Jusqu’au 1er novembre 2023, la Fondation Villa Datris présente « Mouvement et Lumière #2 », une exposition captivante et particulièrement bien mise en scène.
Après plusieurs projets remarquables qui interrogeaient nos relations à notre environnement où des matières naturelles étaient privilégiées, « Mouvement et Lumière #2 » s’intéresse au travail d’artistes de plusieurs générations qui jouent avec la magie de la lumière, qui la sculptent en exprimant une certaine « fascination pour l’immatériel »…
Dans son texte d’introduction, Danièle Marcovici, fondatrice et présidente de la Fondation Villa Datris, rappelle avec émotion que cette deuxième itération de « Mouvement et Lumière » fait écho à une première exposition montrée en 2012. Cette proposition exprimait alors, écrit-elle, « une passion intense pour l’abstraction, le cubisme et l’art cinétique partagée avec Tristan Fourtine, mon compagnon »…
« Mouvement et Lumière #2 » rassemble une très belle sélection d’œuvres de 60 artistes, dont plusieurs sont internationalement reconnus : Yaacov Agam • Chul•Hyun Ahn • Cesar Andrade • Marina Apollonio • Antonio Asis • Rafael Barrios • Laurent Baude • Martha Boto • Andrea Bowers • Angela Bulloch • Pol Bury • Alexander Calder • Nino Calos • Miguel Chevalier • Elias Crespin • Carlos Cruz•Diez • Laurent Debraux • Philippe Decrauzat • Hugo Demarco • Gabriele De Vecchi • Laddie John Dill • Olafur Eliasson • Félicie d’Estienne d’Orves • Dan Flavin • Ueli Gantner • Francis Guerrier • Raphaël Hefti • Jeppe Hein • Carsten Höller • Jenny Holzer • Piotr Kowalski • Siegfried Kreitner • Emmanuel Lagarrigue • Pe Lang • Julio Le Parc • Jaildo Marinho • Manuel Mérida • Tatsuo Miyajima • François Morellet • Iván Navarro • Jean•Michel Othoniel • Philippe Parreno • Laurent Pernot • Dominique Pétrin • Etienne Rey • Hanna Roeckle • Regine Schumann • Susumu Shingu • Gabriel Sobin • Francisco Sobrino • Keith Sonnier • Jesús Rafael Soto • Joël Stein • Takis • Jean Tinguely • Luis Tomasello • Grazia Varisco • Victor Vasarely • Xavier Veilhan • Haegue Yang.
Certains étaient déjà présents dans l’exposition de 2012, quelques fois avec les mêmes œuvres (Yaacov Agam • Chul-Hyun Ahn • Laurent Baude • Miguel Chevalier • Carlos Cruz•Diez • Hugo Demarco • Julio Le Parc • Manuel Mérida • François Morellet • Iván Navarro • Susumu Shingu • Gabriel Sobin • Jesús Rafael Soto • Jean Tinguely).
Dans un texte de présentation du projet, Domitille d’Orgeval, historienne, critique d’art et commissaire d’expositions, explique que « Mouvement et Lumière #2 » a été conçue avec la volonté de monter « l’existence, sur une longue période, d’une filiation historique et esthétique particulièrement riche » et de souligner « la diversité des stratégies plastiques mises en place au gré des progrès technologiques et scientifiques ». Un peu plus loin, elle ajoute :
« L’exposition révèle aussi la permanence de tendances qui ont sous-tendu l’ensemble de ces recherches, celle du refus de considérer l’œuvre d’art comme une structure figée et d’une volonté de la débarrasser de tout substrat matériel. En outre, elle permet de constater que le mouvement et la lumière continuent aujourd’hui d’être des médiums privilégiés par les artistes pour exprimer leur fascination pour l’immatériel et rendre perceptibles les phénomènes impalpables divulgués par la science contemporaine ».
Avec une sélection un peu plus resserrée qu’à l’habitude et une mise en espace aérée, « Mouvement et Lumière #2 » évite le piège d’une trop grande prodigalité qui aurait pu conduire l’œil du visiteur à papillonner, sans trop savoir où se poser.
Hommage à Jesús Rafael Soto
Le parcours de l’exposition débute avec un hommage à Jesús Rafael Soto pour le centenaire de la naissance. Un de ses Pénétrables (Pénétrable BBL bleu, 1999) accueille les visiteurs dès le portail de la Villa Datris franchi. En invitant le public à la traverser, cette imposante sculpture illustre l’ambition pour les commissaires de jouer avec les sens du spectateur et de l’inviter à une déambulation active en relation avec chacun de ses mouvements.
Parmi les cinq œuvres de Soto exposées dans l’espace d’accueil, deux étaient présentes dans la première exposition « Mouvement et Lumière ». Acquises par Danièle Marcovici et Tristan Fourtine, Bi-Face (1973) et Maquette esfera Theospacio (1989) ont été parmi les premières à entrer dans la Collection de la Fondation Villa Datris.
Réalisations in situ
Plusieurs installations créées in situ, parfois spécialement réalisées pour l’exposition, occupent des espaces dédiés.
Dès l’entrée dans la Villa, une importante installation inédite de Manuel Mérida (Matières métalliques, 2023), réalisée pour l’exposition, se déploie dans la première salle. Ses cinq cercles dont les pigments en rotation vont de l’aluminium à l’or en passant par le cuivre, la rouille ou la terre rappellent ceux turquoise, rouge et blanc qu’il avait montrés en 2012.
À l’autre extrémité du couloir, une imposante et captivante pièce de Julio Le Parc (Sphère bleue, 2013) est plongée dans l’obscurité. Artiste incontournable de l’art cinétique, toujours actif à 95 ans, Julio Le Parc est un des fondateurs du G.R.A.V. (Groupe de recherche d’art visuel) avec Horacio Garcia Rossi, François Morellet, Francisco Sobrino, Joël Stein et Yvaral. Ce mouvement, un des plus contestataires et radicaux dans la France des années 1960, affirmait dans son manifeste en 1961 vouloir transformer le rapport entre artiste et société et celui entre l’œuvre et l’œil, redéfinir les valeurs plastiques traditionnelles, inviter le spectateur à s’impliquer, interagir et devenir acteur de l’œuvre et considérer que celle-ci est achevée lorsque le public s’en empare… Dans la suite du parcours, « Mouvement et Lumière #2 » présente des pièces de trois autres fondateurs du G.R.A.V. (Morellet, Sobrino et Yvaral).
À l’étage, juste au-dessus de la Sphère bleue de Le Parc, une pièce d’Olafur Eliasson (Firefly biosphere (sunspotting), 2022) plonge le spectateur dans un espace baigné de lumière dorée où des formes et des ombres complexes sont projetés à l’infini… Cette œuvre d’Eliasson semble faire un écho respectueux à celle de son ainé argentin.
Au-delà, le parcours de « Mouvement et Lumière #2 » s’articule en cinq séquences thématiques qui se développent dans les quatre niveaux de la Villa Datris :
Les extérieurs qualifiés cette année de « jardins mouvementés »rassemblent des sculptures d’une quinzaine d’artistes qui jouent habilement avec les couleurs du ciel, les mouvements de la végétation et du vent ou avec les reflets de la Sorgue.
À l’exception peut-être de la première séquence (Équilibres naturels), les sections ne sont pas construites sur un discours, mais essentiellement sur des rapprochements formels qui illustrent « la diversité des stratégies plastiques » mises en œuvre. La juxtaposition de pièces historiques et d’œuvres plus récentes témoigne avec pertinence de la permanence de tendances et de filiations.
Au-delà de l’hommage à Jesús Rafael Soto et des installations in situ déjà évoquées, on pourrait citer, après une première visite, les moments forts suivants pour chaque séquence de « Mouvement et Lumière #2 » :
Équilibres naturels
Les chuchotements partagés dans un souffle d’air entre Alexander Calder (Whose breast have you hokked on to?, circa 1930-1940), Susumu Shingu (Night Flight, 2012) et Xavier Veilhan (Mobile n°20, 2015) à propos de l’étrange sphère en lévitation de Takis (Électromagnétique, 1966).
