Célia Cassaï – Cueillir la Terre à la Galerie Territoires Partagés – Marseille


Jusqu’au 1er juillet 2023, Célia Cassaï présente « Cueillir la Terre » à la Galerie Territoires Partagés. C’est sans doute une des expositions qui a marqué le week-end d’ouverture de la 15édition du Printemps de l’Art Contemporain à Marseille (PAC 2023). « Cueillir la Terre » est une proposition très aboutie, cohérente et bien conçue qui joue parfaitement avec les espaces de la galerie.

Célia Cassaï - Cueillir la Terre - Galerie Territoires Partagés - Photo ©Nassimo Berthomme
Célia Cassaï – « Cueillir la Terre » à la Galerie Territoires Partagés – Photo ©Nassimo Berthomme

On avait découvert avec intérêt le travail de Célia Cassaï à l’occasion de « Après l’école – 2e biennale artpress des jeunes artistes » au MO.CO. La Panacée, l’automne dernier. Dans une séquence intitulée « Création de formes et développements du vivant », elle présentait en compagnie de tableaux de feuilles d’Élie Bouisson, d’une charogne et d’un vivarium bricolé où des grillons auraient dû vivre et se reproduire dans des boites à œufs (Éternel printemps) d’Ève Champion, un ensemble de pièces très réussies. Romain Mathieu soulignait alors à propos des œuvres de Célia Cassaï qu’il qualifiait d’artiste marcheuse : « Les œuvres récentes montrées dans la biennale relèvent pleinement de ces trois polarités : la collecte, la transformation de la matière par la main et les métamorphoses de la nature ».

On avait alors été captivé par son panier en osier (Cueillette ensoleillée, 2019) qui avait laissé s’évader un monticule jaune, amas de mimosa fané accumulé par le vent et récolté par l’artiste à La Ciotat, mais aussi par son Paysage, de la série B.T.P. (Botanique, Territoire, Paysage) de 2022 ou encore par ses Plateaux calcaires. Dans un coin, de trois Oyas (2022) suspendus s’égouttait peu à peu sur le sol une eau salée et formait une croute semblable à celle qui s’accumule dans les aires des marais salants… D’une céramique remplie d’eau (Jusqu’à la dernière goutte, 2022) s’échappait une corde végétale où étaient plantées des succulentes…

Dans « Cueillir la Terre », Célia Cassaï présente un ensemble d’œuvres nouvelles, réalisées pour l’exposition à la Galerie Territoires Partagés.

Célia Cassaï - Vitraux, 2023. Trois fenêtres, latex, végétaux, terre, plantes. Dimensions variables - Cueillir la Terre à la Galerie Territoires Partagés - Photo ©Nassimo Berthomme
Célia Cassaï – Vitraux, 2023. Trois fenêtres, latex, végétaux, terre, plantes. Dimensions variables – Cueillir la Terre à la Galerie Territoires Partagés – Photo ©Nassimo Berthomme

Dès que l’on entre dans la galerie, le regard est immédiatement attiré par trois portes-fenêtres qui occupent le centre de l’espace. Dans un entretien avec Stéphane Guglielmet, reproduit ci-dessous, Célia Cassaï explique la nature et la genèse de cette installation sculpturale intitulée Vitraux qu’elle avait expérimenté avec Le Défend (2022) lors de sa résidence de création avec « Voyons voir » au Domaine du Défend à Rousset :

« Ces fenêtres, je les nomme plutôt comme des vitraux végétaux. Elles sont créées avec des végétaux et du latex, qui est la sève de l’hévéa. Ce sont donc uniquement des matières végétales.

Cette installation est née l’année dernière lors de la résidence avec Voyons Voir. J’avais cette envie de sacraliser la nature et de rendre un hommage à l’ancêtre du lieu, Georges Coutagne, qui était botaniste. En réfléchissant sur ces sculptures et en regardant dans mes archives, j’ai remarqué que j’avais commencé ce type d’expérimentation dès ma 2e année des beaux-arts. Je m’intéressais déjà à la transparence du latex qui donnait cet effet “vitrail”, mais je n’avais pas encore trouvé la forme finie.

