Retour sur « Des luttes invisibles » de Cathryn Boch au 3bisf à Aix-en-Provence


En règle générale, il n’est pas d’usage de publier ici des chroniques sur les expositions après leur finissage. On fera donc une exception pour « Des luttes invisibles », un projet remarquable et puissant que proposait Cathryn Boch jusqu’au 2 septembre. Nous avons eu la chance de la rencontrer le dernier jour, à l’occasion d’Art-o-rama.

On a plusieurs fois évoqué le travail de Cathryn Boch notamment à propos de son exposition personnelle du Frac Paca en 2015 (« N 43°18’ 21.5’’ E 5° 22’03.0’’ »), mais aussi à l’occasion de sa présence à plusieurs éditions de Pareidolie, ou encore au sujet de ses œuvres présentées à la Villa Datris pour « Tissage/Tressage… quand la sculpture défile », en 2018 et pour « Sculpture en fête ! », en 2021.

Aboutissement d’une seconde résidence au 3bisf, de février à juin 2023, « Des luttes invisibles » est sans doute un projet où l’artiste semble exprimer un engagement plus explicite. Dans une conversation avec Diane Pigeau, directrice artistique du centre d’art, Cathryn Boch en explique ainsi la genèse :

« Quand j’ai choisi de m’installer à Marseille les questions de déplacements, de migrations ont émergées avec une grande puissance. Marseille est cette ville ouverte qui a accueilli les migrations du monde entier depuis des siècles. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Qu’en est-il de ce lien sacré à l’hospitalité ? Les politiques migratoires actuelles en Méditerranée sont d’une violence inouïe face à la situation d’accueil et de protection des migrant-e-s. Ce sujet est éminemment politique, il me bouleverse parce qu’il parle d’un profond dérèglement humanitaire, il parle d’exclusion, il parle d’oppression, il parle de violence, il parle de survie et cependant il parle aussi de résistance, de luttes et d’espoirs.
Les femmes sont absentes du grand récit des migrations alors que leur énergie à traverser les frontières et à construire leurs propres trajectoires est certaine. J’ai eu un désir viscéral de parler d’elles, de chercher à visibiliser leurs forces, leurs capacités à décider de leurs corps et de leurs avenirs. Elles continuent à inventer au fil de leurs parcours, et décident de ce qu’elles ont envie de vivre, malgré les obstacles qu’elles subissent. Je voudrais montrer toutes leurs résistances… »

Cathryn BochDes luttes invisibles au 3bisf

Dans un préambule à la visite de son exposition organisée pour Art-o-rama, Cathryn Boch commençait par ces mots :

« Depuis que je vis à Marseille, mon travail prend le risque de s’inscrire précisément dans la singularité d’un territoire. Marseille est cette ville frontière, qui concentre mes recherches sur les questions de déplacements en Méditerranée, de migrations empêchées et d’hospitalité.
Mon outil c’est la machine à coudre, avec elle et à partir de toutes sortes d’écritures de territoires, je fabrique des contre-géographies personnelles, charnelles, militantes. Je trace des lignes, je dissèque, je greffe, je relie, je raccommode, j’envahie les surfaces de fils. En creux il y a le corps, c’est physique.
La carte, le territoire, la frontière aussi c’est physique, parfois on s’y cogne, et souvent encore on y meurt

Du hall d’entrée à l’espace central, en passant par les deux cellules, une quinzaine d’œuvres construisent un parcours où Cathryn Boch met en avant une « force immense de résistances, de luttes et d’espoirs » vers laquelle elle souhaite diriger son travail.

L’ensemble est poignant. La colère et la révolte sont bien là, présentes, rarement sous-jacentes. Le ton est toujours juste. La puissance esthétique des œuvres est manifeste. Elles imposent un discours clair, expressif et engagé, souvent émouvant.

À l’exception d’une seule pièce présentée dans son mur de recherche sur la mezzanine, toutes les œuvres exposées au 3bisf ont été créées pour « Des luttes invisibles » et pour le 3bisf.

