Louis Pons (1927-2021), j’aurai la peau des choses au Musée Cantini – Marseille


Jusqu’au 3 septembre 2023, le Musée Cantini présente « Louis Pons (1927-2021), j’aurai la peau des choses », une magistrale rétrospective, produite en collaboration avec Lympia – Espace Culturel Départemental de Nice où un cette exposition a été présentée du 5 novembre 2022 au 26 février dernier.

Louis Pons - Mon établi, 1983-1986 - J'aurai la peau des choses au Musée Cantini
Louis Pons – Mon établi, 1983-1986 – J’aurai la peau des choses au Musée Cantini

On attendait avec intérêt de découvrir cette proposition sur un artiste inclassable dont l’« œuvre, faite de milliers de dessins et de centaines d’assemblages d’éléments trouvés et transformés, échappe aux définitions et aux catégories habituelles : ni artiste “brut” au sens que Jean Dubuffet donnait à l’adjectif, ni surréaliste en dépit de quelques affinités passagères » écrivait Philippe Dagen dans Le Monde, peu après sa disparition en janvier 1921, à l’âge de 93 ans.

« Louis Pons (1927-2021), j’aurai la peau des choses » est la première exposition dans un musée marseillais, reconnaissance tardive, mais remarquable pour cet artiste originaire du quartier des Chartreux.

Plus d’une soixantaine de dessins et une quarantaine d’assemblages composent cette rétrospective qui montre la permanence des thèmes explorés par Louis Pons et la cohérence d’une œuvre depuis les années 1950 jusqu’à sa mort.

Le parcours chronologique et thématique s’appuie sur un accrochage particulièrement intelligent et sensible qui permet au regard de rebondir avec délectation du dessin à l’assemblage et à l’aphorisme. Il offre surtout à celles et ceux qui découvriront son univers de suivre Louis Pons dans « un monde aux frontières du fantastique, parfois inquiétant quand il n’est pas mis à distance par l’humour qui en dissipe les monstruosités ».

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini
Louis Pons , j’aurai la peau des choses au Musée Cantini

Aucune section n’articule réellement la construction de l’exposition. Par contre, des textes de salles ponctuent régulièrement le parcours avec des accents portés sur la pratique de Louis Pons (Le dessin ; Répétitions et variations ; Les assemblages ; Les enveloppes), sur ses « influences » (Un art singulier) et sur ses thématiques (Objets tabous, sujets sensibles ; Au cœur du végétal, le bestiaire et l’image de la femme).

L’accrochage entremêle avec pertinence, dessins, assemblages et aphorismes. Il propose des rapprochements éclairants, parfois piquants et perturbants, mais toujours très justes. Il permet de voir combien dessins et assemblages sont étroitement liés et de constater à quel point ces deux pratiques sont indissociables.

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini
Louis Pons , j’aurai la peau des choses au Musée Cantini

Une mise en lumière particulièrement soignée permet, à de très rares exceptions, d’apprécier toute la richesse et la profondeur du dessin de Pons. Dans ce geste qui n’autorise guère le repentir, où le « trait est préféré à la ligne », où « l’inquiétude, l’angoisse, le désespoir, la cruauté, la farce, l’hénaurme [sic], le grotesque, l’humour, l’éclat de rire, le désir, l’excitation sexuelle engendrent les populations fantastiques hantant les recoins d’ombre ». ( Extraits de La pelote, la boite et le tas, un texte de Fréderic Valabrègue pour le catalogue de l’exposition).

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini
Louis Pons , j’aurai la peau des choses au Musée Cantini

La scénographie très sobre s’appuie sur les cimaises installées ces dernières années dans la grande salle depuis les expositions consacrée à Gérard Traquandi puis à Jules Perahim. Les musées de Marseille semblent ainsi confirmer leurs préoccupations environnementales avec l’abandon de la tabula rasa pour chaque nouveau projet…

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini
Louis Pons , j’aurai la peau des choses au Musée Cantini

Les œuvres sont issues de collections particulières et de nombreuses institutions (Cnap, Frac Sud, Fond communal d’art contemporain de Marseille, Musée de Forcalquier, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, Musée Regard de Provence) ainsi que de galeries qui ont soutenu le travail de Louis Pons (Galeries Chave à Vence, Claude Bernard à Paris et Béatrice Soulié à Marseille).

