Jean-Luc Parant – Travaux sur papier à la galerie AL/MA – Montpellier


Jusqu’au 15 juillet 2023, la galerie AL/MA présente une très belle sélection de dessins de Jean-Luc Parant réalisés entre 1962 et 2022. Le projet de cette exposition a germé à la suite d’une visite de Jean-Luc Parant et de sa compagne Kristell Loquet à la galerie en avril 2022, quelques mois avant sa disparition en juillet. De ce passage, un Ensemble de 13 Boules (1983-2022) en terre cuite émaillée de blanc laissé par l’artiste est discrètement posé sur un coin du bureau de la galeriste.

Jean-Luc Parant – Ensemble de 13 Boules, 1983-2022 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier. Photo Yohann Gozard

Marie-Caroline Allaire Matte raconte : « Nous avions alors imaginé une proposition qui rassemble à la fois une sélection de dessins et une installation, à condition qu’un lieu différent de la galerie puisse l’accueillir ».

Après l’hommage que lui a rendu le Musée Paul Valéry l’hiver dernier, puis l’exposition des œuvres réalisées avec Robert Combas entre 2019 et 2021 à la chapelle du Méjan d’Arles dans « Entre quatre zieux », Marie-Caroline Allaire Matte concrétise le projet initié au printemps 2022 avec deux expositions, grâce à l’engagement de Kristell Loquet et au soutien de la Ville de Montpellier.

À la galerie AL/MA, elle présente sous le titre « Travaux sur papier » un ensemble de dessins, collages et sérigraphies qui font l’objet de cette chronique.

À la chapelle de la Miséricorde, la totalité de la spectaculaire installation Mémoire du Merveilleux, prêtée par le galeriste et collectionneur Pierre-Alain Challier, est exposée jusqu’au 17 septembre. Un article sera prochainement consacré à cette magistrale installation.

Jean Luc Parant - Dessins d’yeux, 1962 - Œuvres sur papier à la Galerie ALMA - Montpellier
Jean Luc Parant – Dessins d’yeux, 1962 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier

En entrant dans la galerie, on découvre sur la gauche Dessins d’yeux, une série de dix dessins de 1962 réalisés au brou de noix, à l’encre et au graphite. À l’époque, Jean-Luc Parant suit une formation en sculpture sur bois à l’École Boulle … Comment ne pas voir dans le choix de cette prestigieuse école d’art appliqué un signe du destin ?

Jean Luc Parant - Les yeux et les boules - Série des Dessins d’yeux, 1962 - Œuvres sur papier à la Galerie ALMA - Montpellier
Jean Luc Parant – Les yeux et les boules – Série des Dessins d’yeux, 1962 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier

Ces feuilles témoignent d’un motif alors dominant, celui des yeux… Mais les boules commencent à faire une « timide » apparition. Le titre manuscrit sur un de ces dessins « Les yeux et les boules » semble en être une expression manifeste. Les yeux comme les boules sont donc très tôt au cœur de l’œuvre de celui qui se définira en qualité de « fabricant de boules et de textes sur les yeux » dès la fin des années 1960…

Face à la porte, l’accrochage rapproche deux œuvres. Dans la première, Les yeux à roues (2001), un collage mêle dessins, notes et listes manuscrites et pastel sur papier. Aucune boule n’est présente, mais on retrouve un des motifs de la série des Dessins d’yeux de 1962.

Jean Luc Parant - Les yeux à roues, 2001 - Œuvres sur papier à la Galerie ALMA - Montpellier
Jean Luc Parant – Les yeux à roues, 2001 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier

Le titre de la seconde, Un immense nuage de poussière (2007), se prolonge avec la mention « main gauche les yeux fermés, main droite les yeux fermés, main gauche les yeux fermés, main droite les yeux ouverts ».

On a un peu de mal à repérer avec certitude les parties du texte écrites de la main droite ou de la main gauche et celles qui ont été écrites les yeux fermés…

Par contre, au bas de la feuille, dans sa comptabilité des boules, Jean-Luc Parant précise « 33 592 boules, les yeux ouverts de la main droite » et « 1282 boules, les yeux fermés de la main droite »…

Jean Luc Parant - Un immense nuage de poussière, 2007 - Œuvres sur papier à la Galerie ALMA - Montpellier
Jean Luc Parant – Un immense nuage de poussière, 2007 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier

Dans un texte qui accompagnait l’exposition « À quatre mains » à la galerie Lara Vincy en 2016, Kristell Loquet rappelait la découverte par Jean-Luc Parant en 1973 qu’il n’avait pas seulement deux mains, mais quatre : une main droite et une main gauche, les yeux ouverts, mais aussi une main droite et une main gauche les yeux fermés.

Elle ajoute : « C’est alors que cette possibilité de dessins à quatre mains devient une contrainte de travail si choisie qu’elle libère finalement le dessin de l’artiste en s’ajoutant à une autre contrainte : celle du compte systématique des petites boules à l’encre de Chine qui emplissent la page ».
Puis elle précise : « Pour Jean-Luc Parant, ces contraintes de formes et de nombres dans son travail sont comme un alphabet, comme un nombre limité de signes à combiner différemment pour en changer le sens. Ainsi l’artiste a l’impression d’être plus entièrement juste du passage des yeux ouverts aux yeux fermés (imprécis), du passage de la main droite à la main gauche (moins habile) ».

12431 petites boules les yeux ouverts de la main droite, 2002
Jean Luc Parant – 12431 petites boules les yeux ouverts de la main droite, 2002 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier. Photo Yohann Gozard

Au-dessus du bureau, une sérigraphie de 2002 est intitulée 2431 petites boules, les yeux ouverts de la main droite. En réserve, une seconde sérigraphie de la même série est titrée 4443 petites boules, les yeux fermés de la main droite.

Les œuvres suivantes illustrent l’usage fréquent par Jean-Luc Parant de papiers qu’il détourne avec poésie.

Jean Luc Parant - Musique, 2015 - Œuvres sur papier à la Galerie ALMA - Montpellier
Jean Luc Parant – Musique, 2015 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier

Sur une ancienne partition gravée d’un chant intitulé Septièmes sauvée sur la quinte, Musique (2015) trace avec des boules et un texte les contours d’un insolite animal polypode.

Jean Luc Parant - Page de compte, 2013-2014 - Œuvres sur papier à la Galerie ALMA - Montpellier
Jean Luc Parant – Page de compte, 2013-2014 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier

Deux pages de compte servent de support à un cousin du rhinocéros dont on n’arrive pas à suivre la comptabilité des boules (Page de compte, 2013-2014).

Jean Luc Parant - 1782 boules les yeux ouverts de la main gauche, circa 2018 - Œuvres sur papier à la Galerie ALMA - Montpellier
Jean Luc Parant – 1782 boules les yeux ouverts de la main gauche, circa 2018 – Œuvres sur papier à la Galerie AL/MA – Montpellier

Sur une enveloppe kraft usagée, les 1782 boules les yeux ouverts de la main gauche (circa 2018) remplissent en partie… une main gauche.

Sur quatre anciennes planches d’herbier, on découvre de curieux quadripèdes où l’on pourrait reconnaître (avec les bons yeux) une famille de fourmiliers tapie parmi les pins cembro et deux hippopotames… Une bestiole anguleuse et piquante semble avoir du mal à se cacher au milieu de graminées…

Jean Luc Parant - Carte, 2022 - Œuvres sur papier à la Galerie ALMA - Montpellier
Jean Luc Parant – Carte, 2022 – Œuvres sur papier à la Galerie ALMA – Montpellier

Entre les deux portes fenêtres qui ouvrent sur le plan du Palais, une multitude de boules dessinent d’étranges animaux marins sur une carte d’Indonésie (Carte, 2022).

Les amateurs et les amatrices du travail de Jean-Luc Parant découvriront parmi ces « Travaux sur papier » des œuvres rares dont certaines sont prêtées par des collectionneurs.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas cet artiste inclassable, c’est sans aucun doute l’occasion de rencontrer un univers singulier que décrit très justement Kristell Loquet dans Jean-Luc Parant, De l’infime à l’infini (éditions Actes Sud, 2007) :

« Modeler avec les mains jusqu’à écrire avec les yeux. C’est là tout le travail mené par l’artiste : rendre visible. Assumer le touchable le plus extrême jusqu’à paraître “offensif”, voire sur-expansif, pour mieux désigner le visible le plus discret et le plus profond, ce visible qui ne laisse pas de trace selon Jean-Luc Parant. »

Jean-Luc Parant est aussi l’auteur de très nombreux ouvrages qui, comme le souligne la galeriste, sont « inséparables de son travail plastique ».

Son dernier opus Soleil explosion, paru en mai 2023 dans la collection Al Dante aux Presses du réel est présenté par la galerie AL/MA.

Sur son site, l’éditeur rappelle que ce livre est « la suite, posthume et presque achevée, du poème-fleuve initié en 2020 ». Dans sa présentation de Jean-Luc Parant, il cite ces lignes de l’artiste qui sont par ailleurs reprises dans le communiqué de la galerie :

« J’écris des textes sur les yeux pour pouvoir entrer dans mes yeux et aller là où mon corps, ne va pas, où je ne suis jamais allé avec lui, où je ne me rappelle pas avoir été touchable. Pour aller là sur la page, dans ma tête, dans l’espace. Je fais des boules pour pouvoir entrer dans mes mains et aller là où mes yeux ne vont pas, où je ne suis jamais allé avec eux, où je ne me rappelle pas avoir été visible. Pour aller là dans la matière, dans mon corps sur la terre. »

En savoir plus :
Sur le site de la galerie AL/MA
Suivre l’actualité de la galerie AL/MA sur Facebook et Instagram

Bande annonce de Un film de boules, un documentaire de Claire Glorieux réalisé en 2017

Articles récents

Partagez
Tweetez
Enregistrer