Le papier sous forme de cartes, de photographies aériennes, de calques souvent utilisés comme matériau de base est ici remplacé dans la très grande majorité des œuvres par des voiles de bateau. Parfois s’y ajoutent de la toile enduite, de la tarlatane, plus rarement du plastique de serre. Sur ces tissus, Cathryn Boch assemble des impressions numériques sur vinyle d’images satellites du pourtour de la Méditerranée, des photos de femmes migrantes et de manifestantes, et à certaines occasions du ruban ou de la laine. Sur ces compositions murement réfléchies, elle dessine et sculpte ses « contre-géographies personnelles, charnelles, militantes » en combinant coutures à la machine et coutures à la main… Des mots, des phrases, des citations ou des interpellations sont « cousus, comme des alertes, des cicatrices ou de puissants cris d’espoirs ».

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

Tout commence dans le hall d’accueil avec une œuvre qui évoque une de nos relations estivales avec le rivage méditerranéen. Sur une natte de plage, un étrange décor cousu sur la paille semble brûlé, fondu par le soleil ou usé par les corps… Avec un peu d’attention, on reconnaît les contours de la Méditerranée découpés à partir d’une image satellite imprimée sur vinyle.

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Paille naturelle, image satellite sur vinyle, tissus, couture machine couture main. 180 x 90 cm – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

Sur la gauche, suspendu dans l’alcôve, on découvre une voile de bateau un peu jaunie et soigneusement pliée. En bas, on peut lire « ne pas se laisser dé-dévoré par sa colère en faire quelque chose »…

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voile de bateau, tarlatane, couture machine.. 141 x 107 cm – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

Au sujet de cette pièce et de ce texte, Cathryn Boch affirme :

« Cette colère que je ressens face aux injustices, une colère face à toutes ces oppressions, ces violences, faites à nos corps, à nos environnements… Ici précisément une colère face à la violence inouïe des politiques migratoires actuelles en Méditerranée.
Cette situation me bouleverse en tant que citoyenne, vivant à Marseille, justement au bord de cette mer Méditerranée. Citoyenne d’une Europe dont je n’approuve ni les actes ni les intentions sur les conditions d’accueil et de protection des migrants et des migrantes, parce qu’ils disent un profond dérèglement humanitaire ».

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voiles de bateau, images satellites du pourtour de la Méditerranée, tirages numériques sur vinyle, coutures machine, coutures main, recto verso. Dimensions variables – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

En pénétrant dans l’espace central, le regard est subjugué par l’étrangeté d’un paysage construit par un ensemble de voiles de bateau pliées et suspendues sur des tasseaux de bois peints en jaune. La lumière du soleil joue en permanence sur ces toiles. Parfois avec subtilité, de temps à autre avec violence, cet éclairage naturel transforme continuellement les perspectives, les couleurs, les transparences de cette installation. En s’approchant, on perçoit de troublants fragments d’images satellites du pourtour de la Méditerranée. En suivant les coutures faites à la machine ou à la main, l’œil découvre de mystérieux itinéraires qui paraissent se métamorphoser ici en un improbable trait de côte, là en un insaisissable profil du littoral vu depuis la mer…

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voiles de bateau, images satellites du pourtour de la Méditerranée, tirages numériques sur vinyle, coutures machine, coutures main, recto verso. Dimensions variables – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

Cathryn Boch – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

Dans une très belle monographie, publiée par la Galerie Papillon en 2017, Pascal Neveux soulignait avec pertinence :

« On ne voit pas simplement une œuvre, on expérimente un espace, on entre dans la matière, une matière vivante, mouvante, solide et fragile à la fois dont la résistance ne tient qu’à des entrelacs de fils. “Il faut d’abord voir, ensuite regarder et puis apprivoiser. Et revoir” conseille Jean-Marie Straub. Les œuvres de Cathryn Boch permettent de saisir ce qu’est l’expérience du spectateur. Nous sommes de toute évidence face à une peinture dont le plan est comme aboli. La verticalité et l’horizontalité se dissolvent, les angles disparaissent, la frontalité du mur s’estompe. Si on continue à penser peinture, on ne se trouve plus ni devant l’œuvre, ni sur le côté, ni loin, ni près, on est physiquement et radicalement dedans. On est dedans comme on peut l’être à l’intérieur d’une caverne dont on chercherait à découvrir les entrailles, en s’aventurant dans les percées, les trouées, les cavités sans repères spatiaux et temporels. Voilà que l’espace de l’œuvre colonise le mur, s’affranchissant des contraintes de format et des matériaux, se jouant à la fois de la gravité et de la résistance des matériaux dans des flux visuels sinueux et serpentins (…) »