Le commissariat est assuré conjointement par Adrien Bossard, conservateur du patrimoine et directeur du musée départemental des arts asiatiques et de l’espace culturel Lympia à Nice et par Claude Miglietti, directrice du Musée Cantini. Fréderic Valabrègue et François Bazzoli ont été conseillers scientifiques du projet.

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini
Louis Pons , j’aurai la peau des choses au Musée Cantini

L’exposition est accompagnée par un excellent catalogue publié par Silvana Editoriale, sous la direction de Claude Miglietti, Fréderic Valabrègue, Adrien Bossard et Benoit Dercy. Les essais sont signés par Philippe Dagen, Frédéric Valabrègue, François Bazzoli, Rebecca Zoubrinetzky, Philippe Charlier, Isabelle Laban-Dal Canto. Ils sont complétés une anthologie de textes de Christian Dotremont, Louis Pons et Kristell Loquet, Alain Paire, François Chapon, Pierre Tilman, Christer Strömholm, Anatole Desachy et Brigitte Ollier.

Les regards photographiques sur le parcours de l’exposition qui suivent sont accompagnés des textes de salles. Les aphorismes qui structurent le parcours sont également reproduits. Ils sont extraits des ouvrages suivants : Le Dessin, Éditions Robert Morel, 1968 – Bref !, Éditions Marie Morel, 1996 – Vieux nu un sécateur à la main dans une vallée de ronces, Éditions Myrddin, 1996 – Suite et fin, aphorismes, Eine, Montigny, Éditions Voix Richard Meier, 1997 – Louis Pons par Louis Pons, Éditions du Cercle d’Art, 1998 – Dernières nouvelles de l’oubli, Éditions Fata Morgana, 2008.
On reproduit également les textes présents à l’espace Lympia, largement inspirés de l’essai La pelote, la boite et le tas de Fréderic Valabrègue pour le catalogue.

Conférence de Frédéric Valabrègue, enregistrée le 4 mai 2023 à la bibliothèque de l’Alcazar à Marseille

En savoir plus :
Sur le site du Musée Cantini
Sur le site de l’Espace Lympia
Louis Pons
sur les sites des galeries Claude Bernard, Chave et Béatrice Soulié

Louis Pons à Eygalières en 1991
Patrick Box – Atelier (Louis Pons à Eygalières en 1991)

« Louis Pons (1927-2021), j’aurai la peau des choses » au Musée Cantini : Regards sur l’exposition

Ce projet a vu le jour grâce à l’étroite collaboration du musée Cantini et de l’Espace Lympia à Nice.
Des années 1950 a sa mort, de l’aphorisme au dessin, du dessin à l’assemblage, Louis Pons nous entraine dans un monde aux frontières du fantastique, parfois inquiétant quand il n’est pas mis à distance par l’humour qui en dissipe les monstruosités. Alors ce monde, notre monde, devient fascinant
Plus d’une soixantaine de dessins, une quarantaine d’assemblages composent une rétrospective riche et singulière qui met en évidence les questionnements qui ont traversé toutes les périodes et la permanence des thèmes explorés.
Nul n’est prophète en son pays, si l’expression est galvaudée c’est parce qu’elle prend souvent sens à l’aune des reconnaissances tardives. C’est le cas de Louis Pons pour qui c’est la première exposition dans un musée marseillais.

Louis Pons - Mon établi, 1983-1986 - J'aurai la peau des choses au Musée Cantini
Louis Pons – Mon établi, 1983-1986 – J’aurai la peau des choses au Musée Cantini

Salons ouverts sur les jardins

Mon double… il sait que tous les murs sont de papier et que le pinceau des rêves les traverse.

