Germaine Richier, une magistrale rétrospective au Musée Fabre


Jusqu’au 5 novembre, le Musée Fabre présente « Germaine Richier, une rétrospective », un projet d’envergure organisé avec le Centre Pompidou où l’exposition a été présentée au printemps.

Avec une scénographie particulièrement réussie, un parcours et un accrochage très bien construits et légèrement différents de ceux présentés à Paris, l’exposition montpelliéraine est une proposition magistrale. Elle s’impose sans conteste comme une des plus remarquables de cette saison estivale.

« Germaine Richier, une rétrospective » rassemble près de 200 œuvres (sculptures, gravures, dessins et peinture) avec la volonté d’offrir une relecture de sa création et de souligner « ses résonances contemporaines, à l’heure d’une prise de conscience globale du vivant ».

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Hybridations
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Hybridations

L’exposition a bénéficier du soutien des ayants-droit de l’artiste et de grandes collections publiques et privées, françaises et internationales (Cnap, Centre Pompidou, Musée Fabre, Tate Modern, Kunstmuseum Basel, Louisiana Museum of Modern Art Humlebaek, Kunsthaus Zurich, Thin Chang Corporation, Taïpei).

Le projet s’est construit à partir de recherches inédites menées en France et à l’étranger dans de nombreux fonds d’archives avec l’ambition de montrer « combien Germaine Richier occupe une position centrale dans l’histoire de la sculpture moderne, comme un chaînon entre Rodin et le premier César ».

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - L’âme de la nature
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – L’âme de la nature

L’importance de Montpellier et du Musée Fabre dans l’histoire de l’artiste a logiquement conduit à cette collaboration entre les deux institutions.

En effet, née à Grans dans les Bouches de Rhône, Germaine Richier grandit à Castelnau-le-Lez, aux portes de Montpellier. Maud Marron-Wojewodzki, commissaire scientifique de l’exposition au Musée Fabre souligne combien sa proximité avec les paysages, la nature et les traditions languedociennes et méditerranéennes, ont indubitablement nourri son imaginaire :

« Enfant, elle a été marquée par la sécheresse du paysage, l’écorce noueuse des grands platanes, un sentiment qui va irriguer tout son travail. Le Midi va ainsi imprégner son œuvre. Elle s’intéresse au folklore et aux traditions populaires, comme en témoignent les sculptures La Tauromachie ou La Tarasque, ce monstre qui vivrait dans les marécages près de Tarascon. Sa Méditerranée, réalisée pour le pavillon Languedoc-Méditerranéen de l’Exposition universelle de Paris en 1937, porte quant à elle une coiffe arlésienne. Dans les gravures que l’on connaît moins, on voit émerger la croix de Camargue et le crochet des raseteurs des courses camarguaises. Par ailleurs, la faune et la flore provençales nourrissent très directement son art puisqu’elle demande régulièrement à ses proches de lui envoyer des bois flottés et des branchages qu’elle incorpore au plâtre lors de ses recherches sur l’hybridation des formes et des matériaux. Sa sculpture L’Eau intègre ainsi une amphore retrouvée aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Dans son fonds d’atelier, on retrouve aussi des petits pieds de taureau et des têtes de chevaux en céramique, des crucifix en céramique colorée qui ont pu l’inspirer dans son passage à la couleur ».

Germaine Richier devant le musée Fare dans les années 1920
Germaine Richier devant le musée Fare dans les années 1920

Entre 1921 et 1926, Germaine Richier se forme dans l’atelier de Louis Guigues, un ancien praticien d’Auguste Rodin à l’École des Beaux-Arts de Montpellier, installée alors au rez-de-chaussée du musée Fabre.

