Jusqu’au 22 octobre 2023, la Fondation Vincent Van Gogh Arles présente avec « Action, Geste, Peinture » une importante et indispensable exposition. Sous-titrée « Femmes dans l’abstraction, une histoire mondiale, 1940-1970 », ce projet est coproduit avec la Whitechapell Gallery de Londres et la Kunsthalle de Bielefeld en Allemagne.
Avec plus de 130 œuvres réalisées par 85 artistes femmes du monde entier, « Action, Geste, Peinture » pose un regard renouvelé et nécessaire sur ce que l’histoire de l’art a retenu de l’expressionnisme abstrait et de plusieurs courants de l’art abstrait improvisé.
Dans leur introduction au catalogue, les trois commissaires générales de l’exposition – Iwona Blazwick, ancienne directrice de la Whitechapel Gallery, Bice Curiger, directrice de la Fondation Vincent van Gogh Arles et Christina Végh, directrice de la Kunsthalle Bielefeld – définissent ainsi le périmètre de leur projet et leurs intentions :
« Bien que le mouvement que nous connaissons sous le nom d’“expressionnisme abstrait” soit officiellement né au milieu du XXe siècle aux États-Unis, dans le monde entier des artistes ont exploré en parallèle d’autres approches de l’abstraction à travers la matérialité, l’expressivité et le geste — de l’art informel à l’Arte povera, de l’abstraction calligraphique et Gutai en Asie de l’Est à des pratiques expérimentales et profondément politiques en Amérique centrale et du Sud, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. S’inspirant des mouvements avant-gardistes de l’expressionnisme et du surréalisme, ces artistes ont redéfini la pratique créative comme une arène dans laquelle agir, expérimenter et développer la conscience de soi. Leurs peintures étaient considérées non pas comme des images, mais comme des événements. Partout dans le monde, leurs œuvres pionnières ont ouvert la voie à une redéfinition des questions d’esthétique, de poésie, de philosophie et de politique, chacune portant en elle les dimensions culturelles et subjectives propres au contexte dans lequel elle émergeait ».
L’exposition à la Withechapel Gallery (du 9 février au 7 mai 2023) s’articulait en cinq séquences thématiques : Material Process Time, Myth Symbol Ritual, Being Expression Empathy, Performance Gesture Rhythm et Environment Nature Perception. Ces mêmes sections structurent le catalogue.
Une exposition annexe, intitulée « Action, Gesture, Performance: Feminism, the Body and Abstraction », réunissait des documents photographiques et des vidéos sur les pratiques pionnières de la danse et de la performance des femmes artistes qui utilisaient leur corps pour explorer la liberté d’expression, la subjectivité et la politique.
Dans sa version arlésienne, « Action, Geste, Peinture » s’affranchit du schéma proposé à Londres. Le parcours s’organise avec beaucoup plus de liberté et de fluidité, en fonction des espaces très divers qu’offre la Fondation Vincent Van Gogh Arles.
L’accrochage privilégie les conversations et les correspondances productives entre les œuvres. En jouant habilement avec le volume des salles et la dimension des œuvres, la mise en espace évite la sensation d’un manque de respiration qu’avaient souligné certains critiques britanniques.
Les documents qui retracent les expressions radicales dans les domaines de la danse et de la performance au cours des années 1960 et 1970 ne sont plus isolés, mais ils s’articulent souvent avec bonheur avec les toiles exposées.
L’ensemble propose une déambulation très agréable où l’intérêt et l’attention des visiteur·euse·s sont subtilement relancés, où les figures les plus connues passent habilement le relai à celles qui le sont moins. Les salles s’enchainent avec fluidité. Des rapprochements se construisent avec finesse autour de perceptions de l’environnement et de la nature, d’une puissance sculpturale et gestuelle, de l’expressivité intérieure comme de celle du corps, de pratiques liées à la calligraphie et au bouddhisme zen, de l’exil et de l’obscurité, de l’expérience du temps et du paysage ou encore des matériaux bruts…
Certaines salles rapprochent des artistes autour de lieux essentiels, ceux où elles ont séjourné et où se sont organisées de multiples rencontres.
