Cet été : Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre


Cet été, le Musée Fabre accueillera « Germaine Richier, une rétrospective », un projet d’envergure organisé avec le Centre Pompidou où l’exposition est ouverte depuis le 1er mars et jusqu’au 12 juin 2023. L’étape montpelliéraine se déroulera du 12 juillet au 5 novembre 2023. La place de la ville de Montpellier et du Musée Fabre dans l’histoire de l’artiste a logiquement conduit à cette collaboration entre les deux institutions.

En effet, née à Grans dans les Bouches de Rhône, Germaine Richier grandit à Castelnau-le-Lez, aux portes de Montpellier. Maud Marron-Wojewodzki, commissaire scientifique de l’exposition au Musée Fabre souligne combien sa proximité avec les paysages, la nature et les traditions languedociennes et méditerranéennes, ont indubitablement nourri son imaginaire :

« Enfant, elle a été marquée par la sécheresse du paysage, l’écorce noueuse des grands platanes, un sentiment qui va irriguer tout son travail. Le Midi va ainsi imprégner son œuvre. Elle s’intéresse au folklore et aux traditions populaires, comme en témoignent les sculptures La Tauromachie ou La Tarasque, ce monstre qui vivrait dans les marécages près de Tarascon. Sa Méditerranée, réalisée pour le pavillon Languedoc-Méditerranéen de l’Exposition universelle de Paris en 1937, porte quant à elle une coiffe arlésienne. Dans les gravures que l’on connaît moins, on voit émerger la croix de Camargue et le crochet des raseteurs des courses camarguaises. Par ailleurs, la faune et la flore provençales nourrissent très directement son art puisqu’elle demande régulièrement à ses proches de lui envoyer des bois flottés et des branchages qu’elle incorpore au plâtre lors de ses recherches sur l’hybridation des formes et des matériaux. Sa sculpture L’Eau intègre ainsi une amphore retrouvée aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Dans son fonds d’atelier, on retrouve aussi des petits pieds de taureau et des têtes de chevaux en céramique, des crucifix en céramique colorée qui ont pu l’inspirer dans son passage à la couleur ».

Germaine Richier devant le musée Fare dans les années 1920
Germaine Richier devant le musée Fare dans les années 1920

Entre 1921 et 1926, Germaine Richier se forme dans l’atelier de Louis Guigues, un ancien praticien d’Auguste Rodin à l’École des Beaux-Arts de Montpellier, installée alors au rez-de-chaussée du musée Fabre. Dès 1938, une première œuvre est visible au musée montpelliérain. Le Loretto I (1934), premier achat de l’État français à l’artiste, y est déposé selon la volonté de Germaine Richier. Après le don d’un buste en 1984 (La Tête de Margueritte Lamy, 1956), les achats par la ville en 1996 de La Chauve-souris (1946) puis en 2007 de L’Escrimeuse (1943) et de L’Araignée (1946) ont permis de constituer un fonds auquel se sont ajoutés Buste N (1927-1928) acquit en 2010 et La Montagne (1955-1956) mise en dépôt par Centre Pompidou en 2006. Cet ensemble est ordinairement présenté en salle 45 dans la section Figuration et Abstraction au XXe siècle du parcours Modernité des collections du musée. À la réouverture de l’établissement après rénovation, un vaste espace au rez-de-chaussée a été baptisé Atrium Richier en hommage à la sculptrice.

« Germaine Richier, une rétrospective » rassemble près de 200 œuvres (sculptures, gravures, dessins et peinture) avec la volonté d’offrir une relecture de sa création et de souligner « ses résonances contemporaines, à l’heure d’une prise de conscience globale du vivant ». L’exposition a bénéficier du soutien des ayants-droit de l’artiste et de grandes collections publiques et privées, françaises et internationales (Cnap, Centre Pompidou, Musée Fabre, Tate Modern, Kunstmuseum Basel, Louisiana Museum of Modern Art Humlebaek, Kunsthaus Zurich, Thin Chang Corporation, Taïpei).