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Brève chronologie

1927

Naissance à Marseille, quartier des Chartreux
1944-1945
Obtention d’un CAP ajusteur à l’École des Métiers d’Endoume
Commence à dessiner pour la presse
1946-1949
Commis à la librairie Laffite, Marseille
Découvre l’œuvre de Louis Soutter dans la revue Labyrinthe Fréquente les poètes des Cahiers du Sud qui l’introduisent auprès de Joe Bousquet à Carcassonne
1949
Après un séjour en sanatorium, s’installe à la campagne avec Suzanne Valabrègue
1952
1ére exposition personnelle à la galerie Alphonse Chave, Vence
1959
Après plusieurs déménagements, le couple se fixe à Sillans-la-Cascade, Haut-Var
Construit ses premiers assemblages
1960
Exposition à la galerie Le Clou, Forcalquier
1962
1ère exposition d’assemblages, 33 jouets pour adultes à la galerie Alphonse Chave
1969
Exposition à la galerie Le Point Cardinal, Paris
Publication du 1er catalogue Participe à l’exposition collective Naissance d’une collection au musée Cantini
1971
Lauréat du prix de la Fondation Bill Copley
1972
Décès de Suzanne Valabrègue
Rencontre Nelly Leban qui partagera sa vie
1973
S’installe à Paris
1974
Présentation de Vivre vite à la galerie Le Point Cardinal
1976-1981
Participe à des expositions collectives à Paris au musée d’Art Moderne et au Centre Pompidou ainsi qu’à la Maison de la Culture de Rennes
1982-1984
Expositions à la galerie Alphonse Chave et au musée d’Art de Toulon, la galerie Claude Bernard présente ses œuvres à la Foire d’art internationale de Chicago.
Acquisition de Vivre Vite
par le Fonds national d’art contemporain
1988
Exposition à la galerie Claude Bernard, Paris
1999
Publication d’une monographie chez Somogy, Éditions d’art
1997-2011
Expositions au musée Ziem, Martigues, au musée Fenaille, Rodez et au musée Hébert, La Tronche
Exposition à la galerie Béatrice Soulié, Paris
2021
Décède à Marseille
Exposition hommage à la galerie Béatrice Soulié, Marseille

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Objets tabous, sujets sensibles

L’intégration par Louis Pons de restes humains dans ses œuvres heurte assurément notre sensibilité actuelle. La dépouille, expression crue et matérielle de la mort, a désormais disparu de notre environnement proche et a été reléguée dans des lieux spécialisés. Au regard de l’histoire de l’art et de l’histoire des comportements, il n’en est rien.

En 1973-1974, Louis Pons associe une mystérieuse momie péruvienne à une moto sortie du bassin du Carénage de Marseille. Il explique que le rapprochement s’est fait tout seul, ce qui n’est pas sans rappeler le célèbre Cavalier de l’Apocalypse d’Honoré Fragonard : « la momie sur la moto comme le Chevalier de la mort, ça allait de soi ». Par leur position très particulière et l’aspect dramatique de leur visage, certaines momies Chachapoya ont été des sources d’inspiration artistique : celle du musée de l’Homme est ainsi à l’origine du Cri d’Edvard Munch (1893), mais aussi d’Eve bretonne (1889) ou de La misère humaine (1998) de Paul Gauguin. Louis Pons s’inscrit ainsi peut-être plus « brutalement », dans cette ligne d’influence, écrite Philippe Charlier (Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris). Il nous apprend aussi que par sa « morphologie, elle correspond aux momies de la civilisation Chachapoya (Pérou. IX°- XV° siècle). Largement pillées au cours de la fin du XIX° siècle, ces momies que la haute altitude et un climat sec et venteux avaient préservées ont inondé les cabinets de curiosités européens et les musées d’ethnographie. L’examen anthropologique et médico-légal de cette momie confirme son ancienneté et son authenticité : les empreintes du “fardo” (ce paquet funéraire fait de textiles, de fibres végétales et parfois de cuir animal) dans laquelle elle avait été déposée sont encore nettement visibles, ainsi que la ligature des deux mains coincées entre les genoux et le tronc ».

Galerie

Le regard aigu, il disait gentiment J’aurai la peau des choses.

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Je suis l’homme des greniers, des couloirs de l’alcove et de l’ombre, des taillis, de la combe, des failles et des gouffres

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Un art singulier

Autodidacte, Louis Pons s’est forgé une culture artistique et littéraire tout à fait conséquente, mais celle-ci ne lui apparaît pas comme une valeur essentielle. Il est un artiste « singulier » dans la mesure où son œuvre ne s’inscrit pas dans un courant esthétique. Si elle peut parfois s’approcher de l’art brut ou du surréalisme, la pratique de Pons est avant tout l’outil d’une exploration éminemment personnelle. C’est dans la détermination de ses attirances et de ses admirations qu’il puise le courage d’aller vers sa singularité. Il revendique ainsi des références aussi variées que le graveur et peintre hollandais du XVIIe siècle Hercule Seghers, le dessinateur et graveur français Rodolphe Bresdin (1822-1885), le peintre et dessinateur suisse Louis Soutter (1871- 1942) et le plasticien allemand Wols (1913-1951).

