Jusqu’au 7 janvier 2024, le Musée Soulages présente une exceptionnelle sélection de 43 œuvres produites par le maître de l’outrenoir entre 2010 et 2022.
Pour cet hommage à Pierre Soulages, les commissaires proposent de porter un regard sur son travail depuis la grande rétrospective du Centre Pompidou en 2009 et sa dernière toile réalisée dans son atelier à Sète, quelques mois avant sa mort (Peinture 102 X 130 cm, 15 mai 2022).
Dans son avant-propos au catalogue, Alfred Pacquement souligne que ce projet a pour ambition de montrer la richesse d’une dernière décennie « au cours de laquelle près de trois cents peintures seront réalisées. Poursuivant son “aventure” de l’Outrenoir, Soulages ne cesse de renouveler ses expériences picturales. Il intervient dans la surface de diverses manières, par entailles, stries, scarifications, larges ou resserrées, obliques ou horizontales, sans redites ni système. Les formats sont souvent importants, auxquels s’ajoutent quelques imposants polyptyques ».
Citant la célèbre réplique « Il faut que tout change pour que rien ne change » du roman il Gattopardo de Lampedusa adapté au cinéma par Visconti, Benoît Decron, directeur du Musée Soulages et co-commissaire de l’exposition, ajoute de son côté :
« Les dernières œuvres ont la subtilité de la célèbre citation de Lampedusa : le tremblement perceptif à l’épreuve du passé, la fidélité à soi-même et pourtant des solutions nouvelles, des échappées. Changer tout en revenant à des fondamentaux des premiers temps. »
Dans son éditorial pour le journal du musée, Benoît Decron rappelle « Le peintre qui n’a jamais cru au progrès en histoire de l’art, se contente d’exercer sa propre liberté, de tracer sa route ». Puis, il poursuit :
« La chronologie s’efface devant la variété. Quand on parle de ce “dernier Soulages”, nous découvrons des noirs étonnants, de plus en plus radicaux et subtils ; le jeu des outils, couteaux à enduire, lames diverses, brosses plates de toutes largeurs, pinceaux, se marie parfaitement à la lumière que le peintre fait entrer à brassées. Cette lumière généreuse est devenue un outil à part entière, éclats brefs, martelés et répétés, ou réfléchissements étirés ; la lumière est comme un outil sans manche ».
Entre le spectaculaire polyptyque en cinq panneaux prêté du Musée Fabre (Peinture 181 X 405 cm, 12 avril 2012) et la monumentalité des cinq grandes Peintures de 390 x 130 cm du centenaire, réunies pour la première fois à Rodez, l’exposition multiplie les (re)découvertes, les surprises et les émerveillements. Elle démontre avec brio combien l’œuvre de Soulages a été jusqu’au bout « un monde en développement ».
Le commissariat est assuré par Benoît Decron, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Soulages et Amandine Meunier, responsable des collections et de la régie des expositions au musée Soulages.
Le fonds Pierre et Colette Soulages fournit l’essentiel des œuvres exposées. Celles-ci sont complétées par des prêts de collectionneurs privés, de galeries historiques et d’institutions comme le Musée Fabre de Montpellier et le LWL-Museum de Münster en Allemagne.
Catalogue (non lu) publié aux éditions Gallimard. Avant-propos d’Alfred Pacquement ; préface de Benoît Decron. Contributions : La peinture au présent de Natalie Adamson ; Pierre Soulages, Peintre du blanc d’Éric de Chassey ; Pierre Soulages et la sérendipité de Camille Morando ;
L’Âge d’or de Pierre Encrevé ; Soulages, L’empire du noir de Benoît Decron ; Pierre Soulages. Lumière de Hermann Arnhold ; Pierre Soulages ou l’édification du peintre et Anecdotes biographiques par Amandine Meunier.
À noter la publication récente de Pierre Soulages dans l’intimité de l’œuvre et entretiens par Nathalie Reymond aux Éditions meridianes.