Michel Sima Germaine Richier dans son atelier derrière L’Ouragane, Paris, vers 1954 Epreuve gelatino-argentique Collection particulière © Adagp, Paris 2023 © Michel Sima/Bridgeman Images
Michel Sima – Germaine Richier dans son atelier derrière L’Ouragane, Paris, vers 1954 Epreuve gelatino-argentique Collection particulière © Adagp, Paris 2023 © Michel Sima/Bridgeman Images

Le projet s’est construit à partir de recherches inédites menées en France et à l’étranger dans de nombreux fonds d’archives avec l’ambition de montrer « combien Germaine Richier occupe une position centrale dans l’histoire de la sculpture moderne, comme un chaînon entre Rodin et le premier César ». La commissaire de l’exposition parisienne souligne :

« Si l’art de Richier a parfois été associé à l’étrangeté surréaliste ou à l’expressionnisme informel, son parcours demeure singulier, hors de tout mouvement. Elle apparaît comme le trait d’union entre deux moments et deux conceptions de la sculpture, à savoir le modelage et l’assemblage. Par sa formation classique, elle est l’héritière de la tradition de la statuaire de Rodin ou de Bourdelle, son mentor. Après-guerre, son art et son enseignement ont un impact décisif sur toute une jeune génération d’artistes, tel César. Dans un Paris déchiré par les débats artistiques, Richier fait également le lien avec les tenants de l’abstraction lyrique, tels Hans Hartung, Zao Wou-Ki ou Maria Helena Vieira da Silva avec lesquels elle crée des œuvres collectives ».

L’art de Germaine Richier a été reconnu dès les années 50. En 1956, elle fut la première artiste femme exposée de son vivant au Musée national d’art moderne, puis en 1959 au MoMA dans « Nouvelles images de l’homme » en compagnie de Bacon, Dubuffet ou Giacometti. Ses œuvres sont très tôt entrées dans les collections des grands musées internationaux et son nom apparaît dans les ouvrages d’histoire de l’art. Cependant, GR est aujourd’hui moins connu que certains de ses contemporains, en particulier de sculpteurs masculins comme Alberto Giacometti. Ariane Coulondre, commissaire de l’exposition au Centre Pompidou soumige à ce propos : « Celui-ci imposera d’ailleurs au marchand Aimé Maeght de choisir entre lui et Richier, laquelle restera de fait longtemps sans galeriste. La mort précoce de la sculptrice en 1959 et son statut d’artiste femme ont pu contribuer entre autres à creuser cet écart »….

Au Centre Pompidou, le parcours s’organise en cinq séquences que l’on devrait retrouver peu ou prou cet été à Montpellier :

À Beaubourg, la scénographie imaginée par Laurence Fontaine se développe dans la longueur de la deuxième galerie, au sixième niveau du Centre Pompidou. On présume qu’à Montpellier, un autre dispositif scénographique sera proposé avec sans doute un regard singulier sur les relations entre l’artiste et la ville.

Germaine Richier, une rétrospective au Centre Pompidou
Germaine Richier, une rétrospective au Centre Pompidou

Au Centre Pompidou, le commissariat est assuré par Ariane Coulondre, conservatrice, service des collections modernes, Musée national d’art moderne assistée de Nathalie Ernoult, attachée de conservation.

À Montpellier, Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine, directeur du musée Fabre, est commissaire général de l’exposition et Maud Marron-Wojewodzki, conservatrice du patrimoine, responsable des collections modernes et contemporaines en est la commissaire scientifique.

Le catalogue (non lu) est édité par le Centre Pompidou. Commun aux deux expositions, il a été réalisé sous la direction d’Ariane Coulondre, assistée de Nathalie Ernoult avec la participation scientifique du musée Fabre.

Il réunit des essais et des contributions de Ariane Coulmondre, Maud Marron-Wojewodszki, Florende Mèredieu, Ivanne Rialland, Michael Semff, Paul-Louis Rinuy, Geneviève Fraisse, Maryline Desbiolles, Philippe Lançon, Charles Stépanoff, Mika Biermann, ORLAN…
L’ensemble est complété par une chronologie illustrée, une anthologie de textes et des extraits de correspondances inédites.

On reviendra naturellement sur « Germaine Richier, une rétrospective » dès l’ouverture de l’exposition au Musée Fabre.

À lire, ci-dessous, une présentation des sections du parcours au Centre Pompidou.

En savoir plus :
Sur le site du Musée Fabre
Suivre l’actualité du Musée Fabre sur Facebook et Instagram
Sur le site du Centre Pompidou
À lire Germaine Richier et la nature par Ariane Coulondre sur le site du Centre Pompidou et un très beau texte sur « L’Ouragane », vue par Marie Darrieussecq
À consulter les ressources sur Germaine Richier disponibles sur le site du Centre Pompidou et celles sur ses œuvres exposées dans la salle 45 du Musée Fabre
À écouter cette interview de Ariane Coulondre par par Anne-Frédérique Fer sur le site FranceFineArt

« Germaine Richier, une rétrospective » : Parcours de l’exposition par Ariane Coulondre

