Dan Flavin – Épiphanies à la Collection Lambert


Jusqu’au 9 octobre prochain, la Collection Lambert présente « Épiphanies », une exposition consacrée à Dan Flavin qui transfigure les salles au rez-de-chaussée de l’Hôtel de Montfaucon.

La programmation estivale proposée par Stéphane Ibars instaure un dialogue passionnant autour de la lumière entre les néons de Dan Flavin et les œuvres d’Ann Veronica Janssens qui occupent, « entre le crépuscule et le ciel », le premier étage avec une éblouissante proposition.

En observant les nombreuses images postées sur les réseaux sociaux, on s’aperçoit de l’évidente adhésion du public aux œuvres de Dan Flavin. On reste toujours stupéfait en constatant leur étonnante « activation » par la présence de visiteurs qui s’en emparent avec une déconcertante aisance, multipliant les situations parfois ludiques, poétiques ou drôles.

Le projet d’une exposition Dan Flavin à la Collection Lambert prend naissance après la présentation d’une sélection d’œuvres de l’artiste américain par la Galerie David Zwirner, fin 2019-débit 2020, peu après son installation à Paris, dans les anciens locaux occupés par Yvon Lambert au 108, rue Vieille du Temple dans le Marais.

Stéphane Ibars, commissaire de l’exposition, racontait ainsi comment le projet s’est construit lors de la visite de presse, au début de l’été. On peut en lire le résumé dans le texte de salle reproduit ci-dessous.

Le titre choisi, « Épiphanies », n’a aucune connotation chrétienne. Il renvoie à ἐπιφάνεια, epiphaneia du grec ancien qui peut être défini comme « la prise de conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde de quelque chose » (Larousse). Un effet « eurêka » en quelque sorte que Wikipédia résume en « une nouvelle information ou expérience, souvent insignifiante en elle-même, qui illumine de façon fondamentale l’ensemble »…

Les œuvres sélectionnées sont toutes dédiées à des artistes, amis de Dan Flavin, engagés comme lui dans les révolutions esthétiques des années 1960 ou à ceux qui l’ont marqué. Ces artistes ont également été proches d’Yvon Lambert ou il manifeste une attention particulière à leur égard. Pour Stéphane Ibars, « elles constituent surtout autant d’épiphanies qui instaurent ici et maintenant la possibilité de faire l’expérience sensible de l’art et des lieux qui en accueillent la manifestation ».
À l’exception d’une pièce issue des collections du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, toutes les œuvres sont prêtées par la Galerie David Zwirner.

L’accrochage s’est construit en étroite collaboration avec l’Estate Dan Flavin et tout particulièrement avec Steve Morse qui fut le dernier assistant de l’artiste.

Contrairement à ce qui est le plus fréquent, et notamment dans les espaces consacrés de manière permanente aux œuvres de Dan Flavin par Dia:Beacon, l’exposition à la Collection Lambert a fait le choix de ne pas plonger les salles dans l’obscurité, mais de conserver l’éclairage naturel, là où il est présent.

Avant d’entrer dans l’exposition, untitled (for Ad Reinhardt) 2h, (1990) marque avec discrétion le seuil de la première salle.

Celle-ci présente un ensemble de néons aux teintes blanc froid et blanc lumière du jour. Le parcours commence avec « a leaning diagonal » of March 27, 1964 (to David Smith) de 1964.

Cette pièce prolonge celle qui fut la première œuvre de Flavin réalisée uniquement à partir de tubes fluorescents de fabrications industrielles (Diagonal of Personal Ecstasy (the Diagonal of May 25, 1963], un tube fluorescent jaune placé à 45° sur un mur qu’il dédie à Brancusi. Ici, c’est un tube monobloc blanc froid adossé au mur, hommage à David Smith, sculpteur américain, acteur du mouvement expressionniste abstrait.

Elle voisine avec l’emblématique « monument » for V. Tatlin (1974) du musée de Saint-Étienne, daylight and cool white (to Sol LeWitt) de 1974et untitled (to Cy Twombly) 1 (1972), dédicacés à deux artistes emblématiques de la Collection Lambert.

Dans la salle contiguë, une autre pièce untitled (for Robert Ryman) (1996) rend hommage à Robert Ryman, autre artiste majeur du fonds conservé à Avignon.

Plus loin, la couleur apparaît dans la salle qui précède la galerie. Ici les fenêtres ont été occultées.

untitled (to Henri Matisse) de 1964 rassemble quatre tubes fluorescents verticaux rose, jaune, bleu et vert. Les teintes pourraient évoquer la palette de Fenêtre ouverte peinte par Matisse à Collioure en 1905 et conservée à la National Gallery of Art de Washington.