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voiles de bateau, images satellites du pourtour de la Méditerranée, tirages numériques sur vinyle, coutures machine, coutures main, recto verso. Dimensions variables – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

Les deux cellules rassemblent des pièces de taille plus modeste. La place et la parole des femmes migrantes et de celles et ceux qui les aident prédominent.

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voile de bateau, image impression vinyle, tissu, couture machine couture main. 88 x 111cm – Sans titre, 2023. Voile de bateau, toile enduite, image impression vinyle, couture machine, couture main. 115 x 140cm – Sans titre, 2023. Gouache, crayon, huile, tarlatane, couture machine, papier poncé. 21 x 70 cm – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

Dans celle de droite, accrochée sur le mur du fond, trois œuvres partagent l’espace.

Sur une première voile grise et rapiécée, on peut lire : « Elles qu — qui migrent, ne racontent que la moitié de l’histoire. Elles laissent derrière elles l’autre moitié d’un silence ». Deux morceaux de toile enduite verte sont cousus dans la partie inférieure. Sur la première, on distingue les photos de trois femmes imprimées sur vinyle. Les piqures de la machine laissent supposer qu’elle se tienne la main. Au centre, un entrelacs de fils jaunes refléte-il un enfermement ? Les fils rouges sont-ils révélateurs de blessures ? Des silhouettes fantomatiques semblent avoir été supprimées par une sorte de ponçage de la seconde toile verte…

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voile de bateau, toile enduite, image impression vinyle, couture machine, couture main. 115 x 140cm – Des luttes invisibles au 3bisf

Sous cette œuvre, le visage d’une femme dessiné au crayon et à la gouache parait exprimer sur un morceau de tarlatane cette « autre moitié d’un silence »…

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Gouache, crayon, huile, tarlatane, couture machine, papier poncé. 21 x 70 cm – Des luttes invisibles au 3bisf

À droite, sur une petite voile en trapèze, on distingue les visages d’un groupe de femmes, les bras tendus face aux forces de l’ordre. Elles ont l’air enchevêtrées dans un amas de fils jaunes sur lequel on discerne difficilement les premières lettres d’un mot…

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voile de bateau, image impression vinyle, tissu, couture machine couture main. 88 x 111cm – Des luttes invisibles au 3bisf

Sur le mur de droite, une litanie de « Parce que… » précède un texte du collectif Alarmphone, qui a beaucoup accompagné les recherches de Cathryn Boch

Parce que des milliers de gens traversent la Méditerranée ;
Parce que la mer Mediterranée est une frontière ;
Parce que les frontieres perpétuent le racisme et colonialisme ;
Parce que le racisme et le colonialisme tuent ;
Parce qu’en 2020 1760 personnes sont mortes en traversant – 147 personnes par mois, 34 par semaine, près de 5 personnes par jour et bien bien plus, dont on ne sait rien ;
Parce qu’on ne veut pas oublier ;
Parce que des histoires existent derrière les chiffres ;
Parce que ces histoires doivent être racontées ;
Parce qu’on veut continuer à lutter ;
Parce qu’on ne veut pas s’habituer ;
Parce qu’on savait….