L’œuvre de Germaine Richier (1902-1959) occupe une place à la fois unique et incontournable dans l’histoire de la sculpture du 20e siècle. Formée à la tradition d’Auguste Rodin et d’Antoine Bourdelle, l’artiste s’affirme en à peine plus de vingt-cinq ans – des années 1930 à sa disparition précoce en 1959 – comme profondément originale et radicale. Son art prolonge les acquis du métier classique et de la statuaire en bronze tout en participant aux conquêtes essentielles de la sculpture moderne. Son art puissant et émouvant forge après-guerre une nouvelle image de l’homme et de la femme, aux identités complexes et changeantes, jouant des hybridations avec le monde animal ou végétal. Sa reconnaissance est fulgurante de son vivant : Germaine Richier est la première sculptrice à bénéficier d’une exposition au Musée national d’art moderne à Paris en 1956, et l’une des rares artistes femmes à rencontrer un succès international dans les années 1940 et 1950.

Louis-René Astre, Germaine Richier devant le plâtre de La Sauterelle, grande, Paris, 1955-1956
Louis-René Astre, Germaine Richier devant le plâtre de La Sauterelle, grande, Paris, 1955-1956

Connue essentiellement pour ses dix dernières années, sa sculpture a parfois été réduite à l’image inquiète d’une époque troublée, associée à l’étrangeté surréaliste ou à l’expressionnisme informel. À partir de recherches inédites, l’exposition, organisée conjointement par le Centre Pompidou et le Musée Fabre, entend reconsidérer globalement cette artiste majeure, pour qui « le but de la sculpture, c’est d’abord la joie de celui qui la fait ».

Son travail vibrant de la terre, son expérimentation sur les matériaux, la couleur et l’espace disent sa volonté de créer des sculptures vivantes, à même de saisir l’humain dans sa violence et sa fragilité, de révéler sa vie intérieure et les métamorphoses qui le traversent. De ses premiers bustes des années 1930 à ses dernières expérimentations colorées, l’exposition offre un parcours riche de plus de cent cinquante œuvres, réunissant sculptures, gravures, dessins et peintures. Il montre combien Germaine Richier occupe, comme l’écrivait l’écrivain et critique d’art britannique David Sylvester, une position centrale et cruciale dans la sculpture contemporaine.

Seul l’humain compte

Germaine Richier, une rétrospective au Centre Pompidou
Germaine Richier, L’Orage et L’Ouragane, 1947-1948 – une rétrospective au Centre Pompidou.

« Plus je vais plus je suis certaine que seul l’Humain compte », écrit Germaine Richier. Au cœur de son œuvre se dresse la figure humaine, les visages et les corps dans leur vérité, tant singulière qu’universelle. Portraitiste renommée, elle sculpte tout au long de sa carrière une cinquantaine de bustes, attachée à saisir la présence et le caractère propre de ses modèles. L’exil de l’artiste en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale marque un tournant. Brisant la tradition du bloc, Richier oppose à l’esthétique du lisse le travail vibrant et expressif de la matière. À son retour à Paris en 1946, elle modèle L’Orage, être massif et sans visage, tenant « du roc ou de la souche autant que de l’homme écorché ». Ce travail sur le bronze, creusé, déchiqueté et troué, traduit paradoxalement l’illusion de la vie et du mouvement. L’artiste considère ses statues comme des êtres vivants, jusqu’à concevoir des tombeaux de pierre aux formes géométriques pour le couple que forment L’Orage et L’Ouragane.

Nature et hybridation

Ce renouvellement de la représentation passe par une hybridation de l’humain avec les formes de la nature. Nourri par sa fascination pour les plantes, les animaux et insectes qu’elle collecte, son œuvre se peuple de créatures (femme-araignée, homme-chauve-souris…) qui relèvent moins d’un bestiaire fantastique que de l’osmose entre l’homme et le monde animal, végétal et minéral.

Germaine Richier, La Chauve-souris, 1946. Bronze naturel nettoyé. H. 84cm l. 91cm P. 58cm E. 52cm (sans socle). H. 89,50cm l. 91cm P. 58cm (avec socle). Achat de la Ville de Montpellier avec la participation du FRAM Languedoc-Roussillon, 1996. inv. 96.10.1. © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole - photographie Frédéric Jaulmes
Germaine Richier, La Chauve-souris, 1946. Bronze naturel nettoyé. H. 84cm l. 91cm P. 58cm E. 52cm (sans socle). H. 89,50cm l. 91cm P. 58cm (avec socle). Achat de la Ville de Montpellier avec la participation du FRAM Languedoc-Roussillon, 1996. inv. 96.10.1. © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole – photographie Frédéric Jaulmes