Célia CassaïVitraux, 2023. Trois fenêtres, latex, végétaux, terre, plantes. Dimensions variables – Cueillir la Terre à la Galerie Territoires Partagés – Photo ©Nassimo Berthomme

Là, le fait de le mettre sur des fenêtres renvoie totalement à une sacralisation de la nature. Au lieu d’avoir des icônes chrétiennes, je mets des plantes à cette même place. S’il n’avait pas de végétaux, l’homme ne pourrait pas survivre. On serait comme sur Vénus. Tout part d’eux. Au lycée c’est sûrement pour ça que j’aimais beaucoup Spinoza, qui dit que la perfection n’est pas à rechercher dans une religion quelconque, mais que “Dieu c’est la nature” (du latin, Deus sive Natura) ».

Célia CassaïVitraux, 2023. Trois fenêtres, latex, végétaux, terre, plantes. Dimensions variables – Cueillir la Terre à la Galerie Territoires Partagés – Photo ©Nassimo Berthomme

Ces Vitraux tiennent verticalement en équilibre sans doute grâce à un piètement masqué par un amas de terre où l’artiste a semé et planté des végétaux qui évolueront pendant l’exposition. C’est, dit-elle, « comme si la nature avait repris le pas sur cette forme manufacturée par l’homme. Comme une ode à la nature, un échantillon prélevé et installé dans la galerie. Ce que je trouve intéressant dans le fait de mettre de la terre et des plantes aux pieds de ces fenêtres, c’est le contraste entre le vivant qui continue de croitre et les vitraux qui continuent aussi d’évoluer, mais dans leur mort. Le latex vieillit et change, il est éphémère, lui aussi ».

Célia Cassaï - Les hyperaccumulatrices, 2023. Tuyaux, bagues, accroches en cuivre, 6 céramiques en grès, eau, plantes hypperaccumulatrices et métallophytes. Dimensions variables. - Cueillir la Terre - Galerie Territoires Partagés - ©Nassimo Berthomme -47
Célia Cassaï – Les hyperaccumulatrices, 2023. Tuyaux, bagues, accroches en cuivre, 6 céramiques en grès, eau, plantes hypperaccumulatrices et métallophytes. Dimensions variables. – Cueillir la Terre – Galerie Territoires Partagés – ©Nassimo Berthomme

Sur la gauche, jouant habilement avec l’architecture de la galerie, Célia Cassaï présente Les hyperaccumulatrices (2023), une installation murale composée de tuyaux en cuivre et de six céramiques en grès. Dans ces dernières, elle a installé six espèces de plantes hyperaccumulatrices et métallophytes qui peuvent stocker dans leurs feuilles des teneurs en métaux 100 à 1000 fois supérieures à celles habituellement observées chez les végétaux. À propos de son installation, Célia Cassaï confie à Stéphane Guglielmet :

« La base de cette installation est mon intérêt pour les plantes qui dépolluent. Je trouvais ça intéressant que, sur des territoires qui ont subi l’activité humaine et qui sont maintenant chargés en métaux lourds, des plantes naissent. Qu’elles puissent pousser dans des endroits comme ça. Les scientifiques ont découvert que ces plantes avaient développé comme un système de défense pour leur survie, par la dépollution de la terre où elles se trouvent. Dans mon installation, cette dépollution ne se fait pas dans la terre, mais dans l’eau. Ce travail est totalement nouveau, il m’emmène un peu ailleurs et me donne d’autres idées autour de la phytoremédiation… »

Célia Cassaï – Les hyperaccumulatrices, 2023. Tuyaux, bagues, accroches en cuivre, 6 céramiques en grès, eau, plantes hypperaccumulatrices et métallophytes. Dimensions variables. – Cueillir la Terre – Galerie Territoires Partagés – ©Nassimo Berthomme

On comprend alors la présence des deux tournesols galvanisés en cuivre qui précèdent ces hyperaccumulatrices. En effet, le tournesol est également une espèce hyperaccumulatrice.

« Avec cette idée de plantes qui accumulent du cuivre, j’ai eu cette vision d’une plante conductrice. Je me suis dit que si ces plantes se chargent pendant des années en cuivre, elles pourraient devenir des plantes de cuivre, conductrices d’électricité. (…) Ce tournesol se transforme alors en un élément minéral et continuera d’évoluer par le processus d’oxydation naturel du cuivre ».
La pièce a été réalisée avec l’aide à Valentin Martre dont on connaît les galvanisations d’insectes…

Célia CassaïTournesols, 2023. Deux tournesols galvanisés en cuivre, clous en céramique. Environ 30cm de long. – Cueillir la Terre – Galerie Territoires Partagés – ©Nassimo Berthomme

Tout au fond de la galerie, sur la droite, on découvre un tas de feuilles sèches qui semblent avoir été poussées par le vent… Il faut un peu d’attention pour remarquer que ce sont de fragiles céramiques de terre crue posées sur un tas de cendres.