Dès 1938, une première œuvre est visible au musée montpelliérain. Le Loretto I (1934), premier achat de l’État français à l’artiste, y est déposé selon la volonté de Germaine Richier. Après le don d’un buste en 1984 (La Tête de Margueritte Lamy, 1956), les achats par la ville en 1996 de La Chauve-souris (1946) puis en 2007 de L’Escrimeuse (1943) et de L’Araignée (1946) ont permis de constituer un fonds auquel se sont ajoutés Buste N (1927-1928) acquit en 2010 et La Montagne (1955-1956) mise en dépôt par Centre Pompidou en 2006. Cet ensemble est ordinairement présenté en salle 45 dans la section Figuration et Abstraction au XXe siècle du parcours Modernité des collections du musée. À la réouverture de l’établissement après rénovation, un vaste espace au rez-de-chaussée a été baptisé Atrium Richier en hommage à la sculptrice.

Dans son essai pour le catalogue (Germaine Richier, l’espace-temps de l’œuvre), Maud Marron-Wojewodzki, qui assure le commissariat avec Michel Hilaire, revient plusieurs fois sur la « théâtralité de l’œuvre de Richier », sur ses tentatives « d’animation de la sculpture » et sur sa « réflexion scénique élaborée (…) dès l’installation des œuvres dans l’atelier ». La commissaire analyse la manière avec laquelle « de l’atelier jusqu’aux espaces d’exposition, l’art de Richier interroge la place du spectateur face à l’œuvre, et la manière dont celle-ci intègre les déplacements et l’environnement de celui qui la regarde ».

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - « Commencer l’espace »
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – « Commencer l’espace »

À la lecture de ce texte particulièrement bien documenté, on comprend pourquoi la mise en scène de « Germaine Richier, une rétrospective » à Montpellier joue avec finesse et subtilité de cette théâtralité de l’œuvre. Depuis l’évocation des années de formation à Montpellier jusqu’à L’Échiquier, grand (1959) qui termine le parcours, l’exposition multiplie les moments forts, parfois inattendus qui captivent et illuminent le regard du spectateur.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Expérimentations techniques et expérience de la couleur
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Expérimentations techniques et expérience de la couleur

Rythmé par d’imposantes reproductions de photographies de l’artiste dans son atelier, l’accrochage abonde en dialogues éclairants entre les sculptures, ponctués par des apports toujours appropriés d’œuvres graphiques.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Mythes et symboles Le sens du tragique
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Mythes et symboles Le sens du tragique

Le propos est articulé autour de textes qui introduisent les séquences d’un parcours chronologique et thématique. Des cartels enrichis complètent ces derniers et offrent aux visiteurs les repères nécessaires à la compréhension des œuvres. Quelques encadrés destinés aux enfants accompagnent des sculptures majeures de Germaine Richier. Clair et didactique, le discours n’est jamais pesant ou intimidant. Il sait laisser le spectateur déambuler librement et son œil découvrir et concevoir sans contraintes correspondances et conversations entre les œuvres et son imaginaire.

Après une brève introduction, de parcours s’organise en six séquences :

« Une architecture humaine »
L’âme de la nature
Hybridations
Mythes et symboles. Le sens du tragique
« Commencer l’espace »
Expérimentations techniques et expérience de la couleur

À la fin de la section « L’âme de la nature », « Germaine Richier, une rétrospective » propose un focus sur trois œuvres  : La Vrille, petite (1956), La Vrille (1956) et La Spirale (1957). La première est un coquillage brisé par la mer de quelques centimètres, triangulé au crayon par l’artiste. Ce modèle est agrandi en plâtre puis en bronze à la taille d’un mètre. L’année suivante, Germaine Richier a fait transposer La Vrille à une échelle monumentale. La fonte de La Spirale a été réalisée de manière posthume en 1961, selon les indications de l’artiste, pour l’École nationale supérieure de Cachan.

Dans le cadre du réaménagement de l’Esplanade, Montpellier Méditerranée Métropole souhaite produire un nouveau tirage de La Spirale pour l’installer dans l’espace public, répondant ainsi à un vœu de Germaine Richier. Dans cette perspective, un financement participatif a été mis en place au travers d’une page de don sur le site du Musée Fabre.

Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine, directeur du musée Fabre, est le commissaire général de l’exposition. Maud Marron-Wojewodzki, conservatrice du patrimoine, responsable des collections modernes et contemporaines en assure le commissariat scientifique.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Mythes et symboles Le sens du tragique
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Mythes et symboles Le sens du tragique

La scénographie remarquable est signée par Maud Martinot. L’éclairage précis et particulièrement complexe a été mis en œuvre par Olivier Chassagne avec le soutien de Pierre Rossignol.
La réussite de « Germaine Richier, une rétrospective » à Montpellier est également liée à l’important et discret travail de l’équipe du service d’exposition du musée Fabre dirigé par Marine Pauzier, assistée par Barbara Gaviria et Victoria Ferrieux.

Commun aux deux expositions, le catalogue édité par le Centre Pompidou a été réalisé sous la direction d’Ariane Coulondre, assistée de Nathalie Ernoult avec la participation scientifique du musée Fabre.

Il réunit des essais et des contributions de Ariane Coulmondre, Maud Marron-Wojewodszki, Florende Mèredieu, Ivanne Rialland, Michael Semff, Paul-Louis Rinuy, Geneviève Fraisse, Maryline Desbiolles, Philippe Lançon, Charles Stépanoff, Mika Biermann, ORLAN…
L’ensemble est complété par une chronologie illustrée, une anthologie de textes et des extraits de correspondances inédites.

À lire, ci-dessous, quelques regards sur le parcours de l’exposition, accompagnés des textes de salle.

En savoir plus :
Sur le site du Musée Fabre
Suivre l’actualité du Musée Fabre sur Facebook et Instagram
À lire Germaine Richier et la nature par Ariane Coulondre sur le site du Centre Pompidou et un très beau texte sur « L’Ouragane », vue par Marie Darrieussecq que l’on retrouve dans le catalogue.
À consulter les ressources sur les œuvres exposées dans la salle 45 du Musée Fabre

« Germaine Richier, une rétrospective » : Regards sur l’exposition

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Introduction
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Introduction

Languedocienne par sa mère, Provençale par son père, Germaine Richier s’installe en 1904 avec sa famille à Castelnau-le-Lez, près de Montpellier. Le paysage de la garrigue, sa nature indisciplinée, la faune et la flore méditerranéenne, nourrissent l’imaginaire de son enfance, tout comme les statues de pierre de la promenade du Peyrou, à Montpellier. En 1914, la découverte, à l’âge de douze ans, du cloître Saint-Trophime à Arles et de ses bas-reliefs romans est déterminante dans la vocation de sculptrice de Richier.

Deux ans plus tard, elle réalise l’une de ses toutes premières pièces, Le Faune, exposée en 1923 au Salon de Montpellier, alors qu’elle est étudiante à l’École des beaux-arts de la ville. Elle suit durant sa formation l’enseignement de Louis-Jacques Guigues, ancien élève d’Auguste Rodin, avec lequel elle apprend la technique de la taille directe et réalise principalement des portraits. Elle fréquente alors la scène artistique montpelliéraine, les peintres Camille Descossy, Georges Dezeuze, Suzanne Ballivet et Albert Dubout.

Loretto I, 1934 - Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Introduction
Loretto I, 1934 – Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Introduction

En 1926, Richier s’installe à Paris, pratique la sculpture auprès de Robert Coutin puis rejoint l’atelier d’Antoine Bourdelle, qui aura une influence déterminante : « Tout ce que je sais, c’est lui qui me l’a appris. Il m’a appris à lire une forme, à voir les formes […] Bourdelle a été grand dans l’enseignement de l’intime […] Il disait : c’est beau de se servir d’un compas, mais il faut savoir le faire mentir. »

« Une architecture humaine »

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - « Une architecture humaine »
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – « Une architecture humaine »

Tout au long de sa carrière, bien que s’en affranchissant parfois, Germaine Richier aura recours au modèle vivant pour son travail sculpté. À l’aide du compas, l’artiste prend les mesures exactes du sujet qu’elle reporte sur le plâtre, partant d’une vérité organique parallèlement à la recherche de l’expression des visages.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - « Une architecture humaine »
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – « Une architecture humaine »

La pratique des bustes, ses « gammes », dont elle réalisera une soixantaine d’exemples, est constante des années 1920 jusqu’à la fin des années 1950. En 1936, elle est la première femme à recevoir le prix Blumenthal pour son buste de Remi Coutin, d’une grâce juvénile. Mais progressivement, la représentation des visages évolue, notamment dans le traitement du bronze, dont l’artiste accentue peu à peu la rugosité, les trouées et reliefs, allant parfois jusqu’à la défiguration de ces têtes.