Dans cet ouvrage passionnant, Nathalie Reymond revient sur « le choc éprouvé, le plaisir du contact visuel, la sensation d’aventure et de liberté que j’ai toujours éprouvés devant chacune des œuvres de Soulages ». Dans une sorte de journal intime et fragmentaire, elle relate la façon dont elle a vécu les métamorphoses quotidiennes de Peinture 72,5 x 81 cm, 3 février 1996, un outrenoir prêté par les Soulages pendant deux mois. La seconde partie est consacrée à des entretiens, souvent éclairants, avec Soulages entre octobre 1997 et septembre 2019.
À lire, ci-dessous, quelques regards sur l’exposition.
Naturellement, un passage par le Musée Soulages est absolument incontournable !
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Les derniers Soulages à Rodez (2010-2022) : Regards sur l’exposition
« Les derniers Soulages à Rodez (2010-2022) » se développe essentiellement dans les espaces réservés aux expositions temporaires. Toutefois, le parcours se prolonge dans une des deux salles de la collection permanente consacrées aux Outrenoir avec neuf œuvres dont six sont en dépôt au musée Soulages.
Ni chronologique ni thématique, le parcours laisse aux visiteur·euse·s l’intitiative de leurs déambulations. La scénographie très sobre n’impose aucun cheminement. L’accrochage semble construit avant tout pour offrir les meilleures conditions possibles à l’expérience des œuvres et à leur contemplation. Cependant, quelques effets de surprise et d’étonnement ont été aménagés avec attention et certains rapprochements peuvent orienter le regard…
À gauche de l’entrée, une introduction d’Amandine Meunier et Benoît Decron, commissaires de l’exposition, résume leurs intentions. Il est précédé cette citation de Pierre Soulages en 2002 :
« Quand on parle toujours du noir à mon propos et l’insistance que l’on met sur ce noir, qui est central à toute ma peinture, depuis mes débuts, ça n’a jamais exclu des qualités essentielles de la peinture qui tiennent autant à la dimension, suivant le cas, au rythme suivant le cas, à l’espace… à toute la conception de chaque œuvre, qui s’accompagne du noir, mais ne repose pas exclusivement sur ce noir, au contraire même. »
Seul texte de l’exposition, il est accompagné par un portrait de Soulages, photographié en 2009 par Claude Gassian dans son atelier parisien de la rue Saint-Victor. Appuyé sur le champ d’un de ses Outrenoir, son regard paraît se poser sur Peinture 175 × 175 cm, 18 août 2018. Il semble ainsi inviter le visiteur vers cette première œuvre du parcours sans toutefois lui interdire le passage vers le grand polyptyque conservé au musée Fabre…
De format carré, Peinture 175 × 175 cm, 18 août 2018 partage, nous dit Benoît Decron, la même construction que Peinture 85 × 222 cm, 31 mai 2013, un tableau horizontal accroché en face, « mais la figure centrale, constituée de lignes plus étroites, passées à la brosse, produit un effet rainuré ». Dans son texte pour le catalogue (Soulages, L’empire du noir), le directeur du musée de Rodez souligne que Soulages a souvent utilisé ce format du carré parfait, parfois assemblé en polyptyque comme le montrent plusieurs œuvres du parcours.
Ces deux premières œuvres ont sans doute hérité de Peinture 162 × 130 cm, 15 novembre 2011 que l’on découvre un peu plus loin et que Pierre Encrevé qualifiait de chef-d’œuvre. De format vertical, l’œuvre est absolument fascinante. Décrire les toiles de Soulages est une vraie gageure.
