Adrien Menu – Langues sèches – Vidéochroniques à Marseille


Pour « Langues sèches », Adrien Menu s’est emparé des espaces de Vidéochroniques avec une étonnante maitrise, n’hésitant pas à les reconfigurer en partie pour placer les visiteurs dans une situation d’incertitude et un indéfinissable sentiment d’inconfort.

Jusqu’au 1er juillet, il présente une vingtaine de pièces dont la plupart ont été réalisées cette dernière année entre sa résidence à la Casa de Vélasquez et son atelier marseillais. Dans une série de commentaires publiés sur Instagram, Adrien Menu revient en détail sur plusieurs de ces œuvres (voir ci-dessous). Il explique également qu’elles ont été ses intentions pour « Langues sèches » :

« Mêlant peintures, sculptures, vidéos et interventions architecturales, j’ai tenté de réaliser une exposition qui propose une rencontre avec un corps ému, balbutiant des désirs de lenteurs et dont les respirations ruminent une mémoire aux échos intimes et familiers. Différents symptômes affleurent à sa surface au travers d’un langage articulé par une prolifération de ratures, de résidus entassés, ainsi que de références animales et végétales, qui dans le même temps, s’efforcent de bricoler et d’imaginer des manières de faire face à ces maux ».

Il est particulièrement difficile de rendre compte de l’expérience des espaces remodelés par Adrien Menu et de la confrontation avec les œuvres et les situations qu’il y a installées.

Dans son texte qui accompagne l’exposition, Édouard Monnet souligne très justement l’étrange manière avec laquelle l’artiste joue avec le temps, comment il réussit « à ralentir – voire à suspendre – l’action et les effets du temps, en le figeant parfois littéralement »…

Cette combinaison d’espaces en partie réaménagés, mais dont la restructuration semble en suspens est particulièrement troublante. Dès que l’on pénètre dans Vidéochroniques, les bâches au sol interpellent. Le montage de l’exposition est-il achevé ? Le vernissage a-t-il eu lieu ?

Adrien Menu - Séquence pour un musée d'avant-hier, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
« Langues sèches » – Séquence pour un musée d’avant-hier, 2023 – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille

Pour les habitué·e·s du lieu, en montant la volée de marches, on perçoit que les choses ne paraissent pas tout à fait à la même place, qu’un déséquilibre s’est installé… Il faut quelques secondes avant de remarquer qu’un des deux garde-corps a été remplacé et que deux rambardes en acier patiné ont pris place au milieu de l’escalier (Séquence pour un musée d’avant-hier, 2023).

Cette sensation se prolonge dans la salle à droite. Une moquette couleur chair recouvre des podiums posés à quelques centimètres du sol. D’évidence, ils dessinent partiellement le plan d’une maison ou d’un appartement (Rumination sur un contour, 2023).

Adrien Menu - Rumination sur un contour, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Rumination sur un contour, 2023 – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille

La présence de deux radiateurs (Sans titre, 2023) semble le confirmer. Deux ouvertures dans la cimaise donnent accès aux réserves de Vidéochroniques si l’on écarte les bâches en plastique translucides… Sous la moquette, dont des marbrures font penser à un épiderme, courent des câbles électriques qui alimentent deux moniteurs. L’un est posé sur un carton dans la réserve, l’autre est dissimulé derrière une porte qu’on ne peut ouvrir…

Plus loin, la petite salle en alcôve est devenue « Espace raturé ».

Adrien Menu - Espace raturé, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
drien Menu – Espace raturé, 2023 – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille. Photo Vidéochroniques

Peu à peu, on découvre une, deux, puis plusieurs mouches en laiton qui ont contaminé ces espaces (Stuck pixel, depuis 2021)… Sont-elles venues mourir ici ? Témoignent-elles de la présence de matières en décomposition ? D’autres éléments sont disséminés dans l’exposition : trognons de pomme, noyaux d’olives, bouteille… Ces objets oubliés renvoient-ils à des gestes du quotidien ? Qui les a laissés là ? Quand ont-ils été abandonnés ?

