Jusqu’23 décembre 2022, Suzy Lelièvre présente avec « Déformations continues #3.1 » une magistrale exposition, premier volet consacré à la céramique d’un projet qui trouvera un prolongement en janvier 2023 à la Galerie AL/MA avec « Segments » autour d’œuvres en granit.
« Déformations continues #3.1 » est une installation composée de 69 pièces en porcelaine, oxyde de fer et faïence, disposées à hauteur des yeux, sur un plateau carré placé au centre de la galerie.
Les sculptures de cet ensemble fascinant présentent des similarités que l’on a un peu de mal à définir. Toutes paraissent avoir été générées à partir de volumes identiques ou semblables, probablement des cubes qui ont été soumis à des opérations de déformations.
Les formes produites sont inattendues et insolites, souvent burlesques, cocasses, gourmandes ou sensuelles, que l’on pourrait parfois percevoir comme impudiques et érotiques.
Au-delà de leur capacité à captiver le regard, elles engendrent une troublante envie de s’en saisir, de les toucher et de les caresser, malgré leur aspect de surface un peu dérangeant…
Celles et ceux qui ont vu l’exposition « Sinuosité », proposée par Suzy Lelièvre à la Galerie AL/MA fin 2019, se souviennent peut-être de certaines de ces sculptures qu’Élise Girardot présentait comme « étranges petits blocs distordus et incisés » dans le texte qu’elle signait pour l’occasion.
Dans un entretien avec Marie-Caroline Allaire-Matte, reproduit dans le catalogue aux éditions méridianes et AL/MA, Suzy Lelièvre décrivait ainsi le protocole de réalisation de ces pièces en porcelaine :
« Ce projet a débuté en 2014 par une collaboration avec Sidonie Lelièvre, tapissier d’ameublement à qui j’ai proposé de se prêter au jeu de la déformation. En observant les gestes quotidiens liés à son activité, nous sommes tombées d’accord sur un protocole : à partir de cubes de mousse comparables à ceux utilisés pour le rembourrage de sièges, je lui ai transmis des instructions d’incisions. L’artisane a créé des tensions puis relié avec des fils certaines extrémités des volumes, choisissant leurs agencements et leurs combinaisons, en corrélation avec des techniques. liées à sa pratique, comme par exemple le capitonnage ou le pli flamand. Le projet est ensuite resté en sommeil jusqu’à trouver son accomplissement avec Pierrick Lacord, céramiste. Il a plongé les mousses dans la porcelaine, puis les a suspendues, séchées et cuites au four à 1300 degrés environ. La cuisson ayant décomposé le polymère, il ne reste alors que la structure de céramique poreuse. Cette matière m’intéresse car elle est difficile à identifier, à la fois organique et minérale, elle contient l’oxymore de son apparition ».
Ce protocole semble avoir un peu évolué avec l’introduction des oxydes de fer et un investissement plus important de l’artiste dans la pratique de la céramique…
Si les concepts et les modèles mathématiques restent au cœur de la pratique artistique de Suzy Lelièvre, « Déformations continues #3.1 » illustre sans doute l’affirmation d’un engagement plus direct avec des professionnels qui manipulent des matières tactiles ou fluides. Dans l’entretien cité ci-dessus, elle soulignait :
« Si mon travail est lié à des processus d’abstraction, car il est porté par des concepts mathématiques, j’ai remarqué que plus j’avance dans ma compréhension de ces notions, plus j’ai besoin, paradoxalement, de le rattacher au réel et au vivant. Pour exister, il doit nécessairement entrer en résonance avec l’échelle du corps, jouer avec le sensible, l’erreur, la pesanteur. Mais les mathématiques aujourd’hui sont aptes à anticiper ou approcher ces données sensibles et imprévisibles ».
Elle concluait ensuite sa conversation avec Marie-Caroline Allaire-Matte en évoquant l’idée de travailler à partir des matériaux de la maroquinerie, de la broderie ou à partir des gestes liés au travail du verre…
Avant un éventuel séjour au Cirva ou une collaboration avec la Fondation d’entreprise Hermès, on attend avec curiosité de découvrir en janvier, dans « Segments », les formes issues du travail qu’elle a initié en 2021 lors d’une résidence dans le Sidobre par le Centre d’art Le Lait d’Albi, avec des entreprises d’extraction et de transformation de granit et un centre de formation d’apprentis.
De projet en projet, Suzy Lelièvre, s’affirme comme une des artistes majeures du moment. Son exposition en deux volets à la Galerie AL/MA est absolument incontournable.
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