Au premier étage, après l’expérience en cours qu’Emmanuel Lagarrigue a mis en place dans le couloir (Altered World (protocol), 2023), la séquence Équilibres naturels se poursuit dans la lumière jaune pâle qui émane d’une suite de Fibonacci composée par Carsten Höller (Divisions [Salmon Rose Lines and Novial Gold Circles], 2019).
Sur la gauche, un des superbes lustres d’Andrea Bowers (Chandeliers of Interconnectedness (ONE CAN FIND TRACES OF EVERY LIFE IN EACH LIFE. Quote Susan Griffin], 2022) cite un poème de Susan Griffin. Cette pièce magistrale dialogue avec La mare aux fées (2012) de Laurent Debraux, une œuvre captivante qui évoque la communication non verbale avec les lents et fascinants déplacements de ses branches d’arbres…
À côté, une des Ponctuations molles de Pol Bury (Ponctuation, 1962) et ses mouvements à peine perceptibles entreprend de démontrer que si « la vitesse limite l’espace, la lenteur le crée »…
Les lumières, la ville
Sur le palier, une enseigne verticale de Jenny Holzer (Shark, 2003) et une marquise lumineuse de Philippe Parreno (Marquee M1547, 2015) accueille les visiteurs dans la séquence Les lumières, la ville.
En face, deux acteurs majeurs du minimalisme tentent d’établir un dialogue. Une des constructions géométriques et aléatoires de François Morellet (2 +4 angles droits n° 3, 2012) essaye de ne pas être éblouie par le Monument for Vladimir Tatlin (1975) de Dan Flavin. Conservée par le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, cette œuvre emblématique est passée en quelques mois de la Collection Lambert à la Villa Datris… Plusieurs néons colorés illuminent la salle de bains dont Bebopalu (2012) de Laurent Baude déjà présents dans la première version de « Mouvement et Lumière ».
Reflets, éclats
Parmi, les pièces de la section Reflets, éclats, on retient les mystérieuses lueurs incandescentes qui émanent d’un des Precious Stonewall (2020) de Jean-Michel Othoniel et les étranges objets qui irradient à travers l’obscurité des deux Colormirror (2016 et 2022) de Regine Schumann.
Échappée de la salle de bain, la robinetterie de Haegue Yang (Rotating Reflective Running Cross-Handle Faucets – Striped Circles #1, 2022) semble surprise par son reflet dans le verre non réfléchissant de Raphaël Hefti (Substraction as addition, 2012).
Plus loin, deux pièces de Carlos Cruz-Diez (Transchromie mécanique aléatoire, 1965-2010 et Cromovela Fa Mayor, 2014) jouent avec les déplacements du visiteur, comme une éblouissante toile de Philippe Decrauzat (On over 4, 2014) et un Flux holographique irisé (2004) de Miguel Chevalier dont une de ses vidéos génératives capables de se modifier à l’infini est présentée sous les combles (Digital Moiré, 2021).
L’œil moteur
Dans la section L’œil moteur, on retrouve les géométries lumineuses qui se prolongent à l’infini de Chul-Hyun Ahn (Forked 16, 2010) et le puits sans fond de lumière bleue et blanche où le regardeur fini par disparaître de Iván Navarro (Degenerate, 2011), deux pièces maitresses de l’exposition de 2012, entrées dans la Collection Fondation Villa Datris.
Dans une pièce plus récente de cet artiste (Surge Drops, 2022), le mot SURGE se distingue difficilement dans un un univers abstrait et fluctuant aux multiples couleurs. Cette œuvre a été choisie comme visuel de communication pour « Mouvement et Lumière #2 »…
Lampe (circa 1975-1978) de Jean Tinguely semble un peu perdue en cette compagnie… À lire le cartel, on comprend qu’il s’agit d’un hommage à celui qui est considéré comme un des précurseurs de l’art cinétique…
Hypnoses géométriques
La séquence Hypnoses géométriques commence dans les combles avec deux sculptures de Victor Vasarely qui jouent avec la persistance rétinienne et une hallucinante pièce rotative de Marina Apollonio (Dinamica circolare Esadecagono, 1970-2010).
On se souvient d’une œuvre proche qui était exposée pour Sculptrices en 2013… Marina Apollonio signe également une installation in situ pour l’ascenseur de la Villa Datris.
Cette section se poursuit au rez-de-jardin avec dans le couloir avec plusieurs œuvres historiques. Une des structures permutationelles de la série « Réflexions » de Francisco Sobrino (Structure permutationelle, 1971-2014) dialogue avec les Neuf trièdres ou Trièdre à 9 cellules (1963) de Joël Stein et Struttura in Acciaio 6X6 (1969) de Marina Apollonio que l’on avait vu dans les jardins en 2013 pour « Sculptrices » et dont les ombres portées sont ici fascinantes…
Le célèbre Carré bleu (1977) de Yaacov Agam fait écho à des œuvres d’Ueli Gantner (Pn g3, 2019), d’Antonio Asis (Vibration n°2, 1967) ou encore de César Andrade (Puntigrama 373, 2012).
De son côté, Anima Helen (2015) d’Angela Bulloch – construit d’étonnants échanges avec Atmosphère Chromoplastique n°111 (1963) de Luis Tomasello.
Avec TriAlineados Fluo Vert (2016), Elias Crespin présente une des pièces les plus captivantes de l’exposition.
Les jardins mouvementés de la Villa Datris
Dans Les jardins mouvementés de la Villa Datris, les trois monolithes en acier, aluminium et inox polimiroir d’Étienne Rey (Trois Prismes Transparence, 2023) reflètent, filtrent et diffractent la lumière et génèrent une illusion de transparence qui donne l’impression que l’œuvre disparaît partiellement dans son environnement.
Produite par la Fondation Villa Datris, cette œuvre magnétique et ensorcelante, créée pour l’exposition, voisine avec la girouette de Gabriele De Vecchi (Puntale caliedoscopico, 1972) installée dans la Sorgue et avec une sculpture-mirroir de Francisco Sobrino (Sans titre, 1990) qui joue avec les déplacements des visiteurs.
Dans son bosquet, les six plaques de plexiglas jaune fluorescent de la Pyramide n° 2 (1967) de Piotr Kowalski semblent faire un écho lointain au TriAlineados Fluo Vert (2016) d’Elias Crespin, plongé dans l’obscurité…
Déjà présente en 2012, la sculpture-mobile de Susumu Shingu (Sailing, 2008) joue à nouveau avec le vent et la gravité.
Gabriel Sobin était lui aussi exposé dans les jardins de la Villa Datris avec Mistal noir, une éolienne en marbre noir. Pour « Mouvement et Lumière #2 », il présente AKH, (2009) une sculpture similaire, mais éblouissante fait en onyx iranien… À propos de son titre, l’artiste précise : « AKH signifie, en écriture hiéroglyphique, lumineux, transfiguré, et lié au principe de puissance créatrice ».
Avec une mise en espace particulièrement soignée et réussie, « Mouvement et Lumière #2 » propose un parcours cohérent, fascinant et sensible qui laisse à chacun la place pour interagir, pour « jouer » avec les œuvres et partager ses émerveillements.
Le commissariat de « Mouvement et Lumière #2 » est assuré par Danièle Marcovici et Stéphane Baumet.
La scénographie simple, discrète et remarquablement efficace, est une nouvelle fois confiée à Laure Dezeuze.
Comme pour les précédentes expositions, un dossier pédagogique est à la disposition des enseignants sur le site de la Villa Datris. Plusieurs focus vidéo sur des artistes devraient être régulièrement publiés sur les réseaux sociaux.
Le catalogue sera disponible au cours de l’été.
En savoir plus :
Sur le site de la Villa Datris
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