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Le dessin

Sa première pratique du dessin est celle incisive et satirique des journaux. Il force le trait pour servir le propos. Plus tard, installé à la campagne, son trait se précise avec l’observation sur le motif. Comme l’écriture, le dessin n’appartient pas à un lieu mais ouvre la possibilité de l’errance, presque rien dans les mains ni dans les poches. L’expérimentation la plus importante de cette période est la gravure, l’art du non-retour; rien de ce qui s’inscrit ne peut être repris. Un dessin de Louis Pons n’est jamais précédé d’une étude. Aucun projet, aucun plan ne le sous-tend. Il devient le développement de la plus petite unité possible, le point. Celui-ci devient un nœud qui, s’accroissant, débusque la figure camouflée.

Déroulant le fil noir au coeur du labyrinthe, dans l’espoir insensé de trouver l’étoile blanche de l’apaisement

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Clairières douces comme un lit de cendre après l’incendie

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Au coeur du végétal, le bestiaire et l’image de la femme

Louis Pons vit à la campagne et ancre son travail sur le motif dans les paysages qui l’entourent. L’essentiel de ses oeuvres à la plume a été réalisé à Sillans-la-Cascade où il s’installe dès 1959. Lors de longues promenades, il s’attarde sur l’infiniment petit : traces, empreintes, constructions animales: nids, cocons, maçonnerie de guêpes… La faune et la flore occupent une place prépondérante dans l’iconographie de Louis Pons. On y trouve également des représentations féminines. À la fois Vénus et poupées russes, elles sont animées par un désir érotique propre à l’imaginaire de l’artiste. D’autres élans d’énergie donnent forme à l’informe. Humaines ou animales, parfois les deux, des créatures hybrides surgissent du geste créatif.

Fatalité. De ma plume naît souvent un oiseau

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Il sait comment les pierres s’écroulent.
Il sait comment les rochers pleurent sous la pluie

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Grande salle – Première partie

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Pose avec le même amour, chaque trait, que l’oiseau la brindille au nid

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Aucun objet n’est privilégié, il est toujours le masque d’un secret perdu

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

J‘ai certainement pour ancêtre une dentellière folle

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Grande salle – Deuxième partie

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Répétitions et variations

Il reste quelques exemples de caricatures de Louis Pons proposées à différents journaux et les traces de ses premières intuitions se retrouvent tout au long de son œuvre, tout particulièrement dans les séries de visages répétées sur une même planche. Ensemble de vignettes faisant le tour d’un même ou de plusieurs personnages, chaque case marque une variation ou une disposition différente à l’égard du sujet. Le dessin tient du plan-séquence ou d’un déroulement image par image. Si le trait est tellement grossi, c’est par une sorte de distance par rapport à l’état d’esprit dans lequel il se trouve mais avec lequel il désire jouer. Les différentes versions du même motif proposent un parcours qui part d’un sujet habité de plain-pied, jusqu’à une vision seconde, teintée d’une légère moquerie.

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Les assemblages

Le dessin laisse place à l’assemblage à la fin des années 1960. L’assemblage – que Louis Pons nomme également montage devient alors sa pratique essentielle avec une attention accrue à la couleur et aux patines. Si le dessin a besoin de la feuille pour support, l’assemblage recourt à un équivalent avec la planche à hacher, la boîte, le tiroir ou n’importe quel vieux dessus de table. La plupart des assemblages sont faits pour être accrochés au mur et ne quittent pas la bidimensionnalité. À l’époque où il séjourne à la campagne, les objets collectés évoquent le monde rural. Si la poubelle d’Arman est urbaine, celle de Louis Pons semble sortir d’un vieux poulailler. Son installation à Paris ne fait cependant pas varier les objets collectés qu’il ajuste, en bon ajusteur diplômé mais sans visée fonctionnelle, en bon artiste. Il existe un continuum entre la collecte des objets, l’atelier, le dessin et le montage.