Célia Cassaï - D'air, de feu et de terre, 2023. Céramique ( grès et faïence ), cendre. Dimensions variables - Cueillir la Terre - Galerie Territoires Partagés - ©Nassimo Berthomme
Célia Cassaï – D’air, de feu et de terre, 2023. Céramique ( grès et faïence ), cendre. Dimensions variables – Cueillir la Terre – Galerie Territoires Partagés – ©Nassimo Berthomme

À propos de cette pièce qu’elle a nommée D’air, de feu et de terre (2023), Célia Cassaï explique :

« Ce tas de feuilles trouve également son origine dans la résidence que j’ai faite au domaine du Défend. J’ai commencé à cueillir de la terre et à en faire de la barbotine (mélange de terre et d’eau). Et vu que tous les soirs on faisait un feu de cheminée pour se réchauffer et que j’étais dans un moment de production intense, j’ai eu envie de faire quelque chose avec cette cheminée, avec ce feu. J’ai alors commencé à enduire de barbotine des feuilles du domaine et à les faire cuire directement dans la cheminée.

J’ai été extrêmement surprise du résultat parce que cela a fonctionné. J’ai obtenu des feuilles en céramique avec l’empreinte très précise des rainures. (…) Ces feuilles restaient très fragiles puisqu’elles étaient cuites à la cheminée, ce qui n’a rien à voir avec une cuisson dans un four à céramique qui monte au moins à 900 degrés. À la fin de la résidence, j’ai pu tester avec un four adapté et ça a marché ».

Célia CassaïD’air, de feu et de terre, 2023. Céramique ( grès et faïence ), cendre. Dimensions variables – Cueillir la Terre – Galerie Territoires Partagés – ©Nassimo Berthomme

On comprend alors l’origine du titre, « Cueillir la Terre », choisi pour l’exposition :

« L’exposition s’appelle Cueillir la Terre. C’est une expression que j’utilise souvent. L’année dernière pendant la résidence avec Voyons Voir j’ai dû récolter beaucoup de terre, pour faire des briques ou des feuilles en céramique. Et quand j’en parlais, je disais que j’allais cueillir de la terre. Souvent, ça faisait sourire les gens autour de moi parce que n’est pas un terme correct. Après je trouvais ça intéressant d’utiliser ce titre puisque toutes mes sculptures partent d’une cueillette. Que ce soit les végétaux, la terre, les fenêtres que j’ai trouvées dans un jardin… Ce terme englobe également la Terre avec un “T” majuscule ».

Faut-il ajouter que « Cueillir la Terre » est une exposition incontournable et que le travail de Célia Cassaï mérite d’être suivi avec attention ?

À lire, ci-dessous l’entretien avec Stéphane Guglielmet qui dirige la Galerie Territoires Partagés.

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La Galerie Territoires Partagés sur le site de Provence Art Contemporain (PAC)

Entretien de Célia Cassaï avec Stéphane Guglielmet

Célia Cassaï et Stéphane Guglielmet à la Galerie Territoires Partagés – Marseille – Photo Château de servières

Première question que je voulais te poser, concerne ton parcours, est ce que tu peux me parler de tes études avant l’école d’art ?

Je pense que c’est important de préciser que j’ai grandi dans une famille où l’art avait une place importante. Pas forcément les arts plastiques, mais mon père est musicien et chanteur. Ma mère écrit et fait de la peinture. Mon grand-père paternel m’a mis très jeune un pinceau dans les mains. Du coup j’avais une sensibilité à l’art dès l’enfance. J’ai également développé un lien à la nature avec mon grand-père maternel qui cultivait la terre. Il m’a donné une certaine compréhension du vivant assez jeune. Et c’est naturellement que, dès l’âge de neuf ans, mes parents m’ont inscrite dans une école d’art municipale à Gardanne où j’ai grandi. Je n’étais qu’avec des adultes parce qu’à l’époque il n’y avait pas de cours pour enfants. J’ai pu expérimenter tous les médiums, autant la taille de pierre, que la gravure, le fusain, la peinture à l’huile… C’est ainsi que logiquement, j’ai voulu faire un lycée, avec une option arts plastiques lourde. J’avais des cours d’arts plastiques et d’histoire de l’art neuf heures par semaine. Depuis l’adolescence j’avais donc envie de faire les beaux-arts. Après le lycée j’ai passé les concours et j’ai été prise à Marseille. C’est comme ça que j’ai atterri aux beaux-arts de Marseille.