Les découvertes passionnantes se multiplient au fil de la visite au point de parfois donner le tournis. Avoir rassemblé plus de 80 artistes est à la fois la force et la faiblesse d’« Action, Geste, Peinture ». Ne voir qu’une ou deux œuvres de chaque artiste crée un inévitable sentiment de frustration et génère l’envie d’en savoir plus…
La sévérité et la rigueur du white cube sont brisées par des résilles tendues sur certaines cimaises peintes de couleurs pastel, réutilisant ainsi un dispositif expérimenté il y a quelques années pour une exposition consacrée à Niko Pirosmani. Avec une maille plus large, ce principe met également en évidence les ponctuations vidéos du parcours.
Chaque artiste bénéficie d’un cartel enrichi qui reprend l’essentiel des notes biographiques du catalogue.
Initiative de la Whitechapel Gallery, « Action, Geste, Peinture » a été conçue par un comité de commissaires composé d’Iwona Blazwick, Margaux Bonopera, Bice Curiger, Christian Levett, Erin Li, Julia Marchand, Joan Marter, Laura Rehme, Agustin Perez Rubio, Elizabeth Smith, Laura Smith, Candy Stobbs et Christina Vegh.
Le catalogue rassemble des essais de Griselda Pollock, Laura Smith, Elizabeth A. T. Smith, Candy Stobbs, Agustin Pérez Rubio, Joan M. Marter et Iwona Blazwick dont les cinq derniers correspondent aux séquences de l’exposition à la Whitechapel Gallery. Les œuvres reproduites sont celles exposées à Londres. Un cahier en français propose une contribution de Bice Curiger, la traduction des textes et des biographies des artistes ainsi que la reproduction des toiles ajoutées pour l’exposition à Arles. La lecture de ces essais enrichit notablement la visite de l’exposition, mais l’articulation différente de l’accrochage proposé à Arles exige une certaine gymnastique…
Le commissariat de « Action, Geste, Peinture » à la Fondation Vincent Van Gogh Arles est assuré par Bice Curiger, en collaboration avec Julia Marchand et Margaux Bonopera.
Avec des peintures et dessins de :
Mary Abbott • Maliheh Afnan • Gillian Ayres • Ida Barbarigo • Noemí Di Benedetto • Anna-Eva Bergman • Janice Biala • Bernice Bing • Sandra Blow • Chinyee • Wook-kyung Choi • Jay DeFeo • Amaranth Ehrenhalt • Asma Fayoumi • Lilly Fenichel • Perle Fine • Else Fischer-Hansen • Elna Fonnesbech-Sandberg • Juana Francés • Helen Frankenthaler • Judith Godwin • Gloria Gómez-Sánchez • Elsa Gramcko • Grace Hartigan • Buffie Johnson • Yuki Katsura • Helen Khal • Elaine de Kooning • Lee Krasner • Maria Lassnig • Bice Lazzari • Lifang • Bertina Lopes • Marta Minujín • Joan Mitchell • Aiko Miyawaki • Yolanda Mohalyi • Nasreen Mohamedi • Lea Nikel • Tomie Ohtake • Fayga Ostrower • Mercedes Pardo • Betty Parsons • Pat Passlof • Alice Rahon • Carol Rama • Marie Raymond • Judit Reigl • Deborah Remington • Britta Ringvall • Erna Rosenstein • Behjat Sadr • Nadia Saikali • Zilia Sánchez • Fanny Sanín • Niki de Saint Phalle • Miriam Schapiro • Sarah Schumann • Ethel Schwabacher • Sonja Sekula • Sylvia Snowden • Janet Sobel • Vivian Springford • Atsuko Tanaka • Franciszka Themerson • Alma Thomas • Yvonne Thomas • Hedwig Thun • Nína Tryggvadóttir • Elsa Vaudrey • Maria Helena Vieira da Silva • Michael West.
Photos et vidéos de performances de :
Trisha Brown • Mary Ellen Bute • Rosemarie Castoro • Mitra Farahani • Martha Graham • Barbara Hammer • Joan Jonas • Kang-ja Jung • Yayoi Kusama • Ana Mendieta • Lygia Pape • Yvonne Rainer • Carolee Schneemann.
« Action, Geste, Peinture » démontre avec solidité, mais sans discours militant effréné, que les « modes d’expression qui relient l’artiste à sa matière et à son geste, déployé parfois au-delà de la toile » n’ont pas été l’apanage des mâles blancs nord-américains. « Ils sont ceux qui orientent les pratiques artistiques des quatre coins du monde vers des éléments simples — le geste, l’action, l’évènement, la matière, pour agrandir l’espace de l’œuvre, mais aussi celui du soi »…
Comme l’écrit Laura Smith dans son essai our le catalogue, en citant celui de Griselda Pollock :
« Au lieu d’envisager l’artiste homme américain comme l’innovateur et toutes celles et tous ceux qui ont été “oublié·es” comme ses disciples, “il nous faut saisir la vérité selon laquelle, côte à côte, femmes et hommes de tous les continents, impliqués dans des dialogues internationaux et régionaux, ont cocréé l’art moderne” ».
Exposition incontournable !
Celles et ceux qui en ont la possibilité ne manqueront de passer plusieus fois par la Fondation Vincent Van Gogh Arles cet été…
Ci-dessous quelques regards photographiques sur « Action, Geste, Peinture » accompagnés de la reproduction de la présentation des salles par la Fondation Vincent Van Gogh Arles.
En savoir plus :
Sur le site de la Fondation Vincent van Gogh Arles
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Regards sur « Action, Geste, Peinture » à la Fondation Vincent Van Gogh Arles
1er niveau :
Salle C
Ici se côtoient des œuvres d’artistes états-uniennes de différentes générations. Lee Krasner est associée à la « première génération» d’artistes femmes de l’expressionnisme abstrait; Bald Eagle (Pygargue à tête blanche, 1955) est l’une des « peintures-collages » sur lesquelles elle agence des fragments de peintures et dessins antérieurs d’elle ou de son mari, l’artiste Jackson Pollock. Si Grace Hartigan et Joan Mitchell, qui font partie de la seconde vague de l’expressionnisme abstrait aux États-Unis, bénéficient de leur vivant d’une reconnaissance certaine, elles ne participent pas aux expositions comme « New York Painting and Sculpture, 1940-1970 » au Metropolitan Museum of Art en 1969.
L’artiste franco-américaine Niki de Saint Phalle réalise en France dès 1961 des tirs. Ces tableaux réalisés en tirant à la carabine sur des poches de peinture cachées derrière une couche de plâtre font allusion, non sans équivoque, à la gestualité expressive indéniablement patriarcale de l’art d’après-guerre.
Salle D
Dès le début des années 1950, Helen Frankenthaler, seule artiste femme de l’exposition « New York Painting and Sculpture, 1940-1970 », inaugure sa technique du soak-stain (littéralement « tremper-colorer ») qui consiste à fluidifier la peinture à l’huile (et plus tard à l’acrylique) avec de la térébenthine jusqu’à obtenir une consistance aqueuse, puis à l’appliquer sur une toile non apprêtée posée à même le sol. On retrouve ce procédé dans les trois toiles présentées ici : After Rubens (D’après Rubens, 1961), Vessel (Vaisseau, 1961) et April Mood (Humeur d’avril, 1974).
Deux peintures de la Vénitienne Ida Barbarigo (Open Game [À jeu ouvert], 1961 et Promenade, 1963) exaltent un trait libre et dansant, tandis que le geste qui fait naître les œuvres de l’artiste états-unienne d’origine ukrainienne Janet Sobel – parmi les plus anciennes de l’exposition (1948 et 1949) – s’appuie sur la technique picturale du dripping, qui consiste à faire goutter la peinture sur la toile à l’aide de pipettes en verre ou d’autres outils.
Le tableau Peinture (1962) et le film Round on Sand (Arrondi sur le sable, 1968) d’Atsuko Tanaka, membre du groupe japonais Gutai, affirment l’engagement physique de l’artiste par le mouvement, qui s’inscrit dans le sable ou devient parabole de l’électricité.
Atsuko Tanaka – Peinture (Paint), 1962 et Round on Sand (Arrondi sur le sable), 1968 – « Action, Geste, Peinture » à la Fondation Vincent Van Gogh Arles
L’évocation de la balade présente dans chacune des œuvres de la salle conduit la matière à dégorger, le geste à se déplier, et le corps à s’engager dans l’exécution du trait.
Salle E
D’autres œuvres ont été élaborées au contact de la nature, qui n’est pas perçue comme une constante archétypale, mais comme une sensation immédiate et passagère. L’environnement finlandais joue un rôle primordial dans les abstractions atmosphériques, spectrales et opalescentes d’Anna-Eva Bergman.
Les lignes blanches iridescentes de Night Flight (Vol de nuit, 1960) de la Britannique Elsa Vaudrey nous entraînent vers l’horizon invisible d’un ciel glacial, contrastant avec l’abstraction vive et organique de l’artiste d’origine colombienne Fanny Sanín.