On se contentera ici et par la suite d’emprunter les mots de l’essai, cité ci-dessus, du commissaire. « Sur un fond noir uni, le peintre a placé comme une figure centrale, telles de longues gousses entassées, pointues et brillantes. La pâte épaisse est travaillée à la lame pour restituer une “douzaine d’aplats séparés par des stries légères”. L’aspect sculptural et proprement métallique de cette peinture va de soi »…
Par la suite, l’accrochage rassemble huit toiles de format moyens pour lesquelles Pierre Soulages a travaillé dans une matière épaisse sur des fonds lissés, mats, parsemés de petites bulles qui produisent de multiples nuances de gris soyeux qui parfois s’assombrit. Pour deux d’entre-elles, ce fond est légèrement strié. À l’aide de spatules de diverses largeurs, Soulages a tracé des formes grattées, raclées ou creusées créant diverses profondeurs et empâtements où la lumière scintille. Quelquefois, elles s’enchaînent dans le même sens, ailleurs elles s’affrontent…
Un triptyque aux affrontements tumultueux de traces horizontales de la collection Karsten Greve, Peinture 181 x 244 cm, 8 juin 2011 fait écho aux formes plus sereines, à peine marquées et verticales et de Peinture 102 x 165 cm, 17 juillet 2017 et à celles raclées de gauche à droite de Peinture 81 x 130 cm, 28 février 2019.
Peinture 81 x 130 cm, 28 février 2019 et Peinture 102 x 165 cm, 17 juillet 2017 – Les derniers Soulages au Musée de Rodez
Ces dernières surmontent des vitrines qui rassemblent plusieurs ouvrages publiés depuis 2010, quelques photographies d’exposition et, plus anecdotiques, une couverture du magazine l’Équipe de 2011 et un maillot de rugby du SRA (Stade Rugby Aveyron) de 2019 signés Soulages.
En haut à gauche de cette cimaise, un propos de Pierre Soulages à Jacques-Alain Miller en 2009
« Le deuil n’a pas compté pour moi. Cela a compté pour les femmes qui étaient autour de moi, mais déjà à cette époque, le noir, ce n’était pas le deuil pour moi. C’est une couleur puissante le noir, très forte, on peut en faire l’expérience tout le temps. »
Un peu plus loin, sur un fond mat légèrement strié verticalement, presque gaufré, une douzaine d’empreintes laissée par un outil luisent comme des blessures (Peinture 99 x 222 cm, 27 novembre 2013)
À côté, dans un format vertical, sur un fond dont le gris s’assombrit vers le centre, les entailles paraissent moins profondes, mais semblent plus brillantes, presque vernissées (Peinture 201 x 125 cm, 18 juin 2016)
Après un espace réservé à la projection de l’entretien que Pierre Soulages avait accordé en novembre 2009 à Elisabeth Quin pour l’émission 28 minutes d’Arte dans son atelier sétois, l’espace se rétrécit avec deux cimaises en « L ».
Dans ce passage, trois toiles sont accrochées. Avec huit ans d’écart, Peinture 130 x 81 cm, 4 juillet 2021 et Peinture 202 x 159 cm, 22 juillet 2013 paraissent partager une construction similaire, donnant l’étrange impression que la matière se retire vers la gauche de la toile ou qu’elle en vient.
Peinture 130 x 81 cm, 4 juillet 2021 et Peinture 202 x 159 cm, 22 juillet 2013 – Les derniers Soulages au Musée de Rodez
Sur le fond lisse et velouté de la première, de larges aplats luisants raclent la peinture de droite à gauche. Sur le fond mat et strié de la seconde, une lame plus étroite ramène à l’inverse l’acrylique de la gauche vers le centre…
En face, le tumulte ressurgit avec Peinture 97 x 130 cm, 30 juillet 2014 et ses larges coups de brosse gris foncé qui laissent apparaître des franges de la toile en haut et en bas et les marques rectangulaires et brillantes lissées à la spatule sur ce fond mat…
Au-delà, une seconde séquence débute avec plusieurs grands formats et quelques imposants polyptyques.
Tout commence avec un magistral polyptyque horizontal prêté par le musée Fabre, de Montpellier. Suspendu au centre de l’espace, Peinture 181 x 405 cm, 12 avril 2012 est composé de cinq panneaux, traversés par des stries obliques et parallèles creusées dans la pâte épaisse sur toute la hauteur de la surface. L’œuvre invite le regardeur à suivre « la lumière vivante en se déplaçant de gauche à droite » pour une expérience qui se renouvelle à chaque passage.