Dans un angle, une autre fenêtre, untitled (to Barnett Newman) four de 1971 attire irrésistiblement le regard. Deux néons jaunes, parallèles et identiques, placés horizontalement, vont d’un côté à l’autre du mur. Des tubes bleus verticaux complètent un carré. Retournés, ils mettent en lumière l’angle de la pièce. Situées également derrière la structure métallique, des lumières rouges sont dirigées vers le plafond de la salle.

Créée à la mort du peintre américain, cette œuvre qui utilise les trois couleurs primaires fait probablement référence à la série « Who’s Afraid of Red, Yellow and Blue » peinte par Newman entre 1966 et 1970. Carré d’art conserve à Nîmes une version légèrement différente de cette œuvre.

Dan Flavin - pink out of a corner (to Jasper Johns), 1963 - Épiphanies à la Collection Lambert
Dan Flavin – pink out of a corner (to Jasper Johns), 1963. Tube fluorescent rose. Courtesy David Zwirner – Épiphanies à la Collection Lambert

En face, dans un coin, en regard de untitled (to Barnett Newman) four, pink out of a corner (to Jasper Johns) de 1963 est composé d’un unique tube fluorescent rose qui illumine ce qui est généralement une zone délaissée des espaces d’exposition…

Sur la droite, alternate diagonals of March 2, 1964 (to Don Judd), assemble quatre néons rouges côte à côte d’où jaillit un néon jaune deux fois plus long. Faut-il y voir une évocation de Untitled (Floor Box With Slotted Through) de Judd comme le suggère la notice de la Collection Pinault qui conserve une autre version de l’œuvre ?

Cette diagonale dynamique conduit le visiteur vers la galerie qui longe la cour de l’ancien hôtel particulier…

 - Dan Flavin « Epiphanies » à la Collection Lambert. Photo © David Giancatarina.
Dan Flavin « Epiphanies » à la Collection Lambert. Photo © David Giancatarina.

Deux versions de untitled (in memory of « Sandy » Calder) V, (1977) baignent l’espace dans une vaporeuse lumière bleue. Les néons rouge, jaune et bleu multiplient les halos sur les murs et les reflets fantomatiques sur les vitrages des fenêtres…

Dan Flavinuntitled (in memory of Sandy Calder) V, 1977. Tubes fluorescents rouge, jaune et bleu. Courtesy David Zwirner Épiphanies à la Collection Lambert. Photo de droite © David Giancatarina, 2022 4919

La grande salle à l’éclairage zénithal est pour une fois plongée dans l’obscurité. Un élément architectural la coupe en deux.

Dans ce qui apparaît comme un vestibule à cet espace absolument fascinant qui baigne dans une lumière verte, deux œuvres horizontales se font face : untitled (in memory of Josef Albers) 1 et 2, 1977

Cet aménagement a été demandé par les ayants-droit de Dan Falvin et la galerie Zwirner pour installer untitled ( to Sonja) de 1969, hommage à l’artiste Sonja Serverdija qui fut aussi la première épouse de Flavin. C’est une des premières œuvres de sa série « Barrier ». Elle a été présentée dans SPACES, une exposition collective de 1969 organisée par Jennifer Licht au Museum of Modern Art de New York. Cette configuration de l’espace permet de reproduire le volume de la salle où l’œuvre était montrée au MoMA.

Ici, la citation de Flavin, reproduite dans le guide de visite, prend tout son sens, même si elle peut être entendue comme contradictoire à son célèbre « It is what it is and it ain’t nothing else » :

« En rendant l’espace et le spectateur visibles,
la lumière, en un sens, les crée »…

Évidement, pour celles et ceux qui n’auraient pas encore découvert ces « Épiphanies » de Dan Flavin, un passage par la Collection Lambert s’impose avant le 9 octobre… Pour les autres, replonger dans ces espaces reste une expérience qui mérite d’être renouvelée.

Un guide de visite est à la disposition des visiteurs. Il offre les repères necessaires au parcours de Dan Flavin et la liste des œuvres exposées (il n’y a aucun cartel en salle).

Commissariat de Stéphane Ibars.
Exposition produite avec le soutien de l’Estate Dan Flavin et de la Galerie David Zwirner, New York.
À lire, ci-dessous, le texte d’introduction au parcours de l’exposition.