Les peintures monochromes de Maria Helena Vieira da Silva, née au Portugal, proposent une perspective fragmentée qui confine le regard du spectateur dans des couloirs de quadrillages ; elles sont l’écho du paysage dévasté de l’après-guerre.
La performance Self-Obliterations (Auto-oblitérations, 1967) de Yayoi Kusama montre l’artiste sur un cheval dans la nature ; cette dernière, tout comme l’animal, se transforment en support de son œuvre.
Salle F
Les œuvres de cette salle dégagent une puissance sculpturale et gestuelle, que celle-ci naisse d’une pratique proche de la calligraphie (Vivian Springford) ou de l’art informel. Peintre espagnole autodidacte, Juana Francés cofonde en 1957 le collectif d’artistes El Paso, qui marque l’apogée de l’expressionnisme abstrait en Espagne. Pour ses deux œuvres exposées (N° 8, 1958, et N° 16, 1959), elle a choisi une palette de couleurs ternes, et laissé goutter la peinture sur la toile avant de la gratter et de la griffer, incorporant des matériaux tels que du sable ou de la terre.
Travaillant à même le sol, la peintre argentine Marta Minujín utilise du sable, de la laque, de la craie et de la colle pour former des surfaces très texturées. La puissance sculpturale de Torso (Buste, 1952), de l’Américaine Jay DeFoe, naît du rapport à la matière de l’artiste, qui insère dans son œuvre de fins cordages.
Marta Minujín – Sans titre (Untitled), 1961-1962 – Jay Defeo – Torso (Buste), 1952 – « Action, Geste, Peinture » à la Fondation Vincent Van Gogh Arles
De plus petit format, les deux tableaux de l’artiste iranienne Behjat Sadr laissent entrevoir le rôle de son corps et de ses mouvements ainsi que l’importance de l’obscurité dans l’élaboration de ses œuvres, qu’elles soient réalisées en Italie, en Iran ou en France.
Salle G
L’expressivité intérieure et celle du corps sont les lignes directrices de cette petite salle. Deux toiles de l’Autrichienne Maria Lassnig mettent en lumière l’écriture gestuelle et corporelle ; en intitulant son œuvre de 1960 Quadratisches Körpergefühl (Sensation de corps carrée), l’artiste semble fondre l’abstraction dans un morceau de chair.
Les deux tableaux de l’artiste italienne Carol Rama renouent plutôt avec une écriture surréaliste, dont l’expressivité émane de l’association, par l’intermédiaire de colle ou de peinture en aérosol, d’objets inquiétants (yeux de poupée) avec une gestualité surprenante.
Enfin, les œuvres de l’artiste américaine Pat Passlof témoignent d’une autre veine de l’expressionnisme abstrait, polarisée sur le rythme (vif) et la couleur. Elles se trouvent juste avant les toiles de Yuri Katsura, dans la salle suivante.
Salle H
Les artistes coréenne Wook-kyung Choi et états-unienne Judith Godwin recourent à des pratiques liées à la calligraphie, au bouddhisme zen et aux itérations de l’art informel.
Les tableaux de la Japonaise Yuki Katsura sont réalisés à partir de papier washi humide posé sur la toile et recouvert de peinture. En quittant le Japon à la fin des années 1950 pour séjourner à New York, elle opte pour une abstraction pure où les formes s’apparentent à des étoffes ou encore à des insectes (Work [œuvre], 1958-1962).
Yuki Katsura – Work (Œuvre), 1958-1959 et Work (Œuvre), 1959 – « Action, Geste, Peinture » à la Fondation Vincent Van Gogh Arles
En parallèle, deux toiles de Gillian Ayres, figure majeure des courants radicaux de l’abstraction qui dominent la scène artistique britannique dans les années 1950 et 1960, sont exposées.
Salle J
Deborah Remington – Eleusian, 1951 et Dr S, 1962 – « Action, Geste, Peinture » à la Fondation Vincent Van Gogh Arles
Les deux niches présentent des œuvres de Deborah Remington. Dans les années 1950, cette artiste liée à la scène beat de la région de la baie de San Francisco est l’une des six peintres et poètes – et la seule femme à fonder la légendaire Six Gallery à San Francisco.
