Jusqu’au 30 septembre 2023, Anne-Marie Pécheur présente « Consolation du saule pleureur » à art-cade* Galerie des grands bains-douches de la Plaine.
Sous-titrer « Pièce en plusieurs tableaux », c’est certainement une des plus belles propositions de cette rentrée de l’art contemporain à Marseille.
Faire l’expérience de ce « paysage/voyage » que nous offre Anne-Marie Pécheur, c’est éprouver une réelle jubilation et un profond plaisir devant une peinture vraie qui tranche avec les fadeurs et les poncifs qui sont malheureusement trop présents dans les images peintes qui encombrent sur les cimaises depuis quelques années.
François Bazzoli écrit avec une évidence :
« Anne-Marie Pécheur a encore beaucoup de choses étonnantes à dire et à montrer sur la peinture et avec la peinture. Beaucoup à faire pour que l’atelier reste le même lieu tout en se préparant à changer pour les prochaines séances de travail, qui risquent d’être fort nombreuses encore. Et pour que les historiens d’art puissent revenir encore souvent s’étonner de la vitalité de la peinture, de la puissance d’imagination du peintre et de son pouvoir de métamorphoser en visions captives de simples toiles et de vulgaires tubes de couleurs ».
Dans le texte « Parcourir le temps passé… » qui introduit l’exposition, Anne-Marie Pécheur, fondatrice de l’association ART CADE avec Jean-Baptiste Audat en 1993, explique :
« Je rassemble ici des œuvres dont la fabrication est attachée à ce lieu, à des dates fondatrices dans le déroulé de son histoire.
Je propose dans la galerie des champs, des plages, des espaces qui suggèrent le temps passé et figé, évoquant une finitude consolatrice.
De prime abord cet ensemble est déconstruit, il table sur une connaissance fine du long parcours de cette création.
Allusions aux amies, amis, aux voyages, aux passions, au travail, à mon investissement de trente années pour l’association.
Alors quelques clefs sont fournies :
– Cartels qui relient l’ensemble.
– Fragments de textes critiques écrits par mes amis – amie: Jean-Christophe Bailly, François Bazzoli, Sally Bonn, Roger Boulay.
C’est donc un paysage/voyage, et si la peinture est moteur à l’eau, à l’huile, au sec et à pied d’œuvre, elle invite alors à passer de l’autre côté du miroir, à chercher son côté caché et infiniment lointain en écho à la beauté des choses qui résonnent si doucement dans ce que l’on ne voit pas.
L’exposition se clôt par une installation lumière,« olive cosmique ». La lumière accompagne depuis l’année 2000 le travail de la couleur, introduisant l’immatériel et le mouvement dans ce qui fut planté, accroché, défini et creusé. Les formes émergent et tombent, passent et meurent et ressurgissent encore. »
Le parcours de « Consolation du saule pleureur » s’articule en trois séquences.
Dans la première galerie, cinq grands formats verticaux, peints entre 2016 et 2021 sont rassemblés sous le titre Consolations/Jardins suspendus. Ils sont introduits par un texte de François Bazzoli, extrait du catalogue publié aux éditions du Rouergue/Actes Sud, en 2006.
La seconde galerie présente des œuvres sur toile et sur papier regroupées en diptyque ou en polyptyque. Chaque séquence est accompagnée par des extraits de texte de Jean-Christophe Bailly, Roger Boulay, Sally Bonn et d’une conversation de l’artiste avec Pierre Manuel.
La petite salle qui ouvre dans la troisième galerie accueille la projection « olive cosmique » qu’Anne-Marie Pécheur qualifie d’« installation lumière » et dont une première version avait été créée pour l’Écomusée L’Olivier à Volx en 2015.
Il faut sans délai aller voir ou revoir cette Pièce en plusieurs tableaux que nous offre Anne-Marie Pécheur à art-cade*…
À lire, ci-dessous, quelques regards photographiques sur « Consolation du saule pleureur » accompagnés des textes de Jean-Christophe Bailly, François Bazzoli, Sally Bonn, Roger Boulay et Pierre Manuel.
En savoir plus :
Sur le site d’art-cade* Galerie des grands bains douches de la Plaine
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Sur le site d’Anne-Marie Pécheur
Sur le dossier d’Anne-Marie Pécheur sur documentsdartistes.org
Anne-Marie Pécheur – « Consolation du saule pleureur ». Regard sur l’exposition
CONSOLATIONS
Jardins suspendus
Anne-Marie Pécheur – Eau perdue, 2016 – Saule vert, 2016 – Seulement Saule, 2020 – Près du bord, 2021. Acrylique sur toile, 196 x 130 cm – « Consolation du saule pleureur » à art-cade*
Si la peinture sans titre d’Anne-Marie Pécheur se plie, se replie et se déroule aussi, infiniment, ce n’est pas par référence, mais parce qu’une peinture vivante, dynamique ne peut être, par fatalité, qu’ainsi, sans repos.
C’est la période des toiles dynamiques à l’excès : on ne peut à aucun moment savoir où se situe l’enroulement principal de la forme. Un instant d’inattention, et il s’est déplacé. Matière vivante, cette toile refuse le statut de durcissement. Elle a la souplesse de la peau, cette élasticité contrôlée qui continuellement se love et se déplie indéfiniment. Chaque froissement introduit la différence, chaque froncement apporte une ride dans la surface trop calme de la peinture des années quatre-vingt.