Les connexions peuvent être arbitraires, mais les monstres doivent être viables
Parler à la souris, à la fourmi, à la sauterelle on l’oiseau, le dialogue est facile Avec mon voisin, la difficulté commence

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Dans ses mains, tout se transforme en l’autel de l’oubli
Dans la forêt du trait poussent des champignons vénenenx

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Petite salle en cul de sac

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

La main folle sur la feuille me donne chaque jour une leçon de sagesse

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

Les enveloppes

Les enveloppes sont le plus souvent dessinées sur les deux faces, au stylo ou à la plume parfois rehaussées au crayon de couleur. Elles permettent de porter un regard plus léger sur le reste de son œuvre en faisant saillir la composante humoristique faisant écho à ses premiers dessins de presse. L’homme-oiseau constitue ainsi un lien entre l’artiste et la nature comme en témoignent les aventures de Snop (Pons à l’envers). Il a aussi l’habitude de se caricaturer en vieux rat. Réel ou fabuleux l’animal l’habite et l’anime dans la réalité comme dans l’imaginaire.

Le collage c’est l’un dans l’autre et réciproquement. Tout est aimanté
La lumière du Sud est est le ciment de mon travail

Louis Pons , j'aurai la peau des choses au Musée Cantini

« Louis Pons (1927-2021), j’aurai la peau des choses » à l’espace Lympia

« l’outil en sait plus que la main, la main que la tête »

Autodidacte, Louis Pons s’est forgé une culture artistique et littéraire tout à fait conséquente, mais celle-ci ne lui apparaît pas comme une valeur essentielle. Il est un artiste « singulier », c’est-à-dire dont l’œuvre n’est jamais recadré par un courant esthétique dominant. Si elle donne lieu à des correspondances formelles avec l’art brut ou le surréalisme, la pratique de Pons est avant tout l’outil d’une exploration éminemment personnelle. Celle-ci commence dès l’enfance, marquée par des images médiévales, des œuvres de Dürer et de Goya, des visites au musée des Beaux-Arts de Marseille. À la fin des années 1940, une rencontre avec le poète Joë Bousquet (1897-1950) s’avère particulièrement déterminante.

Avec une précision étonnante, il s’oriente par la suite vers des maîtres, fort éloignés les uns des autres dans le temps, qui répondent à ce qu’il pense être sa vérité. C’est dans la détermination de ses attirances et de ses admirations qu’il puise le courage d’aller vers sa singularité. Il revendique ainsi des références aussi variées que le graveur et peintre hollandais du XVIIe siècle Hercule Seghers, le dessinateur et graveur français Rodolphe Bresdin (1822-1885), le peintre et dessinateur suisse Louis Soutter (1871- 1942) et le plasticien allemand Wols (1913-1951).

Les dessins de Pons

Pose avec le même amour, chaque trait, que l’oiseau la brindille au nid.

La vie à la campagne est le lieu du dessin de Louis Pons, l’essentiel de son oeuvre tracé à la plume ayant été réalisé à Sillans-la-Cascade où il s’installe à partir de 1959. Lors de longues promenades, il s’attarde sur les machines agricoles ou sur l’infiniment petit. Les traces, les empreintes, les constructions animales : nids, cocons, maçonnerie des guêpes, papier mâché des frelons lui enseignent un autre type de dessin que celui qu’il pratiquait en citadin.

La faune et la flore occupent une place prépondérante dans l’imagerie de Louis Pons. On y trouve également des représentations féminines constituées de divers emboîtements. À la fois Vénus et poupées russes, elles sont animées par un désir érotique propre à l’imaginaire de l’artiste. D’autres élans d’énergie donnent forme à l’informe. Humaines ou animales, parfois les deux, des créatures hybrides surgissent du geste créatif. Le dessinateur et sa plume fusionnent pour donner naissance à un homme-oiseau.

Ce double caricatural de l’artiste qu’il nomme Snop (Pons à l’envers) se retrouve sur les milliers d’enveloppes dessinées, généralement sur les deux faces, au stylo et à la plume, parfois rehaussées de couleurs. Au cours des années 2000, cette correspondance illustrée constitue pour Louis Pons un entraînement quotidien, sa « gymnastique suédoise du dessin ».

Les assemblages

Le collage c’est l’un dans l’autre et réciproquement. Tout est aimanté.

Le dessin laisse place à l’assemblage à la fin des années 1960 quand Louis Pons connaît de sérieux problèmes de nerf optique lui causant des douleurs dans les cervicales. Les tensions occasionnées par un dessin de plus en plus fouillé et foisonnant s’avèrent insupportables. L’assemblage – que Pons nomme également montage – devient alors la pratique essentielle avec des formats de plus en plus ambitieux et une attention plus vive à la couleur et aux patines. Son installation en 1973 dans un grand atelier à Paris lui permet d’accumuler un nombre d’éléments encore plus impressionnant. Il s’agit du point culminant du « tas », ce monticule de rebuts collectés qui alimente les assemblages de Louis Pons. La collection d’exemples ou de modèles ramassés au cours des promenades exerce un pouvoir d’attraction qui pousse certains des éléments à s’unir.