Sur la rambarde de l’escalier qui descend vers la fosse, un blouson de cuir et les objets qui y sont posés en équilibre attestent de ce temps suspendu, de cet état transitoire dans lequel baignent les lieux (Untitled, 2022)…

Adrien Menu - Untitled, 2022 - Vidéochroniques - Marseille
« Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille – Untitled, 2022 – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille

Au-delà de ces « interventions architecturales » et de la manière avec laquelle Adrien Menu a investi les espaces et ralenti le temps, des sculptures plus imposantes paraissent évoquer des éléments biographiques sans que l’on puisse cependant leur donner sens. Sans doute la marque d’une certaine pudeur et d’une retenue de l’artiste…

Adrien Menu - Terrier, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Terrier, 2023 – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille. Photo Vidéochroniques

On comprend toutefois que l’empreinte en plâtre de traces de griffures, posée sur une couverture (Sans titre (empreinte), 2023), comme le moulage d’un trou creusé par un chien (Terrier, 2023), évoque sans doute un animal proche d’Adrien Menu. Les deux tableaux d’un homme âgé dans un canapé sont évidemment des portraits de son grand-père (Grandfather portrait, 2023) que l’on retrouve dans la vidéo diffusée dans la réserve.

Adrien Menu - Grandfather portrait, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Grandfather portrait, 2023 – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille. Photo Vidéochroniques

Dans la fosse, la figure assise en plâtre est sans doute le portrait d’une amie proche (Figure assise (vue face plongeante), 2023).

Adrien Menu - Figure assise (vue face plongeante), 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Figure assise (vue face plongeante), 2023 – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille

D’autres sculptures ou installations sont par contre plus énigmatiques. C’est le cas notamment du vêtement et de la tasse abandonnés sous la table en acier qui sert de support à Terrier, de la cage métallique posée au sol juste à côté (Prolifération, 2016), du paquet de feuilles colorées et tachées sur la gauche de l’entrée (Perruquage, 2023), ou encore du curieux assemblage au sol sur la droite (Old notes, 2016) et du matelas défoncé (Infected sculpture, 2019) appuyé au mur de l’« Espace raturé »…

On perçoit confusément que plusieurs de ses pièces évoquent l’univers du travail ouvrier auquel l’artiste a été confronté au cours de jobs alimentaires. Adrien Menu confie que plusieurs de ces sculptures ont été fabriquées à partir de photos prises et d’objets empruntés dans ces ateliers pour, dit-il, « questionner ces espaces de productions massives et leurs pratiques »…

Il y a dans cet univers une dimension nostalgique et une évidente tonalité mélancolique qui renvoient indirectement aux souvenirs des uns et des autres…

Le titre de ce projet est lui aussi insaisissable. On se gardera de construire des hypothèses à son sujet comme celle qu’élabore Édouard Monnet au début de son texte à propos de la xérostomie…

On se contentera d’indiquer que « Langues sèches » provient de la lecture d’une nouvelle de l’écrivain suédois Stig Dagerman, Le chien et le destin publiée dans « Notre plage nocturne » :

« Si on était un chien, on aboierait.
Mais lui n’aboie pas. Se conforme à la bonne règle. Ferme sa gueule. S’accroupit dans le sable et fait ce que tout le monde est obligé de faire. Mais il n’a pas honte. La honte, c’est pour les hommes. Seuls les hommes éprouvent de la honte. Au mauvais moment, malheureusement.
Il reste assis. Nuages de silence au-dessus de lui. Les tentes dorment. Le vent lèche, la langue sèche. »

Adrieu Menu confie que cet ouvrage l’a fortement marqué. Il lui emprunte aussi Séquence pour un musée d’avant-hier, le titre de l’intervention architecturale qui remodèle l’entrée de Vidéochroniques. Dans un des commentaires publiés sur Instagram, il en fait le résumé suivant :

« Elle décrit, entre autres, une plage jonchée de déchets laissés par l’homme, comme un musée d’avant-hier. Jour qui nous permet déjà une certaine distance d’appréciation du ravage accumulé, mais dont les reflux encore frais de cette “crasse muséale” nous parviennent avec intensité ».

Faire l’expérience de « Langues sèches », c’est sans doute se confronter à l’univers singulier d’Adrien Menu, à ses récits suspendus et lacunaires. Mais c’est aussi laisser éventuellement resurgir des lambeaux de ses propres histoires, celles qui sont parfois profondément enfouies…

Adrien Menu - Langues sèches - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu« Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille. Photo Vidéochroniques

En 2019 à l’occasion de « Sud magnétique », Adrien Menu avait exposé dans les espaces de Vidéochroniques quelques pièces remarquables et notamment Ennui sauvage (2019). « Langues sèches » confirme qu’il s’impose comme un des artistes les plus intéressants du moment.

« Langues sèches » exige des visiteur·eus·s à la fois beaucoup d’attention et une certaine capacité à lâcher prise. Merci à Thibaut Aymonin pour ses précisions sur les œuvres d’Adrien Menu et pour la richesse de nos échanges lors de mon passage à Vidéochroniques.

On reproduit ci-dessous les commentaires d’Adrien Menu qui accompagnent les photographies de son exposition partagées sur Instagram. Il nous semble inutile de les paraphraser.

Ce projet est soutenu la Fondation des Artistes et la Casa de Velazquez.

En savoir plus :
Sur le site de Vidéochroniques
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Sur le site d’Adrien Menu

« Langues sèches » – Les commentaires d’Adrien Menu publiés sur Instagram

Je présente dans cette exposition un ensemble conséquent de pièces réalisées, pour la plupart, cette dernière année passé entre la résidence à la Casa de Velazquez et mon atelier à Marseille. Mêlant peintures, sculptures, vidéos et interventions architecturales, j’ai tenté de réaliser une exposition qui propose une rencontre avec un corps ému, balbutiant des désirs de lenteurs et dont les respiration ruminent une mémoire aux échos intimes et familiers. Différents symptômes affleurent à sa surface au travers d’un langage articulé par une prolifération de ratures, de résidus entassés, ainsi que de références animales et végétales, qui dans le même temps, s’efforcent de bricoler et d’imaginer des manières de faire face à ces maux.

Sans titre (empreinte), 2023

Adrien Menu - Sans titre (empreinte), 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Sans titre (empreinte), 2023. Plâtre, couverture. 84 x 50 x 5 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Sans titre (empreinte) est la première pièce que l’on voit en rentrant dans l’exposition. La reproduction en plâtre de traces de griffures d’un chien, retrouvées dans un mur en placo puis moulées, est déposée sur une couverture. Un précieux fragment de langage qui introduit donc l’exposition « Langues sèches ».

Séquence pour un musée d’avant-hier, 2023

Adrien Menu - Séquence pour un musée d'avant-hier, 2023
Adrien Menu – Séquence pour un musée d’avant-hier, 2023. Acier, cire, laiton. Dimensions variables – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille. Photo Adrien Menu

Séquence pour un musée d’avant-hier est composée de deux rambardes en acier patiné que j’ai fabriquées, prenant référence sur la forme de celles d’une station métro qui mène à mon atelier et s’adaptant au lieu d’exposition de Vidéochronqiues.

L’une est venue remplacer une barrière qui était là préalablement, cassant la symétrie de l’entrée, et j’ai installé l’autre au milieu de l’escalier. Cette structure installe un autre cadre de référence spatiale dans ce lieu, ce qui est constant dans l’exposition.

Le titre renvoie à une nouvelle à la fois mélancolique et engagée (d’un point de vue social et écologique) de Stig Dagerman. (…) Elle décrit, entre autres, une plage jonchée de déchets laissés par l’homme, comme un musée d’avant-hier. Jour qui nous permet déjà une certaine distance d’appréciation du ravage accumulé, mais dont les reflux encore frais de cette « crasse muséale » nous parviennent avec intensité.

Cet espace pansé de bâche sur toute la surface de son sol paraît hésiter entre plusieurs définitions et continuer à se construire. On traverse un paysage mêlant espace public normé, chantier, usine abandonnée, espace intime et familier, atelier, et une réserve du lieu de l’exposition qui est dévoilée.

Différents corps viennent ensuite contaminer cette structure. Des mouches en laiton aimantées, un trognon de pomme en laiton patiné et une bouteille reproduite en cire est insérée le long du mur, la cire encore chaude, laissant les traces de ce geste de sculpture qui renvoie à tout un tas de gestes que nous réalisons quotidiennement.

Adrien Menu - Old notes, 2016
Adrien Menu – Old notes, 2016. Acier, cire, tissu, bronze patiné, bronze peint, aluminium. 60 x 140 x 30 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille. Photo Adrien Menu

En entrant dans l’exposition, un déplacement latéral le long de cette rambarde nous permet d’en percevoir tous les éléments, sous la forme d’un travelling, encadré par les différents pieds en acier, avec au loin l’œuvre Old notes au sol.

Terrier, 2023

Adrien Menu - Terrier, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Terrier, 2023. Acier, silicone, plâtre polymère, poudre de fonte, terre. 220 x 120 x 90 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Terrier est une sculpture dont je gardais le projet et le moule en attente depuis plusieurs années désormais. L’exposition « Langues sèches » m’a donné l’occasion de la concrétiser. En effet, j’ai réalisé le moulage d’un trou creusé par un chien dans le jardin de ma maison familiale il y a bientôt 4 ans. Ce chien creusait pour combler des moments d’ennui, pour trouver un peu d’ombre ou pour rapporter et cacher tout un tas d’objets, dont des os et une bouteille en plastique, que l’on peut retrouver semi-enterrés dans la sculpture. La terre même de ce jardin initial a adhéré au silicone lors des opérations de moulage.

Adrien Menu - Terrier, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Terrier, 2023. Acier, silicone, plâtre polymère, poudre de fonte, terre. 220 x 120 x 90 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Ce terrier, réalisé dans les mêmes matériaux qu’un moulage, vient s’imbriquer dans une table inspirée de table d’usine destinée à une activité intense de production, production qui se dessine donc ici en creux.

Adrien Menu - Terrier, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Terrier, 2023. Acier, silicone, plâtre polymère, poudre de fonte, terre. 220 x 120 x 90 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Cette sculpture fait des échos chez moi à plusieurs romans de Kafka, mais également à une phrase de Jean Genet en 1957, dans l’atelier d’Alberto Giacometti : « Giacometti me dit qu’autrefois il eut l’idée de modeler une statue et de l’enterrer. Non pour qu’on la découvre ou alors bien plus tard, quand lui-même et jusqu’au souvenir de son nom aurait disparu. L’enterrer était-ce la proposer aux morts ? »

Adrien Menu - Terrier, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Terrier, 2023. Acier, silicone, plâtre polymère, poudre de fonte, terre. 220 x 120 x 90 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Perruquage, 2023

Adrien Menu - Perruquage, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Perruquage, 2023. Papiers de couleur. Dimensions variables – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Le titre fait référence au geste de « faire la perruque », définit par l’activité d’un salarié qui détourne le temps et les outils de travail à des fins privées et ne correspondant pas à l’activité de production de l’entreprise. J’ai découvert pour la première fois cette action dans le livre de Michel de Certeau « L’invention du quotidien » qui fait état de multiples braconnages (minuscules, quotidiens, silencieux) qui permettent à la population d’une société comme la nôtre, surveillée et quadrillée de toute part, de construire le réseau d’une anti-discipline nécessaire. Cette recherche permet également « au dominé (caché sous le nom pudique de consommateurs) » à ne pas être réduit à la seule passivité et docilité par lesquelles on le définit régulièrement.

Adrien Menu - Perruquage, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Perruquage, 2023. Papiers de couleur. Dimensions variables – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Lors de plusieurs jobs alimentaires que j’ai réalisés dans des usines, j’ai souvent pris des photos cachées d’objets et machines, mesurés avec mes doigts ou même parfois récupérer ces éléments. Plusieurs sculptures de l’exposition comprennent des structures directement fabriquées à partir de ces photos et souvenirs, pour questionner ces espaces de productions massives et leurs pratiques. Ces papiers, ici déposés sur un tas de bois, servaient de « signal » pour un changement de lot, dans une usine de poulet. Ils sont par endroit tachés de gras et de sang. Je les récupérais chaque jour où cela était possible, pensant m’en servir comme support de dessin.

Espace raturé, 2023

Adrien Menu - Espace raturé, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Espace raturé, 2023. Acier, cire. Dimensions variables et Infected sculpture, 2019. Résine acrylique, fil de fer, acier. 115 x 140 x 83 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

La rature est un motif que je retranscris en 3 dimensions dans mon travail actuel de sculpture et qui est devenu un refrain de cette exposition. Il fait référence aux tentatives considérées comme des échecs, mais qui sont en réalité essentielles dans tout processus. On nous apprend à faire disparaître les ratures de nos cahiers et dessins, les considérant comme indésirables, et ne voulant « exporter » que des produits finis, donnant l’impression d’être réalisés parfaitement du premier coup, et supprimant par là, toute valeur aux brouillons. L’enthousiasme de la recherche s’y loge pourtant. J’ai toujours aimé voir les feuilles originales des écrivains, voir leurs esprits vagabonder sur la page et s’efforcer de trouver le mot « juste ». La dynamique des ratures est primordiale et la prendre comme objet esthétique à part entière est pour moi une manière de réhabiliter l’expérimentation et toutes les envies qui se sont tentées et qui se trouvent « sous rature », dans un mouvement constant entre impossibilité d’apparaître complètement et nécessité d’être là.

Car la rature supprime tout en laissant apparaître ce qu’elle a supprimé, lui conférant une aura particulière. Elle devient parfois gribouillis, à l’image de certaines peintures de Cy Twombly, que j’adore. J’ai raturé ici un espace entier de l’exposition que l’on peut tout de même traverser et regarder de différents points de vue. Cette expérience du regard et du corps anime la ligne ainsi que l’espace qui lui est associé. La fabrication est faite de barres d’acier et tuyaux de différentes épaisseurs, pour la plupart récupérés, recouverts d’une cire colorée qui les lie tout en leur conférant un aspect gras et organique. Les bouteilles en cire poursuivent cette idée d’une possible contamination et circulation liquide. Cette ligne traverse également le mur de l’exposition pour venir apparaître dans la salle d’à côté à la manière d’une goupille qui la fixerait à l’architecture.

Adrien MenuInfected sculpture, 2019. Résine acrylique, fil de fer, acier. 115 x 140 x 83 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Untitled, 2022

Adrien Menu - Untitled, 2022 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Untitled, 2022. Bronze patiné. 60 x 34 x 34 cm – Vidéochroniques – Marseille – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Untitled, sculpture entièrement en bronze patinée, est déposée sur une rambarde de l’escalier qui mène à la fosse. Cette superposition d’objets paraît avoir été abandonnée temporairement, dans un équilibre précaire, mais sa transformation dans un seul bloc de bronze la suspend dans cet état transitoire. Son poids, à la manière d’une ancre, semble déclarer une envie de lenteur.

Figure assise (vue face plongeante), 2023

Adrien Menu - Figure assise (vue face plongeante), 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Figure assise (vue face plongeante), 2023. Plâtre, dessin sur calque. 84 x 46 x 158 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Figure assise (vue de face plongeante) poursuit une série de sculptures qui figurent des corps immobiles, ennuyées, ou endormies, et dont la construction est liée à notre obsession contemporaine pour l’image photographique. Ces sculptures sont réalisées à partir d’un seul point de vue photographique et mettent donc en avant la représentation de certaines « faces » non-visibles dans une photo.

Ces espaces manquant sont alors parfois laissés vides, coupés dans l’argile, et nous laisse faire l’expérience des creux de l’image en 2 dimensions. Je tente également de réinvestir certains de ces espaces de ruine avec différentes formes, matières et images qui instaurent d’autres dynamiques et possibles transformations à la sculpture.

Corps recherche, 2023

Adrien Menu - Corps recherche, 2023 - Vidéochroniques - Marseille
Adrien Menu – Corps recherche, 2023. Acier, plastique, impression sur papier, dessin sur calque, aimant, laiton. 357 x 40 x 170 cm – « Langues sèches » – Vidéochroniques – Marseille.

Corps-recherches est une structure modulable et dynamique composée de différents panneaux en acier aux dimensions de mon corps. Sur ceux-ci sont intégrés des signes/matériaux/images entremêlant références originelles de mon travail avec des composants reliés aux recherches propres à cette exposition « Langues sèches », ainsi que des éléments intégrant potentiellement de futur travaux.

Heures creuses, 2023

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