Tu peux me parler un petit peu de tes études, de comment tu les as abordées ? Est-ce que tu avais déjà une formation avec toutes ces années de pratiques artistiques ?

Ce n’était pas aussi carré qu’une école préparatoire mais ça m’a fait toucher pas mal de choses. Du coup, aux beaux-arts, je me sentais totalement à ma place. En plus, à Luminy il y a le cadre de l’école qui est dans les calanques…C’est naturellement que ma pratique s’est centrée sur le travail de collecte, de cueillette et d’observation des éléments que la nature crée. Au début, je faisais plus de peinture : une peinture assez texturée avec, déjà, un intérêt pour la matière : avec du latex, des enduits… Et grâce à mes professeurs, je me suis lancée dans la sculpture.

Par rapport à l’école, à tes années d’études, à quel moment tu as fait un choix au sujet de tes matériaux, de tes installations ? Est-ce que tu as toujours gardé dans ta pratique artistique du dessin ou de la peinture ?

En fait, je pense que c’est à partir de mon voyage d’études en Amérique latine en 4ème année des beaux-arts que tout a changé. Dès la 3ème année je me dirigeais vers la sculpture mais j’avais du mal à quitter le mur. Grâce ce voyage j’ai été nourrie de nouvelles choses… C’était un voyage individuel, je crois que ça n’existe plus maintenant. J’ai pu partir au Pérou, au Chili et en Bolivie.

Les pays étaient déjà définis par l’école où c’est toi qui les as proposés ?

On pouvait choisir n’importe quels pays. Au départ, je voulais faire les beaux-arts de Santiago du Chili mais l’école était en manifestation. Je me suis rabattue sur le voyage individuel et au final tant mieux, puisque c’est grâce à ces quatre mois où j’ai arpenté l’Amérique latine, que j’ai vraiment compris que je voulais me placer dans une démarche de collecte. Je voulais travailler à partir des territoires où je me trouve. Essayer de retranscrire, par des sculptures et des installations, le territoire où je suis.

Qu’est ce qui t’as saisi là-bas ? C’est la végétation, le paysage ?

C’était surtout la diversité des paysages. En étant partie du nord avec le désert jusqu’au sud avec les glaciers, c’était impressionnant de voir qu’il y avait autant de paysages différents dans un seul et même pays. Des paysages que je n’avais jamais vus. Je suis vraiment rentrée nourrie de tout ça.

Donc au retour de ce voyage, tu as commencé ta dernière année de diplôme ?

Alors ce qu’il s’est passé c’est que j’ai demandé un redoublement en 4ème année, même si je n’avais pas besoin de redoubler. J’avais passé quatre mois en dehors de l’école et je sentais que j’avais encore besoin d’une année pleine aux beaux-arts. Comme si ma 4ème année était ce qui m’avait nourrie et que maintenant j’avais besoin d’une année pleine en création. Cependant, comme j’avais validé cette première 4ème année, j’ai pu passer la seconde uniquement en atelier. Je n’avais pas besoin d’aller en cours. C’était ma meilleure année.

Parallèlement j’ai entamé le travail de la céramique. Avant mon voyage j’avais déjà pu faire des workshops en céramique avec des artistes comme Dominique Angel ou Michel Gouéry, qui m’ont montré des perspectives que je n’imaginais pas en céramique. C’est à ce moment que j’ai commencé à faire beaucoup de céramique. Ces pièces en terre, je les ai liées à des éléments plus évolutifs comme les végétaux, le latex… J’avais déjà mon panel sculptural de latex, végétaux, céramique. Trois matières que j’utilisais déjà beaucoup à l’époque.

Par rapport à ta dernière année, qu’est-ce que tu as présenté au diplôme ?

J’avais présenté des installations sculpturales hybrides entre céramique et matières évolutives collectées comme la laine, les végétaux, le latex. Avec, comme à l’heure actuelle, cette envie de parler des formes que je peux rencontrer dans la nature et qui sont vouées à se transformer, la fatalité du vivant.

