qui, pendant des millions d’années, a oscillé entre glace et tropiques ».

Noémie Goudal, Below The Deep South, 2021 – Phoenix aux Rencontres d’Arles 2022. Pour les deux images extraites de la vidéo avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Les filles du calvaire.

Au-delà de la beauté troublante des images de Noémie Goudal et de leur mise en espace millimétré, on ne sort pas complètement indemne de cette exposition.

Avec « Phœnix », Noémie Goudal convoque évidemment la métaphore du feu comme principe de mort et de renaissance. Dans son texte, Éva Prouteau rappelait : « le palmier dattier a été dénommé Phœnix dactylifera par le botaniste Linné en 1734, peut-être parce que les Grecs de l’Antiquité le considéraient comme l’arbre des Phéniciens (Phoinix) ; peut-être parce que le palmier possède la capacité de survivre après avoir été partiellement brûlé, à l’instar de l’oiseau renaissant de ses cendres »…

Pour Noémie Goudal, il est essentiel de ne rien cacher et de montrer le caractère artisanal et collaboratif de son travail, à l’inverse de l’esthétique glacée des logiciels de retouche et de montage numérique. Elle a donc souhaité accompagner son exposition de ce Making-of de ses installations accessible depuis un QR code.

Dans le cadre du Festival d’Avignon, Noémie Goudal et Maëlle Poésy présentait le spectacle Anima à la Collection Lambert. Cette performance qualifiée d’ « expérience plastique » faisait très largment écho à l’exposition arlésienne. Elle était interprétée par Chloé Moglia, autrice de sa suspension, avec une musique originale composée et interprétée par Chloé Thévenin (aka Chloé DJ) et une scénographie d’Hélène Jourdan.

Anima, Noémie Goudal et Maëlle Poésy, 2022 © Christophe Raynaud de Lage – Festival d’Avignon

En savoir plus :
Sur le site des Rencontres d’Arles
Sur le site de Noémie Goudal
Noémie Goudal
sur le site de la Galerie Les filles du calvaire
Suivre l’actualité du Studio Noémie Goudal sur Facebook et Instagram
Ecouter l’émission de La Grande Table d’été sur France Culture avec Noémie Goudal et Maëlle Poésy
Lire le texte d’Éva Prouteau à propos de Post Atlantica, l’exposition de Noémie Goudal au Grand Café – centre d’art contemporain de Saint Nazaire

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer