Jusqu’au 22 octobre 2023, la Fondation Vincent Van Gogh Arles présente cinq toiles du maître hollandais. Trois tableaux proviennent du Van Gogh Museum d’Amsterdam. Deux ont été peints à Paris en juillet 1887 (Arbres et Sous-bois). Le troisième (Ravin avec un petit ruisseau) a été réalisé à Saint-Rémy-de-Provence en 1889. À ce prêt annuel de la Vincent Van Gogh Foundation s’ajoutent deux chefs-d’œuvre peints à Arles : Paysage enneigé (février 1888) de la Collection Thannhauser, conservé au Guggenheim Museum de New York et Les épis verts (juin 1888) prêtés par l’Israël Museum de Jérusalem.
Rassemblés sous le titre « Sols fertiles », ces cinq tableaux de Van Gogh sont confrontés aux œuvres de l’exposition « Action, Geste, Peinture – Femmes dans l’abstraction, une histoire mondiale, 1940-1970 » que la Fondation Vincent Van Gogh Arles accueille cet été, après une première étape à la Whitechapel Gallery de Londres où les toiles de Vincent n’étaient pas présentes.
On peut légitimement s’interroger sur ce rapprochement. Bice Curiger, directrice de l’établissement et commissaire de l’exposition, tient à rappeler que « la fondation a pour vocation de mettre en lumière l’œuvre de Van Gogh d’un point de vue contemporain » et à souligner que « Van Gogh et les artistes réunies dans cette exposition ont pour point commun la question de l’expression et du geste ».
Après un bref texte d’introduction et une toile de Joan Mitchell (Painting, 1958), le parcours de « Action, Geste, Peinture – Femmes dans l’abstraction, une histoire mondiale, 1940-1970 » débute avec trois tableaux de Van Gogh : Ravin avec un petit ruisseau (Saint-Rémy-de-Provence, 1889), Sous-bois (Paris, juillet 1887) et Paysage enneigé (Arles, février 1888). L’accrochage les rapproche avec deux vidéos de chorégraphies crées par Martha Graham (Heretic (1929) et Lamentation (1930).
Dans Heretic, Martha Graham vêtue d’une longue robe blanche s’oppose à un groupe de femmes habillées de noir. On comprend que cette figure « non-conformisme » qui parvient à faire naître un nouveau langage fait écho à celle de Van Gogh.
Quel lien faire entre ces trois toiles et Lamentation, le magnifique solo pour une danseuse enveloppée d’un tissu et assise sur un banc ?
On sait qu’avec Lamentation, Martha Graham évoque le deuil et de la souffrance. Elle décrit sa pièce comme « la tragédie qui hante le corps, la capacité de s’étirer à l’intérieur de sa propre peau, de témoigner et de tester les périmètres et les limites du chagrin »…
Faut-il associer la composition de Sous bois, inspirée de celle des estampes japonaises, aux contraintes qu’impose au corps de la danseuse le long tube triangulaire de jersey gris-bleu ?
Doit-on voir une relation entre ce qu’exprime le solo de Graham et la mélancolie qu’évoque Vincent dans une lettre à propos de Ravin avec un petit ruisseau, peint en 1889 lors de son séjour à l’hôpital à Saint-Rémy-de-Provence ?
Dans le texte qu’elle signe pour le catalogue, Bice Curiger s’attarde sur l’analyse de Paysage enneigé (1888). Elle s’interroge sur les ambitions du peintre : « L’intention est-elle de créer un rapprochement entre le peintre et le spectateur par la transmission d’impressions sensorielles et physiques ? » Est-ce bien là ce que la commissaire cherche à nous faire percevoir dans la juxtaposition de cette toile avec l’enregistrement d’une partie du solo de Martha Graham ?
Elle cite ensuite une lettre de Vincent à Émile Bernard dont elle extrait ces lignes :
« [Je] ne suis aucun système de touche. Je tape sur la toile à coups irréguliers que je laisse tels quels, des empâtements, des endroits de toile pas couverts – par-ci par-là des coins laissés totalement inachevés – des reprises, des brutalités, enfin le résultat est, je suis porté à le croire, assez inquiétant et agaçant pour que ça ne fasse pas le bonheur des gens à idées arrêtées d’avance sur la technique. »
À la lecture de ces mots, on comprend ce qui lie l’œuvre de Van Gogh à celles de nombreuses femmes exposées dans « Action, Geste, Peinture – Femmes dans l’abstraction, une histoire mondiale, 1940-1970 » et notamment avec les toiles de Joan Mitchell accrochées à proximité.
Par contre, les relations avec la danseuse et chorégraphe américaine demeurent toujours assez énigmatiques…
Les deux autres tableaux de Van Gogh sont accrochés dans le bureau lambrissé de l’ancien directeur de la banque de France.
Les splendides Épis verts peints dans la campagne d’Arles à l’été 1888 font face à Swedish Landscape (Paysage suédois) exécuté par Britta Ringvall probablement en 1960. Si la couleur est utilisée de « façon libre et ludique » par l’artiste suédoise, la toile a un peu de mal à résister en face de celle du maître néerlandais.
Artiste suédoise, Ringvall peint des paysages, des figures, des portraits et des natures mortes dans un style abstrait singulier, avec une touche souple et des coups de pinceau marqués, s’inspirant souvent de l’archipel de Stockholm pour ses motifs. Ses tableaux sont composés de nombreuses couches de peinture et la couleur y est utilisée de façon libre et ludique. Tout au long des années 1940, Ringvall présente de nombreuses expositions dans diverses galeries de Stockholm; elle est reconnue en son temps comme une artiste abstraite de premier plan.
Dans son essai pour le catalogue, Bice Curiger analyse :
« Le tableau associe des aplats de couleur pour le ciel à des touches pâteuses pour le paysage et des traits énergiques fusant vers le haut pour l’épi au premier plan. Si l’on focalise son attention sur le trait de pinceau, le motif se dissout et disparaît dans la couleur. Et le tableau semble abstrait, paradoxalement au moment même où le peintre pénètre son sujet avec la plus grande empathie ».
Puis elle suggère : « C’est comme s’il nous invitait à nous mettre au cœur de l’activité organique, à ne plus faire qu’un avec un brin d’herbe qui ondule dans le vent »…
Le cartel associé aux œuvres accrochées dans cette salle ajoute à propos de la seconde toile de Van Gogh :
« Exécuté un an plus tôt à Paris, Arbres donne à voir un portrait d’arbres dont la composition est coupée au premier plan par une branche oblique. Van Gogh a déjà assimilé différentes influences, notamment impressionnistes et japonaises ».
Comme pour celle de Britta Ringvall, on peut une fois encore s’interroger sur ce qui motive la place de la très belle œuvre de la peintre vénézuélienne Mercedes Pardo (Pequeña nada (Un petit rien), 1959).
Dans les années 1950, alors que le climat est au renouveau et à l’optimisme, l’abstraction commence à être appréciée au Venezuela, Pardo en est une figure majeure. Peintre avant tout, elle s’intéresse néanmoins aussi au vitrail, au métal émaillé et au graphisme. Vers 1956, elle commence à produire des œuvres d’art informel qui intègrent de riches superpositions picturales et explorent la couleur de manière vibrante. Pardo est également membre fondatrice de l’école coopérative San Antonio de Los Altos (Venezuela).
Peut-être faut-il simplement comprendre que c’est la taille relativement modeste et proche de celles de Van Gogh qui explique l’accrochage de ces deux tableaux dans cette petite salle…
N’aurait-il pas été plus pertinent d’isoler ces cinq toiles de Van Gogh dans un préambule ? N’aurait-on pas alors facilement compris que ces « Sols fertiles » avaient ouvert « de nouveaux espaces mentaux dans le champ du tableau »… Le lien avec les femmes artistes de l’exposition « Action, Geste, Peinture : Femmes dans l’abstraction, une histoire mondiale (1940-1970) » n’aurait-il pas alors été plus évident ?
Une prochaine chronique sera consacrée à la passionnante exposition « Action, Geste, Peinture : Femmes dans l’abstraction, une histoire mondiale (1940-1970) »
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