Delphine Mogarra – Latente au Château de Servières


Jusqu’au 1er juillet 2023, Delphine Mogarra présente « Latente », une installation mystérieuse et fascinante, qualifiée d’organique qu’elle performe tous les mercredis après-midi, dans la salle rose du Château de Servières.

L’installation se compose d’une vasque posée au sol. Elle contient un mélange blanchâtre d’eau et de latex. Une sphère en cire est suspendue au dessus par un fil en nylon. Elle est reliée à un moteur.

Delphine Mogarra, Latente - Vue d'exposition Château de Servières, Crédit photo Jean-Christophe Lett
Delphine Mogarra, Latente – Vue d’exposition Château de Servières, Crédit photo Jean-Christophe Lett

À gauche, sur une potence en acier, de curieuses dépouilles, dont les couleurs varient de la rouille à l’ambre, y sont pendues…

Delphine Mogarra, Latente - Vue d'exposition Château de Servières, Crédit photo Jean-Christophe Lett
Delphine Mogarra, Latente – Vue d’exposition Château de Servières, Crédit photo Jean-Christophe Lett

Sans y avoir assisté, on comprend sans difficulté que la performance consiste à plonger lentement la sphère dans le liquide laiteux, puis de l’en retirer pour récupérer à chaque opération une de ces mues fragiles qui ne sont que des résidus de l’œuvre sans en faire partie…

Delphine Mogarra, Latente - Vue d'exposition Château de Servières, Crédit photo Jean-Christophe Lett
Delphine Mogarra, Latente – Vue d’exposition Château de Servières, Crédit photo Jean-Christophe Lett

Le titre choisi joue de manière évidente avec l’homophonie des mots Latente et l’attente.

Sur le site de l’artiste, présente ainsi son installation :

Latente est une sculpture évolutive, l’attente d’une rencontre.
Elle est l’élément central, autour d’elle gravite les formes qu’elle engendre.
Elle propose de porter attention au pouvoir sculptant des liquides et du temps.
Le changement d’état est constant. L’impermanence nous donne envie de figer, suspendre le temps et s’immerger dans ses plis.

Le clair de lune, si représenté en peinture, a activé mon désir de rendre physique cette image.
L’influence de la lune sur les marées est un phénomène qui attise le rêve et m’emmène vers des envies de sculpture : expérimenter l’attraction entre la lune et les liquides, matérialiser le magnétisme cosmique, envisager la chute de l’astre.

Une sphère pleine évolue sur un bassin laiteux.
Le va-et-vient vertical est lent, à peine perceptible.
Elle attend que la surface coagule pour rentrer en contact.

« Latente » est accompagné d’une publication chez Owls Edition, avec le soutien de l’INSEAMM Beaux-Arts de Marseille, du Château de Servières et de la DRAC PACA.

Anysia Troin-Guis y signe un texte dans lequel elle propose son analyse de l’installation après en avoir rapidement rappeller le mécanisme :

« (…) Cela produit ensuite une forme lactée tout en rondeur, en brillance et en tension. Le bassin, aux allures de céramique, fait écho au coquillage des bénitiers, et donne une dimension quasi-mystique à l’installation. Très picturale, l’œuvre projette des images lunaires et incarne la volupté du drapé, dans sa dimension charnelle. Latente évoque aussi l’abstraction excentrique et sensuelle que la commissaire et historienne de l’art Lucy Lippard utilisait en 1966 pour qualifier le travail d’artistes femmes qu’elle réunit lors d’une exposition. Réaction au minimaliste, apport sensuel, affectif et relationnel, la sculpture devient prolongement du corps brouillant les frontières entre l’art et la vie. Tension de la déformation. Tension de la co-présence d’éléments que l’on n’identifie pas forcément. Tension aussi entre un savoir-faire artiste et la marge d’aléatoire, de latence précisément, du processus. Le vacillement des textures trouble la perception et dit une œuvre de l’interstice, parfois au bord de la rupture. L’artiste adopte une démarche dans le sillage de la rhéologie, c’est-à-dire qu’elle explore la mécanique des milieux continus et leur résistance à la contrainte. Suivant toujours l’idée de cycle, le dispositif est activé une fois par semaine et les mues de latex, rebuts d’une rencontre qui rythme l’exposition, sont conservées, exposées et l’empreinte de la sphère devient une forme et un marqueur temporel ».

« Latente » mérite sans aucun doute une attention particulière lors d’un passage par le Château de Servières…

À lire, ci-dessous, quelques extraits du texte d’Anysia Troin-Guis où elle présente la démarche artistique de Delphine Mogarra.


En savoir plus :
Sur le site du Château de Servières
Suivre l’actualité du Château de Servières sur Facebook et Instagram
Sur le site de Delphine Mogarra

À propos de Delphine Mogarra par Anysia Troin-Guis

« La réflexion de la plasticienne s’articule autour de l’idée de cycle et de l’impermanence des matières : elle travaille les notions de germination et de contamination. Il s’agit de regarder le monde dans ses mouvements avec une attention accrue, à travers une posture constante d’éveil .
(…) Ses oeuvres s
’apparentent à des métamorphoses dont chaque étape de la mutation organique est consciencieusement dévoilée. La plasticienne souligne les similitudes de la recherche artistique et de la recherche scientifique et intègre à sa pratique une philosophie de l’empirisme. Il s’agit de penser les processus de création, les méthodes de travail et les résultats en accueillant les tâtonnements, les doutes, les accidents, et en acceptant de se laisser guider, étonner et fasciner par ceux-ci.
(…) L’atelier, ou l’espace d’exposition, devient ainsi un laboratoire pour observer et tester l’instabilité des forces mises en présence afin de détacher la forme de sa définition classique.
(…) Un aspect de l’oeuvre de Delphine Mogarra essentiel est en effet l’ancrage de ses recherches dans les territoires culturels et sociaux qu’elle habite. Elle organise des ateliers comme des rencontres, tout en mutualisation et discussion. Autour de manipulations de mots, de matières et de narrations, elle propose un « art en commun », qui (…) consiste en des formes collaboratives au long cours liées à des enjeux esthétiques et sociaux : avec le partenariat de la DRAC PACA, l’artiste s’associe à un Groupe d’Entraide Mutuelle marseillais grâce au dispositif Tous.tes producteurs.rices, à l’initiative de la plateforme de production Fræme
 ».

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer