Réjouissons-nous ! Le [mac], musée d’art contemporain de Marseille accueille l’une des plus belles expositions actuelles initiée par Paréidolie à l’occasion de son 10e anniversaire : « Le Sentiment du dessin ».
Les regards croisés des trois commissaires d’exposition – Jean de Loisy, Chiara Parisi et Gérard Traquandi – nous offrent le meilleur des collections des Musées de Marseille, des Beaux-arts de Paris et du Frac Picardie. Ce que Nicolas Misery, directeur des musées de Marseille, nomme des « archipels romanesques » tant les arts graphiques conservent toute leur aura et exercent sur nous une réelle fascination. En introduction au catalogue de l’exposition, Jean de Loisy, Président de Paréidolie, nous invite à clamer, à la suite de Rimbaud, « j’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides » comme on lance une bouteille à la mer. Dans l’attente de sensations inédites et de paysages inconnus… ce que nous promet « Le Sentiment du dessin ».
Une alchimie parfaite
Productions inédites, feuilles anciennes, croquis inachevés, œuvres remarquables rarement exposées pour cause d’extrême fragilité… le corpus manifeste tout autant la puissance d’invention spirituelle des artistes que leur dextérité technique. Et les traversées possibles sont innombrables, dans les siècles, dans les thèmes récurrents : le paysage, le portrait, le nu, la figure humaine, comme dans les techniques : encre, lavis, crayon, plume, pierre noire, stylo bille, sanguine, mine de plomb, etc. L’âme du dessin – sa profondeur et sa complexité – se diffuse dans l’air comme un parfum. Léger ou entêtant.
Les études anciennes de Mazzuoli dit Parmigianino (un maitre pour l’artiste Gérard Traquandi) se frottent au fusain de Gabriel Orozco, le minuscule Pesadilla de Francisco de Goya s’acoquine avec un grand format de Georg Baselitz de 2002, Pierre Puget, Francis Picabia et Jules Pascin osent un rapprochement spectaculaire. Ainsi vont les cousinages provoqués par l’esprit sélectif des trois commissaires invités, audacieux dans leurs choix, sentimentaux dans leur relation affective avec le dessin.
De la représentation académique d’un Nicolas Lagneau (Portrait de vieillard daté du début du XVIIe siècle) au diptyque monumental et abstrait de Mathieu Kleyebe Abonnenc (Paysage de traite de 2004) en passant par les esquisses de Pierre Puvis de Chavanne ou les portraits au crayon rehaussé de blanc de Jean-Honoré Fragonard, toute la force du dessin explose. Du trait saturé de Louis Pons à la ligne elliptique de Joël Fisher, de la touche humoristique et colorée de Martin Kippenberger au crin noué et tricoté sur tige de verre de Pierrette Bloch.
Là un vaste monde ouvre ses entrailles à notre regard admiratif, à notre curiosité sans limites. Tantôt objet, tantôt empreinte, tantôt tache, tantôt affleurement, le dessin se joue de toutes les contradictions. Et déroule son fil d’Ariane avec délectation entre introspection et contemplation : Autoportrait par le dedans de Fred Deux et Barque sur un étang le soir de Camille Jean-Baptiste Corot.
De rares délices
Si le mariage intergénérationnel est osé, seul le dessin et rien d’autre ne le permet selon Gérard Traquandi qui a ausculté au plus près la collection du Frac Picardie : « l’économie de moyens du dessin fait que le rapprochement est possible ». Avec lui, le grand écart est une règle du jeu qui permet au regardeur d’atteindre l’objet de son désir ; un dessin d’Artaud (« dans L’Homme et sa douleur, tout est là. C’est la terre mère de l’exposition »), une œuvre de Joël Fischer qui part de la matière papier, cherche la trace et l’accident pour faire surgir le trait ou l’aplat, le travail conceptuel du « poète » de Victor Brauner.
Autant de variations délicates et subtiles qui font que le temps qui les sépare n’a plus de poids ni de raison, qui font de Franceso Salviati (1510-1563), Markus Lüpertz (1941), Pierre Bonnard (1867-1947) ou Nicolas Daubanes (1983) de formidables contemporains.
Catalogue bilingue français/anglais publié par Arnaud Bizalion (Arles). Textes de Nicolas Misery, Jean de Loisy, Chiara Parisi, Gérard Traquandi, Martine Robin. Entretiens de Nicolas Misery avec Chiara Parisi, d’Alexia Fabre avec Jean de Loisy et de Pascal Neveux avec Gérard Traquandi.
« Le Sentiment du dessin ». Jusqu’au 19 novembre au [mac], musée d’art contemporain de Marseille.
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