Le collectif AlarmPhone a mis en place une ligne telephonique d’urgence à destination des personnes se retrouvant en situation de detresse pendant une traversée de la mer Mediterranée.
Le numero est joignable 24h/24 et le collectif se mobilise en temps réel pour donner l’alerte, suivre et documenter une situation. Ainsi, une pression pour mobiliser les secours partout où c’est possible est declenchée et les (eventuelles) violations des droits de l’homme peuvent être combattues et dénoncées.
En tant que AlarmPhone nous parlons aux gens pendant leur trajet. Pour nous, ce sont des voix en détresse que nous essayons de réconforter, avec difficulté. Nous leur demandons leurs Coordonnées GPS et ils essaient de nous lire des numéros. Il est difficile d’être au téléphone avec des gens qui pourraient se noyer à tout moment et de leur demander de lire des chiffres.
Hello my Friend-This is Watch the Med AlarmPhone- Can you hear me- Can you give me your GPS position- Ok I call you back-
Hello my Friend, les secours arrivent pour toi mon ami.e. ne t’inquiète pas… Mais à quoi bon quand on est en mer, perdu dans l’obscurité.
Il y a une certaine magie dans le moment où l’on peut leur dire « faites de la lumière, avec un téléphone n’utilisez pas de flammes – rendez vous visible ». Il y a de la magie dans les quelques mots prononces par des voix brisées par la panique et l’excitation « nous voyons un bateau, il est rouge » et dans les mots que nous recevons par e-mail du bateau de sauvetage disant « nous voyons une lumiere intermittente venant de la mer, nous croyons que c’est le bateau en caoutchouc » J’imagine cette petite lumière qui brille au-dessus d’une mer qui est un cimetière froid, sombre et liquide. Un signe de vie, de résistance, de lutte.

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voile de couleur, tissus, épingles, bâton bois, couture machine. 120 x 104 cm – Sans titre, 2023. Tarlatane, plastique de serre, vinyle, ruban laine, couture machine couture main. 143 x 129 cm – Sans titre, 2023
Gouache, couture machine, collage, tarlatane, papiers assemblés. 38 x 55.5 cm – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

Dans la cellule de gauche, les œuvres un peu plus nombreuses multiplient les mots cousus « comme des alertes, des cicatrices ou de puissants cris d’espoirs. Ce sont des récits, des situations, relevées lors de mes recherches, qui me touchent, m’affectent et je veille à les transcrire, de sorte à ne jamais prendre la parole à la place de ces femmes, mais à parler avec elles de ce que j’en ressens ».

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf
Cathryn Boch – Sans titre, 2023. Voile de bateau, image sur vinyle, couture machine. 151 x 81,5 cm- Des luttes invisibles au 3bisf

Parmi celles-ci, on retient un morceau de voile découpé avec ces mots « Des hôtes venues du pays de personnes » qui surmontent la photo d’un groupe de femmes imprimée en rouge sur un vinyle… Mais aussi ce texte de militantes d’AlarmPhone :

« Elles racontent comment le 30 janvier, une foule a commencé à se déplacer du hot spot surpeuplé de Moria vers la ville de Mytilène, sur l’île égéenne de Lesbos. « Toutes les femmes contre Moria, “Femmes solidaires”, “Mona est un enfer pour les femmes”, “Arrêtez toutes violences contre les femmes” étaient inscrits sur leurs pancartes tandis que la foule chantait “Assadi” — Liberté en Farsi — les poings levés ».

Comme il est d’usage au 3bisf pour les expositions qui suivent une résidence, un mur de recherche et un ensemble de documents sont présentés sur la Mezzanine. Au centre, un ensemble de photos de femmes en luttes à Moria, de militantes à Prétoria en 1956, à Paris en 1968 et 1970, au Caire en 2011, au Mexique en 2022 et dans des luttes sociales et écologiques est encadré par quelques œuvres de Cathryn Boch…

Cathryn Boch - Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett
Cathryn Boch – Des luttes invisibles au 3bisf ©jcLett

«Des luttes invisibles» restera sans doute dans la mémoire de celles et ceux qui auront eu l’occasion de visiter cette exposition profondément engagée…

A lire, ci-dessous, le texte lu par Cathryn Boch en préambule de la visite organisée à l’occasion d’Art-o-rama.