À l’époque où Pons séjourne à la campagne, les objets collectés évoquent bien entendu le monde rural. L’artiste a d’ailleurs revendiqué cette ruralité, à une époque qui se focalise sur la ville. Si la poubelle d’Arman est urbaine, celle de Pons semble sortir d’un vieux poulailler. L’installation de Pons à Paris ne fait cependant pas varier les objets collectés.

Un objet n’est rien en lui-même, c’est son voisinage qui lui sert de tremplin et de chambre d’échos. Pons concocte des rapprochements de matériaux récupérés, d’objets défectueux, de débris hétéroclites et de restes désuets. En bon ajusteur diplômé, il les ajuste, mais sans visée fonctionnelle, en bon artiste. Les éléments sont autant artisanaux qu’industriels, autant matières que matériaux, autant textures que formes.

Les objets sont liés et conjugués tandis que leur association est scellée par le clou, la colle, le liant, la ligature, le noeud. Le point crucial d’un assemblage est son articulation, avec une question sous-jacente : qu’est-ce qui fait tenir ensemble ce qui n’aurait jamais dû se rencontrer ?

Le bestiaire

Fatalité. De ma plume naît souvent un oiseau.

Les animaux sont nombreux dans les dessins et les assemblages de Louis Pons. On y croise souvent l’effigie d’un oiseau au long bec qui fait office de signature au revers de ses enveloppes et dans bien d’autres circonstances. Cet oiseau anthropomorphe n’appartient à aucune espèce répertoriée. Il tient du corbeau, du toucan aussi parfois, ou du kiwi. Ses ailes courtes n’annoncent pas un virtuose de l’altitude ou de la vitesse, mais son oeil rond signale un regard perçant et un esprit rapide. Le bestiaire de Pons est loin de se limiter à cet oiseau. Il comporte par ailleurs des chats, des rongeurs, des chevaux, des insectes, des grenouilles, etc. Dans une réalité déformée, ses dessins montrent également des monstres hybrides, nocturnes et diurnes, que l’on retrouve dans les assemblages.

Réel ou fabuleux, l’animal incarne la nature : il l’habite et l’anime dans la réalité comme dans l’imaginaire et les rêves de l’artiste. Il constitue ainsi un lien entre l’artiste et la nature comme en témoignent les aventures de Snop (Pons à l’envers), l’homme-oiseau qu’il invente, ou son habitude de se caricaturer en vieux rat.

Le tas

Le regard aigu, il disait gentiment.

J’aurai la peau des choses.

L’atelier est cet endroit où l’on tente de résoudre ce double mouvement qui fait, dans un premier temps, sortir de soi-même pour aller à la rencontre des choses, puis, dans un second, s’enfermer pour les digérer. Si cette double aspiration – aller vers le dehors, regagner le dedans – se trouve résolue, c’est grâce à la nature microcosmique de l’atelier : il reconstitue le monde, mais à une échelle moindre qui le met à portée de main.

Louis Pons a pu bénéficier d’un espace de travail suffisamment vaste pour favoriser l’accumulation dès son installation à Sillans-la Cascade en 1959. Il n’est pas anodin que son premier assemblage date de cette même année. Son atelier est un lieu de gestation pour les objets qu’il ramasse et qui s’y amassent. Rien n’est trié, ni par matériau, ni par forme. Au contraire, l’ensemble reste au stade du tas.

Une montagnette d’objets trouvés occupe la plus grande place dans son atelier parisien où il s’installe en 1973. Plus rien ne s’y discerne, en tout cas plus aucun souvenir du choc de la rencontre, de la surprise de la trouvaille, rendant chacun de ces éléments indispensables et exceptionnels. Pons re-trouve des choses dans ce tas qui a une vie propre. De ce monticule se détachent des improvisations prenant à peine corps ; les objets sont à la recherche d’un ordre, d’une construction.

Le grand fourre-tout tourne comme le cycle des saisons : la dernière couche apparente est bientôt enterrée, puis ce qui a été enfoui ressurgit par le dessous. Le tas efface la limite entre les choses, les recouvre sous la même patine, ou réconcilie des formes apparemment antagonistes en révélant peu à peu leurs correspondances.

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