A l’époque tu avais déjà des références artistiques fortes pour toi ? Dans l’art contemporain ou l’histoire de l’art ?

On peut parler de Thu Van Tran. Je l’ai découverte en 5ème année des beaux-arts quand on est allés faire la biennale de Venise. On y est allés en novembre et son installation m’avait vraiment interpellée. Elle liait dans une installation monumentale une multitude de formes venant de la nature. C’était une installation totale.

Sinon pour parler de ma « famille artistique » je dirais Guiseppe Penone, Herman De Vries, Arnaud Vasseux, Hubert Duprat…

Tu as ton diplôme, et tu abordes comment la vie, l’après école d’art ?

Dans le grand bain direct ! Ma dernière année des beaux-arts je l’ai passée dans un atelier avec cinq amis à moi. Directement après notre diplôme on a eu la volonté de garder ce groupe et cette dynamique. On a cherché un local pour en faire un atelier et on a monté l’Atelier Oxymore. On voulait garder cette dynamique de groupe des beaux-arts, tout en faisant des choses très différentes. On voulait être tous ensemble.

Le but était d’avoir un espace chacun ?

Oui, c’était un atelier de 110 m2. On avait à peu près 12m2 chacun pour travailler. Notre volonté était de faire un atelier, pas un lieu de monstration. Ponctuellement on faisait une exposition, environ une par an, on participait aux ouvertures d’ateliers d’artistes (OAA) et c’est aussi comme ça que le PAC OFF c’est construit, avec d’autres autres jeunes ateliers de Marseille. Depuis février 2023 on a créé avec d’autres amis artistes l’atelier MADMARX.

Pour vous l’objectif c’était de produire, de postuler pour des résidences et je suppose aussi de gagner ta vie ?

Parallèlement il fallait que j’aie un travail alimentaire. J’étais à Médiapost en distribution de publicités en boites aux lettres. Ce travail me correspondait totalement parce que cela me faisait marcher dans des endroits plutôt ruraux. Je pouvais faire mon travail alimentaire et en même temps procéder à mes collectes, cueillettes, observations de la nature… C’était un bon compromis. De plus, j’étais en binôme avec Valentin Martre, artiste lui aussi. Mes journées étaient donc remplies d’échanges artistiques qui nourrissaient mes réflexions. Après, concernant ma pratique artistique j’ai vite compris que mon intérêt premier était de faire des résidences de création et de recherche en territoire. Je voulais me nourrir d’un territoire pendant plusieurs semaines afin de créer des sculptures qui parleraient de ce territoire-là. C’est pour ça que j’ai postulé, pendant plusieurs années consécutives, à la résidence de Voyons Voir au domaine du Défend car je percevais que cela pouvait être propice pour ma recherche. C’est comme ça que l’année dernière j’ai pu la faire. C’était vraiment sept semaines parfaites pour moi, dans un cadre hyper nourrissant pour mon inspiration. C’est là-bas que j’ai commencé des pistes de travail qu’on peut voir aujourd’hui à l’exposition de Territoires Partagés.

Il y a eu un autre élément marquant dans ma pratique, c’est la sculpture publique que j’ai fait avec Eiffage construction en lien avec l’école de beaux-arts et le ministère de la culture. Je l’ai faite avec deux amis à moi, Laurane Gourdon et Tony Ceppi. On a passé sept mois sur un chantier avec Eiffage, on a été totalement immergé dans le chantier. Au cours de cette résidence on a réalisé une sculpture monumentale en béton, le matériau phare de l’entreprise. A partir de ce moment-là, j’ai développé un regard critique sur le domaine de la construction en voyant pendant plusieurs mois la manière dont Eiffage travaillait. Au départ on était sur un site avec un parc, rempli d’arbres et ils ont tout dévégétalisé, arraché et bétonné. Ils ont construit sur des arbres qui étaient plusieurs fois centenaires. De là, j’ai développé une série d’oeuvres qui s’appelle BTP pour Botanique, Territoire, Paysage. J’utilise des formes du BTP comme des chainages, des piquets de mise en terre et au lieu d’utiliser du béton sur ces structures, j’utilise des végétaux. L’homme dévégétalise pour construire dans une ère où nous sommes conscient de notre impact sur la nature et dérèglement climatique en cours. Moi je vais utiliser des matériaux de construction pour végétaliser afin de réconcilier en quelque sorte la nature et l’homme dans notre ère anthropocène.