En savoir plus :
Sur le site de la Collection Lambert
Suivre l’actualité de la Collection Lambert sur Facebook et Instagram
Dan Flavin sur le site de la Galerie David Zwirner
Dan Flavin
sur le site de Dia:Beacon

Dan Flavin – « Épiphanies » : Texte de salle

En 1974, Yvon Lambert réalise dans sa galerie de la rue de l’Echaudé (Paris) une exposition consacrée à Dan Flavin, en collaboration avec l’artiste. Cet événement s’inscrit tout naturellement dans un cycle d’expositions dédiées aux nouvelles avant-gardes américaines et européennes et qui placent Yvon Lambert aux avant-postes de la défense des artistes de son temps. De Lawrence Weiner à Sol LeWitt en passant par Robert Barry, Brice Marden, On Kawara, Christo, Dennis Oppenheim, Carl Andre, Daniel Buren, Jan Dibbets, Niele Toroni, Giulio Paolini, Marcel Broodthaers, Douglas Huebler, Robert Ryman, les artistes les plus novateurs des années 1960-1970 ont travaillé avec le marchand parisien et sont aujourd’hui présents dans le musée qui abrite sa collection à Avignon, depuis l’an 2000. 

Une large correspondance entre le collectionneur et l’artiste américain, conservée dans les archives de la galerie d’Yvon Lambert, témoigne aujourd’hui de l’exposition réalisée en 1974 et de la relation que les deux hommes ont entretenue à cette occasion. La même année, en marque d’affection, Dan Flavin présentait à Yvon Lambert trois diagrammes pour la réalisation d’une œuvre qu’il souhaitait lui dédier : (for Yvon Lambert), 1974. Les dessins seront malheureusement perdus par un ami du galeriste, envoyé à New York pour les montrer à nouveau à l’artiste en vue de la réalisation de la pièce. Ils ne referont jamais surface. 

Des années plus tard, ils réapparaissent sous la forme de photographies documentaires conservées par le Musée National d’Art Moderne qui, dans les années 1970, avait l’habitude de missionner un photographe dans certaines galeries parisiennes afin que l’ensemble des œuvres qui y étaient présentées soient photographiées et archivées. 

L’exposition organisée à l’été 2022 entend réactiver cette mémoire et parachever l’histoire de la collaboration entre les deux hommes en organisant la présentation d’une sélection d’œuvres emblématiques de l’artiste dans le musée avignonnais. Si Dan Flavin est décédé seulement quatre ans avant que la Collection Lambert ne voie le jour dans la cité papale, il ne fait nul doute qu’il y aurait été invité et y aurait certainement séjourné, comme l’ont fait tous les artistes dont le travail a été défendu par Yvon Lambert. Sol Lewitt, On Kawara, Lawrence Weiner, Brice Marden, Robert Barry, Carl Andre, Cy Twombly, Giulio Paolini et tant d’autres ont ainsi marqué de leur présence sensible les salles des hôtels particuliers qui abritent la collection du marchand parisien. Beaucoup y ont travaillé, y réalisant parfois des œuvres spécifiques. 

C’est à travers les œuvres que Dan Flavin a dédiées à des artistes amis engagés à ses côtés dans les révolutions esthétiques des années 1960 ou à des artistes qui le précèdent et auxquels il a rendu hommage tout en les mettant à l’épreuve du temps, qu’a été conçue cette exposition. 

Qu’elles se réfèrent dans leurs titres à Vladimir Tatline, Josef Albers, Henri Matisse, Alexander ‘Sandy’ Calder, Ad Reinhardt, Barnett Newman, Jasper Johns, Cy Twombly, David Smith, Sol LeWitt ou Donald Judd — des artistes pour lesquels Yvon Lambert manifeste aussi une affection particulière — elles constituent surtout autant d’épiphanies qui instaurent ici et maintenant la possibilité de faire l’expérience sensible de l’art et des lieux qui en accueillent la manifestation. 

Tout en racontant en filigrane le respect et l’affection des deux hommes pour les artistes de leur temps, pour ceux dont les œuvres ont bouleversé le cours de l’histoire de l’art depuis l’avènement de la modernité, l’exposition montre comment le geste de Dan Flavin ouvre de nouveaux champs à l’expérience de l’art, à sa conception, sa réalisation et son inscription dans de nouvelles situations sensibles offertes à ceux qui en éprouvent la réalité. Comment ces agencements de tubes de lumières fluorescents — dont l’artiste explique qu’ils sont ce qu’ils sont et rien de plus — inventent depuis la célèbre the diagonal of May 25, 1963 (to Constantin Brancusi) autant de nouvelles situations où se redéfinit et s’éprouve la relation à l’art, entre dissolution et résolution. 

En ce sens, l’installation des pièces de Dan Flavin dans l’hôtel de Montfaucon offrira, le temps de l’exposition, un prolongement inouï aux réflexions menées par les artistes de cette même génération et dont les travaux occupent habituellement les espaces dédiés à la présentation du fonds permanent, de Robert Ryman à Donald Judd, Lawrence Weiner ou Sol Lewitt. 

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