Cette fluidité du vivant repose aussi sur une hybridation des formes, ses sculptures incluant des objets naturels, débris ramassés dans sa Provence natale : une branche d’olivier pour L’Homme-forêt (1945), un morceau de brique pour la tête du Berger des Landes (1951)…

Germaine Richier, L'Homme-forêt, petit, 2ème étape de création, 1945 © Adagp, Paris 2023 Photo : Centre Pompidou / Hélène Mauri Collection particulière
Germaine Richier, L’Homme-forêt, petit, 2ème étape de création, 1945 © Adagp, Paris 2023 Photo : Centre Pompidou / Hélène Mauri Collection particulière

De manière totalement inédite, l’exposition présente les sources de sa sculpture, réunissant un ensemble d’objets de l’atelier, petit cabinet de curiosité rassemblant bois flottés, galets, racines, insectes ou sa collection de compas comme des papillons épinglés…

Mythe et sacré

« L’œuvre de Richier est une initiation aux mystères », écrit Jean Cassou en 1956. À l’image de La Montagne, faites d’os et de branches, ses créatures hybrides, proto-humaines, se rattachent aux récits des origines, aux mythes, contes et légendes, dans lesquels ogres, hydres et tarasques oscillent entre le grotesque et le terrifiant.

Germaine Richier, une rétrospective au Centre Pompidou 03
Germaine Richier, La Montagne,1955-1956 – une rétrospective au Centre Pompidou

Imprégnée d’un sentiment panthéiste du monde, la sculpture de Germaine Richier est marquée par un sens profond du sacré. Son nom est d’ailleurs associé à ce qu’on a appelé « la querelle de l’art sacré » : le grand Christ de douleur qu’elle réalise pour l’église d’Assy, à la demande du père Couturier, suscite en 1951 un succès de scandale.

Germaine Richier, une rétrospective au Centre Pompidou
Germaine Richier, Christ d’Assy, 1951 – une rétrospective au Centre Pompidou

La représentation étant jugée blasphématoire par des groupes catholiques traditionalistes, le Christ est banni du chœur de l’église malgré les protestations, et ne retrouvera sa place qu’en 1969, dix ans après la mort de l’artiste. Cette œuvre, prêtée exceptionnellement par le diocèse d’Annecy, est présentée pour la première fois dans un musée.

Dessiner dans l’espace

L’exposition met en avant la réflexion de l’artiste sur les moyens même de la sculpture, en particulier la place du dessin. Le travail graphique est au cœur de son processus de création, qui trace directement sur le corps de ses modèles une « architecture de lignes », adaptation toute personnelle de son enseignement académique. Elle-même pratique intensivement la gravure dans laquelle se déploient ces jeux et variations graphiques.

La série des sculptures à fils, développées dès 1946, matérialisent la structure géométrique du vivant et ouvre l’œuvre à l’espace du spectateur, tout en créant des effets de tensions et de déséquilibre.

Germaine Richier, une rétrospective au Centre Pompidou
Germaine Richier, Le Griffu, 1952 – une rétrospective au Centre Pompidou

L’espace de l’œuvre, la question du socle et du fond, sont très tôt pris en compte par Germaine Richier qui projette ses figures dans l’espace et intègre les dispositifs de présentation dans ses bronzes.

Matériaux et couleur

Dans les années 1950, Germaine Richier mène une intense expérimentation sur les techniques et matériaux de la sculpture. Elle s’empare du plomb, métal malléable qu’elle fond elle-même et au sein duquel elle sertit des morceaux de verre colorés, détournant la technique du vitrail. Elle utilise aussi des os de seiches, matrices dans lesquelles le bronze en fusion est coulé.

Germaine Richier, une rétrospective au Centre Pompidou
Germaine Richier, L’échiquier, 1959 – une rétrospective au Centre Pompidou

La couleur prend progressivement une place cruciale dans ses œuvres. Germaine Richier demande à ses amis peintres de colorer le fond de certaines pièces : Maria Helena Vieira da Silva et Hans Hartung en 1952-1953, Zao Wou-Ki en 1956. À la fin de sa vie, elle ira jusqu’à peindre et émailler certains de ses bronzes ou plâtres, leur conférant une animation toute nouvelle, à l’image de L’Échiquier, grand polychrome, dernière grande pièce de l’artiste et synthèse de sa création, interrompue par sa mort précoce en 1959.

Germaine Richier, une rétrospective au Centre Pompidou
Germaine Richier, Le coupe peint, 1956-1959 – une rétrospective au Centre Pompidou

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