Si les deux premières décennies de création sont marquées par une représentation réaliste des corps et des figures, une émancipation vis-à-vis de l’anatomie humaine est elle aussi très tôt manifeste : les silhouettes sont souvent excessivement maigres et disproportionnées, tandis que la surface de la matière s’avère particulièrement accidentée.

Cet aspect se trouve renforcé dès 1939 et durant les années de guerre que l’artiste passe à Zurich, auprès du sculpteur suisse Otto Bänninger, son premier époux rencontré dans l’atelier de Bourdelle.

L’expérience de l’exil et la tragédie en cours entraînent une certaine gravité dans la production de cette période, faite de corps mutilés et de formes déchiquetées.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - « Une architecture humaine »
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – « Une architecture humaine »

L’âme de la nature

« Elle fait de ses personnages de véritables porte-nature, qui s’identifient complètement à des éléments, à des paysages, à des animaux. Ainsi, Germaine Richier est-elle le plus grand sculpteur de la métamorphose » Alain Jouffroy

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - L’âme de la nature
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – L’âme de la nature

Dès les années 1940, nombre de sculptures de Germaine Richier s’attachent à traduire le mouvement de la vie et de la nature, à l’évoquer sans pour autant le représenter directement. Les sujets de ses œuvres, auxquels Richier confèrent souvent une allure anthropomorphe, témoignent d’une pensée du vivant reliée aux cycles de la végétation et aux forces atmosphériques, dans une perspective qui se rapproche d’une spiritualité que l’on pourrait qualifier d’animiste.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - L’âme de la nature
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – L’âme de la nature

À cet égard, les sculptures, vivantes et changeantes, sont aussi conçues comme faisant partie d’un tout organique, ce qu’exacerbent les prises de vue des œuvres positionnées au cœur de la verdure du jardin de l’artiste : « C’est le paysage qu’elles habitent, mes sculptures. Vous savez, je les ai vues dans les feuilles, dans la boue. »

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - L’âme de la nature
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – L’âme de la nature

L’artiste va encore plus loin en réalisant pour deux de ses statues, L’Orage et L’Ouragane, de véritables tombeaux de pierre, symbolisant par-là la finitude de ses figures de bronze, à l’image de la trajectoire de chaque être vivant.

Hybridations

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Hybridations
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Hybridations

L’intérêt de Germaine Richier pour les formes naturelles la conduit, au-delà des thèmes traités, à créer des formes hybrides, mêlant les corps humain et animal, qui manifestent une force et une étrangeté inédites dans l’art de la statuaire contemporaine. Installée à Zurich entre 1939 et 1946, l’artiste commence à développer durant ces années un bestiaire largement inspiré de la faune méditerranéenne (elle se rend, malgré le contexte, régulièrement auprès de sa famille) et fait la part belle à l’action. Entre attente et recul, chacune de ses créatures semblent prêtes à se mouvoir.

Le Crapaud, 1940 - Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Hybridations
Le Crapaud, 1940 – Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Hybridations

Première occurrence de cet ensemble, Le Crapaud, réalisé en 1940, a la taille de l’amphibien tout en conservant une anatomie féminine. Cela ne sera plus du tout le cas avec La Chauve-souris ou La Cigale, dont la forme largement ouverte, fragile, s’accompagne d’un recours au bronze naturel nettoyé, dotant la surface d’un aspect doré, qui intensifie la part fantastique des figures créées.