Texte de François Bazzoli, 2007 Collection Le Rouergue/Actes Sud
ACTE-VERT ÉTOILES
1993
PLUIE
Sans doute les plantes meurent-elles, mais ce qui avec elles est le plus spectaculaire et le plus imposant, c’est la renaissance, le retour, l’endurance, l’expérimentation soit tout ce que le printemps, dans les régions froides ou tempérées, accueille et acclame. Et cela se fait en douceur ou en force, avec des volutes, des dentelles, des plis, des froissements, des enchevêtrements, des raccords, des incursions, des batailles. Et cela monte de tout en bas vers le haut, sans plaintes ni cris de victoire, comme un pur dépliement, comme une modulation infinie de diversité vivace,
Extrait de Pictural végétal Texte de Jean-Christophe Bailly Collection Les affinités, 2002
ACTE-PLEIN ÉTÉ
2004
PILOU
Son travail renvoie toujours à la peinture voisine, à celle d’avant et à toutes les images qu’elle a engrangées pour faire sa récolte. Il est un jeu infini de je te dis – tu crois atteindre au saisissement complet – puis non – elle s’efface un peu plus loin à la lisière incertaine entre espace cultivé et forêt qui le regagnera. J’identifie un élément, une citation, mais le trait contigu aussitôt me replonge dans la broussaille de l’incompréhensible. Sa peinture tisse des fils ténus que l’on tente de suivre sans trop tirer dessus au risque de les rompre… Et je mes dis que cette instabilité provoquée dans le regard me renvoie à ces œuvres océaniennes jamais finies, repeintes pour le rituel, puis effacées, puis huilées, puis habillées et dévêtues, puis cachées, puis de nouveaux éclatantes Tellement fortes qu’elles font rire ou pleurer le spectateur car il les trouvent belles et tristes, car elles ravivent en eux la présence des défunts qui ont transmis leur esprit à l’artiste
Texte de Roger Boulay, 1993 Collection contexte éditions Muntaner
ACTE-AUTOMNE
2014
SOL
Fleurs, feuilles, feuilles des arbres, feuilleter les pages d’un livre, Feuilletage ; la peinture d’Anne-Marie Pécheur est un Feuilletage. Elle superpose les couches de peinture et de sens, d’idées et de mots d’appartenances diverses, créant liens et entrelacs, tout en cherchant la transparence – toujours au plus près de l’idée en somme. Un travail, une recherche de la transparence qui se fait jour progressivement en interrogeant la surface, le devant et le derrière, le dessus et le dessous. Dans un mouvement de dématérialisation progressive, l’œuvre passe des trous et percements au feuilletage de la peinture, pour ensuite décoller la peinture de la surface de la peau dans une série de travaux à l’huile sur plexiglas [ nommée «Mise à jour »] ou de fixés sous verre, ou encore l’apparition de la dentelle comme une forme plus transparente, laissant voir le jour, du jour, pour dernièrement se traduire par la lumière, dentelles de fleurs de lumières…
Texte de Sally Bonn, 2004. Collection La Rouergue/ACTES SUD
CONVERSATION
Amitiés partagées, 2006
Entretien entre Anne-Marie Pécheur et Pierre Manuel à l’occasion de l’exposition « Les Mimosas» au Musée Puech, Rodez. Editions Le Rouergue/ACTES SUD.
P.M: Un va-et-vient de la peinture à l’écriture, de l’image aux signes, du complexe à l’ordonné. Mais où il faudrait que la peinture garde quelque chose de ce qu’elle a nié, de l’écriture dont elle s’est arrachées ou séparée, de la poésie donc : Pictura ut poésies.
A.-M. P.: Penses-tu que mon travail fait plus XVIle que XXIe ? Peut-être as tu raison : la théorie humaniste avec ses idées m’a toujours infiniment intéressée, les fleurs sont des corps, mes mots sont des signes. Il y a ce fond récurrent du «faire plaisir» et du beau : mais je ne peux pas admettre que poésie et peinture soient sœurs, féminines et siamoises. J’ai dit plusieurs fois que je me dois de peindre sans rien, en oubliant tout. Mais tu vois la poésie, j’en fais quand même usage, je la lis, peu, mais sans doute parce que j’en suis bouleversée. Comme si elle m’était interdite car j’y trouve des preuves de vérité, de réconfort et alors la peinture s’affaiblit. Dans le tableau de Poussin, les bergers montrent la forme d’inscription durable de la peinture dans la pierre : ce qui n’empêche pas une forme d’impatience par laquelle cette durée se relie à quelque chose de très immédiat, le temps qu’il fait, un état momentané de la lumière et de sa disparition. J’aimerai davantage que tu me vois comme l’enlumineur qui, en même temps qu’il se raconte des histoires, invente des images, dans une période indéfinie, très particulière, variable. L’impatience de mettre en lumière venu du fond de soi.
P.M.: Retour donc au point de départ : la longue durée et des ruptures pleines d’impatiences.