Sur la droite, on découvre sur une courte cimaise, une curiosité avec deux toiles de Soulages qui font étonnamment la paire : Peinture 102 × 130 cm, 20 mars 2012 et Peinture 102 × 130 cm, 21 mars 2012. Peinte un jour après l’autre, la première est couverte d’une pâte noire, la seconde d’une blanche. Toutes les deux sont creusées d’un bord à l’autre par des lignes ondulantes, avec, précise le catalogue, « un rendu similaire et sans recherche de symétrie ».
Le même texte rapporte un propos de Colette Soualges qui affirme : « Ces deux peintures blanche et noire de 2012 n’ont pas été faites avec le but d’être ensemble, c’est en faisant l’accrochage de l’exposition à Lyon (2012-2013, musée des Beaux-Arts) qu’elles ont été rapprochées. »
En haut et à droite de la longue cimaise qui conduit au fond de l’espace d’exposition, on remarque une nouvelle citation de l’artiste :
« Cela fonctionne, cela marche.
Et cela s’inverse avec le point de vue ou le changement de lumière. »
Pierre Soulages à Jacques-Alain Miller, 2009
Les quatre formats moyens suivants partagent une construction proche et une dynamique singulière et tranchante. Benoît Decron en fait la description suivante dans le texte déjà cité :
« Pierre Soulages a choisi de faire surgir d’un ou de plusieurs côtés du tableau sur une surface préparée, lignée à la brosse, raclée à la lame ou restée lisse, des sortes de pointes, des encoches, des balafres : Peinture 100 × 100 cm, 20 février 2011 et Peinture 143 × 202 cm, 27 janvier 2017. Ces simples entailles portant la trace de l’outil ne sont pas nécessairement creusées : elles cassent l’accoutumance au noir d’un éclair cinglant.
Peinture 100 x 100 cm, 20 février 2011 et Peinture 143 x 202 cm, 27 janvier 2017 – Les derniers Soulages au Musée de Rodez
Peinture 157 × 222 cm, 26 février 2011 et Peinture 157 × 222 cm, 28 février 2011 sont associées, même format et deux jours d’intervalle. Elles ont en commun les trois encoches, posées et étalées à l’outil pour les rendre luisantes comme des lames de couteau. Néanmoins, l’orientation de la lumière peut les assombrir et rendre plus présent le fond, d’un noir mat uni. Il y a comme une inversion des valeurs de noir. »
Peinture. 157 x 222 cm, 26 février 2011 et Peinture 157 x 222 cm, 28 février 2011 – Les derniers Soulages au Musée de Rodez
Suspendu entre sol et plafond, Peinture 342 x 181 cm, 31 juillet 2010 est quadriptyque vertical en dépôt au musée Fabre.
Dans un article intitulé Pierre Soulages, peintre expérimental de l’abstraction radicale relative, Éric de Chassey en fait l’analyse suivante :
« Peinture 324 × 181 cm, 31 juillet 2010 est faite d’un seul tenant, par application successive d’une même spatule choisie “selon l’humeur du moment”, qui retire successivement des rectangles irréguliers de peinture et produit un recouvrement d’une forme par l’autre. Une action en appelle une autre et l’artiste s’arrête lorsque la toile est occupée, laissant uniquement subsister parfois des parties qui conservent leur épaisseur lisse d’origine. La surface ainsi créée renverse les identités du fond et des formes puisque ce qui était le fond au départ apparaît finalement comme surélevé par le surgissement des formes qui y sont creusées. Le retrait se transforme en ajout, dans un renversement qui empêche de prendre le tableau pour une fenêtre creusée selon le modèle de la perspective issue de la Renaissance, mais oblige plutôt à en saisir l’aspect de bas-relief, comme en écho à la logique médiévale qui faisait lire les images en commençant par le lointain pour avancer vers le proche, le spectateur avançant donc de plus en plus dans son propre espace au lieu de se projeter dans un espace autre. »
Ce grand polyptyque vertical conduit naturellement le regard vers les cinq Outrenoir monumentaux du centenaire (2019) qui se présentent en majesté comme des « stèles » magistrales.
Composés de trois panneaux carrés de 130 cm, ces œuvres rassemblées pour la première fois sont flanqués sur le mur de gauche droite par deux triptyques de 2011 dont la construction est proche.
C’est le seul ensemble avec la dernière œuvre peinte par Soualges a faire l’objet d’un cartel développé signé par Benoît Decron :
« Pour la première fois, les cinq Outrenoir monumentaux du centenaire (2019) sont rassemblés au musée Soulages. Déjà, Peinture 244 × 181 cm, 7 avril 2011 et Peinture 244 × 181 cm, 11 avril 2011, triptyques assez similaires (mur de gauche), présentent sur leur surface, d’un bord à l’autre, des battages de stries fines. Le passage d’une brosse large de type spalter chargée de peinture produit un agencement propre à accueillir la lumière, dans ce que l’on peut bien appeler des microsillons. Elles furent d’emblée comparées à des stèles.
Colette Soulages l’affirme : « Pour les cinq grandes peintures, de 390 x 130 cm, il s’agit d’une démarche un peu comparable, où le hasard intervient aussi puisque la première a été faite après beaucoup d’hésitations et de craintes, et il [Pierre Soulages] était tellement fatigué ! Et ce n’est que quelques jours après que le désir d’en faire une seconde a donné naissance à 17 mars 2019. Cinq mois plus tard, il est à nouveau tenté par le format mais avec une technique différente : des formes calmes mais puissantes, 10 août 2019 et 26 août 2019, reprises en octobre pour la cinquième et dernière peinture de ce format! Alors qu’il n’avait pas le projet d’en faire cinq. »
Les œuvres sont peintes à plat, une toile unique couvrant les châssis assemblés : ce ne sont pas des vrais polyptyques, malgré leur séparation en panneaux distincts. Ces peintures furent destinées à des salles à plafonds élevés. Nul doute que Pierre Soulages y a tout mis: sa maturité technique et sa science dans la pratique de la lumière : Peinture 390 x 130 cm, 7 mars 2019, Peinture 390 × 130 cm, 17 mars 2019, Peinture 390 x 130 cm, 10 août 2019, Peinture 390 × 130 cm, 26 août 2019 et Peinture 390 x 130 cm, 18 octobre 2019.
Les deux premières reprennent les alternances de sillons et de stries obliques. Les trois dernières (août et octobre) accentuent, voire durcissent, le rapport entre le noir et la lumière, ou plutôt les effets de celle-ci.
« Soulages a opté ici pour une accumulation de lignes horizontales très serrées mais d’intensité irrégulière, les unes en larges aplats, les autres en stries successives offrant une rythmique et soutenue sur toute la hauteur », soulignait Alfred Pacquement.
Ces cinq œuvres rappellent par leur sobriété et leur élévation, les peintures de Mark Rothko installées en 1971 dans la chapelle de la Ménil Foundation à Houston: un lieu unique, isolé, voué à la méditation et à la spiritualité. »
Dans le catalogue, Benoît Decron ajoute à propos de ces œuvres : « La boucle n’était décidément pas bouclée : dans ces imposants outrenoirs du Louvre qui ont sidéré les visiteurs, Soulages manifestait une vigueur juvénile, une solide appétence pour le hasard ».
Sur la courte cimaise qui segment l’espace dans sa longueur, accrochée sur un fond noir, Peinture 64 x 81,5 cm, 2 juillet 2018 est surmonté par cette citation de l’artiste, extraite d’entretiens avec Françoise Jaunin (Pierre Soulages. Outrenoir) publiés par La bibliothèque des arts en 2012 :
« Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et se défaire. Parce qu’au bout du compte l’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est, ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Je ne demande rien au spectateur, je lui propose une peinture: il en est le libre et nécessaire interprète. »
Plusieurs formats verticaux remarquables complètent l’accrochage dans cet espace. D’autres sont exposés dans la salle 7 des collections permanentes.