Par ailleurs, Germaine Richier hybride également les matériaux de la sculpture, partant d’une pratique de collecte d’éléments naturels (bois flotté, coquillages) et manufacturés (céramiques, briques abandonnées, outils de l’atelier) qu’elle incorpore au plâtre et qui fusionnent avec les parties modelées au moment de la fonte du bronze pour créer une œuvre entière et unique, faite de tensions et de cassures : « J’aime le tendu, le nerveux, le sec, dit-elle, les oliviers desséchés par le vent, les bois cassants… Je suis plus sensible à un arbre calciné qu’à un pommier en fleurs… ».

L’ atelier

Comme en tout atelier régnait un grand désordre éclaboussé ou saupoudré de plâtre, et de la glaise collait au plancher. En des vitrines noires, mais poussiéreuses, au long des murs, des boîtes d’insectes fabuleux (…) Il y avait des bustes classiques, élégants et fins, des visages rigoureusement modelés, des statuettes de femmes accroupies (…) Sur leur socle, un peu partout, se dressaient des petits monuments récents recouverts d’une étoffe humide et que l’artiste arrosa avec un vaporisateur avant que nous sortions. Georges Limbour

Dès 1933, Richier s’installe dans un atelier situé avenue de Châtillon à Paris, qu’elle conserve jusqu’à sa mort en 1959. Une partie du fonds d’atelier est présentée dans cette salle, témoignage de la pratique tant de collecte que de collection à laquelle procède l’artiste. Outils, matériaux et objets divers se mêlent aux sculptures, nourries par ces formes organiques, qu’il s’agisse des nombreux bois flottés, végétaux, pierres, coquillages, collectés sur les plages de Camargue, ou des squelettes d’insectes achetés à la maison Deyrolle. Ces objets, conservés dans des vitrines ou amoncelés à proximité des œuvres, répondent, sur un mur, « à une armée de compas épinglés comme des papillons », conférant une vie propre à cet atelier.

Mythes et symboles. Le sens du tragique

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Mythes et symboles Le sens du tragique
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Mythes et symboles Le sens du tragique

La sculpture de Germaine Richier se nourrit d’un univers légendaire, de figures symboliques et folkloriques qui ont à voir avec les mystères de l’existence et sa dimension tragique. Germaine Richier s’exprimait ainsi, à la fin de sa vie : « Nous, les Méridionaux, nous avons une apparence joviale, mais, dessous, nous portons un drame ». Bien qu’elle ait toujours refusé d’être associée au surréalisme, l’imaginaire et l’étrangeté à l’œuvre dans son travail font écho à la production des acteurs de cette mouvance, pareillement empreinte d’un recours au mythe. Richier fréquente d’ailleurs les cercles qui y sont apparentés : en 1947, le poète Georges Limbour rencontre Germaine Richier à son atelier – il écrira un texte relatif à cette visite – tandis qu’une relation amoureuse débute en 1948 avec l’écrivain René de Solier, qu’elle épouse en 1954, et avec lequel elle fréquente le monde littéraire. Si nombre d’écrivains, notamment liés à la Nouvelle Revue Française, écrivent sur l’oeuvre de la sculptrice, Germaine Richier se plaît parallèlement à illustrer plusieurs ouvrages et à trouver dans la gravure, à laquelle elle s’adonne dès 1947, des correspondances visuelles à la poésie.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Mythes et symboles Le sens du tragique
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Mythes et symboles Le sens du tragique

Ce rapport aux mythes et aux symboles va de pair avec une tension sacrée et spirituelle qui irrigue sa sculpture, atteignant son acmé dans la commande publique qui lui est faite en 1950 d’un Christ pour l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce à Assy. Ce Christ longiligne, sans visage, le corps marqué et boursouflé, suscite l’ire de groupes catholiques traditionalistes et déclenche ce qui sera connu sous l’expression de « la querelle de l’art sacré ». Retiré du maître-hôtel en 1951, il n’y sera replacé que dix ans après la mort de Richier, en 1969.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Mythes et symboles Le sens du tragique
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Mythes et symboles Le sens du tragique