On peut maintenant parler de ton exposition à Territoires Partagés. Est-ce que tu peux déjà nous parler du titre ?

L’exposition s’appelle Cueillir la Terre. C’est une expression que j’utilise souvent. L’année dernière pendant la résidence avec Voyons Voir j’ai dû récolter beaucoup de terre, pour faire des briques ou des feuilles en céramique. Et quand j’en parlais je disais que j’allais cueillir de la terre. Souvent ça faisait sourire les gens autour de moi parce que n’est pas un terme correct. Après je trouvais ça intéressant d’utiliser ce titre puisque toutes mes sculptures partent d’une cueillette. Que ce soit les végétaux, la terre, les fenêtres que j’ai trouvées dans un jardin… Ce terme englobe également la Terre avec un « T » majuscule.

Tu peux nous parler un peu de ton exposition ? Quand on rentre dans l’espace on se retrouve directement face à des portes-fenêtres de maisons. Ce sont des sculptures, des installations ? S.G

Moi j’aime bien le terme d’installations sculpturales. Ces fenêtres je les nomme plutôt comme des vitraux végétaux. Elles sont créées avec des végétaux et du latex, qui est la sève de l’hévéa. Ce sont donc uniquement des matières végétales.

Cette installation est née l’année dernière lors de la résidence avec Voyons Voir. J’avais cette envie de sacraliser la nature et de rendre un hommage à l’ancêtre du lieu, Georges Coutagne, qui était botaniste. En réfléchissant sur ces sculptures et en regardant dans mes archives, j’ai remarqué que j’avais commencé ce type d’expérimentation dès ma 2ème année des beaux-arts. Je m’intéressais déjà à la transparence du latex qui donnait cet effet « vitrail », mais je n’avais pas encore trouvé la forme finie.

Là, le fait de le mettre sur des fenêtres, renvoie totalement à une sacralisation de la nature. Au lieu d’avoir des icônes chrétiennes, je mets des plantes à cette même place. S’il n’avait pas de végétaux, l’homme ne pourrait pas survivre. On serait comme sur Vénus. Tout part d’eux. Au lycée c’est sûrement pour ça que j’aimais beaucoup Spinoza, qui dit que la perfection n’est pas à rechercher dans une religion quelconque mais que « Dieu c’est la nature » (du latin, Deus sive Natura)

Aux pieds des portes-fenêtres tu as réinstallé un coin de nature ?

Oui, comme si la nature avait repris le pas sur cette forme manufacturée par l’homme. Comme une ode à la nature, un échantillon prélevé et installé dans la galerie. Ce que je trouve intéressant dans le fait de mettre de la terre et des plantes aux pieds de ces fenêtres, c’est le contraste entre le vivant qui continue de croitre et les vitraux qui continuent aussi d’évoluer mais dans leur mort. Le latex vieillit et change, il est éphémère, lui aussi.

A côté de ces fenêtres il y a une autre installation, tu peux nous la décrire ?

Il y a une installation murale qui joue avec l’architecture de la galerie. Elle est composée de tuyaux en cuivre et de céramiques en grès. Dans ces céramiques en grès, viennent naitre des plantes qui ont la particularité de se charger en cuivre. Elles sont hyperaccumulatrices. La base de cette installation est mon intérêt pour les plantes qui dépolluent. Je trouvais ça intéressant que, sur des territoires qui ont subis l’activité humaine et qui sont maintenant chargés en métaux lourds, des plantes naissent. Qu’elles puissent pousser dans des endroits comme ça. Les scientifiques ont découvert que ces plantes avaient développé comme un système de défense pour leur survie, par la dépollution de la terre où elles se trouvent. Dans mon installation, cette dépollution ne se fait pas dans la terre, mais dans l’eau. Ce travail est totalement nouveau, il m’emmène un peu ailleurs et me donne d’autres idées autour de la phytoremédiation

Ensuite, au fond de la galerie, il y a un tas de feuilles. Tu peux nous expliquer le procédé de leur fabrication ?

Ce tas de feuilles trouve également son origine dans la résidence que j’ai fait au domaine du Défend. J’ai commencé à cueillir de la terre et à en faire de la barbotine (mélange de terre et d’eau). Et vu que tous les soirs on faisait un feu de cheminée pour se réchauffer et que j’étais dans un moment de production intense, j’ai eu envie de faire quelque chose avec cette cheminée, avec ce feu. J’ai alors commencé à enduire de barbotine des feuilles du domaine et à les faire cuire directement dans la cheminée.