Salle K
Les photographies de ces artistes ont été prises dans leurs ateliers ou dans l’espace public. Parmi elles, un cliché de Burt Glinn immortalise la camaraderie entre Helen Frankenthaler, Joan Mitchell et Grace Hartigan en 1957, à New York. Trois extraits de films sur Niki de Saint Phalle et Behjat Sadr, ainsi qu’une performance filmée de l’artiste états-unienne Joan Jonas (tournée en super 8), prolongent l’exploration de la danse et de l’action.
Salle L
La dernière salle de cet étage aborde les thèmes de l’exil et de l’obscurité, induits par des migrations forcées, l’impossibilité de retourner dans son pays natal et la perte de proches.
Tomie Ohtake s’installe au Brésil après y avoir rendu visite à son frère à la fin des années 1930, ne pouvant retourner dans son Japon natal du fait des tensions dans la région pacifique. Elle produit un corpus de formes gestuelles où des silhouettes foncées, quasi géométriques, dominent l’espace.
Lilly Fenichel, active aux États-Unis, fuit d’abord avec sa famille au Royaume-Uni après l’invasion de l’Autriche par les nazis. La Palestinienne Maliheh Afnan, exilée à Beyrouth en 1949, crée un paysage sombre de souvenirs et de signes graphiques qui semblent composer une foule surgissant de l’ombre, tandis que l’artiste jordanienne Asma Fayoumi représente un deuil lié à la guerre dans son œuvre Ritha’ Madina (Requiem pour une ville, 1968).
2eme étage
Salle M
Carolee Schneemann – Up to and Including Her Limits, 1974-1976 et Rosemarie Castoro dans son atelier, 1972
Le second étage s’ouvre sur les photographies de deux performances d’artistes états-uniennes. Dans Up to and Including Her Limits (Jusqu’à ses limites [comprises), 1974-1976), Carolee Schneemann utilise toute l’amplitude des mouvements de son corps pour explorer les limites de la peinture. Extraites de ses journaux, les photographies de Rosmarie Castoro révèlent aussi une approche performative de la peinture.
Les tableaux Circus Landscape d’Helen Frankenthaler (Paysage de cirque, 1951) et 7 am de la Suisse Sonja Sekula (1948-1949) accompagnent cette présentation.
Salle N
Paris constitue également une arène de l’action gestuelle pour celles qui y séjournent (telle Behjat Sadr, exposée en bas). Connu sous le nom de « nouvelle école de Paris », ce mouvement épouse et prolonge différents courants artistiques. Après un séjour à Paris dans les années 1950, Lea Nikel, Israélienne originaire d’Ukraine, conjugue l’art informel à un usage très audacieux de la couleur. Judit Reigl, d’origine hongroise, fait connaissance à Paris d’André Breton ; son travail, inspiré par le surréalisme, se rapproche de l’abstraction lyrique, avec comme composante essentielle la gestuelle du corps. Marie Raymond (mère d’Yves Klein) partage son temps entre Paris et le Sud de la France, où elle peut nourrir son attrait pour la nature, l’ésotérisme et le cosmos.
Salle O&P
La peinture est aussi un lieu de mémoire, une expérience du paysage et du temps qui est mémorisée par le regard, le corps, l’imagination et la toile. En Suisse durant les années 1960, la Taïwanaise Lifang traduit la sensation du changement de saison avec des modalités sombres dans Autumn (Automne, 1968). Chinyee, sino-américaine, expérimente une nouvelle forme d’expression de soi par l’association de l’abstraction occidentale avec des traditions orientales d’aquarelle et de calligraphie au pinceau et à l’encre, tandis que la gestualité fluide des œuvres de la Libanaise Nadia Saikali, par une trace souple, restitue l’atmosphère du crépuscule avec Lever de lune (1969).
Non loin, Nína Tryggvadóttir cherche la gamme de couleurs et la composition d’Abstraction (1963) et d’Eruption VII (1959) dans la lumière et les paysages islandais. Enfin, deux Composition (1949) de l’artiste danoise Else Fischer-Hansen traduisent la douceur d’un paysage lumineux aux tonalités pastel.
Salle Q
Le parcours s’arrête ici sur des œuvres sur papier de Nasreen Mohamedi (née au Pakistan) et de Franciszka Themerson, figure de l’avant-garde polonaise réfugiée à Londres, dont est exposé un ensemble de dessins improvisés réalisés en laissant couler de la peinture-émail.