« Notre époque, au fond, est pleine de griffes. Les gens sont hérissés comme après les guerres. Pour moi, dans les œuvres violentes, il y a autant de sensibilité que dans les œuvres poétiques. Il peut y avoir autant de sagesse dans la violence que dans la douceur. » Germaine Richier

« Commencer l’espace »

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - « Commencer l’espace »
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – « Commencer l’espace »

« L’impression que je vois, entre leurs fils, commencer l’espace »
Jean Paulhan

En 1946, apparaît avec L’Araignée I, les premières « sculptures à fils » dans la carrière de Germaine Richier. Elle qui créait, à travers la méthode de la triangulation, permettant le report des mesures, des réseaux de lignes sur ses plâtres, va intégrer des fils métalliques tridimensionnels à ses figures hybrides. Ces fils en relient les membres et constituent une géométrie qui englobe l’espace environnant de l’œuvre, joue avec lui tout en conférant fragilité et instabilité à la sculpture. Dans certains cas, les fils semblent en effet contraindre le mouvement des membres pris en otage dans un maillage, tandis qu’ils permettent, au sein de certaines pièces, de relier différentes formes au sein d’un même ensemble, en complexifiant la composition.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - « Commencer l’espace »
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – « Commencer l’espace »

En outre, cette conception ouverte de l’espace de la sculpture accompagne une réflexion sur la présentation des œuvres et leur confrontation avec l’espace du spectateur : certaines d’entre elles ont pu être suspendues au plafond lors d’expositions, tandis que Richier met en scène régulièrement ses réalisations, en témoigne l’exposition de 1956 au musée national d’Art moderne où les pièces se répondent les unes aux autres et crée « l’étonnement de découvrir les relations secrètes qui tissent un réseau invisible entre chacune de ces statues » (Alain Jouffroy).

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - « Commencer l’espace »
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – « Commencer l’espace »

Expérimentations techniques et expérience de la couleur

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Expérimentations techniques et expérience de la couleur
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Expérimentations techniques et expérience de la couleur

La dernière décennie de création de Germaine Richier va être marquée par l’expérimentation de différents matériaux et des techniques qui la mènent aux confins de l’abstraction. Sa série de Guerriers en bronze, débutée en 1953, donne à voir un travail de modelage à partir de chutes de cire, où transparaît davantage encore le geste de la main de l’artiste selon une remarquable économie de moyens.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Expérimentations techniques et expérience de la couleur
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Expérimentations techniques et expérience de la couleur

Cette part abstraite se fait saillante dans l’ensemble des Seiches, imaginé l’année suivante à partir d’os incisés qui servent de matrice, ensuite détruits par le bronze en fusion, donnant ainsi place à des tirages uniques. Ces nouvelles explorations matérielles se poursuivent avec la pratique du plomb et de l’émail, qui signe l’apparition de la couleur dans la production de Richier.

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Expérimentations techniques et expérience de la couleur
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Expérimentations techniques et expérience de la couleur

Dès le début des années 1950, la couleur prend effectivement une place de plus en plus importante dans le travail de Richier, en atteste un ensemble d’œuvres réalisées en collaboration avec des amis peintres, Zao Wou-Ki, Maria Helena Vieira da Silva ou Hans Hartung notamment, qui conçoivent de véritables décors peints pour les êtres sculptés de Richier. L’artiste peint également, durant les derniers mois de sa vie, ses propres bronzes ou plâtres, conférant un rayonnement et une vivacité singulière à ses pièces, une expérience reliée au plaisir et à la joie de celui qui crée :

« Dans cette affaire de couleur, j’ai peut-être tort, j’ai peut-être raison. Je n’en sais rien. Ce que je sais, en tous les cas, c’est que cela me plaît. La sculpture est grave, la couleur est gaie. J’ai envie que mes statues soient gaies, actives. Normalement, une couleur sur de la sculpture, ça distrait. Mais après tout, pourquoi pas ? » Germaine Richier

Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre - Expérimentations techniques et expérience de la couleur
Germaine Richier, une rétrospective au Musée Fabre – Expérimentations techniques et expérience de la couleur

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