J’ai été extrêmement surprise du résultat parce que cela a fonctionné. J’ai obtenu des feuilles en céramique avec l’empreinte très précise des rainures. Il y avait un coté archéologique parce qu’une fois la feuille cuite, il fallait gratter l’empreinte de la feuille en enlevant les cendres. Dans la cheminée, le feu avait brûlé totalement la feuille en laissant sa forme sur la terre. J’en ai fait plusieurs. Ces feuilles restaient très fragiles puisqu’elles étaient cuites à la cheminée, ce qui n’a rien à voir avec une cuisson dans un fourà céramique qui monte au moins à 900 degrés. A la fin de la résidence, j’ai pu tester avec un four adapté et ça a marché.

Pour la restitution de la résidence, j’avais déjà cette idée de faire un tas de feuilles avec l’impression que le vent aurait poussé le tas contre la paroi d’un mur. Sauf que les feuilles étaient trop fragiles, je ne pouvais pas les accumuler les unes sur les autres. Je les avais présentées de manière plus classique sur des pierres calcaires, seules. Je voulais continuer à parler du vivant et de sa transformation par le choix de ces pierres qui sont des concrétions de végétaux, de coquilles ou d’insectes. Quand on regarde une pierre calcaire on regarde un paysage du passé.

Ces feuilles que tu as créées pour l’exposition tu les installées comment ?

Elles sont installées sur un tas de cendres, placé dans l’angle du fond de la galerie, comme si le vent les avaient déportées là, sur ce lit de cendres. C’est de ces cendres que ces feuilles naissent, par le feu.

Est-ce qu’on peut parler de la dernière pièce de l’exposition ?

Tout à fait. Avec cette idée de plantes qui accumulent du cuivre, j’ai eu cette vision d’une plante conductrice. Je me suis dit que si ces plantes se chargent pendant des années en cuivre, elles pourraient devenir des plantes de cuivre, conductrices d’électricité. J’ai demandé de l’aide à Valentin Martre, mon compagnon, qui est également artiste. Il a déjà fait des galvanisations d’insectes pour les rendre conducteurs. J’ai alors choisi de galvaniser une plante. J’ai pris un tournesol qui est une plante hyperaccumulatrice qui dépollue le sol en métaux lourds. Ce tournesol se transforme alors en un élément minéral et continuera d’évoluer par le processus d’oxydation naturel du cuivre.

L’idéal serait de l’installer au mur, pour faire un ricoché avec l’installation des tuyaux de cuivre. Je voudrais le poser sur des clous en céramique, pour que le tournesol soit posé symboliquement sur de la terre.

Et quel est ton regard sur l’art contemporain ? Est-ce que ça te préoccupe, t’interroge ? Tu as une expression qui était assez drôle sur le fait d’être dans le Game de l’art contemporain. Est-ce que tu te sens dans le Game ?

Je me sens dans le petit Game. C’est sûr que j’aimerais exposer à la biennale de Lyon ou de Venise, rares sont les artistes qui n’aimeraient pas. Mais après, les salons, les foires, rentrent dans une marchandisation de l’art et mon travail ne rentre pas du tout dans ce cadre. Mes oeuvres ne sont pas considérées comme « vendables ». Pour l’instant je n’ai jamais vendu mais je ne suis pas du tout dans cette quête-là. Certains sculpteurs adaptent leurs créations au marché de l’art, au format du «stand». Comme si les artistes devaient s’adapter. Personnellement je ne suis pas trop pour. Je ne veux pas m’adapter à un marché.

Et pour finir, comment tu vois l’avenir ?

J’aimerais continuer à faire des résidences de création et de recherche. Je sens que ça m’a beaucoup apporté et actuellement c’est quelque chose dont j’aurais besoin. Je voudrais repartir en immersion dans un cadre rural, ça profiterait à ma création. Je vais continuer les appels à projet et j’espère que ce n’est que le début. C’est étrange, parce quand lorsqu’on a peu d’expositions on est tristes et plein de remises en question et au final quand on a beaucoup de projets, on est rapidement stressés et plein de questionnements aussi. Quand est ce qu’on est apaisé ? Ça je ne le sais pas. Je trouve que ce n’est pas toujours facile comme vie, mais c’est la vie que je veux mener.

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