En savoir plus :
Sur le site du 3bisf
Suivre l’actualité du 3bisf sur Facebook et Instagram
Le dossier de Cathryn Boch sur documentsdartistes.org
Cathryn Boch
sur le site de la Galerie Papillon

Portrait de Cathryn Boch ©jcLett
Portrait de Cathryn Boch ©jcLett

Depuis que je vis à Marseille, mon travail prend le risque de s’inscrire précisément dans la singularité d’un territoire. Marseille est cette ville frontière, qui concentre mes recherches sur les questions de déplacements en Méditerranée, de migrations empêchées et d’hospitalité.
Mon outil c’est la machine à coudre, avec elle et à partir de toutes sortes d’écritures de territoires, je fabrique des contre-géographies personnelles, charnelles, militantes. Je trace des lignes, je dissèque, je greffe, je relie, je raccommode, j’envahie les surfaces de fils. En creux il y a le corps, c’est physique.
La carte, le territoire, la frontière aussi c’est physique, parfois on s’y cogne, et souvent encore on y meurt.
Dans l’exposition il y a cette pièce tout au début, une voile pliée sur laquelle on peut lire « ne pas se laisser dé-dévoré par sa colère en faire quelque chose »…
Cette colère que je ressens face aux injustices, une colère face à toutes ces oppressions, ces violences, faites à nos corps, à nos environnements… Ici précisément une colère face à la violence inouïe des politiques migratoires actuelles en Méditerranée. Cette situation me bouleverse en tant que citoyenne, vivant à Marseille, justement au bord de cette mer Méditerranée. Citoyenne d’une Europe dont je n’approuve ni les actes ni les intentions sur les conditions d’accueil et de protection des migrants et des migrantes, parce qu’ils disent un profond dérèglement humanitaire.
Dans mon projet « des luttes invisibles » je convoque une version située de l’expérience migratoire, un intérêt pour les femmes migrantes en tant que sujets politiques. Elles représentent 51 % des personnes sur ces routes et elles sont généralement invisibilisées, ou victimisées, évidemment. (Doublement invisibilisées). J’ai eu un besoin viscéral de montrer leurs forces, leurs résistances, leurs capacités à décider, à fabriquer du lien, à lutter ensemble.
Elles ont des ressources incroyables, elles manifestent, brandissent des pancartes, scandent des slogans, diffusent des lettres ouvertes dénonçant l’inhumanité de ce qu’elles vivent sur leurs parcours.
Elle est là la cause des migrantes, c’est celle portée par les migrantes elles-mêmes sur la frontière devenue leur lieu de vie et de politique.
Alors faire quelque chose de cette colère, qu’elle soit effective, je m’en retourne au geste, ces cartographies que je veux vivantes cultivent des connexions qui n’existent pas, elles sont transformatives, je conteste, je résiste, et je tente d’ouvrir des possibles…
Des mots, des phrases, des citations ou des interpellations accompagnent l’installation.
Ce sont des mots cousus, comme des alertes, des cicatrices ou de puissants cris d’espoirs. Ce sont des récits, des situations, relevées lors de mes recherches, qui me touchent, m’affectent et je veille à les transcrire, de sorte à ne jamais prendre la parole à la place de ces femmes mais à parler avec elles de ce que j’en ressens.
Aussi vous trouverez dans l’exposition la présence du collectif Alarmphone, qui a beaucoup accompagné mes recherches…
Alarmphone ce sont des activistes et des membres de la société civile européenne et nord-africaine qui se mobilisent pour accompagner les migrantes et les migrants dans leur traversée de la Méditerranée.
Alarmphone a mis en place une ligne téléphonique d’urgence autonome.
Iels sont là en directe 24h sur 24 pour répondre à des personnes qui se trouvent en détresse en mer, iels sont là comme un soin premier, un soin ultime celui de veiller sur ces milliers de personnes pour qu’elles ne meurent pas noyées en mer. C’est une forme immense d’espoirs.
C’est surtout vers là que je dirige mon travail, à mettre en avant cette force immense de résistances, de luttes et d’espoirs.

Cathryn Boch, août 2023

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