Benoît Decron en fait la description suivante dans le catalogue :
« À ce stade de la présentation, nous devons introduire les outrenoirs verticaux animés horizontalement par des lignes gravées ou non et des aplats, le tout traité à l’aide des différentes techniques évoquées ci-dessus : Peinture 202 × 125 cm, 12 janvier 2015. Ces peintures de grandes dimensions préexistent évidemment à 2010 et, cela étant dit, elles poursuivent leur trajectoire en s’enrichissant. (…) Des Outrenoir de cette famille se succèdent avec cohérence jusqu’en 2021 : Peinture 181 × 92 cm, 6 septembre 2017, Peinture 181 × 142 cm, 23 juin 2019, Peinture 130 × 81 cm, 4 juillet 2021. »
Le parcours se termine autour du grand polyptyque horizontal du musée Fabre avec notamment un dernier outrenoir vertical remarquable du musée de Münster (Peinture 324 × 181 cm, 12 avril 2016) que le directeur du musée de Rodez décrit ainsi :
« Le polyptyque, parmi les œuvres les plus élevées de Soulages, est comme divisé en trois, en haut et en bas des rectangles en aplats alternés, avec des matités du noir différenciées, au centre les lignes généreuses d’un noir lissé à l’outil, devenu brillant. 12 août 2016 produit une fausse impression de symétrie, la lumière y joue librement. »
Les autres toiles rapellent le construction de celles qui occupent largement la première section et notament Peinture 102 x 130 cm, 15 mai 2022, dernière œuvres peinte par Soulages. Placée au dos du texte d’introduction et au revers du portrait de l’artiste par Claude Gassian, elle bénéficie natruellement d’un cartel enrichi.
C’est la dernière œuvre peinte par Pierre Soulages sur la terrasse de sa maison à Sète, face à une vue imprenable sur la Mer Méditerranée. L’artiste s’éteindra cinq mois plus tard. Cette œuvre fait partie des sept Outrenoir offerts au musée Soulages, Rodez par Colette Soulages lors de la 4° donation en juin 2023. De la première (1946) à la dernière peinture (2022), le musée Soulages donne désormais à voir l’ensemble des périodes créatives du peintre.
Dans son ouvrage, Pierre Soulages dans l’intimité de l’œuvre et entretiens, Nathalie Reymond raconte avec émotion la découverte de cette œuvre lors d’une visite à Pierre et Colette Soulages le 5 octobre 2022.
« Le mois dernier, au téléphone, j’avais demandé à Pierre Soulages s’il travaillait encore un peu et il m’avait répondu énergiquement “Pas du tout !”. Est-ce vrai ?
C.S. : Mais il peint toujours ! Et même si cet été il a été très fatigué, il a toujours envie de peindre.
P.S.: Ah ! L’envie de peindre ne me manque pas ! J’attends juste que la crise d’arthrose au bras cesse de me handicaper.
C.S. : Voulez-vous voir une de ses dernières peintures ? Ismail, apportez-nous celle du 15 mai 2022.
Et Ismaïl Belgharbi est venu avec une toile de taille moyenne (Peinture 102 x 130 cm, 15 mai 2022), un acrylique outrenoir d’une étonnante énergie. Sur un fond mat qui, dans la lumière un peu laiteuse de cette fin d’après-midi d’automne paraissait gris velouté, des sortes de traces raclées dans l’épaisse peinture maniée par une spatule ferme et souple, se succédaient et parfois s’affrontaient. Cela créait des épaisseurs, des boursouflures, qui scintillaient ».
Cette dernière toile de Soulages a naturellement été choisie pour la couverture du catalogue et pour la communication de l’exposition.