Salles R & S
Le film X de la cinéaste expérimentale Barbara Hammer, réalisé en 1973, dévoile un autoportrait ironique, expressif et audacieux où l’artiste semble sonder le plaisir de la jouissance féminine à l’écart d’une logique reproductive.
Le tableau de Buffie Johnson Pentecost (1958), montré pour la première fois chez Betty Parsons (exposée plus loin), célèbre l’énergie dans un mouvement ascensionnel. Johnson vit à East Hampton, un village non loin de New York où Lee Krasner, son mari Jackson Pollock ainsi qu’Elaine et Willem de Kooning ont établi une communauté d’artistes. Ce sont effectivement l’énergie et l’émulation new-yorkaises qui se dégagent de ces deux salles.
Figure de proue de l’école de New York dans les années 1940 et 1950, Elaine de Kooning signe ses toiles EDK pour ne pas être confondue avec son mari; elle transpose des sujets figuratifs dans l’arène d’une gestualité expressive – en témoigne The Bull (Le Taureau, 1959). Dans Nihilism (Nihilisme, 1949) de Michael West – qui emménage à New York dans les années 1930 – , une nébuleuse de couleurs terreuses brouille la trame complexe des couleurs du fond.
Cette allusion au nihilisme, note Agustín Pérez Rubio dans le catalogue de l’exposition, « bouillonne comme une critique de la société et du genre : l’artiste, née Corinne Michelle West, avait en effet plusieurs pseudonymes subvertissant son identité de genre ».
Salle T
Cette salle est consacrée à des figures essentielles de l’expressionnisme abstrait des côtes ouest et est des États-Unis, au début des années 1950. Peu connues, elle ont pourtant participé activement à la consolidation du mouvement.
Propriétaire d’une galerie à New York de 1946 à 1982, Betty Parsons – dont deux toiles sont présentées ici – soutient de nombreux artistes, notamment Fine, Godwin, Krasner, Newman, Pollock, Rothko, Schwabacher et Sekula. L’œuvre Woman: Red Sea, Dead Sea (Femme: mer Rouge, mer Morte, 1951) d’Ethel Schwabacher est par exemple exposée à la Betty Parsons Gallery peu de temps après sa réalisation. L’artiste franco-américaine Yvonne Thomas rejoint quant à elle la célèbre école Subjects of the Artist qui, entre 1948 et 1949, participe à l’émergence de l’abstraction expressionniste. Perle Fine, connue pour ses rendus brossés de formes biomorphiques entrelacées avec des formes géométriques irrégulières, est l’une des premières femmes à être admises au sein du Club de la 8e Rue tour à tour école, galerie, dancing et théâtre, mené par un groupe d’artistes dont Willem de Kooning et Robert Motherwell.
Le tableau Idyll II (Idylle II, 1959) est une métaphore de l’exposition; les propos de son autrice états-unienne Miriam Schapiro éclairent l’ensemble du parcours : « Dans les années 1950, la toile était une scène de théâtre, la peinture un geste, voire la vitesse, des substituts à l’acte physique de danser. »
Salle U
La dernière salle met l’accent sur l’importance – partout dans le monde – du procédé et des matériaux bruts. La démarche de Noemí Di Benedetto et de Marta Minujín, toutes deux argentines, est dominée par l’art informel et l’utilisation de matières texturées, dans une tentative de défier le pouvoir établi dans leur pays. Aiko Miyawaki combine la conception japonaise de l’espace avec des techniques mixtes permettant des surfaces texturées; c’est le cas de Work (Œuvre, 1962), réalisé à partir de pigment et de poudre de marbre. Les similitudes frappantes entre les tableaux de cette salle révèlent des modes d’expression communs dont faisait déjà état Gloria Gómez-Sánchez (Pérou) : « Il serait intéressant que les spécialistes de l’art prennent en compte le fait que des artistes ont des modes d’expression similaires, même lorsqu’elles et ils sont de pays différents, simplement en vivant à la même époque ». Ces modes d’expression sont ceux qui relient l’artiste à sa matière et à son geste, déployé parfois au-delà de la toile. Ils sont ceux qui orientent les pratiques artistiques des quatre coins du monde vers des éléments simples – le geste, l’action, l’évènement, la matière, pour agrandir l’espace de l’œuvre, mais aussi celui du soi. L’exposition « Action, Geste, Peinture » en est le témoignage incontestable.